Université Paris Diderot Paris 7 Sorbonne Paris Cité Ecole doctorale « Economies, Espaces, Sociétés, Civilisations : Pensée politique, critique et pratiques sociales » - ED 382 Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA) UMR 245 GOUVERNER L'ENVIRONNEMENT DANS DES REGIONS FRONTALIERES COOPERATION ET CONFLITS DANS LES BASSINS DU FLEUVE SAN JUAN (COSTA RICA-NICARAGUA) ET DU FLEUVE SIXAOLA (COSTA RICA-PANAMÁ) Présentée par Tania RODRIGUEZ ECHAVARRIA Thèse de Doctorat en Géographie Sous la direction de Laurent Faret et Lucile Medina Soutenue le 12 décembre 2014 Membres du jury : M. Michel BUSSI Professeur, Université de Rouen, rapporteur Mme Juliet FALL Professeure, Université de Genève, raporteure M. Alain MUSSET Directeur d'Études, École des Hautes Études en Sciences Sociales, examinateur M. Patrick PICOUET Professeur, Université de Lille 1, examinateur M. Laurent FARET Professeur, Université Paris Diderot, co-directeur de thèse Mme Lucile MEDINA Maître de Conférences, Université Montpellier III- Paul Valéry, Co-directrice de thése 2 Remerciements Alors que j’écris ces remerciements, il m’est impossible de ne pas revenir en arrière et de m’interroger sur les raisons qui m’ont conduite à entreprendre cette thèse. Il est ainsi inévitable de penser à un moment qui a été déterminant pour moi, après lequel j’ai décidé de quitter mon travail et de traverser l’océan pour venir faire une thèse en France sur les frontières et l’environnement. Ce moment a eu lieu à la fin de l’année 2008 à Liberia, au Costa Rica, lorsque j’ai rencontré ceux qui allaient devenir mes deux directeurs de thèse. Mes remerciements s’adressent ainsi tout d’abord à Laurent Faret et à Lucile Medina, qui ont rendu possible cette thèse. Je les remercie d’avoir accepté de me suivre et d’avoir toujours pris le temps pour moi chaque fois que j’en ai eu besoin. D’avoir toujours simplifié mon séjour en France, de m’avoir intégrée à leurs projets de recherche et de m’avoir suivie toujours de près. Je les remercie d’avoir relu plus qu’attentivement chaque chapitre de cette thèse, pour leur confiance et leur patience… Merci ! Je dois aussi remercier particulièrement Lucile Medina, de m’avoir encouragée à écrire avec elle des articles et des communications. Pour les projets et les terrains qu’on a faits ensemble, et pour ceux qui viendront. Je tiens à remercier aussi Alberto Cortés, professeur de l’Université du Costa Rica et ami, pour son soutien, sa complicité et pour su eterno cariño, no estaría acá si no fuera por vos ! Pour ma recherche j’ai trouvé un important soutien auprès de mes anciens collègues de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature. Je remercie tout particulièrement Rocio Cordoba, coordinatrice de l’Unité de Changement et Moyens de Subsistance, Marta Perez de Madrid, Nazareth Porras, Pedro Cordero, Gabriela Calderon et Olman Varela. Pour m’avoir aidée à trouver toute la informations dont j’ai eu besoin. Je tiens aussi à remercier Olman Mendez (Costa Rica) et Israel Barrera (Panamá), secrétaires de la Convention Binationale Costa Rica-Panamá, pour leur aide précieuse notamment en me donnant accès aux archives de la Commission. Je dois remercier aussi Juan Carlos Barrantes du Corridor Biologique Talamanca Caribe (Talamanca, Costa Rica), Antonio Ruiz de la Fondation du fleuve (San Carlos de Nicaragua), Léonel Ubaü de FUNDEVERDE et le maire de Upala Alejandro Ubaü pour leur soutien pendant mes terrains. Je veux dire un grand merci à Pascal Girot, Carlos Granados, Danilo Saravia et Alonso Brenes, géographes membres de l’emblématique Equipe de recherche sur les frontières de l’Université du Costa Rica, pour m’avoir toujours orientée, pour leurs bases de données, leurs cartes et leur amitié! Gracias! 3 Je tiens aussi à remercier Edith Kauffer du CIESAS Sud-Est, pour m’avoir inclus dans son programme de recherche « L’eau dans sa dimension politique : des grands paradigmes actuels à la recherche sur les bassins transfrontaliers » qui m’a permis de faire mon deuxième terrain. Je tiens aussi à remercier à Lala Razafimahela du laboratoire ART-DEV pour son aide dans tout le processus de la mise en œuvre de l’analyse des réseaux d’acteurs (questionnaire, analyse des données, élaboration des graphes). Je voudrais aussi remercier à Stéphane Ghiotti, pour ses conseils (une bonne thèse c’est une thèse finie) et pour avoir relu de façon très attentive certains de mes chapitres. Si bien un doctorat est souvent un processus solitaire, j’ai eu la chance d’être accompagnée par des nombreuses personnes qui ont alimenté et dynamisé le quotidien de la thèse. Je tiens à remercier mes collègues du labo et compagnons de route, Delphine Prunier, Camille Le Masne, Hawa Coulibaly, Christine Ithurbide, Pauline Mongninot, Aurélien Reys et Simon Beillevaire. Je tiens aussi à remercier Hubert Vargas pour son aide dans l’élaboration de certaines cartes. Merci aussi à Aurélia Michel, pour ses orientations et son soutien. Un grand merci à Isabelle Nicaise pour nos longues discussions et pour les milles et une fois qu’elle m’a aidée. Merci à mes amis du Labo Ladyss Olivier Leroy, Romain Démissy, Clémence Clos et Etienne Grésillon, pour les weekends de travail, les soirées cinéma et toutes les pauses café ! Ma gratitude va aussi à mes amies qui m’ont aidée à dépasser les barrières de la langue et qui m’ont soigneusement corrigée. Merci à Aurélie Lelievre, Delphine Prunier, Carine Chavarochette et Erica Guevara ! Un grand merci à Sarah Duché pour avoir pris le temps de m’apprendre à faire des cartes. Je vous dois plus qu’un bon resto ! Etant loin de chez moi, les amis deviennent la famille, je dois ainsi remercier Erica Guevara, por siempre estar en los momentos importantes (los buenos y los no tan buenos)! A Nacho Muñoz et à mes chères « Purples » Myriem Aboutaher, Aurélie Lelievre, Joyce Valdovinos et Carla Tomazini, por tantas cosas que no caben en este texto ! Todo mi cariño. Une pensée aussi à los franco-ticos queridos, qui ne me laissent jamais oublier d’où je viens, Silvia Espinoza, Harold Lopez et Diana Senior. A Adrian, pour toutes les images et les sons qui m’ont accompagnée pendant dix mois… Le tourbillon de la vie ! A Rebe por haberme siempre hecho sentir que tenía un lugar lindo y cálido para volver. Je veux enfin remercier mes parents, sans leur soutien cette thèse n’aurait pas été possible. Gracias por su sentido crítico, su amor por los viajes, su curiosidad, su confianza y su compromiso. Y gracias sobre todo por su amor incondicional. 4 À Alexis Rodríguez et Ana Lorena Echavarría, porque “siempre acabamos regresando a donde nos esperan” (J.Saramago) 5 6 Sommaire Remerciements ............................................................................................................................................ 3 Acronymes .................................................................................................................................................. 11 Introduction générale ............................................................................................................................. 15 Première Partie Les frontières en Amérique Centrale : continuité socio- environnementale et discontinuité politique .............................................. 37 Introduction de la première partie .................................................................................................... 39 Chapitre 1 .................................................................................................................................................. 41 L’isthme centraméricain, une région de frontières ..................................................................... 41 1. Un isthme fragmenté, deux versants et sept frontières................................................................ 41 2. Les Etats centraméricains, un accouchement prématuré ? ........................................................ 47 3. Les frontières comme forme de discontinuité spatiale majeure en Amérique centrale . 52 4. Les régions frontalières de l’Amérique Centrale: entre exclusion, continuité et discontinuité ............................................................................................................................................................ 62 Conclusion Premier chapitre ............................................................................................................................ 77 Chapitre 2 .................................................................................................................................................. 79 Face au morcèlement territorial : L’intégration régionale et la coopération environnementale .................................................................................................................................... 79 1. Construire la paix sur les marges: la perception des frontières comme des régions d’intégration ............................................................................................................................................................ 81 2. Les frontières et l’environnement : le retour des frontières naturelles? ........................... 101 Conclusion deuxième chapitre ...................................................................................................................... 123 Chapitre 3 ................................................................................................................................................125 De l’horogènese de la frontière au bassin versant transfrontalier : des différentes dimensions des bassins du San Juan et du Sixaola .....................................................................125 1. Au-delà du fleuve San Juan, la construction de la frontière Costa Rica-Nicaragua ........ 126 2. Le bassin du fleuve San Juan, une région frontalière complexe et dynamique ................ 140 3. La frontière Costa Rica-Panamá, un tracé au service des enclaves bananières ................... 157 Conclusion troisième chapitre ...................................................................................................................... 179 Conclusion première partie............................................................................................................................ 182 7 Deuxième partie La coopération pour la gestion de l’environnement dans des régions frontalières ........................................................................................................... 185 Introduction de la deuxième partie : ...............................................................................................187 Comprendre les dynamiques de coopération transfrontalière à travers les acteurs collectifs .....................................................................................................................................................187 1. Les acteurs collectifs territoriaux ........................................................................................................... 187 2. Les acteurs collectifs spécifiquement frontaliers ............................................................................. 191 Chapitre 4 ................................................................................................................................................201 Réalités et limites de la coopération binationale pour la conservation des régions frontalières ...............................................................................................................................................201 Introduction .......................................................................................................................................................... 201 1. Coopération territoriale, coopération binationale, et coopération transfrontalière : la coopération une notion polysémique ........................................................................................................ 202 2. La coopération binationale : accords, projets et institutions ...................................................... 210 Conclusion quatrième chapitre .................................................................................................................... 273 Chapitre 5 ................................................................................................................................................275 Qui gère l’environnement? ..................................................................................................................275 Les dynamiques non étatiques de coopération pour la conservation de l’environnement dans des bassins transfrontaliers .....................................................................................................275 Introduction : Acteurs, projets et frontières ........................................................................................... 275 1. Coopération transfrontalière institutionnalisée et coopération transfrontalière informelle : l’émergence de nouveaux acteurs?..................................................................................... 276 2. Coopération transfrontalière institutionnalisée et acteurs exogènes ..................................... 279 3. La coopération locale transfrontalière : Le rôle des acteurs locaux ......................................... 348 Conclusion cinquième chapitre .................................................................................................................... 362 Conclusion de la deuxième partie ................................................................................................................ 366 Troisième partie Les limites de la gouvernance environnementale : Discours et conflits autour de la gestion de l’environnement dans des bassins transfrontaliers ................................................................................... 371 Introduction de la troisième partie .................................................................................................373 8 Chapitre 6 ................................................................................................................................................375 Mythes et réalités de la gouvernance environnementale dans la gestion des bassins transfrontaliers .......................................................................................................................................375 Introduction .......................................................................................................................................................... 375 1. Du global au local : l’oligopole de la conservation ........................................................................... 377 2. Le rôle des communautés épistémiques dans la construction des discours et des concepts de la gouvernance environnementale ....................................................................................................... 388 3. Le discours de la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) et du bassin versant transfrontalier au centre de la conservation des régions frontalières d’Amérique Centrale .................................................................................................................................................................................... 393 4. La gouvernance environnementale, normaliser la nature sans l’Etat ? .................................. 423 Conclusions sixième chapitre ........................................................................................................................ 453 Chapitre 7 : Conflits et problématiques socio-environnementales autour de la gestion des bassins des fleuves San Juan et Sixaola ...................................................................................457 Introduction .......................................................................................................................................................... 457 1. Les frontières comme espaces privilégiés de conflits ................................................................ 458 2. L’environnement instrumentalisé dans le conflit limitrophe entre le Costa Rica et le Nicaragua ............................................................................................................................................................... 464 3. Conflits socio-environnementaux sur le bassin du fleuve Sixaola : lutte pour la terre et frontière agricole ................................................................................................................................................ 494 Conclusion septième chapitre ....................................................................................................................... 509 Conclusion troisième partie ........................................................................................................................... 513 Conclusion générale ...........................................................................................................................517 Bibliographie .........................................................................................................................................531 Annexes ......................................................................................................................................................557 Tables des figures et des encadrés ...................................................................................................603 Table des cartes ................................................................................................................................................... 603 Table des figures ................................................................................................................................................. 604 Table des photographies ................................................................................................................................. 606 Liste des tableaux ............................................................................................................................................... 607 Table des Matières .................................................................................................................................609 9 10 Acronymes ACNUR Agence des Nations Unies pour le Réfugies ADITIBRI Association pour le Développement Intégrée du Territoire Indigène Bribri ADITICA Association pour le Développement Intégrée du Territoire Indigène Cabécar AECID Agence Espagnole de Coopération Internationale et Développement ALIDES Alliance Centraméricaine pour le Développement Durable ANAM Autorité Nationale de l’Environnement du Panamá APPTA Association de Petits Producteurs de Talamanca ASADAS Associations Opératrices des Aqueducs au Costa Rica ASOPLATUPA Association de producteurs de banane plantain de Paraiso de Talamanca BID Banque Interaméricaine de Développement BM Banque Mondiale CATIE Centre de recherche, d’éducation et de coopération technique pour CBD Commission de Diversité Biologique CBGBS Commission Binationale de Gestion du Bassin du Fleuve Sixaola CCAD Commission Centraméricaine d’Environnement et Développement CI Coopération Internationale CITES Convention sur le Commerce International des Espèces CMAP Commission Mondiale des Aires Protégées de l’UICN COCABO Coopérative de Producteurs de Cacao de Bocas del Toro CORBANA Corporation de Bananes Nationale CRRH Comité Régional de Ressources Hydriques CT Commission Transfrontalière DANIDA Danish International Development Agency- Agence Danoise pour le Développement Internationale EARTH Ecole d’Agriculture de la Région Tropicale Humide ECAGIRH Stratégie Centraméricaine pour la Gestion Intégrée des Ressources en Eau 11 FAO Organisation des Nations Unies pour l'Agriculture et l'Alimentation FEM Fonds pour l’Environnement Mondial FUNDEMUCA Fondation pour le Développement Municipal en Amérique centrale FUNDEVERDE Fondation de la Réserve « Esperanza Verde » FUNPADEM Fondation pour la Paix et la Démocratie GIEC Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat GIZ Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit – Agence Allemande de Coopération Internationale GWP Global Water Partnership IICA Institut Interaméricain pour la Coopération en Agriculture INBIO Institut National de Biodiversité du Costa Rica l’Amérique Latine et la Caraïbe MAG Ministère d’Agriculture et d’Elevage du Costa Rica MARENA Ministère de Ressources Naturelles et Environnement du Nicaragua MEF Ministère d’Economie et Finances de Panamá MIDEPLAN Ministère de Planification Nationale et Politique Economique MINAE Ministère de l’Environnement et de l’Energie du Costa Rica MRECIC Ministère de Rélations Internationales et Culte du Costa Rica OEA Organisation d’Etats Américain OIG Organisations Intergouvernementales ONG Organisation Non Gouvernementale OPS Organisation Panaméricaine de la Santé PACAGIRH Plan Centraméricain pour la Gestion Intégrée des Ressources en Eau PARCA Plan Environnemental de la Région Centraméricaine PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement PNUE Programme des Nations Unies sur l’Environnement RAMSAR Convention sur les zones humides d’importance internationale particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau SIAPAZ Système d’Aires Protégées pour la Paix SICA Système d’Intégration Centraméricain SINAC Système Nationale d’Aires e Conservation au Costa Rica SINAPROC Système Nationale de Protection Civil du Panamá TNC The Nature Conservacy UCR Université du Costa Rica 12 UFCO United Fruit Company UICN Union Internationale pour la Conservation de la Nature UN (Organisation) des Nations Unies UNA Université Nationale du Costa Rica UNESCO Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture UNFPA Fonds des Nations Unies pour la Population USAID Agence des Etats-Unis pour le Développement Internationale (United States Agency for International Development) WWF Fonds Mondial pour la Nature 13 14 Introduction générale Juan Carlos est né à Cahuita, un petit village côtier localisé dans la région caraïbe sud costaricienne à cinq heures de route de San José. Il est le fils d’une mère indigène et d’un père afro-caribéen, venu travailler dans l’entreprise bananière. Il parle bribri, mekatelyu (mélange d’anglais et d’espagnol) et espagnol. Il est représentatif de la diversité culturelle cette région frontalière entre le Costa Rica et le Panamá. Cahuita héberge une des nombreuses aires protégées localisées sur cette région frontalière, le Parc National Cahuita. Ce Parc est reconnu comme une des premières expériences de gestion participative du pays. Il est non seulement une source de revenus pour ce village grâce à l’éco-tourisme, mais il est aussi une composante essentielle de sa construction identitaire. Le boom de l’activité touristique a permis à la famille de Juan Carlos de l’envoyer réaliser des études au Centre Agronomique Tropical de Recherche et Education (CATIE) à Turrialba. Depuis près de dix ans, il travaille dans cette région pour une organisation non gouvernementale locale appelée Le Corridor Biologique Talamanca-Caribe, et met en place des projets d’agro-écologie avec des organisations indigènes autour de la production de cacao. Il a l’habitude de travailler avec des coopérants. En 2011, il me présente lors de notre première réunion une longue liste de projets de conservation qui ont été financés par des agences de coopération et des organisations internationales comme la coopération étasunienne (AID), la coopération allemande (GIZ), l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) et The Nature Conservancy. Il les connaît bien, il comprend comment elles fonctionnent et il sait utiliser les mots que ces coopérants veulent lire dans une proposition de projet. Il m’invite à l’accompagner aux projets de pépinières localisés dans des fermes intégrales et il me parle des conférences et des réunions à l’étranger auxquelles il est souvent invité. Lorsque je marche avec lui à Cahuita, à Hone Creek, à Bribri ou au village frontalier 1 de Sixaola , les gens lui disent bonjour et l’appellent par son nom. Il connaît bien cette région et la région le connaît bien. 1 Villages de cette région frontalière. 15 Ex-combattant sandiniste et écologiste depuis le processus de paix dans les années 1990, Antonio Ruiz incarne l’histoire de San Carlos de Nicaragua. Son bureau est décoré par une grande diversité de badges avec son nom et les références de conférences internationales auxquelles il participe régulièrement. Il est le fondateur de l’une des plus anciennes organisations environnementalistes au Nicaragua, La Fondation du Fleuve, dont le nom fait référence au fleuve San Juan, objet de passions, de disputes interétatiques mais aussi de coopération internationale. L’accès à San Carlos de Nicaragua depuis Managua est long et difficile, mais cela n’a pas empêché Antonio de voyager régulièrement pour assumer son poste de président du Comité des Membres Mésoaméricains de l’UICN. Il affirme connaître très bien l’UICN et les organisations qui travaillent dans le secteur de l’environnement en Amérique centrale. Je l’ai connu en 2007 à l’occasion de l’une des premières réunions de la Commission Transfrontalière du Fleuve San Juan du Projet Alianzas de l’UICN. Lors de cette réunion, il exposait les problématiques environnementales locales et présentait les projets de conservation financés par la coopération espagnole et que la Fondation du Fleuve mettait en place. Les trajectoires de ces deux représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) locales, rencontrés lors de mes nombreux séjours sur ces frontières, illustrent la complexité des dynamiques et des rapports qui se mettent en place dans les régions frontalières d’Amérique centrale. Des régions riches du point de vue environnemental et culturellement diverses, mais pauvres et marginales, conséquence de l’abandon historique de la part des Etats et des guerres civiles des années 1980. Ces trajectoires montrent aussi des villages connectés à l’international et des acteurs collectifs (ONG locales) qui agissent à différentes échelles autour de la conservation de l’environnement. C’est ainsi que la découverte des parcours de ces acteurs locaux m’a invitée à m’interroger sur les acteurs collectifs qui intervenaient dans la gestion de l’environnement sur ces frontières. Quels étaient leurs intérêts, leurs préoccupations ? Quelle était la nature des relations qu’ils entretenaient entre eux? Comment entendent-ils agir pour l’environnement et comment intègrent-il la dimension frontalière ? 16 Les frontières: des systèmes complexes qui articulent une grande diversité d’acteurs « Le territoire est une scène où se jouent des représentations en (plusieurs) actes ; l’acteur est donc omniprésent» (Gumuchian, 2003, p. 15) « franchir une frontière ce n’est pas seulement changer de territoire, de langue, de système scolaire, administratif et politique, c’est aussi changer de temporalité : les jours fériés qui diffèrent, les symboles nationaux qui nous renvoient à d’autres dates, souvenirs… » (Picouet & Renard, 2007, p. 107). Les frontières perçues comme lignes (limite fixe) ou comme des fronts pionniers au sens turnerien (frontier) (Turner, 1996) ne feront pas l’objet de cette thèse. Bien que les frontières aient comme fonction la division de l’espace politique, elles ont un rôle central dans l’organisation politique des sociétés humaines. L’objet frontière est plus qu’une discontinuité politique, il est en soit un lieu original par rapport au reste du territoire national, qui est marqué par sa proximité avec un autre Etat. Il s’agit de concevoir les frontières comme des régions dynamiques qui intègrent des territoires situés de part et d’autre de la ligne, en dépit de la discontinuité politique. Des régions autour desquelles se mettent en place des rapports de force et qui articulent une diversité d’acteurs, d’écosystèmes et d’activités productives. Des régions de surcroit souvent traversées par des « liens de proximité de part et d’autre de la frontière et qui à leur tour produisent eux-mêmes des territoires » (Medina, 2004, p. 12). Ces régions sont souvent appelées des « régions transfrontalières » en référence à la proximité et aux dynamiques qui les traversent. Pour D. Newman, ces interactions transfrontalières n’ont pas été encore suffisamment explorées et doivent avoir une place prioritaire dans les agendas de recherche sur les frontières (Newman, 2011, p. 18) Il s’agit ainsi de considérer les frontières comme un « système spatial qui articule les liens étroits qui relient les lieux, les acteurs, et les caractéristiques qui composent l’objet frontière » (Picouet & Renard, 2007, p. 42). Ce système frontalier repose sur trois piliers : la pluralité des acteurs et leurs représentations, l’emboitement et l’articulation d’échelles et les différentes temporalités qui traversent l’objet frontière (Picouet & Renard, 2007, p. 47). Ces aspects font 17 que les dynamiques frontalières impliquent une grande diversité d’acteurs qui agissent parfois à différentes échelles en défendant des intérêts et des représentations très divers . Nous estimons qu’il est fondamental de prendre en compte les différentes temporalités de chaque frontière et de chaque acteur. La notion de temporalité fait référence aux différentes perceptions et représentations du temps et de l’espace. Nous comprendrons par « temporalité » l’ensemble des usages et des expressions et l’appropriation culturelle du temps. Les temporalités sont ainsi multiples et varient selon les cultures et les vécus (Picouet & Renard, 2007, p. 115). Pour saisir et comprendre ces temporalités, nous nous intéressons aux actions (projets) et aux discours des acteurs. Les frontières centraméricaines: un objet peu étudié L’Isthme centraméricain est une région particulièrement fragmentée politiquement. Dans une 2 superficie d’à peine 523 160 km , il existe dix dyades (Foucher, 1991) qui divisent cette région en sept Etats (Granados, 2000). Ces frontières héritées de la période coloniale ont eu un rôle central dans la construction des Etats nations centraméricains. Et depuis la fin des années 1990, elles ont été placées au centre des débats liés à l’intégration régionale. Malgré l’importance qui leur a été octroyée sur le plan politique, l’étude des frontières centraméricaines est cependant restreinte à quelques initiatives de recherche. A différence des frontières d’Amérique du Sud ou celle des Etats-Unis et du Mexique, les frontières centraméricaines ont fait l’objet de moins d’attention. Une des premières expériences de recherche sur ces frontières date des années 1990. Elle a été portée par Carlos Granados et l’Equipe de Recherche sur les Frontières de l’Ecole de Géographie de l’Université du Costa Rica. Cette production scientifique a été soutenue par la coopération internationale, notamment la Fondation Ford, l’Institut Centraméricain pour la Coopération en Agriculture (IICA) et la Fondation pour la Paix et la Démocratie (FUNPADEM). Cette initiative a mis en évidence un intérêt régional et international pour les frontières centraméricaines. Il a été réalisé un important inventaire des frontières centraméricaines conduisant à la construction d’un Système d’information Géographique (SIG), sur des aspects variés et stratégiques comme leurs ressources en eau (nappes phréatiques, bassins transfrontaliers), les aires protégées, ou encore les conflits potentiels. Cependant cette recherche s’est arrêté au début des années 2000 et n’a pas abordé en profondeur les particularités de chaque frontière, puisque l' objectif de ce programme était 18 d’abord de porter un regard d'ensemble sur la nature et les caractéristiques des frontières centraméricaines. Durant la même décennie, une importante publication a été réalisée en 1997 à la suite d’un colloque organisé par le Centre Français d’Etudes Mexicaines et Centraméricaines (CEMCA) en collaboration avec le Centre de Recherche et d’Etudes Supérieures en Anthropologie Sociale du Mexique (CIESAS). Cette publication intitulée Les Frontières de l’Isthme, frontières et sociétés entre le sud du Mexique et l’Amérique centrale, coordonnée par Philippe Bovin, a intégré les travaux d’une trentaine de chercheurs français, centraméricains et mexicains de différentes disciplines. Cette publication articule des recherches indépendantes, mais elle reste malgré tout jusqu’à présent une des principales contributions à l’étude des frontières centraméricaines. Plus récemment, des recherches ont été réalisées par l’Université Nationale du Costa Rica, mais très centrées sur le droit international et les bassins transfrontaliers (López & Hernández, 2009). Quelques études majeures sur les frontières centraméricaines sont également à signaler dans la géographie française. Par ordre chronologique, tout d’abord les recherches de Michel et Noëlle Demyk sur les conflits frontaliers en Amérique centrale (Demyk & Demyk, 1981) publiées comme un chapitre de l’ouvrage Les Phénomènes de frontière dans les pays tropicaux, publié par le Centre de recherche et de documentation sur l'Amérique latine (CREDAL). Plus récemment, les recherches d’Alain Musset sur la géopolitique des frontières centraméricaines (Musset, 1997) et sur leur relation aux constructions nationales (Musset, 2000). La contribution la plus complète reste la thèse de Lucile Medina soutenue en 2004 et intitulée Le dilemme des frontières en Amérique centrale: marges symboliques ou espaces en construction. Le cas des frontières Nicaragua/Costa-Rica et Costa-Rica/Panamá (Medina, 2004), qui étudie l’évolution de la perception des frontières centraméricaines dans une perspective de temps long depuis les indépendances jusqu’à l’actualité. Malgré ces initiatives récentes, la production scientifique autour des frontières centraméricaines reste réduite et, dans la région, elle est majoritairement portée par les universités publiques costariciennes. Les frontières d’Amérique centrale restent ainsi peu exploitées comme objet d’études, alors même qu’elles sont des lieux et des objets clés dans la région, laissant une ample gamme de thématiques à aborder. 19 A cet égard, cette recherche veut contribuer à la production de nouvelles connaissances autour des frontières centraméricaines, en portant un regard différent sur celles-ci. En lien avec l'émergence ou le renforcement de thématiques devenues fortes en sciences sociales, ce travail doctoral se donne pour objectif d'ouvrir de nouvelles perspectives articulant les enjeux environnementaux, la gestion des territoires et les formes d'articulation entre les acteurs intervenant sur ceux-ci en région frontalière. Pour ce faire, nous nous intéressons à ces espaces stratégiques que sont les frontières en mobilisant un double bagage méthodologique et théorique, que des expériences précédentes nous ont permis de développer, à partir de la science politique et de la géographie politique et sociale. Du point de vue du contexte scientifique de réalisation cette recherche, cette thèse a été conduite dans le cadre de deux projets de coopération scientifique portés par des réseaux de chercheurs mexicains, centraméricains et français qui s’intéressent aux frontières centraméricaines et plus particulièrement aux bassins transfrontaliers. Le premier programme de recherche est « L’eau dans sa dimension politique : des grands paradigmes actuels à la recherche sur les bassins transfrontaliers » financé depuis 2010 par le Conseil National de Science et Technologie (CONACYT) du Mexique. Le deuxième est un Projet International de Coopération Scientifique (PICS) financé par le Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) français depuis 2013 sur les « Bassins transfrontaliers au carrefour de la coopération et des conflits en Mésoamérique ». Ces deux projets, portéspar Lucile Medina de l’UMR ART-Dév de l’Université Montpellier 3 et Edith Kauffer du CIESAS-Sureste, ont constitué des espaces d’échange, de débats et de production scientifique importants pour l'enrichissement de cette recherche. Antérieurement, la mise en relation de chercheurs travaillant sur l'Amérique centrale et le Mexique avait été rendue possible dans le cadre du programme ANR-TRANSITER, développé au SEDET (devenu CESSMA par la suite) à l'Université Paris Diderot. Au cœur de notre problématique : comprendre les dynamiques frontalières liées à la conservation de l’environnement à travers les acteurs collectifs Les frontières dans l’isthme centraméricain sont un sujet clé dans les débats régionaux notamment par leur importance sur les questions comme la sécurité et la lutte contre le narcotrafic, mais aussi par leur importance environnementale puisque les aires protégées de 20 l’Isthme se localisent majoritairement sur ces régions. C’est pourquoi la façon dont s’opèrent les dynamiques de coopération et de conflits sur les frontières est devenue une question fondamentale pour une région si fragmentée et si vulnérable du point de vue social, politique et environnemental. Les frontières centraméricaines sont des laboratoires où une grande diversité d’acteurs collectifs interagissent à plusieurs niveaux d’échelles spatiales (local, national, régional et global) et encouragent la mise en place d’initiatives visant à dépasser la fragmentation sociopolitique et à développer des projets de coopération fondés sur la continuité culturelle et environnementale. Nous entendrons par acteur collectif « un groupe de personnes organisé, mobilisé à partir d’expériences, d’intérêts et de solidarités convergentes autour d’un projet en commun qu’il tente d’imposer par le biais de l’action collective » (Duperré, 2004, p. 13). Les actions de coopérations encouragées par les États, les institutions régionales, les organisations intergouvernementales (OIG) et les organisations non gouvernementales (ONG). La majorité de ces acteurs ont développé des projets qui cherchent à réduire la marginalisation de ces zones frontalières, en essayant aussi de conserver leur biodiversité. Les ONG internationales et les OIG sont devenues depuis la fin des années 1990 de plus en plus présentes et influentes, les projets qu’elles encouragent localement s’inscrivent dans des stratégies et des initiatives qui sont conçues par des experts et des scientifiques internationaux dans des forums et des sommets à l’échelle mondiale. Elles ont progressivement un rôle privilégié dans la production de politiques publiques (Hassenteufel, 2005, p. 123), puisqu’elles introduisent leurs agendas dans les espaces locaux de prise de décision, participant ainsi à l’harmonisation des politiques publiques locales et agissant comme des intermédiaires entre le global et le local (Ibid., p. 126). De cette façon, autour de la conservation de ces régions frontalières un complexe réseau d’acteurs collectifs (ONG locales, gouvernements locaux, ONG internationales, OIG, coopératives, entreprises transnationales…) apparaît et se structure. Ces réseaux expriment des dynamiques d'acteurs qui mettent en oeuvre des relations de pouvoir dissymétriques et conduisent non seulement à des dynamiques coopératives, mais participent aussi à développer les motifs de conflits, devenus à la fois plus variés et plus nombreux qu’avant les années 1990. En effet, à côté des conflits interétatiques essentiellement limitrophes, sont apparus des conflits socio-environnementaux qui opposent des acteurs plus variés. 21 Questionnement central et principales hypothèses Dans cette perspective d'ensemble, ce travail met en relation frontière, environnement et acteurs collectifs, que ces derniers soient considérés comme locaux, nationaux ou exogènes (internationaux et transnationaux)2. Notre préoccupation centrale est de comprendre dans quel contexte et comment les acteurs collectifs présents (organisations, coopératives, associations, ministères…) agissent à différentes échelles et influencent la gestion environnementale de régions transfrontalières en Amérique centrale. Nous étudierons les jeux d’acteurs autour des dynamiques de coopérations et de conflits qui se produisent dans deux régions transfrontalières localisées en Amérique centrale : le bassin du Río Sixaola (entre le Costa Rica et le Panama) et celui du Río San Juan (entre le Costa Rica et le Nicaragua). Trois hypothèses de départ guideront notre travail. La première hypothèse est que les préoccupations environnementales ont participé de façon déterminante à donner un sens nouveau aux frontières centraméricaines. Depuis les années 1990, le Système d’Intégration Centraméricain (SICA) a en effet utilisé la conservation de l’environnement comme instrument pour encourager le dépassement de la discontinuité politique et de la marginalité sociale de ces frontières, en soutenant des dynamiques de coopération binationales et transfrontalières. La deuxième hypothèse est que la présence d’acteurs exogènes porteurs de projets de développement dans ces espaces frontaliers connecte ces régions périphériques avec tout un système global de la conservation organisé autour d’acteurs très influents : organisations internationales, banques de développement et entreprises privées La troisième et dernière hypothèse porte sur les discours et les processus de la gouvernance environnementale portés par les acteurs exogènes. Notre hypothèse est qu’en cherchant à appliquer des concepts (comme la gestion intégrée des ressources en eau, ou la gestion par bassin) et à mettre en place des dispositifs conçus par des pays du Nord, les projets de coopération ne prennent pas en compte les véritables problématiques locales frontalières. 2 La portée d'une typologie comme celle-ci, qui peut dans la réalité apparaître moins homogène que les catégories qu'elle mobilise, sera discutée dans la deuxième partie de la thèse 22 Les frontières, un enjeu pluridisciplinaire La frontière est avant tout une construction sociale qui a été étudiée par de nombreuses disciplines notamment la géographie, la sociologie, la science politique, l’économie, entre autres. Pendant les années 1980, la géographie française s’est réappropriée les frontières comme objet d’étude. Ce contexte a été profondément marqué par la réconciliation de la géographie avec la géopolitique, laquelle avait été discréditée à cause de son assimilation à la géopolitik allemande de la Deuxième Guerre mondiale (Lacoste, 2008, p. 19). Nous estimons nécessaire le croisement de plusieurs approches disciplinaires pour saisir la complexité du jeu d’acteur qui se met en place sur les régions frontalières. C’est pourquoi cette recherche se nourrit d’approches relevant à la fois de la géographie et de la science politique. Comme M. Foucher l’explique, « La frontière est l’objet politique par excellence, puisque (…) c’est le lieu privilégié d’articulation du politique et du spatial » (Foucher, 1991, p.17). Nous empruntons à la géographie sociale et plus particulièrement à la géopolitique, leur analyse des liens entre le pouvoir et l’espace. Y. Lacoste, un des principaux précurseurs de la géopolitique, la définit comme « l’étude des rivalités de pouvoir sur des territoires, qu’ils soient de grande ou de petite dimension. Le territoire géographique est essentiel en géopolitique, mais il ne s’agit pas seulement du territoire en tant que tel, avec son étendue, ses formes de relief et ses ressources, mais aussi des hommes et des femmes qui y vivent et des pouvoirs qu’ils acceptent et ceux qu’ils combattent, en raison de l’histoire qu’ils se racontent à tort ou à raison, de leurs craintes et des représentations qu’ils se font de l’avenir » (Lacoste, 2008, p. 18). L’approche proposée par Y. Lacoste met en avant trois éléments qui nous paraissent centraux pour comprendre les relations de pouvoir qui se mettent en place autour de la gestion de l’environnement dans les régions frontalières étudiées : 1. La mise en évidence des rapports de force, 2. Les motivations et les intérêts et 3. Les discours et les représentations. Nous empruntons aussi à la géographie sociale les débats et apports théoriques qu’elle a développé sur les frontières, la coopération et les conflits, et qui ont produit un vocabulaire spécifique, avec des termes comme horogenèse, dyade, transfrontalier, interface, périmètre, entre autres, ainsi que les formes de représentations cartographiques, outil qui a enrichi notre approche qualitative. 23 De son côté, la science politique invite à la réflexion sur les instruments et les concepts nécessaires à la compréhension de l’action publique, c’est-à-dire les processus de décisions, les relations de pouvoirs, les types d’acteurs (privés, publics, société civile) et leurs répertoires d’actions. Nous prêterons une attention particulière à l’entrée par les stakeholders, en français « porteurs d’enjeux », ainsi qu’aux débats liés aux policy brokers, ou acteurs intermédiaires, qui analysent le rôle des organisations non gouvernementales (ONG) et les organisations intergouvernementales (OIG) dans le transfert des politiques publiques (Hassenteufel, 2011, p. 215). Il convient de souligner qu’une partie importante de ce travail se consacre aussi à l’analyse des nouveaux modèles d’exercice du pouvoir et à la diffusion des discours sur la gouvernance. Pour cerner les intérêts et représentations des acteurs étudiés, nous ferons aussi appel à l’analyse des discours institutionnels (très utilisé dans la communication politique), qui sont un type de discours politique dont le principal objectif est de générer de la légitimité (Krieg- Planque & Oger, 2010, p. 92). L’analyse du discours institutionnel nous permet de cerner la manière dont les priorités des agendas politiques environnementales évoluent et ainsi déterminer les intérêts des acteurs. Une approche par les acteurs frontaliers et analyse du réseau Nous partons du constat que les acteurs qui agissent sur des espaces frontaliers sont nombreux et de nature très diverse. Les acteurs gouvernementaux qui exercent le pouvoir politique et publique, les acteurs locaux (légaux et illégaux) et les organisations internationales qui mettent en place des projets de développement ont souvent des intérêts et temporalités différents et parfois même contradictoires. Les frontières sont aussi le résultat de l’interaction de différentes échelles et elles ont parfois la particularité de faire coïncider l’ordre local et l’ordre global, lesquels se confrontent ou s’harmonisent. L’analyse du jeu d’acteurs à l’échelle d’une région frontalière permet d’éclairer une dimension de la complexité du système frontalier. L’analyse de la littérature géographique sur les frontières montre que cette discipline a longtemps négligé l’étude des acteurs, en privilégiant plutôt l’histoire des frontières, l’horogènese des tracés et les conflits frontaliers. Et par la suite, elle s’est intéressée aux mobilités et dynamiques transfrontalières, en portant ainsi une attention particulière aux flux, aux axes et à la coopération transfrontalière. Cette 24 recherche propose ainsi de remettre au centre l’analyse des acteurs frontaliers, en partant de l’idée que l’acteur est au centre des processus de territorialisation (Gumuchian, 2003, p. 9) qui se mettent en place sur ces régions frontalières. L’analyse des acteurs nous paraît essentielle pour la compréhension des enjeux frontaliers actuels. Cependant toute action n’est pas territoriale et n’est pas non plus territorialisante. Pour l’être, l’action doit avoir une intentionnalité qui est exprimée et explicitée de manière discursive, et être en lien avec une situation territoriale particulière (Ibid., p. 91). Nous estimons ainsi que l’acteur territorial a un ancrage, il se construit sur des lieux, des points géographiques localisés qui sont aussi des points porteurs de sens. Dans le cas de notre recherche, le lieu où se met en place ce jeu de pouvoir entre acteurs est la région frontalière. Les régions frontalières sont des lieux originaux, différents du reste du territoire national sur les plans culturel, politique et environnemental. C’est ainsi que nous nous intéresserons aux acteurs frontaliers en tant qu’acteurs territoriaux, dont les actions sont déterminées par leur ancrage territorial. L’acteur est contraint par un contexte mais en même temps, il participe à la construction de ce contexte par le déploiement de ses actions stratégiques (Hassenteufel, 2011, p. 117). L’analyse du réseau d’acteurs frontaliers Un des objectifs de cette recherche est d’identifier les relations qui se mettent en place entre ces différents types d’acteurs, et entre les acteurs qui sont de part et d’autre de la frontière. Pour atteindre cet objectif, nous ferons une analyse des réseaux d’acteurs frontaliers, en nous appuyant sur la sociologie des réseaux d’acteurs. 3 La notion de réseau social ou de réseau d’acteurs a été développée par la sociologie dès le début du XXe siècle. Mais l’étude proprement dite des réseaux sociaux n’apparaît que dans les années 1970 (Cadoret, 2006, p. 138). La géographie s’est saisie plus récemment de l’analyse des réseaux sociaux. Cependant, elle en propose une approche intéressante puisqu’elle étudie les interactions entre acteurs à travers une perspective spatiale en analysant les relations sociales et leur rapport à l’espace (Ibid., p. 142). Le réseau social depuis la sociologie est défini comme « un ensemble de relations spécifiques (des collaborations, soutien, conseil, contrôle, influence) entre un ensemble fini d’acteurs qui 3 Nous ne différencierons pas ces deux notions puisque tout réseau social est un réseau d’acteurs qui ont des relations formelles ou informelles. 25 n’est réellement jamais fini et dont les « frontières sont constamment négociées de manière stratégique du dedans comme du dehors » (Lazega, 2007, p. 8). Le réseau est constitué d’un ensemble « d’unités sociales et des relations que ces unités sociales entretiennent les unes avec les autres » (Mercklé, 2011, p. 4). Ces unités sociales peuvent être des individus ou des acteurs collectifs, qui peuvent à leur tour être formels (organisations, associations, entreprises, entre autres) ou informels. Pour qu’un réseau existe, celui-ci doit être composé d’au moins trois acteurs (Ibid., p. 9). Les relations qui se mettent en place peuvent être de natures très différentes, relations de collaboration, transferts de ressources (monétaires, marchandises, information, entre autres), ou encore alliances formelles ou informelles (Ibid., p. 4). Elles peuvent être également de nature conflictuelles, ce qui nous intéressera dans le cadre de ce travail, tout comme également l’absence de relations entre certains acteurs. Le choix du terrain : les deux bassins transfrontaliers des fleuves San Juan (Nicaragua-Costa Rica) et Sixaola (Costa Rica-Panamá) Le choix de recherche s’est porté sur deux terrains d’étude, deux segments frontaliers situés au sud de l’Isthme centraméricain. Ces segments sont le bassin du fleuve San Juan localisé entre le Costa Rica et le Nicaragua, et le bassin du fleuve Sixaola localisé entre le Panamá et le Costa Rica (cf. Carte 1). Ces deux fleuves frontaliers s’écoulent vers la Mer des Caraïbes et ne marquent qu’un segment de la frontière, qui correspond dans les deux cas à la partie aval des bassins. Nous nous sommes intéressés à la totalité du bassin du fleuve Sixaola, mais en 2 raison de la taille très importante du bassin du fleuve San Juan (36 905 km ) nous avons choisi de ne considérer dans notre recherche que l’axe central du bassin, qui correspond aux municipes de San Carlos et Cardenas au Nicaragua et à la « Zone Nord » du Costa Rica (cantons de Los Chiles, Upala et Guatuso). Cet axe est le plus peuplé et le plus dynamique du point de vue des échanges et de la présence de projets de coopération en matière 4 d’environnement . 4 La description des terrains sera développée plus en profondeur dans la première partie de cette thèse. 26 Le choix du « bassin versant » comme unité géographique d’analyse doit être considéré. La première raison de ce choix est que les projets de coopération que nous voulions étudier font tous référence au bassin comme unité d’exécution de leurs projets. Nous voulions ainsi dans cette thèse problématiser cette notion et définir le niveau d’appropriation que les différents acteurs avaient de la gestion par bassin versant. Cette gestion par bassin est-elle acceptée et utilisée par les différents acteurs ? D’un autre côté, la notion de bassin nous intéressait parce qu’elle renvoie à une continuité environnementale qui dépasse les limites politiques étatiques. L’environnement étant au centre de notre recherche, nous voulions aussi nous interroger sur la pertinence du « bassin versant » notamment dans la gestion de l’environnement. Le choix des deux terrains s’est effectué d’abord au regard de ma connaissance antérieure approfondie de ces régions. Ma première rencontre avec ces deux terrains date de 2006, lors de mon expérience professionnelle avec l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Pendant quatre ans, je me suis rendue dans ces régions frontalières tous les mois. J’ai travaillé dans le Projet Alianzas de l’UICN jusqu’en 2008 et j’ai ensuite pu participer à plusieurs projets de gouvernance de bassins transfrontaliers portés par l’Unité de l’Eau de l’UICN jusqu’à la fin de l’année 2010. De cette façon, au moment de concevoir cette thèse, je connaissais déjà ces deux régions de frontières, et j’avais pu identifier certains des enjeux locaux et des acteurs qui intervenaient dans des questions environnementales sur ces deux bassins. Mon activité professionnelle antérieure m'avait permis de connaître d’autres zones de frontières dans l’Isthme. Le choix de ces deux terrains repose donc également sur le contexte politique fortement dissemblable entre ces deux frontières qui permet d’analyser l’influence des relations diplomatiques entretenues par les deux États voisins, mais aussi sur le caractère très intéressant des projets de coopération mis en place sur ces deux frontières. Ainsi, ces deux frontières sont des objets d’étude privilégiés pour analyser l’évolution des processus d’intégration dans la région mais aussi le rôle d’acteurs exogènes dans la démarcation et dans la gestion des régions frontalières. 27 Carte 1 Terrains d’étude Méthodologie Lors de mes premiers terrains dans le cadre de ce doctorat, ma première préoccupation a été de me détacher de mon ancien rôle de chargée de projet travaillant pour l’UICN face aux acteurs locaux, et d’assumer un positionnement de chercheur. Cependant, dès les premiers entretiens que j’ai conduits entre juillet et octobre 2011, il s'est avéré que ce que j’avais imaginé comme un obstacle s’est révélé en réalité un atout. Le fait que ces acteurs me connaissent déjà a facilité l’accès aux différents projets de coopération et aux documents officiels. De plus, cette connaissance préalable a favorisé la prise de rendez-vous avec ces acteurs et ma participation à des réunions, des visites et des ateliers organisés par certaines ONG locales et nationales. Une des principales difficultés a été de gérer en réalité sept terrains différents, c’est-à-dire trois capitales (San José, Managua et Panamá) et deux régions de frontières (le bassin du 28 fleuve Sixaola, partagé par le Costa Rica et le Panamá et le bassin du fleuve San Juan partagé par le Costa Rica et le Nicaragua). Les méthodes qualitatives privilégiées Les objectifs de cette recherche ont mis en évidence qu’une approche qualitative était la plus adéquate pour cerner notre objet. Nous avons fait appel à un raisonnement inductif, c’est-à- dire que nous sommes partis de l’analyse du jeux d’acteurs autour de dynamiques précises de coopération et de conflits en matière d’environnement, pour aller vers des généralisations plus complexes. Nous avons privilégié une méthode qualitative portée par l’intérêt d’analyser les discours d’acteurs, leurs perceptions et leurs relations qu’ils entretiennent. De cette façon, nous avons mobilisé plusieurs outils de la recherche qualitative, comme l’observation participante et les entretiens semi-directifs (lors du premier terrain) et directifs (lors du deuxième terrain). Nous avons par ailleurs travaillé l’analyse de la documentation (littérature grise) produite par les ONG locales et les organisations internationales (brochures, documents de projets, sites internet, matériel de diffusion et de formation) et par les Etats (rapports officiels, traités, compte rendus de réunions), ainsi que l’analyse d’articles de presse, particulièrement ceux des quotidiens de diffusion majeure de la presse écrite comme La Nación (Costa Rica), El Nuevo Diario (Nicaragua) et la Prensa (Panamá), mais également les nouveaux journaux en ligne (comme CRHoy), ainsi que des journaux de plus petit tirage comme le Semanario Universidad de l’Université du Costa Rica. Nous avons également réalisé un travail de révision bibliographique en France et dans les bibliothèques universitaires du Costa Rica et du Nicaragua, pour construire un état de la question. Nous avons également recueilli des données statistiques et censitaires de ces trois pays et de ces deux régions frontalières, notamment pour identifier les contrastes entre ces pays et la situation périphérique de ces régions frontalières vis-à-vis des indicateurs nationaux et des capitales. Cependant cette approche quantitative se heurte vite à plusieurs difficultés : la première a été que les données étaient publiées à des niveaux de précisions différentes ou à des dates différentes. Par exemple, grâce au Programme de l’Etat de la Nation au Costa Rica, on peut avoir accès à des données par année depuis 1994, ce qui n’est pas le cas pour le Panamá et le Nicaragua. En outre, ma condition de costaricienne dans un contexte de tensions diplomatiques entre le Costa Rica et le Nicaragua n’a pas facilité mon accès aux sources, notamment pour les données statistiques et géographiques liées à la frontière entre ces deux 29 pays. Ces difficultés se sont présentées notamment avec l’Institut Nicaraguayen d’Etudes Territoriales (INETER), où l’accès aux données m’a été refusé, ainsi qu’avec plusieurs acteurs nicaraguayens sur la défensive, qui ont refusé d’être interviewés ou bien dont les réponses à nos questions sont restées très lacunaires. Une démarche comparative assumée Dans la perspective de cette thèse, la démarche comparative vise à comparer des processus beaucoup plus que des espaces ou des situations au sens strict. Le choix de conduire cette comparaison sur deux terrains a pour objectif de mettre en regard des espaces, des milieux et des contextes différents pour analyser les logiques d'acteurs qui s'y déploient. . Cette comparaison nous permet de mettre en évidence l’impact que peuvent avoir les différents modes de gestion sur des régions contigües. De ce fait, la comparaison que avons mise en œuvre n’est pas systématique, elle repose de façon privilégié sur trois dimensions : 1. l'horogènese de ces frontières et leurs caractéristiques socio-environnementales ; 2. Les dynamiques de coopération binationales et transfrontalières en matière d’environnement ; 3. Les limites existantes à la gouvernance environnementale, en mettant l’accent sur les contradictions discursives et les conflits socio-environnementaux. Initialement, nous avons sélectionné ces deux bassins versants parce qu’ils possèdent certaines caractéristiques qui relèvent d’une certaine symétrie, pouvant faciliter la démarche comparative. D’abord ces deux régions frontalières sont localisées sur deux zones en marge des territoires nationaux. La région frontalière entre le Costa Rica et le Panama (bassin du Sixaola) ainsi que celle entre le Nicaragua et le Costa Rica (bassin du San Juan) ont été largement exclues des processus de construction étatique. Cette marginalisation politique et économique et cette distance aux centres décisionnels a encouragé la construction de liens de voisinage et d’interdépendance culturelle, sociale et commerciale,entre ces régions adjacentes. Ces espaces marqués par leur situation périphérique sont devenus ainsi des régions plus ou moins intégrées, marquées par la proximité et la continuité du tissu social, malgré la ligne de frontière (Morales, 2010, p. 187). Les bassins des fleuves San Juan et Sixaola sont donc des unités spatiales à forte dimension transfrontalière où se mettent en place d’importants réseaux 30 sociaux transnationaux formels et informels, très interconnectés et scènes de relations de coopération et de conflit. La démarche comparative permet de saisir comment le jeu d’acteurs liés à la conservation de l’environnement se met en place dans deux contextes qui ont des logiques territoriales très différentes, tout en étant tous deux des régions frontalières. La comparaison permet de porter un regard décentré (Hassenteufel, 2005, p. 113) des contextes nationaux/locaux et nous permet d’analyser comment l’environnement localisé sur ces deux frontières (Costa Rica- Nicaragua et Costa Rica-Panama) peut être géré de façon divergente par la coopération internationale comme par les États. Il est important de signaler que cette démarche de comparaison ne peut prétendre avoir entièrement échappée aux effets de deux conjonctures politiques très différentes qui ont déterminé le rapport au terrain et la collecte des données. Pour M-H. Sa Vilas Boas « la nature de la relation établie avec les enquêtés et les contextes de collecte des matériaux peuvent, en effet, influer sur leur construction, l’enquête étant davantage une relation sociale qu’une expérience de laboratoire que l’on peut répéter à l’envie » (Sa Vilas Boas, 2012, p. 61). Dans ce sens, il convient d’accepter le caractère asymétrique de la comparaison, laquelle est déterminée par les conditions d’accès aux données. Notre travail de terrain a eu lieu dans un contexte de forte tension entre le Costa Rica et le Nicaragua, ce qui a limité non seulement l’accès à certaines données officielles, mais aussi la possibilité de réaliser des entretiens auprès des fonctionnaires des mairies nicaraguayennes, lesquels ont refusé d’être interrogés (sans doute d’autant plus au vu de ma nationalité costaricienne qui dans ce cas a rendu l’accès au terrain nicaraguayen plus ardu). Ceci n’a pas été le cas au le Costa Rica ni au Panamá, où nous avons eu accès aux informations et pu mener des entretiens plus facilement. Dans ce sens, nos données sont dissemblables parce qu’elles n’ont pas été recueillies de la même façon (Sa Vilas Boas, 2012, p. 66) C’est ainsi que malgré l’exigence de la symétrie dans la méthode comparative, nous avons dû confronter des données asymétriques. A cet égard, M-H. Sa Vilas Boas constate que le « recueil de données asymétriques constitue moins un obstacle pour la comparaison qu’un processus qui renseigne lui-même sur les cas étudiés… » (Sa Vilas Boas, 2012, p. 62). C’est- à-dire, le manque de données ou la difficulté d’y accéder, sont des données en-soi qui permettent d’observer des particularités du terrain (manque de volonté politique, tensions, corruption, etc.) 31 L’organisation du travail de terrain Le travail d’enquête a été organisé en deux séjours de quatre mois chacun pour un total de huit mois de terrain, non compris mes séjours antérieurs dans ces régions. Le premier terrain, plus exploratoire, a eu lieu pendant les mois de juillet à octobre 2011, et a été consacré à l’identification d’acteurs, de projets et de conflits liés à la gestion de l’environnement. Je me suis rendue à San José, à Managua et j’ai fait de nombreux allers retours vers les deux régions de frontière. Cette période a été consacrée aussi à la révision bibliographique et à la réalisation d’un état de la question. J’ai également élaboré des instruments d’enquête, réalisé des entretiens semi-directifs auprès de chercheurs, d’universitaires, de fonctionnaires gouvernementaux (notamment des Ministères de l’Environnement et de Ministères de la Planification), de représentants d’ONG internationales, nationales et locales, et de représentants d’associations de développement. On trouvera dans les annexes 8 et 9 la liste des acteurs rencontrés et interrogés. L’objectif était de mieux saisir les principales dynamiques de coopération et de conflits, mais aussi d’identifier qui étaient les acteurs qui intervenaient. La sélection des personnes interrogées s’est faite par un effet de boule de neige, en demandant aux personnes enquêtées de m’indiquer les acteurs clés que qu'il était essentiel de rencontrer. Ce terrain m'a permis d’identifier les principaux enjeux et il m'a amené à m'interroger sur les relations qui se mettaient en place entre les différents acteurs ainsi que sur le transfert de méthodologies et de concepts qui s’établissaient entre les acteurs internationaux et locaux. Nous avons ainsi interrogé au total 21 personnes lors de cette première campagne . Pour saisir ces nouveaux enjeux identifiés lors de ce premier terrain, nous avons décidé d’approfondir l’analyse des relations entre ces acteurs et pour cela, nous avons fait appel à la sociologie des réseaux sociaux. Nous avons conçus en collaboration avec Lucile Medina et Lala Razafimahefa (Ingénieur d’Etude) de l’UMR ART-Dév de l’Université Montpellier 3, une grille d’entretien plus précise qui nous permettrait d’identifier et de reconstruire les relations de proximité, d’influence, de confiance et de tension entre les acteurs identifiés. Sur la base de cette grille (cf. annexe 11 ) j' ai interrogé soixante personnes lors du second travail de terrain qui a eu lieu de juin à octobre 2012. Ces entretiens nous ont permis, d’une part, de déterminer les projets de coopération en matière environnementale, leur fonctionnement et les acteurs qui interviennent et, d’autre autre part, d’identifier les relations existantes entre les acteurs. Ce questionnaire cherchait à repérer les réseaux d’acteurs, c’est-à-dire le système de relations existant autour de la gestion 32 de l’environnement dans ces zones frontalières. Les personnes interrogées qui participent à la gestion de l’environnement dans ces régions de frontières se répartissent entre acteurs gouvernementaux (représentants de ministères, maires, fonctionnaires, etc.), organisations non gouvernementales (ONG), organisations intergouvernementales (OIG), consultants considérés comme des experts internationaux, membres de coopératives et d’entreprises privées, représentants indigènes, habitants frontaliers, universitaires, etc. Les questions posées lors des entretiens ont été conçues pour permettre l’identification des relations entre acteurs (d’influence, de proximité, de confiance et les non relations ou les relations de conflits), leurs attributs (protagonistes, influant, etc.) et leurs comportements (relations de domination, médiation, entre autres). Avec l’aide de L. Razafimahefa, nous avons par la suite construit une base de données à partir des relations que les acteurs ont signalées lors des entretiens. Cette base de données nous a permis d’élaborer des graphes (réalisées avec le logiciel libre NodeXL), lesquels illustrent la structure et la dynamique des différents réseaux constituées au regard de tel ou tel aspect traité. L'usage des graphes comme représentation graphique des réseaux de relations, permet la visualisation des liens entre acteurs et la mise en évidence des propriétés des relations, leur intensité, la réciprocité et la quantité des liens qu’elles véhiculent (Mercklé, 2011, p. 22). Ils facilitent ainsi la compréhension des relations développées entre les acteurs. Grâce à l’analyse des réseaux nous avons pu identifier quels acteurs exerçaient une position de pouvoir, de subordination mais aussi les acteurs intermédiaires ou ceux qui étaient perçus comme légitimes ou conflictuels. Organisation de la thèse La première partie de cette thèse porte un regard historique et géographique sur l’évolution des espaces frontaliers centraméricains. Elle expose l’évolution des perceptions et des discours officiels vis-à-vis de ces frontières, lesquels ont progressivement abandonné l’image de frontières comme « front » de guerre ou « front pionnier » pour présenter les frontières en tant que régions frontalières riches d’un point de vue environnemental et culturel, et ce malgré leur marginalité et leur position périphérique. Le premier chapitre analyse dans une perspective régionale l’horogènese5 des frontières centraméricaines depuis la période coloniale jusqu’aux processus d’indépendances, puis 5 Terme proposé par Michel Foucher pour décrire le processus de genèse des frontières (Foucher, 1991). 33 durant le processus de formation des Etats centraméricains au XIXe siècle. Il s’agit de montrer plus particulièrement comment la défense et la fixation des tracés frontaliers ont été instrumentalisés pour promouvoir la cohésion nationale et le sentiment d’appartenance à une communauté partagée et imaginée qui est constitutive de l’État-nation. Le deuxième chapitre propose d’appréhender les frontières non comme des lignes, mais comme des régions vastes et dynamiques, différentes du reste du territoire national à cause de leur proximité avec un autre Etat. Dans le contexte du processus de paix que l’Isthme a vécu durant les années 1990 après une décennie de guerres civiles et de révolutions, nous nous intéressons au rôle qu’a joué l’environnement dans la construction d’une nouvelle sémantisation des frontières, présentées dans les discours du Système d’Intégration Centraméricain (SICA) et de la coopération internationale comme des régions naturelles d’importance internationale qui doivent être conservées. Le troisième chapitre invite à changer d’échelle pour se concentrer plus précisément sur les processus d’horogènese et de fixation de la ligne frontalière sur les deux terrains d’étude choisis : la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua, et la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua. Ce chapitre met en lumière l’intervention ancienne d’acteurs exogènes à l’Isthme comme les Etats Unis et la Grande Bretagne dans la fixation des tracés et dans l’organisation territoriale. Il s’agit également de montrer qu’il existe, dans ces régions frontalières, une importante continuité culturelle qui a permis que des liens de coopération organisés et spontanés se mettent en place. La deuxième partie s’intéresse aux processus de coopération binationaux et transfrontaliers mis en place dans les bassins du fleuve San Juan et du fleuve Sixaola. Le quatrième chapitre explore les processus de coopération binationale interétatique en présentant les cadres légaux (accords binationaux) et les structures de coordination interinstitutionnelles (Commissions binationales). Nous nous intéressons au fonctionnement de ces dispositifs de coopération, en pointant leur efficacité et les difficultés de coordination qui existent entre les pays. Ce chapitre analyse aussi le rôle d’acteurs exogènes qui participent avec les Etats dans la mise en place de projets de coopération, tels que la Banque Interaméricaine de Développement (BID). 34 Le cinquième chapitre analyse la coopération transfrontalière en matière d’environnement qui peut être portée par des acteurs exogènes (les organisations internationales, ONG internationales, OIG), par les acteurs locaux (ONG locales, coopératives, associations, autorités indigènes) ou encore par des universités publiques. Il s’agit de nous interroger sur le contenu de ces projets, sur la façon dont ils se mettent en place et sur les acteurs qui participent. Ces projets cherchent à développer de nouveaux modes de gouvernance environnementale., C’est dans cette perspective que nous mobilisons les graphes destinés à illustrer l’analyse des réseaux d’acteurs frontaliers en matière de conservation de l’environnement. La troisième partie de cette thèse propose une analyse des limites de la gouvernance environnementale. Il s’agit d’interroger le manque de congruence entre les discours des projets, leurs actions et les réalités locales, et de mettre en lumière les nombreuses problématiques et conflits socio-environnementaux qui existent dans ces bassins et qui ne sont pas pris en compte par les projets de conservation. Notre sixième chapitre essaie de montrer comment ces projets étudiés font partie de tout un système de gouvernance globale fortement hiérarchisé que nous appelons « l’oligopole de la conservation ». Ceci nous amène à étudier le rôle des communautés épistémiques et des experts dans ces processus de transfert global-local. Nous prêtons une attention particulière à deux concepts très utilisés par les organisations internationales qui sont la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) et la gouvernance, en questionnant la représentativité et la légitimité des dispositifs délibératifs (comités de bassin, commissions transfrontalières) et normatifs (codes de conduites) mis en place. De plus, nous nous interrogeons sur la pertinence du bassin versant en tant que unité d’opération idéale. Enfin, dans le septième et dernier chapitre, nous nous penchons sur l’environnement instrumentalisé, à travers l’analyse des récents conflits interétatiques entre le Costa Rica et le Nicaragua ; et sur l’environnement oublié, à savoir les problématiques socio- environnementales identifiées comme les plus importantes par les acteurs locaux mais évacuées des stratégies d’action des Etats et des organisations internationales. Ce constat nous invite à nous interroger sur les raisons qui poussent ces acteurs à ignorer les conflits socio- environnementaux locaux, en questionnant le positionnement idéologique des organisations internationales et des ONG. 35 36 Première Partie Les frontières en Amérique Centrale : continuité socio-environnementale et discontinuité politique 37 38 Introduction de la première partie La première partie de notre étude sera consacrée à l’analyse de l’horogènese des frontières centraméricaines. L’objectif de départ est d’analyser à travers d’une perspective à la fois historique et géographique l’évolution des espaces frontaliers centraméricains, en portant l’attention particulièrement sur ceux localisés entre le Costa Rica et le Panamá, et entre le Costa Rica et le Nicaragua. Dans le premier chapitre, l’analyse portera sur la manière dont les frontières centraméricaines ont évolué depuis la période coloniale jusqu’à l’indépendance, puis durant le processus de formation des Etats centraméricains. Il s’agit de montrer en particulier comment la défense et la fixation des tracés frontaliers ont été instrumentalisées pour promouvoir la cohésion nationale et le sentiment d’appartenance à une communauté partagée et imaginée qui est constitutive de l’Etat Nation. Dans le deuxième chapitre, nous analyserons comment ces frontières ont été progressivement appréhendées comme des régions vastes et dynamiques, dans un processus de dépassement de la frontière comme ligne. Nous nous intéresserons au rôle de l’environnement dans la construction d’une nouvelle sémantisation des frontières qui les présente comme des régions naturelles d’importance internationale. Cette nouvelle perception apparaît dans un contexte historique particulier, la fin des conflits armés dans l’Isthme et la transition vers la démocratie, dans lequel le Système d’Intégration Centraméricain (SICA) se saisit des frontières pour encourager un processus d’intégration par le bas. Nous démontrerons que la conservation de ces « sanctuaires naturels » est l’argumentaire qui est mobilisé par le SICA pour inciter à la signature d‘accords et de traités visant à encourager le développement et de conservation des régions frontalières. Dans cette perspective, nous nous intéresserons particulièrement à l’importance donnée en Amérique centrale à la question des bassins transfrontaliers et leur gestion. Le troisième chapitre se focalisera sur les deux cas d’études, la frontière entre le Costa et le Panamá et la frontière entre le Nicaragua et le Costa Rica, pour revenir sur leur construction historique et poser leurs problématiques socio-économiques actuelles. Nous considèrerons donc dans un premier temps leur horogènese, en mettant l’accent sur le rôle joué par des acteurs exogènes comme les Etats Unis et la Grande Bretagne dans la délimitation, 39 l’organisation et la gestion de ces régions frontalières. Nous faisons l’hypothèse que la présence des acteurs exogènes sur ces régions frontalières a donc depuis longtemps été déterminante, en influençant, dès après les indépendances, les négociations pour la définition des tracés frontaliers à travers des arbitrages et des pressions. Dans un deuxième temps, nous présenterons les caractéristiques actuelles des régions frontalières en Amérique centrale, en termes démographique, environnemental et productif. Nous attacherons une attention particulière à la proximité culturelle qui existe sur chacune des régions frontalières, notamment les familles transfrontalières et les population indigènes et afro-caribéennes qui traversent et transgressent quotidiennement ces frontières. En outre, nous mettrons en perspective l’existence de nombreuses aires protégées et de sites RAMSAR dans ces régions avec la croissance actuelle très forte d’activités productives et de monocultures (banane, ananas, palme africaine, agrumes). 40 Chapitre 1 L’isthme centraméricain, une région de frontières Pour comprendre l’importance du rôle des frontières en Amérique Centrale et celui donné à la coopération régionale et transfrontalière, il convient de souligner que la fragmentation physique et politique de l’Isthme est une contrainte difficile à lever et constitue aujourd’hui encore une importante limitation pour l’intégration. La fragmentation politique de l’Isthme, qui est une donnée historique ancienne, se traduit par un nombre important de frontières qui délimitent les différents Etats depuis l’indépendance. Or la défense des frontières nationales a été instrumentalisée par ces derniers et a transformé les lignes frontières en objets de conflits. Aujourd’hui cependant, l’appréhension des frontières a évolué vers une considération plus zonale et pacifique qui met davantage en avant les régions frontalières que les lignes de démarcation et qu’il convient de souligner. 1. Un isthme fragmenté, deux versants et sept frontières 1.1. La double fonction isthmique La nature isthmique de l’Amérique centrale lui confère une configuration géographique particulière ainsi qu’une position géopolitiquement stratégique. Ce « mince trait d’union », Cette « étroite bande de terre entre deux océans , est un « espace de transition naturel et culturel » (Demyk, 2005, p. 73) entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Dans le sens longitudinal, les relations intercontinentales sont les plus anciennes ; elles sont à l’origine du peuplement de l’isthme et jouent un rôle prépondérant dans la dispersion de la flore et de la faune (Demyk, 2005, p. 75). Pendant la période précolombienne, la position de pont de l’isthme a contribué à entretenir les échanges culturels et commerciaux entre groupes indigènes localisés au nord et au sud de la Mésoamérique (Hall, 1985, p. 7). A cette position intercontinentale, il faut ajouter la position interocéanique de l’isthme (Hall, ème 1985 : 5) qui s’affirme véritablement à partir du XVI siècle avec l’incorporation de 41 l’Amérique Centrale dans l’« économie monde » (Hall, 1985, p. 7). La recherche permanente d’un passage entre l’Atlantique et le Pacifique qui a guidé les Espagnols confère une grande importance à la dimension interocéanique de la région. Dès la conquête de l’Amérique, les Espagnols ont été contraints de construire plusieurs routes terrestres, faute d’avoir trouvé une voie maritime naturelle. A partir de 1880, les Français puis les Américains entreprendront à leur tour le creusement d’un canal, finalement localisé au niveau de l’isthme de Panamá et ouvert en 1914. La fonction de pont entre les deux océans est particulièrement importante : cela fait de l’isthme centraméricain une zone stratégique, et de la construction des Etats et de leurs frontières un enjeu majeur. Ainsi, de nombreux acteurs exogènes (notamment les Etats- Unis) sont intervenus pour influencer les négociations pour la délimitation des limites territoriales des Etats afin que les traités répondent à leurs intérêts géopolitiques et économiques (Canal interocéanique, plantations bananières, entre autres). En effet, l’isthme a été déterminé par ces deux dimensions, mais il est aussi déterminé par la fragmentation. Même si sa dimension intercontinentale renvoie à une continuité culturelle et naturelle, l’Amérique Centrale se caractérise également par la discontinuité provoquée par une fragmentation à la fois physique et politique. 1.2. La fragmentation physique : la dichotomie Pacifique/Caraïbe Malgré une continuité apparente, l’isthme est ainsi marqué par la fragmentation géographique. L’isthme est nettement divisé par deux cordillères centrales parallèles aux côtes qui forment une « épine dorsale » séparant la région en deux versants, le versant Pacifique et le versant Caraïbe, différents quant à leur climat comme à leur peuplement (Hall, 1985 : 9). Les hautes terres et la façade pacifique, zones les plus fertiles de la région, constituent les anciens espaces de peuplement précolombien et colonial. Les historiens centraméricains insistent sur l’influence qu’ont eu les schémas de peuplement et des divisions précolombiennes dans l’établissement des villes et des divisions coloniales (Brignoli, 2000; Torres-Rivas, 1994). La plupart des villes coloniales ont ainsi été installées sur d’anciens foyers de peuplement indigènes et les découpages provinciaux coloniaux ont souvent reposé sur les discontinuités de la géographie humaine et politique précolombienne (Foucher, 1991, p. 103; Hall, Brignoli, & Cotter, 2003, p. 30). . Les conquérants se sont ainsi installés sur les hauts plateaux et le versant pacifique, malgré la localisation du premier contact sur la côte atlantique. Après l’indépendance, les principales villes coloniales sont devenues les capitales et sont restées les foyers de population les plus importants des nouveaux Etats. Le versant 42 Pacifique concentre ainsi toujours les centres de pouvoirs politiques et économiques, connectés depuis les années 1960 par la route Interaméricaine (cf. carte 2). La façade Caraïbe de l’Amérique Centrale présente quant à elle une cohérence qui s’exprime par une « relative homogénéité environnementale et géophysique (basses terres caraïbes) » (Le Masne, 2010, p. 27). Elle a servi de zone de refuge pour les populations indigènes et afro-caribéennes, qui se sont installées sur le littoral caribéen de l’Amérique centrale et qui ont ainsi conservé des caractères socio-ethniques communs. La densité de population est faible sur cette façade et les populations qu’elle abrite sont dépendantes des grandes plantations de bananes ou du tourisme, ou bien pratiquent une agriculture de subsistance. Cependant, malgré la continuité culturelle et naturelle, les différents segments nationaux de cette façade sont mal connectés entre eux et au reste des territoires. Nous renvoyons au modèle de Noëlle Demyk qui schématise parfaitement l’organisation spatiale générale des pays centraméricains (Demyk, 1991, p. 160). Cette dichotomie Pacifique-Caraïbe constitue donc une fragmentation transversale ème déterminante pour l’Isthme. Même si elle s’est atténuée durant le XX siècle, avec l’intégration et le peuplement progressif de la façade Caraïbe, elle reste un des traits structurels les plus importants de l’isthme centraméricain. 1.3. La fragmentation politique : Une région morcelée La fragmentation s’inscrit également politiquement puisque l’Isthme est divisé par pas moins de dix frontières étatiques. Sur l’ensemble de sa superficie de 523 160 km² , sept Etats coexistent (Guatemala, Honduras, Belize, El Salvador, Nicaragua, Costa Rica et Panamá) qui partagent 3 455 kilomètres de frontières (Matul, 2007, p. 77; Unidad de Fronteras, 2002). Alain Musset affirme que ces divisions politiques s’expliquent en partie par l’extrême morcellement des unités physiques et humaines et par un relief très compartimenté qui a contribué au « cloisonnement et à l’éclatement de l’espace » (Musset, 1998, p. 13). Avant même l’arrivée des Espagnols, l’isthme centraméricain n’a jamais constitué un espace unifié (Brignoli, 2000). Le monde centraméricain se présentait en effet déjà comme un espace hétérogène, non unifié et peuplé par des groupes indigènes très distincts qui appartenaient à des sphères d’influence différentes, mésoaméricaine au nord et andine au sud. C’est ainsi que l’Amérique Centrale dans son ensemble apparaissait surtout comme une zone de transition avec des systèmes d’organisation et d’échanges différents qui n’avaient jamais réussi à construire une cohérence étatique (Medina, 2004, p. 29). 43 Après la conquête, l’administration coloniale espagnole a découpé et organisé l’Amérique hispanique en vice-royautés (La Nouvelle Espagne, Nouvelle Grenade, le Pérou, et de Rio de la Plata), audiences (tribunaux royaux aux fonctions législatives, exécutives et judiciaires), capitaineries et gobernaciones 6 (Torres-Rivas, 1994). La majorité de l’isthme était placée sous l’autorité de la Vice-royauté de Nouvelle Espagne. Seul le Panamá dépendait de la Vice- royauté de Nouvelle Grenade. Il est intéressant de noter que les débats autour de l’appartenance du Panamá à la région centraméricaine sont nombreux dès la période coloniale, même s’ils apparaissent avec plus de force à partir du moment où le Panamá obtient ème son indépendance aux dépends de la Colombie au début du XX siècle. En 1571, l’Amérique Centrale, qui appartenait au Vice royaume de Nouvelle Espagne, s’est trouvée regroupée par l’administration coloniale sous l’égide de la Capitainerie Générale du Guatemala. La Capitainerie était elle-même divisée en plusieurs provinces : de Ciudad Real de Chiapas, du Guatemala, de San Salvador, de Comayagua, et du Nicaragua et Costa Rica » (le Panamá se trouve alors sous l’autorité de la Capitainerie de Tierra Firme) (Hall et al., 2003, p. 32). Il est important d’insister sur le fait que les tracés des frontières étatiques actuelles de l’Amérique Centrale sont majoritairement d’origine coloniale à la différence des frontières de l’Amérique du Sud, dont les tracés sont majoritairement postcoloniaux comme l’a montré M. Foucher, 60% d’entre eux ayant été négociés par les Etats après leur indépendance (Foucher, 1991). En Amérique Centrale, les frontières modernes ont été établies sur les anciennes lignes 7 de séparations provinciales tracées de façon imprécise par les colons espagnols. Ces limites entre provinces coloniales étaient en effet des marges vides et peu peuplées qui ont été utilisées comme des espaces tampons entre les propriétés des conquérants (Musset, 1998, p. 10). Ces marges provinciales peu peuplées sont demeurées des limites floues, avec des contours fluctuants, dans la mesure où elles étaient plus le résultat de la tradition que d’une décision politique (Granados, 2000, p. 7). Cette imprécision a retardé la délimitation des frontières et a généré de nombreux conflits limitrophes entre les conquérants, lesquels ont demandé à plusieurs reprises l’intervention de la Couronne espagnole pour fixer les limites (Medina, 2004, p. 35). 6 Unités politiques et administratives sous l’autorité d’un gouverneur désigné par la couronne espagnole pour administrer le territoire. 7 L’isthme au temps de la colonisation espagnole était organisé autour de l’Audiencia de Guatemala, laquelle était composée de cinq provinces (Province de Ciudad Real, Province de Guatemala, Province de San Salvador, Province de Comayagua et Province de Nicaragua et Costa Rica). 44 Les colons sont de plus restés largement absents dans le versant atlantique et dans les zones tampons. La particularité des régions de frontières se révèle ainsi au cours de cette période, puisqu’elles deviennent peu à peu des “non mans land” de la colonisation, peuplés uniquement par des groupes indigènes encore insoumis qui trouvaient là des zones de refuges pour échapper à la domination coloniale et au système de l’encomienda8. Ces régions ont été utilisées par les colons comme des réservoirs de mains d’œuvre indigène. La frontière dans cette période coloniale peut être appréhendée comme une frontier, au sens du terme proposé par l’étasunien F.J. Turner en 1893 pour décrire un front de conquête mobile, qui a vocation être progressivement peuplé et conquis (Turner, 1996). Nous pouvons ainsi identifier sur les deux frontières étudiées deux zones de refuge où, encore aujourd’hui, habitent des groupes indigènes. Entre le Costa Rica et le Nicaragua, c’est notamment le cas du village de Guatuzo localisé à proximité de la frontière, qui est peuplé par des populations indigènes Maleku. Sur la frontière Costa Rica-Panamá, on peut citer aussi le village de Bribri à Talamanca du côté costaricien, tandis que du côté panaméen, il existe une comarca9 Ngöbe-Bugle et également des indigènes Näso, dans la province actuelle de Bocas del Toro. Ces centres de peuplement indigène localisés autour de la frontière entre le Costa Rica et le Panamá regroupent des ethnies Bribri, Cabécar, Näso et Ngöbe qui ont des dynamiques souvent transfrontalières. Les populations indigènes dans ces périphéries et les populations afro-caribéennes10 sur le versant caraïbe ont évolué parallèlement à la société métisse localisée sur le versant pacifique. Les régions de frontières marquent par conséquent une discontinuité non seulement politique mais aussi culturelle et sociale, par rapport aux centres de pouvoir métis. 8 La “encomienda” était un système d’exploitation de la main d’œuvre indigène qui ressemblait à un système feudal, ou le « comendador » (seigneur feudal) était le responsable d’évangéliser les populations indigènes et les indigènes en échange donnaient leur force de travaille. 9 Les comarcas indigènes au Panamá ont été créés en 1928, elles sont une forme de division administrative qui a été conçue en fonction de la présence de populations indigènes. Ces territoires indigènes octroient à ces populations une certaine autonomie et la reconnaissance de certaines traditions et connaissances. Il existe au Panamá cinq comarcas qui représentent un 20% du territoire panaméen : la Comarca Ngobe-bugle y Campesino, la Comarca Kuna Yala, la Comarca Embera-Wounan, la Comarca Kuna de Madugandi y la Comarca Kuna de Wargandi. Cependant, malgré l’existence de cette catégorie administrative, l’autonomie de ces populations reste encore très limitée, notamment par le fait que le Panamá n’a pas souscrit l’accord 169 de l’OIT qui oblige les gouvernements à consulter les populations indigènes au moment de mettre en place des projets d’infrastructure et d’exploitation de ressources naturelles. 10 Les populations afro-caribéennes ont été apportées par les Anglais et les Etasuniens (notamment l’entreprise United Fruit Company) a postériori comme main d’œuvre pour la construction du chemin de fer et pour l’exploitation bananière. 45 Carte 2 Limites politiques de l’Audience du Guatemala de 1579 à 1732 Carte 3 Organisation politique de l’Audience de Guatemala de 1732 à 1821 46 2. Les Etats centraméricains, un accouchement prématuré ? Si les frontières centraméricaines reprennent les anciennes limites coloniales, leur fonction et leur statut a évolué dans le temps. Espaces « tampons » délimitant de manière floue les entités provinciales pendant la période coloniale, elles sont devenues des limites étatiques depuis les indépendances, sur la base du principe de l’uti possidetis11. En 1821, l’indépendance vis-à-vis de l’Empire espagnol survient de façon presque inattendue pour les provinces de la Capitainerie Générale de Guatemala. Cependant, avant la constitution des Etats indépendants, une phase intermédiaire se met en place, au cours de laquelle plusieurs tentatives de regroupements fédéraux plus au moins éphémères se développent. Cette vision intégrationniste est héritière des discours des grands héros des guerres d’indépendance, notamment de Simon Bolivar et Francisco Morazan qui évoquaient le besoin de mettre en place un système fédéral qui articulerait les peuples latino-américains en une « grande patrie ». Dans un premier temps, les provinces centraméricaines, en prise au doute et à l’incertitude, ont opposé peu de résistance à l’annexion par le nouvel Empire mexicain, appelé également Empire d’Iturbide (1821-1823). Mais très rapidement, profitant de la chute de celui-ci, elles se sont déclarées indépendantes et se sont regroupées au sein des Provinces Unies d'Amérique Centrale, tentative de fédération connue aussi sous le nom de République Fédérale Centraméricaine, composée par le Guatemala, le Salvador, le Honduras, le Nicaragua et le Costa Rica, de 1824 à 1838. Cette brève tentative d’intégration centraméricaine fut un échec. Elle n’a pas pu résister aux forces centrifuges, au manque de sentiment d’appartenance et au renforcement des localismes. En effet durant cette période, de nombreux conflits frontaliers surgissent entre les provinces. En outre, certains chercheurs affirment qu’une des causes de l’échec a été que la fédération n’a pas engendré le sentiment d’un destin partagé (Hall et al., 2003, pp. 40–41). Les croissantes rivalités politiques et commerciales qui se sont développées entre les provinces ont été déterminantes, notamment les tensions autour de la représentation des provinces au niveau du gouvernement fédéral12. 11 Principe provenant du droit romain, qui vient de l’expression uti possidetis, ita possideatis qui signifie : Vous posséderez ce que vous possédiez déjà. 12 Le système de représentation était proportionnel, c’est à dire que les provinces les plus peuplées avaient le plus de représentants, laissant aux provinces moins peuplées une représentation plus limitée, et donc moins de pouvoir. 47 Carte 4 Empire Mexicain (Empire d’Iturbide) 1821-1823 Carte 5 République Fédérale Centraméricaine 1824-1838 48 Au moment des indépendances, les Etats centraméricains se sont vus confrontés au besoin d’affirmer leur souveraineté. L’indépendance de l’Amérique Centrale a été un « accouchement prématuré » pour reprendre l’expression de R. Pastor (Pastor, 1988, p. 169) puisque la naissance de l’Etat Moderne y a précédé la construction de la nation. Pour les élites politiques, issues de l’oligarchie et responsables de la construction des Etats, le principal défi était de convertir les limites provinciales coloniales en frontières politiques, à travers l’installation de lignes plus strictes (Granados, 2000, p. 8). C’est ainsi qu’après l’échec de la Fédération, les frontières coloniales ont été conservées selon le principe politique de l’uti possidetis, lequel est devenu par la suite une règle du droit international. Ce principe de droit romain a été formalisé lors du Congrès d’Angostura en 1819 (présidé par Simon Bolivar). Il acte que les frontières des nouveaux Etats latino-américains reprendront les limites des anciennes provinces espagnoles. Ce principe se fondait sur deux axiomes : 1. le respect des limites administratives fixées par les puissances colonisatrices ; et 2. L’absence de territoire sans maître. Ce principe cherchait ainsi à maintenir la stabilité, l’intégralité territoriale et prévenir les potentiels conflits entre les Etats naissants (Medina, 2004, p. 47; David Newman, 2011, p. 15). La construction du territoire est au centre des discussions sur les frontières centraméricaines. Cependant les débats autour de la définition de territoire sont nombreux. C’est pourquoi, dans le cadre de cette recherche, il est important de préciser ce concept et la manière dont nous l’entendons. Distinct de celui d’espace qui de façon plus neutre définit une portion de la surface terrestre, le concept de territoire renvoie à « une portion de surface terrestre appropriée par un groupe social pour assurer sa production et la satisfaction de ses besoins vitaux. (…)» (Le Berre, 1992). Nous comprendrons ainsi par territoire une entité spatiale appropriée et reconnue par ses habitants, une « maille de gestion et de contrôle » qui établit des normes, des valeurs et des symboles à une collectivité (Picouet & Renard, 2011, p. 27). Dans ce sens, il est indispensable d’insister sur le fait qu’au sein des Etats centraméricains naissants, il n’y avait pas de véritable sentiment d’appartenance national. Les luttes qui se sont déroulées pendant le processus d’indépendance mettent en évidence le manque de cohérence interne des Etats. En effet, le modèle d’Etat moderne importé en Amérique Centrale a été posé avant la constitution du territoire national. La conscience nationale n’apparaît pas « naturellement » et l’on peut même affirmer que le concept de nation n’apparaît pas, au moment de l’indépendance, comme une notion opératoire ni à l’échelle nationale ni à l’échelle régionale (Medina, 2004, p. 98). 49 C’est aux Etats centraméricains et plus particulièrement aux élites des oligarchies qui les gouvernent qu’il est revenu de construire une identité, a posteriori, d’ordonner le paysage politique (political lanscape) (Newman, 2011, p. 15) à partir des limites qui leur ont été données, et bâtir cette communauté imaginée qu’est la nation, pour reprendre l’expression de B. Anderson (Anderson, 2006). Un des premiers pas a été d’organiser administrativement l’espace, en définissant les limites et en développant les infrastructures de communication. Par la suite, ces élites vont imposer le discours d’un idéal national qui reposera sur le mythe de sociétés « métisses » descendantes des Espagnols et fondamentalement paysannes, malgré la diversité ethnique (noirs, européens, indigènes et ladinos). Mais les populations indigènes restent exclues de ce projet de nation et d’intégration nationale. Au Guatemala, notamment, cette exclusion demeure particulièrement aigüe. Dans le processus d’édification de la nation, les élites ont essayé de promouvoir un sentiment patriotique à travers la construction d’un discours qui évoquait une histoire et surtout un avenir partagés. La diffusion de ce sentiment patriotique et de cette histoire « officielle » a été menée à travers un système scolaire public qui a aussi encouragé l’intégration culturelle en renforçant l’apprentissage d’une langue commune, le castillan. Le passé en commun a quant à lui été revendiqué à travers des fêtes nationales, la création de symboles comme les hymnes nationaux, les drapeaux et l’éloge des pères de la patrie (héros nationaux) (Medina, 2004, p. 98). En somme, on peut avancer que malgré des initiatives d’intégration au moment des indépendances et après l’échec des initiatives fédéralistes, l’Isthme au milieu du XIXe siècle se présente comme un espace encore plus fragmenté. Les sept jeunes Etats font face alors au défi de tracer leurs contours mais aussi de construire des nations. Les frontières jouent un rôle symbolique déterminant car leur défense est instrumentalisée pour créer une cohésion interne. A travers un discours qui fait appel à des nombreux mythes fondateurs, les gouvernements ont essayé de développer une identité nationale. Ce discours insiste sur le besoin de protéger et de préciser le tracé des frontières à travers des accords et de traités. 50 Figure 1 Frise chronologique: De la conquête espagnole à la formation des Etats centraméricains XIV- XIX 1535 Vice Royauté de 1819 Congrès 1502 Nouvelle Espagne d’Angostura Découverte de Bolivar adopte le Guatemala, El 1903 l’Isthme 1571-1821 principe de l’uti Salvador, Indépendance centraméricain Capitainerie Général possidetis de Guatemala Honduras du Panamá (Fait partie du Vice Nicaragua et Indépendances royaume de Nouvelle Costa Rica Espagne) 1821 Phase de Colonisation 1821- 1824-1838 Formation des Etats 1823 Conquête centraméricains (XVI-XIX) République Fédérale de Empire (XVI) d’Iturbide Amérique Centrale 1. Villes coloniales reprennent le même modèle de Isthme divisé en 6 peuplement indigène. Provinces : 2. Limites des provinces Instrumentalisation des Guatemala, El encore floues. frontières dans le processus de Salvador, Honduras, 3. Versant Caraïbe et Nicaragua, Costa Rica construction des Etats nations frontières peu peuplés, naissants deviennent des zones de refuge pour les populations indigènes 51 3. Les frontières comme forme de discontinuité spatiale majeure en Amérique centrale L’importante fragmentation de l’isthme posée, concentrons-nous plus particulièrement sur l’analyse des frontières comme forme de discontinuité politique majeure. Notre objectif est ici de comprendre comment les frontières ont été tracées et instrumentalisées pendant le processus de la construction des Etats centraméricains. Il est pour cela nécessaire de faire le point sur les débats théoriques existants sur les frontières et de s’attacher à définir l’objet frontière (enveloppe continue d’un ensemble spatial) et ses différentes fonctions (réelle, symbolique et imaginaire). Dans cette optique, nous présenterons la frontière comme un objet spatial qui marque les limites de la souveraineté d’un Etat et qui essaie de déterminer (parfois sans succès) les limites « imaginaires » d’une nation (existant avant l’Etat ou construite après). Nous démontrerons comment la perception des frontières a évolué : des fronts d’abord, des lignes chaque fois plus précises ensuite, des régions-frontières enfin. 3.1. L’appréhension des frontières en Amérique Centrale : de « fronts » de conflit à des limites étatiques Les études des frontières ont connu d’importantes évolutions. L’attention se fixait davantage auparavant sur l’étude de la ligne, en tant que séparation des Etats dans le système international, et donc renvoyant à l’étude du processus de « bordering » (terme anglo-saxon pour définir le processus qu’entraine la formation des frontières (Newman, 2011, p. 13). Aujourd’hui, la littérature s’intéresse davantage aux dynamiques locales et aux acteurs. Les frontières relèvent initialement d’un registre militaire, puisque le mot frontière vient de ème ème l’expression « aller en frontière » signifiant aller au front. Durant les XVII et XVIII siècles, le terme de frontière perd peu à peu cette connotation militaire pour renvoyer peu à peu aux limites de la souveraineté et des compétences territoriales d’un Etat dit westphalien (Newman, 2011, p. 15; Piermay, 2005, p. 204). Selon cette nouvelle acception, la frontière détermine les limites du champ de compétence du pouvoir de l’Etat (Amilhat-Szary, 2011). Le concept de frontière est donc inséparable de celui d’Etat, lequel est conçu par l’Europe et ème ème exportée dans le monde entier à partir des XVIII et XIX siècles (Foucher, 1991, p. 59). 52 Après les indépendances en Amérique Centrale, les frontières sont appréhendées comme des lignes qui doivent être précisées, en faisant souvent appel à des marqueurs tangibles. C’est ainsi que de nombreux cours d’eau ont été utilisés comme repères pour tracer ces frontières. On voit ainsi la perception des frontières évoluer vers une structure linéaire, ceci en raison également du développement de la cartographie représentant les frontières comme des lignes et par là même traduisant une « illusion linéaire » (Renard, 1997). Dans tout l’Isthme, les frontières ont été investies d’une forte valeur symbolique, étant donné qu’elles précédaient la constitution des nations et sont apparues avant le sentiment d’appartenance à un territoire national. Le processus de définition des territoires a besoin de cette linéarisation, puisque un territoire doit « être cerné pour être identifié » (Picouet & Renard, 2011, p. 28). En effet, la frontière est instrumentalisée pour rappeler aux individus leur appartenance, leur identité, elle devient un agent d’organisation territoriale (Picouet & Renard, 2011, p. 23). C’est ainsi que les nouveaux gouvernements centraméricains insistent sur le besoin de les protéger et de les démarquer, mais aussi sur leur origine « naturelle » pour dire qu’elles vont de soi, qu’elles ont toujours existé et pour éviter qu’elles soient remises en question. C’est ainsi qu’à partir des indépendances un processus de délimitation et de négociation frontalière se met en place entre les nouveaux Etats. De nombreux accords sont signés avec pour objectif fixer les limites des territoires nationaux. Dans un premier temps, la constitution ème des Etats se réalise sans conflits de frontières apparents et ce n’est qu’au début du XIX siècle que les indéfinitions frontalières deviennent problématiques. Dès lors, la défense des frontières est souvent utilisée par les gouvernements pour susciter la mobilisation de ses citoyens. La frontière devient un lieu symbolique d’affrontement qui marque une distance avec l’Autre, c’est-à-dire celui qui est différent et qui est de l’autre côté de la frontière, et cette constante différenciation permet d’affirmer l’appartenance à cette nation imaginée (Medina, 2004, p. 112). Le Costa Rica est peut être le pays de l’isthme qui a développé le plus rapidement une identité nationale et il n’est pas anodin que ce soit aussi le premier pays qui a développé un conflit limitrophe avec le Nicaragua pour la région du Guanacaste (1813-1824). Suite à ce premier conflit, c’est aussi le premier pays à établir un traité limitrophe avec le Nicaragua (Traité Cañas-Jerez) en 1858 (Granados, 2000, p. 9). Les accords signés entre Etats ont utilisé différents éléments comme repères au moment de définir le tracé des frontières. On peut identifier trois types de support physique qui ont été utilisés pour tracer les frontières de l’Isthme. 48,06 % des limites ont été tracées en utilisant 53 comme repère la rive ou le talweg13 d’un cours d’eau (Granados, 2000; López & Hernández, 2009, p. 5) (cf. Tableau 1). De nombreux Etats ont utilisé le talweg d’un fleuve comme support d’au moins un segment frontalier, à l’exception de deux frontières qui utilisent comme repère la rive du fleuve, celle sise sur la rive guatémaltèque dans le cas du fleuve Motagua (Guatemala-Honduras) et celle sise sur la rive costaricienne du fleuve San Juan (Costa Rica-Nicaragua)14. Un deuxième type de support est la ligne de division des eaux, utilisé pour 14,5% des tracés. Les quatre frontières qui utilisent ce type de division sont Guatemala-El Salvador, Honduras-Nicaragua, Costa Rica-Panamá (segment de la cordillère de Talamanca) et Panamá-Colombie. Les lignes droites imaginaires sont un troisième type de support, aussi appelées de façon erronée des frontières artificielles. Ce type de démarcation correspond à 37,38 % des frontières de l’Isthme et les seules frontières qui n’utilisent pas du tout ce type de support sont les frontières entre le Mexique et le Belize et celle entre le Panamá et la Colombie (López & Hernández, 2009, p. 6). Si, de façon générale dans les accords limitrophes, ce type de tracé est précisé grâce à des coordonnées géographiques, il est difficile d’identifier ce type de frontières sur le terrain et seul le permet un démarquage sur le terrain, au moyen de bornes de différentes formes et tailles, installées pour donner un repère physique à cette ligne imaginaire. La photo 1 montre une borne qui marque la frontière entre le Salvador et le Guatemala dans la région du bassin du fleuve Paz. Cette borne, érigée dans ème une zone naturelle, date de la fin du XIX siècle. 13 Le talweg est la ligne de points les plus bas d’une vallée, ou du lit d’un cours d’eau. 14 La frontière entre le Costa Rica et Nicaragua a été fixée sur la rive droite du fleuve San Juan, laissant au Nicaragua la souveraineté sur les eaux du fleuve. 54 15 Photographie 1 Borne frontière entre le Salvador et le Guatemala Tableau 1 Fleuves utilisés comme support pour tracer des segments frontaliers en Amérique Centrale Fleuve Frontière Kilomètres du fleuve qui sont utilisés pour marquer la frontière Usumacinta Guatemala-Mexique 286,00 Suchiate Guatemala-Mexique 79,80 Hondo Mexique-Belize 153,70 Sarstún Belize-Guatemala 50,19 Motagua Guatemala-Honduras 28,30 Paz Guatemala-El Salvador 89,88 Lempa Honduras-El Salvador 284,28 Goascorán Honduras-El Salvador 82,11 Negro Honduras-Nicaragua 46,13 Coco Honduras-Nicaragua 593,30 San Juan Nicaragua-Costa Rica 125,80 Sixaola Costa Rica-Panamá 74,15 Juradó Panamá-Colombie 29,95 Amérique Centrale 1 893,64 Source : López, A & A,Hernández, América Central y México: Cuencas Internacionales, en Gobernabilidad e instituciones en las Cuencas transfronterizas de América y México, FLACSO, 2009, p. 5 15 Sauf mention contraire, toutes les photographies sont de l'auteure. 55 Tableau 2 Année de début des litiges et accords limitrophes Pays Date du début des litiges Date des traités frontaliers frontaliers Guatemala – Mexique 1824 1882 Traité de limites Mexique – Guatemala 16 Création du CILA Sud en 1976 Guatemala – Belize 1821 L’Etat guatémaltèque ne reconnaît pas le Belize et ses frontières Belize – Mexique 1847 1893 Traité de limites entre le Guatemala et le Honduras Britannique 17 1993 CILA Mexique-Belize Guatemala – Honduras 1830 1933 Arbitrage du Tribunal Spécial de Limites Guatemala - El Salvador 1842 1938 Traité Frontalier El Salvador – Honduras 1861 1969 Conflit armé connu comme la « Guerre du Football » ou la « Guerre des cent heures » 1992 Résolution de la Cour Internationale de Justice de la Haye Subsistent des désaccords pour l’île Conejo dans le Golfe de Fonseca Honduras – Nicaragua 1858 1960 Résolution de la CIJ de La Haye Nicaragua - Costa Rica 1823 1824 Annexion de la Province de Guanacaste au Costa Rica 1858 Traité Cañas-Jeréz 1888 Arbitrage Cleveland 1916 Résolution de la Cour Centraméricaine de Justice 2009 Résolution de la CIJ concernant la navigation du fleuve San Juan. 2010 Résolution de la CIJ sur l’appartenance de l’île Calero. 2012 Désaccord sur la construction par le Costa Rica d’une route frontalière dite « La Trocha » Mets plutôt requête du Nicaragua devant la CIJ 2013 Nicaragua met en doute l’annexion de la Province de Guanacaste (XIXème siècle) au Costa Rica est-ce utile ? il l’a toujours remis en question Costa Rica – Panamá 1825 1921 Conflit armé appelé la Guerre du Coto 1941 Traité frontalier Arias – Calderón 1995 Accord binational de coopération pour le Développement frontalier Costa Rica-Panamá. Panamá – Colombie 1903 1924 Traité Victoria – Vélez 18 Sources : Granados Carlos, Libro Fronteras Centroamericanas: Espacio de encuentros y desencuentros, FUNPADEM, Costa Rica, 2000. López Alexander y Hernández Aurora, Cuaderno 3, Fronteras y medio ambiente en América Central : Desafios para la seguridad regional, FundaUngo, El Salvador, 2009. 16 La Commission Internationale des Limites et des Eaux Mexique – Guatemala (Comisión Internacional de Límites y Aguas entre México y Guatemala) est une institution composée par deux secrétariats, un au Mexique et un autre au Guatemala, qui a pour objectif de conseiller les gouvernements guatémaltèque et mexicain en matière de frontière et de gestion de l’eau, ainsi que garantir le respect des accords binationaux. Il existe cette même institution pour la frontière entre le Mexique et le Belize. 17 La Commission Internationale des Limites et des Eaux (CILA) Mexique-Belize est crée en 1993 pour remplacer la Comisión Binacional México-Belize de Límites y Cooperación Fronteriza (en français plutôt), elle a comme fonctions aussi de conseiller les gouvernements et d’assurer le respect des accords binationaux. 18 UIFC (Unidad de Investigación en Fronteras Centroamericanas) y FUNPADEM (Fundación del Servicio Exterior para la Paz y la Democracia). 2000. Fronteras centroamericanas: espacio de encuentros y desencuentros. San José: Mundo Gráfico. 56 Le tableau 2 nous permet ensuite d’observer que les processus de démarcation ont été marqués par de longues périodes de négociations qui, dans la majorité des cas, ont eu une durée de plus de cent ans. La complexité de ces processus a entrainé des tensions et même des disputes interétatiques, ce qui a provoqué la création de commissions chargées de définir précisément les limites ainsi que le besoin de faire appel à des acteurs exogènes de la région pour qu’ils interviennent comme arbitres (López & Hernández, 2009, p. 6). Ces frontières étatiques ainsi fixées dans l’Isthme peuvent être différenciées selon leur processus d’horogenèse19. M. Foucher distingue en effet quatre types de frontières selon le processus de définition de leur tracé (Foucher, 1991, p. 141) : les frontières négociées, les frontières issues de tracés imposés mais non litigieux, les frontières issues de guerres et les frontières issues d’arbitrages20. Nous pouvons appliquer cette grille de lecture aux frontières centraméricaines. 1. Les frontières négociées sont issues non de l’affrontement armé mais d’un processus de négociation entre deux Etats adjacents qui se considèrent comme équivalents (Foucher, 1991, p. 141). Ceci est le cas de la frontière entre le Guatemala et le Salvador, établie par un accord mutuel qui a été par la suite ratifié. Les relations entre ces deux pays sont depuis restées pacifiques et conduisent à la coopération. C’est aujourd’hui une frontière qui ne suscite ni tension diplomatique ni conflit, malgré la situation de violence résultante du narcotrafic et des maras21 à l’échelle locale. 2. Les frontières issues de tracés imposés mais non litigieux impliquent que la limite entre deux ou plusieurs Etats est le résultat d’un rapport de forces déséquilibré au moment de la négociation, sans arriver toutefois à un litige ou à une guerre. C’est le cas du tracé de la frontière entre le Mexique et le Guatemala, dont le traité privilégie de façon très évidente le Mexique en établissant des obligations au Guatemala comme celle de fournir de l’eau de qualité au Mexique. 3. Les frontières issues de guerres interétatiques sont aujourd’hui majoritairement en Amérique centrale des frontières stables et acceptées par les gouvernements ; c’est le cas de la frontière entre le Costa Rica et le Panamá et de celle entre le Honduras et le 19 Terme que M. Foucher utilise pour définir les processus fondateurs des frontières (Foucher, 1991, p. 138). Cependant les auteurs anglo-saxons comme Prescott et Newman appellent ce processus : bordering process (D. Newman, 2013; David Newman, 2011; Prescott, 1987) 20 La description de ces processus sera amplement développée dans le troisième chapitre, spécifiquement pour les frontières entre le Nicaragua et le Costa Rica, et le Costa Rica et le Panamá. 21 Gangs de jeunes qui réalisent des activités illicites (trafic d’armes, drogues, entre autres). 57 Salvador. Cette dernière, qui est aujourd’hui une frontière sur laquelle se sont mis en place de nombreux projets de coopération, a vécu une guerre connue populairement comme la « guerre du football » en 1969, et dont les principales causes des affrontements étaient les questions frontalières, migratoires et foncières. 4. Les frontières d’arbitrage sont issues de l’intervention soit d’un troisième Etat, soit d’une entreprise étrangère, soit d’un organisme de médiation internationale comme la Cour de la Haye. Ces acteurs exogènes influencent et parfois même imposent leurs propres intérêts durant la négociation. Tant la frontière entre le Costa Rica et le Panamá, que celle entre le Costa Rica et le Nicaragua ont été définies avec l’intervention d’acteurs exogènes qui ont à la fois arbitré les négociations, mais ont aussi protégé leurs intérêts. Il est important d’insister sur le fait que la présence d’acteurs exogènes sur ces deux frontières est précoce et cette présence déterminera non seulement la définition des tracés, mais aussi la gestion de ces frontières. Ces catégories proposées par Foucher sont évidemment analytiques et ne sont pas exclusives, c’est à dire que ces processus peuvent s’appliquer simultanément ou consécutivement sur une même frontière. Ce qui est intéressant dans ces catégories c’est qu’elles nous permettent de mesurer les rapports de force et l’évolution de ces rapports à travers le temps. Au cours de ces processus de fixation frontalière, de nombreux conflits frontaliers ont eu lieu, cependant aucun d’entre eux n’a provoqué des affrontements. M. et N. Demyk identifient quatre facteurs de litiges durant cette période : 1. Les rivalités liées à la définition du canal interocéanique entre le Costa Rica et le Nicaragua 2. La protection des intérêts des entreprises bananières sur les frontières Honduras-Guatemala et Costa Rica-Panamá, 3. La pression démographique, la propriété de la terre et la question frontalière entre l’Honduras et le Salvador et 4. La colonisation et les enjeux frontaliers au Nord Guatémaltèque avec le Mexique (Demyk & Demyk, 1981). En analysant les causes de litiges, nous pouvons constater que bon nombre des conflits frontaliers durant cette période s’expliquent par le rôle joué par ces acteurs exogènes, en particulier les Etats-Unis (Solórzano-Fonseca, 1997, p. ème 154). Le XIX siècle a été marqué d’une façon générale par des arbitrages de puissances comme l’Angleterre, les Etats-Unis ou la France en tant que médiatrices pendant les négociations politiques entre les Etats centraméricains. Celles-ci ont souvent agi pour protéger leurs intérêts sur ces frontières notamment l’exploitation des ressources naturelles, les enclaves bananières et les potentielles routes interocéaniques. Elles ont ainsi été à la fois « juge et partie » (Girot & Granados, 1997, p. 293). Nous porterons particulièrement notre attention tout au long de cette recherche à la présence et l’influence d’acteurs exogènes (Etats, 58 organisations internationales, entre autres) dans la définition et gestion des frontières entre le Costa Rica et le Panamá et entre le Nicaragua et le Costa Rica. 3.2. A quoi servent les frontières ? Ordre, contrôle et cohésion interne Les frontières contemporaines sont conçues comme « l’enveloppe continue d’un ensemble spatial, d’un Etat » qui a atteint suffisamment de « cohésion politique interne et d’homogénéité économique » ( Foucher, 1991, p. 38). Les frontières se posent ainsi comme une forme de discontinuité spatiale qui a comme objectif d’ordonner le monde et de le rendre compréhensible (Velasco-Graciet & Bouquet, 2006, p. 11), ainsi que d’établir un périmètre de contrôle et d’encadrement des populations et des activités économiques et sociales (Gay, 2004, p. 54). Les recherches sur les frontières, particulièrement celles de D. Newman nous invitent à concevoir les frontières comme de véritables institutions et nom comme de simples lignes dessinées sur une carte. Ces institutions ont leurs propres règles et elles décident de ce qui doit être inclu ou exclu, leur dégré de perméabilité et les lois qui gouvernent les mouvements transfrontaliers ( Newman, 2011, p. 14). De son côté, M. Foucher nous invite à concevoir les frontières comme : « des structures spatiales élémentaires de forme linéaire à fonction de discontinuité géopolitique, et de marquage, de repère sur les trois registres du réel, du symbolique et de l’imaginaire » (Foucher, 1991, p. 38). Le registre du réel renvoie à l’exercice de la souveraineté des Etats, le symbolique à l’appartenance à une communauté politique inscrite dans un territoire et l’imaginaire à l’altérité, c’est-à-dire le rapport avec l’autre, voisin, ami, ennemi. (Foucher, 1991, p. 38). Le registre du réel renvoie au fait que les frontières sont visibles et vécues puisqu’elles établissent une rupture entre des Etats, des identités, des souverainetés, des systèmes politiques, des économies, des modèles de développement et de gestion du territoire. Par exemple, les réseaux routiers, l’accès aux services publics, les modes de productions, sont souvent bouleversés ou même interrompus par la présence d’une frontière. Cela renvoie au caractère disjoncteur de ces dernières. La photo 2 nous permet d’apprécier la discontinuité frontalière visible sur une route qui traverse la frontière entre El Salvador et Guatemala à proximité de la localité salvadorienne de San Francisco Ménendez. Cette photographie montre une route de gravier du côté salvadorien au premier plan, qui arrive jusqu’à la limite frontalière et qui se transforme en une route asphaltée sur le territoire guatémaltèque. La 59 frontière est matérialisée par deux bornes frontière blanches érigées de part et d’autre de la route. Cette photo montre comment cette ligne imaginée marque une discontinuité réelle et perceptible dans le paysage, elle permet aussi de voir comment deux pays investissent et gèrent de façon différente une même région de frontière. Photographie 2 Infrastructure routière à la frontière entre El Salvador et le Guatemala, 2008 A son tour, le registre du symbolique fait appel à l’établissement d’une « isonomie intérieure » (Foucher, 1991, p. 39) et aux représentations culturelles, patriotiques (mythes fondateurs) et historiques. Les frontières ont un rôle symbolique dans ce processus puisque elles se présentent comme le fondement de l’identité nationale et on leur attribue une origine naturelle qui les rend « idéales » et presque incontestables comme si elles avaient toujours existé. Ce discours cherche ainsi à voiler leur origine anthropique (Picouet et Renard, 2007, p. 19) et il produit une importante confusion scientifique, puisqu’il suppose que les frontières seraient naturelles parce qu’elles utilisent des supports naturels (fleuves, massifs…) pour déterminer leur tracé. Les recherches en géographie politique, menées notamment depuis J. Ancel (1938), ont cependant rejeté le concept de frontière naturelle et insisté sur l’artificialité 60 de ces lignes, qui sont des inventions, des constructions sociales en permanente évolution (Renard, 1997, p. 46). De plus, le registre imaginaire des frontières nous invite à concevoir les habitants des périmètres ainsi circonscrits comme les citoyens d’un même Etat, qui sont soumis à un même régime politique, à des valeurs et à des normes identiques et qui se voient octroyés les mêmes droits et devoirs. C’est ainsi que les frontières matérialisent l’altérité qui se base sur la distinction d’un « dedans » et d’un « dehors », ainsi que la séparation entre un « nous » (ceux avec lesquels nous partageons des mœurs, une origine et un destin en commun) et les « autres », les inconnus, les étrangers, les différents (Amilhat-Szary, 2011, p. 48). D. Newman affirme que l’essence de la frontière est de séparer le « nous » (self) des « autres » (other). Selon cet auteur, une des plus importantes fonctions de la frontière est celle de barrière pour protéger les insiders (ceux qui appartiennent) des autres outsiders (les étrangers) (Newman, 2011, p. 14) Une fois le processus d’horogènese consolidé, les frontières deviennent les limites d’un territoire national, décrit par Hélène Velasco-Graciet et Christian Bouquet comme « socialement déterminé, expression spatiale de souveraineté, de pouvoir et de citoyenneté, composé d’acteurs ayant parfaitement intégré, dès leur enfance, les normes d’une idéologie nationale désignant ce territoire comme contenant spatial de l’identité nationale » (Velasco- Graciet et Bouquet, 2006, p. 9). Nous pouvons conclure ainsi que ce territoire est l’affirmation d’un sentiment d’appartenance, de cohésion nationale et d’une idéologie nationale qui est reproduite de génération en génération grâce aux processus de socialisation qui se mettent en place à travers différents appareils idéologiques d’Etat, terme proposé par Louis Althusser dans son texte « “Idéologie et appareils idéologiques d’État.
 (Notes pour une recherche)” en 1970. Ces appareils idéologiques sont, l’Ecole, l’armée, la culture populaire et les Eglises, entre autres (Althusser, 1975). Même si les frontières centraméricaines ont participé à forger ces communautés nationales, cette construction reste encore aujourd’hui un objectif inachevé, difficile à atteindre et à préserver. 61 4. Les régions frontalières de l’Amérique Centrale: entre exclusion, continuité et discontinuité 4.1. La frontière : une ligne, une région ? «La frontière est un lieu où se passe quelque chose » (Piermay, 2005, p. 220) « Borders create difference » (David Newman, 2011, p. 15) L’objet frontière est naturellement investi par la discipline géographique mais le regard posé a changé. Cette discipline a surtout insisté dans un premier temps sur l’étude de leur horogènese et de leur signification politique et symbolique (Renard, 1997, p. 39). Jusqu’aux années 1970-1980, la frontière a été conçue comme une ligne de séparation, de discontinuité et de contrôle, qui peut être objectivée à travers son tracé, d’où l’importance des données morphologiques (Picouet et J. P Renard 2007, p. 25). De cette façon la frontière a été présentée comme une ligne composée par des dyades22 qui délimitent un ensemble spatial qu’est l’Etat. Dans la langue anglaise, comme on l’a déjà évoqué, il existe trois termes pour désigner ces enveloppes : frontier (front pionnier), boundary (ligne frontalière) et border (zone). Ces termes n’ont pas d’équivalent en français, ni en espagnol. C’est pour cette raison qu’il est important de clarifier le concept de frontière dans le cadre de notre recherche. Tout d’abord, la linéarité a été souvent considérée comme l’achèvement de la transition territoriale, c’est à dire la consolidation des Etats et de leurs limites. Cependant, dans le contexte actuel de mondialisation et d’intégration, ces lignes changent de fonction, deviennent souvent plus perméable et cèdent aux flux et aux échanges, perdant progressivement leur fonction de coupure (Renard, 1997, p. 51). C’est ce que D. Newman appelle « la fin de l’absolutisme territorial »23, c’est à dire la fin du contrôle absolu exercé par l’Etat sur la fixation et le contrôle des frontières (Newman, 2011, p. 14). Ce changement de regard nous amène à nous intéresser à la frontière comme zone plutôt qu’à la frontière comme ligne En outre, penser la frontière comme une ligne renvoie à une approche plus juridique, alors que « zone » est une notion plus géographique qui renvoie à une unité spatiale plus large qui intègre plusieurs éléments et qui propose de voir la frontière comme un espace en soi, un espace « entre deux » (Foucher, 1991, p. 48). 22 Terme employé par Foucher pour décrire une frontière commune entre deux Etats (Foucher, 1991, p. 40). 23 « the end of territorial absolutism »(Newman, 2011, p. 14). 62 Les études anglo-saxonnes sur les frontières, ont défini la political frontier comme l’aire autour d’une frontière qui sépare deux Etats. La frontier a souvent été assimilé au borderland c’est à dire à « la zone qui est à proximité géographique de la frontière de l’Etat et dont son développement spatial est affecté par l’existence d’une frontière » (boundary) (Newman, 2011, p. 18). De l’école anglo-saxonne nous pouvons évoquer les travaux de V. Prescott les frontières politiques et sa typologie de disputes interétatiques que nous utilisons de façon récurrente dans cette thèse (cf. Encadré théorique 1) (Prescott, 1987, 2001). Aussi les travaux de O. Martinez, notamment sur les modèles d’interaction transfrontaliers (Martinez, 1994, p. 3) dans lesquels il définit, quatre types de frontières : 1. Régions frontalières aliénés (Alienated borderlands) : Dans ce type de régions, les tensions dominent la frontière, laquelle est fonctionnellement fermée et il n’y a pas d’interactions transfrontalières. Les résidents de chaque pays n’ont pas une identité en commun et se perçoivent comme des « étrangers ». 2. Régions frontalières « co-existantes » (Co-existant borderlands) : Ces régions ont une stabilité fluctuante, avec des périodes de tensions. Ces frontières son légèrement ouvertes, permettant des interactions binationales très limitées. Les relations entre les habitants frontaliers existent mais restent peu dynamiques. Ces caractéristiques qui correspondent à la frontière du Costa Rica –Nicaragua. 3. Régions frontalières interdépendantes (Interdependent bordelands): ces régions sont généralement stables, ce qui a permis qu’une complémentarité économique et sociale se mette en place. Il existe ainsi des intégrations transfrontalières et les relations entre les habitants frontaliers sont amicales et coopératives. La frontière entre le Costa Rica-Panamá correspond à catégorie. 4. Régions frontalières Intégrées (Integrated borderlands) : Dans ces régions la stabilité est forte et permanente, les économies des deux pays sont « fonctionnellement fusionnées » et il existe une libre circulation de personnes et de marchandises. Les habitants frontaliers se perçoivent comme membres d'un même système social. En effet, les notions de zone et de région s’imposent dans la mesure où il est davantage question de comprendre ces espaces frontaliers. Cependant ces deux notions ne doivent pas être comprises comme des synonymes. Le terme zone-frontière est apparu pour décrire une aire comprise entre la ligne politique marquant la limite de la souveraineté nationale et la ligne de défense militaire. Cette notion souligne l’idée d’affrontement, de choc et de rupture, tandis que celle de région frontalière introduit l’idée de proximité, d’animation et de 63 « création en relation avec la frontière » (Renard, 1997, p. 55). Ainsi la zone-frontière, notamment dans les études francophones a une connotation encore militaire (Foucher, 1991), qui nous renvoie à la ligne de défense, d’attaque, à la zone de manœuvres de l’armée alors que la région-frontière renvoie plutôt à al considération des dynamiques régionales et aux processus de développement économique et social qui peuvent se mettre en place. C’est ainsi que tout au long de cette recherche nous nous intéressons non à la frontière comme limite ou ligne fixe, mais à la frontière au sens d’une région qui est déterminée et structurée par la contigüité d’une frontière, autour de laquelle s’articulent des acteurs, des activités productives et sociales qui lui sont propres. Nous estimons ainsi que dans ces « régions frontalières ou régions frontières »24 se développent au quotidien des activités originales qui ne sont pas présentes de la même façon dans le reste du territoire national, comme le passage de la douane, les échanges de différentes natures (flux licites ou illicites comme la contrebande, le trafic de drogue et de personnes), le tourisme, les dynamiques de conflits et de coopération transfrontalières. En effet, les régions frontalières sont des « lieux uniques » qui ont une identité propre déterminée par leur proximité à un autre territoire et par leur position périphérique, c’est-à- dire par leur éloignement des capitales et des centres de pouvoir (Reitel et Zander, 2004, p. 1). Elles sont également soumises souvent (et c’est le cas en Amérique centrale) à de fortes contraintes qui pénalisent leur développement comme le manque d’investissement de la part des Etats, leur isolement et leur accès rendu difficile par notamment le manque de réseaux routiers. En outre, les régions de frontières sont marquées par une importante ambivalence parce qu’elles sont à la fois des région de séparation et de contact (Foucher, 1991, p. 39). Parallèlement à la discontinuité qu’elles provoquent, les villages frontaliers localisés d’un côté de la frontière partagent avec les villages frontaliers localisés de l’autre côté un milieu naturel, des caractéristiques culturelles, des problématiques et parfois même une histoire en commun (Renard, 1997, p. 70). Les frontières peuvent de cette façon, être à la fois une rupture ou une interface, selon le niveau de tensions et de conflits puisque la frontière peut être une discontinuité majeure c’est- à-dire une coupure s’il existe des conflits entre les Etats, ou une interface « entre le moi et le non-moi » s’ils existent des relations de proximité et de continuité (Picouet & Renard, 2007, p. 46). 24 Région frontalière n’est pas la même chose que région transfrontalière (nous le développerons par la suite.) 64 Les frontières ont été peu étudiées en Amérique Centrale. Un des seuls centres d’études supérieures qui a consacré une équipe de chercheurs à l’étude des frontières est, l’Université du Costa Rica (UCR). Leur département de géographie a crée un programme de recherche dirigée par Carlos Granados. Ce Programme appelé l’Unité de Frontières, a réalisé, pendant les années 2000, tout un inventaire des frontières centraméricaines, caractérisant ces frontières en portant une attention particulière à leur morphologie, leurs ressources naturelles, leurs bassins transfrontaliers et leurs conflits environnementaux (Granados, 2000). Plus récemment, l’Université Nationale (UNA) du Costa Rica, avec le soutient de la Faculté Centraméricaine de Sciences Sociales (FLACSO), a développé des recherches liées aux bassins transfrontaliers d’Amérique Centrale et du Mexique. Ces recherches, dirigées par Alexander Jiménez portent un regard depuis les relations internationales et réalisent un répertoire des traités limitrophes et de la législation régionale et internationale en matière de gestion de bassins transfrontaliers (Hernández-Ulate, López-Ramírez, & Jimenez-Elizondo, 2009). Il convient de préciser qu’à l’apport, de ces études centraméricaines, est surtout empirique, puisque, jusqu’à présent, les apports théoriques sont très restreints. Nous pouvons conclure que le concept de région frontalière est plus pertinent pour comprendre les dynamiques que se mettent en place autour des frontières. Ces régions sont particulières, complexes et ambivalentes, puisqu’autour d’elles coexistent des processus de discontinuité et de continuité. Cette double fonction permet simultanément le développement de deux phénomènes : premièrement, une proximité culturelle qui peut encourager des relations de coopération et, deuxièmement, une fragmentation politique qui peut créer les conditions nécessaires à l’émergence de conflits. 4.2 Les frontières terrestres de l’Amérique centrale, des régions marginales et périphériques Comme nous l’avons montré, l’Amérique Centrale est une aire fragmentée en sept Etats séparés par dix dyades qui provoquent un important morcèlement et un continuum de petits monde. D’ailleurs, cet Isthme est considéré comme une des régions les plus fragmentée au monde (López & Hernández, 2009, p. 4), puisqu’il fait preuve d’importantes discontinuités et de contrastes que nous essayerons de présenter dans cette sous-partie. Nous présenterons ces régions de frontières, lesquelles nous estimons marquent une importante discontinuité par rapport aux centres et par rapport au reste du territoire national. Nous démontrerons ainsi 65 qu’elles ont des caractéristiques et des schémas de peuplement différents (densité et type de population) qui font d’elles des lieux uniques. La majorité des dix frontières terrestres25 de l’ Amérique Centrale (c.f ; Tableau 3 et Carte 2) sont partagées par deux Etats, il n’existe que deux cas de frontières qui sont partagées par trois Etats: la frontières entre le Mexique, le Guatemala et le Belize et la frontière entre l’Honduras, El Salvador et le Guatemala, cette dernière est connue comme « Le Trifinio ». Sur ces frontières nous trouvons 185 municipes qui ont un extension territorial de 137,216 km2 et qui concentrent 13% de la population de l’isthme (Granados, 2000). Un premier constat est que les frontières de l’Amérique Centrale sont aujourd’hui stables et respectent les traités qui ont été signés, sauf le cas de la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua qui est encore la cause de nombreux conflits socio-environnementaux et de démarcation, les autres gouvernements depuis les années 1980 respectent la souveraineté et l’intégralité territoriale de ses voisins (Medina, 2009, p. 38). Tableau 3 Extension des dyades de l’Amérique Centrale Dyades Extension % du total des frontières de la (km) région centraméricaine Mexique-Guatemala 962 23.57 Belize-Mexique 266 6.52 Guatemala-Belize 266 4.97 Guatemala-El Salvador 203 6.27 Guatemala-Honduras 256 8.38 Honduras-Nicaragua 342 22.59 Nicaragua-Costa Rica 922 7.57 Costa Rica-Panamá 309 8.09 Panamá-Colombie 225 5.51 Total 4081 100 Source : López & Hernández, 2009, p. 4 25 Cette recherche se consacra à l’étude des frontières terrestres de l’Amérique Centrale et pour cette raison nous n’étudierons pas les 24 frontières maritimes (14 dans la Mer des Caraïbes et 10 dans l’océan Pacifique). Ceci est un point important qui doit apparaître dans l’intro et pas dans une note. 66 Carte 6 Les frontières de l’Amérique Centrale 67 Les frontières centraméricaines ont la particularité d’être très faiblement peuplées (Granados, ème 2000), (Unidad de Fronteras, 2002). Au XIX siècle, 85 % des frontières de l’Amérique 2 Latine ont été tracés dans des zones de très faible densité (densité de 1 ou 2 hab/km ) (Foucher, 1991, p. 129). Dans cette période, le continent ne comptait que de 20 millions d'habitants sur 22 millions de km2. Actuellement, la densité de population dans l’isthme 2 centroaméricain est d’environ 81 hab/km (Estado de la Región, 2013), cependant la population est concentrée dans les centres urbains qui sont notamment les capitales localisées dans la versant Pacifique (cf. carte 2 et carte 7), alors que le versant Caraïbe et les frontières restent avec une densité très faible étant donné que les régions de frontières ont une densité 2 d’environ 10 habitants par km (Medina, 2004, p. 133). En outre, certains auteurs font même référence aux frontières comme des « déserts » ou des « no man’s lands »26 (Debarbieux, 2005), à cause non seulement de leur faible peuplement, mais aussi en raison de leur situation d’exclusion et le faible investissement des Etats. En reprenant l’expression de M. Foucher :« Les frontières peu peuplées sont généralement peu surveillées » (Foucher, 1991, p. 131), situation qui a favorisé la mise en place d’activités illicites comme la contrebande et le narcotrafic. 26 « No man’s land » expression employé durant la première guerre mondiale par la presse Britannique pour caractériser des fronts de guerre où il ne restait pas un homme en vie. 68 Carte 7 Densité de population de l’isthme centraméricain en 2000 Face au besoin de sécuriser et peupler les frontières, l’Amérique Centrale a connu d’importants programmes de colonisation et l’établissement de fronts pionniers qui avaient pour objectif de les contrôler et les homogénéiser avec le reste du territoire nationale. Des populations qui provenaient de régions plus centrales des pays centraméricains et qui pouvaient être caractérisées de « métisses » ont ainsi été envoyées peupler certaines régions de frontières en échange des terres pour la production agricole. Cette méthode a été appliquée dans le cas de la frontière nord du Costa Rica. Les régions frontalières de l’isthme sont des régions d’une grande diversité ethnique, elles sont peuplées par des populations métisses, des populations afro-caribéennes (localisées 69 majoritairement dans le versant Caraïbe, spécialement des pays comme l’Honduras, le Nicaragua, le Costa Rica et le Panamá) et des populations indigènes qui se sont majoritairement installées sur le versant Caraïbe (comme c’est le cas de La Moskitia Hondurienne ou les Régions Autonomes de la côté Caraïbe du Nicaragua) ou sur les régions frontalières (c.f. Carte 8). Ces régions frontalières n’ont pas été conquisses par les Espagnoles, raison pour laquelle elles ont servi comme des zones de refuge pendant la colonie pour ces populations qui ont fui la domination espagnole et le système d’exploitation de la main d’œuvre indigène appelé l’encomienda. Sur ces dix dyades comme nous pouvons l’observer dans le tableau 4, se trouvent 17 populations indigènes les seules frontières qui ne présentent pas d’importantes populations indigènes, sont les frontières entre El Salvador- Guatemala et Nicaragua-Costa Rica (López & Hernández, 2009, p. 16). Tableau 4 Groupes ethniques localisés sur les régions frontalières en Amérique Centrale Groupe ethnique Frontière Mam Tekititeco Jakalteco Guatemala -Mexique Cluj Q’anjob’al Q’eqchi Guatemala- Belize Mopán Chortí Guatemala- Honduras Yucateco Belize- Mexique Garífuna Honduras-Belize-Guatemala Lenca El Salvador- Honduras Sumu Honduras- Nicaragua Miskito Guaymí Costa Rica- Panamá Cabécar Kuna Panamá –Colombie Emberá Source : López & Hernández, Tableau des ethnies sur les frontières d’Amérique Centrale 2009, p. 16 70 Carte 8 Densité de populations indigènes et territoires indigènes dans l’Isthme Centraméricain Leur isolement a été renforcé d’autant plus pendant les années 1980, lorsqu’elles ont été fortement touchées par des guerres civiles au Guatemala, El Salvador et Nicaragua, des guerres qui ont été attisées par les Etats-Unis qui voulaient éradiquer la menace communiste du continent avec leur doctrine de sécurité nationale (Girot & Granados, 1997, p. 294) (Santana, 1997, p. 66). Mal surveillées et peu connectées, les frontières ont alors souvent servi à des objectifs militaires. Pendant cette décennie, couramment appelée « décennie perdue » dans les livres d’histoire, s’est développée une guerre de « guérilla » (Hall et al, 2003, p. 262) sur certaines frontières de l’isthme et de nombreuses bases militaires clandestines ont été implantées. Les frontières ont aussi servi de champs de bataille et ont été un terrain fertile pour la contrebande d’armes. Elles ont aussi servi de camps d’attention pour les réfugiés qui fuyaient les conflits. La connotation négative des frontières a été renforcée pendant cette 71 décennie, puisqu’elles étaient perçues comme des régions dangereuses, pauvres et vides d’intérêt. Le degré d’ouverture et fermeture des frontières a évolué durant cette période de conflits, certaines frontières ont été fermées et délaissées aux luttes armées, elles ont été oubliées au milieu des conflits comme dans le cas des frontières du Guatemala, du Honduras et El Salvador. En outre, la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua a été le scénario de deux phénomènes qui ont eu lieu simultanément. D’un côté, à l’échelle locale, des mouvements de solidarité et d’appui à la révolution menée par Front Sandiniste pour la Libération Nationale se sont mis en place pendant les années 1970. Et, par la suite pendant les années 1980, il y a eu des nombreuses tentatives contre-révolutionnaires soutenues aussi par les Etats-Unis qui cherchaient la chute du régime sandiniste (Hall et al., 2003, p. 264). Cette conjoncture a plongé l’isthme dans une période de grande tension géopolitique caractéristique de la Guerre Froide (Demyk, 2005). Cependant, les différents processus de paix et de transition vers la démocratie qui ont débuté avec la signature des premiers accords de paix en 1986 ont contribué à une réouverture partielle des frontières. Les nombreuses négociations politiques qui se mettent en place de façon régionale proposent « vivre localement les frontières » et introduisent progressivement le discours de l’intégration (Hall et al., 2003, p. 270). Actuellement, le passage des frontières varie selon les pays. Le passage est parfois fluide, voire très fluide : pour certains pays, les habitants peuvent ainsi voyager en n’utilisant que leur carte d’identité et non leur passeport, comme c’est le cas des ressortissants des pays qui ont souscris l’accord du CA-4 lequel les autorise à circuler librement entre le Guatemala, El Salvador, le Honduras et le Nicaragua. En revanche, les frontières entre le Guatemala et le Mexique, entre le Costa Rica et le Nicaragua, et entre le Costa Rica et le Panamá, sont beaucoup plus contrôlées et demandent l’utilisation d’un passeport. En Amérique Centrale sur les régions frontalières il n’existe pas de grandes centres urbains, ces régions restent particulièrement rurales et sont aujourd’hui des espaces qui hébergent d’importants champs dédiés à la production agricole de monocultures (banana, palme, ananas, entre autres) qui sont considérées comme très polluants .(Estado de la Región, 2013). En plus, les régions de frontières restent toujours les régions les plus pauvres, par exemple, sur les 81 cantons du Costa Rica, les cantons qui ont les dernières positions par rapport au Indice de Développement Humain sont Los Chiles (position 78), canton localisé sur la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua, et Talamanca (position 80), localisé sur la frontière entre le Costa Rica et le Panamá (INEC, 2010). 72 De cette façon, les frontières par rapport à d’autres régions de l’isthme centraméricain sont généralement mal intégrées et dans une situation de marginalité. L. Medina fait appel au modèle « centre-périphérie »27 pour analyser les frontières de l’isthme. Elle conclut que ces régions répondent aux caractéristiques des périphéries : une population inférieure en nombre à celle des centres, un niveau de vie moins élevé et une situation de subordination par rapport aux centres puisqu’elles sont restées historiquement à l’écart des dynamiques nationales de développement impulsées par les centres urbains et de pouvoir (économique et politique) (Medina, 2004, p. 124). Ces régions frontalières sont « la périphérie de la périphérie », d’abord parce qu’à l’échelle nationale, elles sont en retrait vis-à-vis les centres (peuplés, urbains, industrialisés), et ensuite parce qu’à l’échelle globale, les pays centraméricains sont des périphéries par rapport aux pays industrialisés (cf. tableau 5, 6 et 7). Tableau 5 Indicateurs démographiques et sociaux des districts frontaliers étudiés, de la région de Bocas del Toro et du Panamá. District IDH Superficie Population * Densité * 2 2007 Km * 2010 Changuinola 0.688 4 016,5 98 310 24,5 Bocas del Toro 0.595 430,7 16 13 37,5 Chirriqui Grande 0.557 210,0 11 016 52,5 Moyenne régionale Région 0,651 4 657,2 125 461 26,9 28 Bocas del Toro Moyenne nationale Panamá (pour 2012) 0.780 74 177,3 3 405 813 46 Source : Programme des Nations Unies pour le Développement, Indice de Développement Humain 2007 http://hdr.undp.org/en/nhdr/support/projects/239.pdf *Source: Recensement de population 2010 27 Elle utilise les critères proposés par Alain Reynaud qui cherchent à décrire les caractéristiques principales d’un espace dit « périphérique » (Reynaud, 1981) 28 La région de Bocas del Toro est composée par les distrites de Bocas del Toro, Changuinola et Chrirriqui Grande 73 Tableau 6 Indicateurs sociodémographiques des cantons étudiés au Costa Rica Canton Population Superficie IDH Espérance de Taux d’alphabétisation 2 Km vie (%) Cantons étudiés à la frontière Costa Rica-Nicaragua Los Chiles 20.712 1358,9 0,636 79,7 85,7 (78) Upala 36.815 1580,7 0,700 79,5 87,6 (68) Guatuso 16.202 758,3 0,684 83,9 91,7 (71) Cantons étudiés à la frontière Costa Rica-Panamá Talamanca 33.081 2809,9 0,587 75,6 83,6 (80) Moyenne 4.564.000 51.100 0.773 79.3 79,4 nationale Source : Atlas de l’IDH par « canton » PNUD, Costa Rica, 2009 http://www.pnud.or.cr/mapa- cantonal/atlas.pdf Tableau 7 Population et indice de pauvreté des municipes frontaliers étudiés au Nicaragua 2007 Municipes Population % de pauvreté Densité Superficie 2 extrême km Total Urbaine Rurale Département 95 442 23 334 72.108 54,9 13 7473 de Rio San Juan San Carlos 40 590 13 462 27128 49,9 27,71 1462 Département 155 577 73 793 81.784 26,8 72 2162 De Rivas Cardenas 7293 1029 6264 40 32,96 227 Source : Cubero Acevedo & Soto Acosta, 2010 Granados & Jiménez, 2002, p. 19 Tableau de pauvreté extrême du Institut National de Développement (INDE), 2008 En outre, tout au long de nos différents terrains réalisés dans ces régions frontalières, nous avions pu constater la faible présence des institutions comme les Ministères de l’Environnement et les centres de santé. Le manque de ressources économiques, de personnel et de véhicules qu’ils proviennent des mairies, de la Police ou des Ministères (Environnement, Santé, Agriculture, notamment), ont été particulièrement évoqués durant les entretiens. Marcelo Pacheco29, représentant du Ministère de l’Environnement du Costa Rica dans la 29 Entretien réalisé en juillet 2012 à Bribri, Costa Rica dans les bureaux du Ministère de l’Environnement. 74 Commission du Parc International La Amistad-Caribe, localisée sur la frontière entre le Costa Rica et le Panamá, détermina que cette situation de « précarité » limitait fortement la capacité du gouvernement de surveiller, développer et conserver les régions de frontières. Il est intéressant de noter que l’absence d’entretien de l’espace frontalier renforce la spécificité paysagère de ces « périphéries négligées » (Picouet & Renard, 2007, p. 28). Le mauvais état des routes, le difficile accès, les services de santé limités, le manque de surveillance, les commerces frontaliers qui profitent des taux de change, ainsi que la contrebande, sont autant d’éléments qui caractérisent ces frontières. Le manque d’investissement, d’infrastructures et de capacités administratives des Etats centraméricains, a facilité l’installation d’acteurs exogènes, notamment des empires et puissances extrarégionaux (l’Angleterre ou les entreprises étasuniennes), s’installent sur ses frontières pendant la ème deuxième moitié du XIX siècle. Ces acteurs ont profité de ces faiblesses structurelles et se sont emparés de ces territoires marginaux (Girot & Granados, 1997, p. 290). En effet, la présence d’acteurs exogènes sur ces régions de frontières est ancienne et elle continue à être importante aujourd’hui, puisque de nombreux acteurs privés et des organisations internationales participent de plus en plus à la gestion de ces espaces frontaliers30, notamment à cause de l’importance environnemental de ces régions. En effet, ces régions sont très riches au niveau environnemental, puisqu’elles concentrent des écosystèmes (marécages, forêts, coraux, entre autres) qui hébergent une importante biodiversité ainsi que des réservoirs d’eau douce notamment des nappes phréatiques et des bassins hydrographiques31. Une autre caractéristique importante de ces régions, est leur vulnérabilité face aux événements naturels extrêmes. Ces régions frontalières ont ainsi été désignées comme des « régions de risque » face aux effets du changement climatique. Le « risque » est toujours une construction sociale qui est le résultat des processus particuliers de développement, des systèmes productifs et de l’absence d’aménagement du territoire (zones de peuplement, construction d’infrastructure, monocultures) (Lavell, 2004, p. 149). Ces régions sont particulièrement vulnérables parce qu’elles sont souvent des zones de production agricole (banane, ananas, palme africaine) qui sont localisées à proximité ou sur des bassins hydrographiques (Lavell, 2004, p. 163). Ces activités provoquent une importante dégradation environnementale qui fait d’elles des régions de risques susceptibles à des inondations. 30 Nous développerons le rôle de ces acteurs exogènes dans notre quatrième chapitre. 31 L’importance environnementale des régions de frontières sera traité de façon plus approfondie dans le deuxième chapitre. 75 Finalement, même si les frontières centraméricaines sont à présent des régions « pacifiques », elles sont encore perçues comme dangereuses puisqu’elles sont des lieux peu sécurisés où les activités illicites sont courantes. En outre, sur le plan économique et social, ces régions ont été historiquement délaissées et elles constituent la périphérie de la périphérie, puisqu’elles hébergent non seulement des populations culturellement exclues comme les population indigènes et afro-caribéennes, mais aussi des populations paysannes fortement rurales qui vivent en situation de pauvreté. Elles sont aussi des régions peu peuplées, mal connectées, vulnérables et oubliées par les gouvernements centraux. Cependant avec les processus de paix et les efforts d’intégration régionale, les frontières centraméricaines auront une nouvelle sémantisation et elles seront encore une fois instrumentalisées, mais cette fois ci au service de la paix et de la conservation de l’environnement. 76 Conclusion Premier chapitre Ce chapitre parcours le processus d’horogènese des régions frontalières d’Amérique centrale. Le modèle de peuplement de l’Isthme centraméricain a des origines préhispaniques puisque les villages coloniaux ont été fondés sur les anciens peuplements indigènes. Les frontières actuelles de l’Isthme sont les marges des provinces coloniales que par la suite lors des indépendances ont été perçues comme des fronts pionniers qui devaient être conquis, peuplés et délimités. Le passage de la perception des frontières comme de « fronts » à des « lignes » a été porté par les naissants Etats centraméricains qui ont instrumentalisés les frontières pour affirmer leur souveraineté et créer la cohésion interne nécessaire pour fondé progressivement des nations. Le besoin de préciser les limites de ces nouveaux Etats est observable dans les nombreux traités limitrophes qui se sont développés entre le XIXème et XXème siècle. Il convent de préciser que ces lignes de frontières ont été tracés en ayant comme support des cours d’eau, ce qui a que autour d’elles de concentrent d’importantes ressources naturelles qui se sont conservés à cause de l’isolement et abandon de ces zones frontalières. Cet isolement a fait d’elles aussi des zone de refuges pour les populations indigènes lesquels se déplacées vers elles pour échapper au espagnoles et leur modèle d’exploitation de la main d’œuvre indigène. C’est ainsi que malgré la situation encore périphérique et marginale de ces frontières, actuellement elles hébergent non seulement les principales aires protégées, les principaux réservoirs d’eau (lacs, bassin hydrographiques et nappes phréatiques) de l’isthme et une importante richesse ethnique et culturelle notamment par la présence de ces populations indigènes et de populations afro-caribéennes apportées pour des œuvres d’infrastructure (chemin de fer) et pour la productions majoritairement de banane. Il convient de souligner que lors des tracés, il y a eu l’intervention de puissances étrangères, notamment l’Angleterre, la France et les Etats Unis, ce qui nous permet d’affirmer que la présence et influence d’acteurs exogènes sur ces frontières este ancienne. 77 78 Chapitre 2 Face au morcèlement territorial : L’intégration régionale et la coopération environnementale Après une décennie de guerres, l’isthme entreprend un processus de paix et de transition vers la démocratie à partir des années 1990. Pour encourager et dynamiser ce processus les Etats centraméricains avec l’appui de l’Organisations des Etats Américains (OEA) ont créé le Système d’Intégration Centraméricain (SICA). Dans ce processus les frontières centraméricaines ont attiré très rapidement l’attention du SICA, d’abord parce qu’elles avaient été fortement touchées lors des conflits armés et ensuite par le besoin de protéger les ressources naturelles qui avaient été préservées de façon fortuite en raison de leur isolement et abandon des gouvernements centraux. En effet ces régions frontalières concentraient une importante richesse naturelle ainsi que d’importants cours d’eau qui avaient auparavant été utilisés comme repère au moment de tracer les limites frontalières. Au sein du Système d’intégration, des débats par rapport à l’intégration et le développement durable se sont peu à peu engagés. Des nombreuses déclarations et accords en sont nés, et les Etats se sont engagés à mettre en place des actions pour développer l’Isthme, conserver l’environnement et encourager l’intégration comme un instrument pour consolider la paix. Dans ces textes, les frontières joueront un rôle très important, elles seront présentées comme des lieu clés pour l’intégration, leur richesse environnementale sera mise en avant, et elles seront rapidement déclarées comme des « sanctuaires naturels » que les Etats doivent s’engager à conserver. Dans ce processus de requalification des frontières, nous intéresserons aux discours développé autour des régions frontalières et plus particulièrement aux acteurs collectifs qui influencent ce changement de sens. Nous essayerons de montrer comment cette nouvelle perception des frontières a été fortement influencée par des courants internationaux provenant de l’écologie de la conservation, courants qui ont introduit une vision positive de la nature sauvage « wilderness » et qui par la suite ont permis la diffusion à l’échelle globale de modèles de conservation comme les parcs naturels et les aires protégées transfrontalières qui ont changé non seulement la perception mais aussi la gestion du territoire. La nature frontalière est ainsi perçue comme « patrimoine naturel mondial » qui est transfrontalier et qui 79 doit être conservé non seulement par les Etats mais aussi par la communauté internationale et notamment avec la participation d’organisations internationales et organisations non gouvernementales. Dans ce chapitre, nous partons de l’hypothèse que la conservation de la nature frontalière a été instrumentalisée par le SICA comme un sujet porteur qui pouvait mobiliser et encourager les Etats, la Coopération Internationale et les Organisations Non Gouvernementales, dans un premier temps à négocier et par la suite à mettre en place des actions pour le développement et la conservation de ces régions frontalières. Nous démontrerons comme les accords produits par le SICA et la Commission Centraméricaine de l’Environnement et Développement (CCAD) ont introduit une image des frontières, non plus comme des lignes statiques, mais comme des « régions dynamiques », perméables et riches du point de vue environnemental. Cette nouvelle image a doté d’un nouveau sens les frontières, elles sont devenues des lieux de contacts, de coopération et d’intégration depuis l’échelle locale. Dans un premier temps, nous analyserons comment les frontières ont été instrumentalisées pour devenir des espaces de coopération et d’intégration. Nous analyserons les différentes tentatives d’intégration qui ont été entreprises dans la région. Nous prêterons une attention particulière au rôle joué par le SICA et par ses commissions. Nous confronterons les notions de « région frontalière » et de « région transfrontalière » et nous essayerons de clarifier ces notions. Quelle différence établir entre région « frontalière » et région « transfrontalière » ? Quelles sont les conditions qui déterminent l’émergence d’une région transfrontalière ? Dans un deuxième temps, nous analyserons comment la mise en avant de la nature a transformé la représentation des régions frontalières. Nous démontrerons qu’il y a eu une « naturalisation » des frontières qui s’est accompagnée de l’introduction de la problématique environnementale dans l’agenda de l’intégration. Nous reviendrons sur l’introduction des notions de gestion intégrée de ressources hydriques et de bassins transfrontaliers dans les accords du SICA. Comment ont-elles été introduites ? Quels sont les acteurs internationaux qui les ont diffusés ? De quelle manière ont-elles été abordées ? 80 1. Construire la paix sur les marges: la perception des frontières comme des régions d’intégration 1.1. Face à la fragmentation, l’intégration régionale centraméricaine Ainsi que nous l’avons souligné dans notre premier chapitre, les efforts unionistes ont été nombreux en Amérique Centrale, ils datent des premiers jours de l’indépendance avec la structuration de la Fédération centraméricaine. Bien que nous nous intéressions au processus d’intégration qui s’est mis en place à partir des années 1990 dans la région centraméricaine, il est nécessaire pour le comprendre de revenir sur l’élan intégrationniste qui s’est mis en place aux niveaux politique et économique durant les années 1950. A cette époque, le Costa Rica, le Guatemala, le Salvador, le Honduras et le Nicaragua signèrent la “Charte de l’Organisation d’Etats Centroaméricains (ODECA) 32 ”, connue aussi comme la “Charte de San Salvador” qui stipula la création de l’ODECA (qui sera transformée en 1991 en Système d’Intégration Centraméricain). Cette organisation inspirée par l’Organisation des Etats Américains (OEA) avait pour objectif de promouvoir la communication, la coopération pacifique et l’intégration politique entre ces Etats. Le fonctionnement de l’ODECA se réduisait à des réunions périodiques entre les présidents des cinq républiques centraméricaines, ainsi qu’à des réunions des ministres des relations extérieures33 pour traiter de sujets plus spécifiques. Simultanément, un Secrétariat général de l’organisation appelé le « Bureau centraméricain » avait été créé comme seul organe permanent qui devait assurer le suivi de la Charte. Il est intéressant de souligner que l’intégration politique pendant cette période a été encouragée et développée exclusivement par le pouvoir exécutif, laissant en marge les pouvoirs législatif et judiciaire. En parallèle de l’intégration politique embryonnaire et des modestes résultats de l’ODECA, les Etats centraméricains se sont aussi intéressés à l’intégration économique et ont signé en 1958 le Traité Multilatéral de Libre Echange et d’Intégration Economique qui a engagé les Etats signataires à créer une zone de libre échange (Medina, 2004, p. 491). Deux ans plus tard, en 1960 à Managua est signé le « Traité Général d’Intégration Economique Centraméricaine » appelé aussi le « Traité de Managua ». Ce traité a été à l’origine de la création du Marché Commun Centraméricain (MCCA), ainsi que du Conseil Economique 32 Charte de l’Organisation des Etats Centraméricains (ODECA) signée en 1951. 33 En parallèle des réunions des Ministres de Relations Extérieures, des réunions des ministres d’autres branches étaient organisées de façon sporadique, en fonction des thématiques à traiter. 81 Centraméricain (intégré par les Ministres de l’Economie des Etats membres), du Secrétariat Permanent d’Intégration Economique Centraméricain (SIECA) et de la Banque Centraméricaine d’Intégration Economique (BCIE). Le siège de la BCIE était localisé au Honduras et était la responsable du financement des projets d’intégration dans la région. Pour W. Robinson, auteur de Transnational Conflits, Central America, Social Change and Globalization, c’est à partir des années 1960 que l’Amérique Centrale vit la période où le développement capitaliste se met en place de la façon la plus rapide et aves plus de réussite (Robinson, 2003, p. 66). Le MCCA était intégré par le Costa Rica, le Guatemala, l’Honduras, le Nicaragua et le Salvador. Il avait pour objectif de fonder un marché commun, une union monétaire et de développer une politique protectionniste. Pour ces pays, l’intégration était un instrument pour surmonter les obstacles au développement liés à la petite taille des économies (Demyk, 2005 : 84). Le SIECA, à travers le MCCA, proposait d’améliorer la planification régionale notamment en encourageant la stratégie de substitution d’importations pour ainsi stimuler l’industrialisation de l’Isthme. Il s’agissait de promouvoir le commerce intra-régional à travers la création d’une zone de libre échange interne et en développant le secteur industriel (Demyk, 2005, p. 84). Le MCCA a ainsi constitué la première véritable initiative de coopération régionale pour l’Amérique Centrale (Demyk, 2005, p. 84). Il recherchait l’intégration économique de pays très inégaux, avec des économies et des systèmes politiques différents, qui manifestaient de plus de fortes résistances à laisser une partie de leur souveraineté à un organisme supranational. Egalement, le MCCA a dû se confronter à d’importants obstacles comme la forte dépendance à des pays extérieurs plus industrialisés, la faiblesse du marché centraméricain et la fragilité de ses économies. Ainsi, pour Noëlle Demyk, ces institutions subrégionales s’appuient « sur une perception d’identité partagée, en dépit du faible degré d’interdépendance commerciale et des asymétries de toute nature entre des pays exportant les mêmes produits… » (2005, p. 84). Avec le MCCA, la région a priorisé l’intégration économique, laissant de côté le côté politique de l’intégration. Si ces initiatives ont cherché à faire face à l’importante fragmentation politique des espaces centraméricains (Demyk, 2005 : 84) et même si elles ont réussi à dynamiser le commerce intra-régional, elles ont eu finalement des résultats très limités, réussissant seulement à perpétuer les discours sur la continuité et l’homogénéité culturelle. Les résultats concrets du MCCA ont été très modestes : ce marché commun n’a pas amélioré la répartition de la richesse et ses résultats se sont concentrés dans les capitales, 82 tandis que les régions frontalières sont restées oubliées et exclues de ces initiatives (Girot & Granados, 1997, p. 294). Pour W. Robinson l’afflux de capitaux étrangers dans l’Isthme sucité par le MCCA (pour lui explicitement promu par les Etats Unis) a intégré la région dans l’économie globale émergente, déplaçant la paysannerie et les artisans locaux, et créant des nouvelles « fractions capitalistes » opposées au type du «capitalisme de copinage» que les autocrates traditionnels tels que les Somoza au Nicaragua ou les dirigeants militaires des autres républiques avaient tendance à pratiquer34 (Robinson, 2003, p. 66). De cette façon, même si ces mécanismes proposent l’intégration et le développement de l’Isthme, il ne faut pas oublier qu’ils ont été conçus sous la logique du « régionalisme ouvert », c’est à dire un développement vers l’extérieur fondé sur l’ouverture des marchés et sur l’attraction d’investisseurs étrangers, ce qui a entrainé une « ré-articulation » de l’Amérique Centrale, une transformation des forces sociales et une restructuration des économies, des Etats et des blocs de pouvoir (Robinson, 2003). En outre, la crise entre le Salvador et le Honduras en 1969, surnommée la « Guerre du Football », ainsi que les années de guerre civile au Guatemala, El Salvador et Nicaragua, ont affaibli ces institutions, paralysé le processus d’intégration (Girot & Granados, 1997, p. 294) et provoqué une importante diminution du commerce intra-régional qui est passé de 23% au milieu des années 1970 à moins de 15% à la fin des années 1980 (Medina, 2004, p. 492). L’échec de cette initiative peut être expliqué par le manque de coordination qui existait entre les processus d’intégration économique et politique. Ces deux processus se sont mis en place de façon peu coordonnée et ont fonctionné de façon parallèle et pas avec la même intensité, puisque l’intégration économique a pris rapidement le dessus, face à l’intégration politique qui était parfois vue par les Etats centraméricains comme une menace potentielle à leur souveraineté. C’est ainsi que l’on peut même affirmer que la faible intégration politique a condamné la réussite du MCCA. Le processus d’intégration est resté paralysé durant les années 1970-1980 à cause des conflits armées suscités par les affrontements entre des mouvements révolutionnaires et les élites oligarchiques qui avaient installé des dictatures dans plusieurs pays de l’Isthme. Cette période représente pour Robinson une réponse des forces sociales à ces dictatures oligarchiques qui avaient accumulées la richesse et les moyens de production (spécialement la terre) (Robinson, 34 As foreign capital poured into Central Amerca in the 1960's and 1970's, as part of the US-promoted Central American Common Market, it integrated the region into emergent global economy, displacing the peasantry and local artisans, and creating new capitalist fractions opposed to the type of "crony capitalism" that traditional autocrats such as the Somozas in Nicaragua or the strongmen an military rulers in the other republics tended to practice. 83 2003, p. 69). Pendant cette période, de nombreuses organisations internationales ont tourné leur l’attention vers la région, notamment l’ACNUR et la coopération étasunienne (USAID), ainsi que des Etats exogènes à la région, qui se sont engagés dans la recherche d’une solution pacifique aux conflits. C’est dans ce contexte que des groupes comme celui de « Contadora » se sont créés. Ce groupe formé par le Venezuela, la Colombie, le Panamá et le Mexique se réunit pour proposer des recommandations et pour encourager un dialogue initial. A partir de 1983 des réunions entre les présidents centraméricains avec le support de l’OEA et des Nations Unies se sont mises en place pour encourager un processus de paix. Un des premiers résultats de ce progressif rapprochement a été le « Projet de l’acte de Contadora pour la Paix et la coopération centraméricaine » qui a inspiré les initiatives de paix. Le processus de pacification s’est mis véritablement en place dans la deuxième moitié des années 1980 avec les négociations d’Esquipulas I (1986) et d’Esquipulas II (1987), qui ont conduit à la signature de l’accord Esquipulas II ou Plan Arias35 et de l’accord d’Antigua (au Guatemala) en juin 1990. Cette paix gagnée s’est traduite de deux façons : 1. La transition vers la démocratie et 2. La réactivation de l’intégration qui s’était arrêtée. Le premier pays à commencer son processus national de pacification a été le Nicaragua en 1988, suivi du Salvador en 1992 et du Guatemala en 1996. Le bilan de ce processus révolutionnaire apparaît mitigé. Comme le présente W. Robinson, même si les mouvements révolutionnaires ont réussi à rompre l’hégémonie de « l’oligarchie foncière »36, des riches industriels et des groupes financiers qui avaient apparus grâce au MCCA, ces forces révolutionnaires ont été incapables d’imposer et de stabiliser leur projet de redistribution radicale et d’une reconstruction socialiste de la région » (Robinson, 2003, p. 68). Toujours selon W. Robinson, les trois facteurs qui ont déterminé leur défaite ont été 1. L’intervention politique et militaire des Etats Unis, 2. Les contradictions et la faiblesse interne de leur projet révolutionnaire dans un monde qui changeait structurellement vers une économie globale et le croissant pouvoir des capitaux transnationaux pour imposer de la discipline aux mouvements antisystème avec la promotion de la démocratie, et 3. Les changements dans la composition des classes dominantes, dans leur articulation socioéconomique et dans leur projet politique-idéologique : la naissance de la nouvelle élite de droite néolibérale centraméricaine qui sera chargée de mettre en place le programme du capitalisme global dans la région (Robinson, 2003, p. 69). 35 Ce plan nommé « Arias », suite au nom du président costaricien Oscar Arias Sanchez qui a eu un rôle très important pendant les processus de pacification. Sa participation lui a valu le prix Nobel de paix en 1989. 36 Landed oligarchy 84 W. Robinson analyse en outre comment les accords de paix, les processus de démocratisation et de démilitarisation ont été présentés comme les conditions nécessaires pour permettre « la concurrence électorale et la mobilisation pacifique »37. Cependant lors des processus de paix, les discours qui s’est développés n’ont pas pris en compte que pendant la période révolutionnaire de 1970-1990 les inégalités n’avaient pas disparu. Bien au contraire, elles avaient été exacerbées et en plus, les groupes dominants n’avaient pas cédé ni leur pouvoir ni leurs privilèges. Nous estimons avec W. Robinson que les accords de paix n’ont pas menacé ou altéré « ni les structures sociales et économiques qui avaient été établies, ni la structure de la propriété, ni les inégalités socio-économiques ». Pour cet auteur, la défaite des secteurs populaires et la réussite des nouveaux groupes dominants ont été formalisées dans les négociations de paix, lesquelles ont été financées par la coopération internationale (OEA, BID, entre autres) (Robinson, 2003, p. 70) Par ailleurs, l’intégration a eu un rôle symbolique dans la pacification et la démocratisation, puisqu’elle a été conçue comme un agent stabilisateur dans l’iIthme ainsi qu’un instrument qui pouvait maintenir la paix. Un premier organe créé dans ce tournant intégrationniste est le Parlement Centraméricain, constitué en 1987 par des représentants de chaque pays et chargé de produire des recommandations politiques et socio-économiques (Medina, 2004, p. 492). Cependant il est important de remarquer que ces recommandations n’ont pas un caractère obligatoire pour les Etats, ce qui ôte au Parlement une part de son efficacité et de sa légitimité. La décennie des années 1990 a été consacrée à la normalisation des relations économiques, commerciales et politiques intra et extra-régionales. Les recherches sur l’intégration centraméricaine estiment que l’Isthme aurait mis à peu près dix ans (1987-1997) à vraiment atteindre la paix et à mener à bien les processus de réconciliation nationale (Matul, 2007, p. 79). Cependant, les séquelles des conflits sont encore visibles et les procès contre les crimes de guerre ne commencent à se mettre en place que plus de vingt ans après les accords de paix, Ceci est par exemple le cas du procès qui a commencé en 2013 contre l’ancien président (1982-1983) guatémaltèque Efrain Rios Montt, accusé de génocide. Les frontières gardent de profondes cicatrices suite à ces conflits. Non seulement elles ont été le scénario de nombreux affrontements, mais elles sont encore aujourd’hui marquées par les vestiges de la guerre comme par la présence de mines anti personnes, ou des conflits agraires suite au retour des populations qui avaient été déplacées pendant les conflits (Girot & 37 “Peace settlements and processes of democratization and demilitarization would allow for competition through elections and peaceful mobilization »(Robinson, 2003, p. 70) 85 Granados, 1997, p. 295). La frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua a connu d’importantes séquelles suite aux conflits armés. Les villages de San Carlos au Nicaragua, ainsi que les villages de Los Chiles et Upala au Costa Rica en ont été très marqués. Cette frontière a été un lieu de refuge, de trafic d’armes et d’affrontements entre les groupes révolutionnaires sandinistes et les contre révolutionnaires. 1.2. Le rôle du Système d’Intégration Centroaméricain (SICA) et d’autres initiatives dans le positionnement des frontières dans l’agenda régional En 1991 est créé le Système d’Intégration Centroaméricain (SICA) avec la signature du Protocole de Tegucigalpa. Il associe le Costa Rica, le Panamá, le Nicaragua, le Guatemala, le Honduras, le Salvador et le Belize. Plus tard, la République Dominicaine sera inclue comme un Etat associé. Cet organe, qui remplace l’ODECA, apparaît comme une réponse à cette longue période de crise politique et militaire et conçoit l’Amérique Centrale, selon l’article 1 du Protocole de Tegucigalpa, comme « une communauté économique et politique qui cherche l’intégration régionale ». L’objectif principal exposé dans son Article 2 est que la région devienne une région de paix, de liberté, de démocratie et de développement. Pour ce faire, le SICA doit encourager la consolidation de la démocratie (suffrage universel, direct et secret), renforcer les institutions et veiller au respect les Droits de l’Homme ainsi que des principes de la Charte des Nations Unies et de l’OEA. Ce Protocole mobilise encore une fois la rhétorique bolivarienne de la « Grande Patrie » et reprend dans son article 4, l’existence d’une « identité centroaméricaine », ainsi que des liens de solidarité historiques entre les pays de l’Isthme, qui sont l’expression « d’une profonde interdépendance, ainsi que d’une origine et d’un destin en commun ». La SICA marque une rupture avec les expériences d’intégration qui avaient été conçues auparavant, dont le MCCA ainsi que d’autres espaces d’intégration caribéens comme la Communauté Caraïbe (CARICOM)38 créée en 1973 ou l’Association des Etats Caribéens (AEC) créée en 1994. Ces derniers ont eu pour principal dessein l’intégration économique, l’accueil des investissements étrangers et l’accroissement des échanges commerciaux (Demyk, 2005 : 85). Les conditions spécifiques de la création du SICA octroient à cet organisme un rôle différent. En effet, le SICA se tourne vers des questions plus 38 Créée par les pays caribéens du Commonwealth Britannique, elle n’inclut pas les pays centraméricains. 86 sociopolitiques, comme le rapprochement politique, la coordination et la coopération en matière de santé, l’éducation, l’équité, le transport, le tourisme, le développement durable et la gestion du risque (Protocole de Tegucigalpa, 1991). Pour atteindre ces objectifs, cette structure a développé un cadre institutionnel reposant sur des accords et des traités signés par les différents Etats membres. Son organe suprême est la Réunion de Présidents, suivie par le Conseil des Ministres, le Comité Exécutif et le Secrétariat Général. Il prévoit aussi la création d’une Cour Centraméricaine de Justice et d’un Comité Consultatif intégré par différents secteurs de la société civile (secteur privé, académique, entre autres). De cette manière, le SICA assume très tôt un rôle important dans la promotion de la démocratie avec notamment la signature du Traité de Sécurité Démocratique qui propose une nouvelle vision de la sécurité, plus conçue uniquement à travers ses objectifs militaires mais aussi à travers les valeurs, les principes démocratiques et la recherche de la sécurité humaine (Matul, 2007, p. 79). Suite à la création du SICA, très rapidement a été signée l’Alliance pour le Développement 39 Durable (ALIDES ) en 1994 pendant le Sommet Ecologique Centraméricain pour le Développement Durable (Matul, 2007, p. 79). L’ALIDES est une stratégie régionale qui introduit dans les débats régionaux la notion de développement durable et de façon très générale la préoccupation pour la conservation de l’environnement. Cette Alliance définit le développement durable comme un « processus de changement progressif dans la qualité de vie de l’être humain à travers une croissance économique plus équitable qui encourage la transformation des méthodes de production et des schémas de consommation pour ainsi parvenir à un équilibre écologique qui puisse permettre de combler les besoins humains et en même temps promouvoir l’harmonie avec la nature » (“Texte constitutif de l’Alliance pour le Développement Durable,” 1994, p. 3) L’ALIDES dans son Principe 3 met l’accent sur le besoin de mettre en place des actions de « conservation de la terre, de l’eau et des ressources naturelles » (“Texte constitutif de l’Alliance pour le Développement Durable,” 1994, p. 4). Elle établit une série de principes comme la gestion durable des ressources naturelles et de la diversité biologique. Elle encourage aussi les gouvernements à s’engager dans la formulation de politiques publiques dans des thèmes comme l’aménagement du territoire, l’énergie, le transport, la diversité biologique, le contrôle et la prévention de la pollution de l’eau, de l’air et de la terre. Dans ses objectifs spécifiques en matière d’environnement, l’ALIDES encourage la création de 39 Sigle en espagnol 87 corridors biologiques et des aires protégées et insiste sur le besoin de réduire le déboisement de l’isthme. Dans son objectif spécifique environnemental n.7, elle propose de « gérer de façon adéquate les bassins hydrographiques pour garantir les divers usages des ressources hydriques en qualité et en quantité » et dans son objectif environnemental n.9 elle encourage la mise en place de « projets de développement durable dans des zones de frontières » (“Texte constitutif de l’Alliance pour le Développement Durable,” 1994, p. 17). Dans le cadre de notre recherche, ces deux derniers points nous sembles particulièrement intéressants, d’abord parce qu’il s’agit d’une des premières fois que le développement des frontières et la gestion des bassins transfrontaliers sont évoquées comme une priorité par le SICA et par les présidences centraméricaines et ensuite, parce que ces notions sont évoquées de façon superficielle. En effet, à la lecture du texte de l’ALIDES, nous constatons que ces thématiques sont citées qu’une seule fois, en une phrase dans les annexes (cf. Annexe 1). En plus, elles sont citées sans préciser comment doivent être développés les régions frontalières, ni ce qui est compris par « gestion intégrée ». Ce qui nous paraît étonnant, puisque l’ALIDES 40 est souvent citée dans les accords qui vont suivre, comme le document de référence qui reconnaît l’importance naturelle des frontières et l’accord régional que pour la première fois met en évidence le lien qui existe entre les frontières et les bassins hydrographiques. En introduisant ainsi le besoin de gérer cette richesse naturelle frontalière à travers l’optique des bassins hydrographiques. Cependant, il convient d’insister sur le fait que ces thématiques sont à peine traitées dans le document de l’ALIDES. Ceci nous amène à considérer que l’ALIDES est souvent perçu comme un texte fondateur, qui est souvent instrumentaliser pour octroyer de la légitimé aux accords et aux programmes qui vont suivre. Néanmoins, même si les questions de développement durable et de coopération transfrontalière n’apparaissent dans les débats régionaux que jusque dans des années 1990, les problématiques frontalières avaient déjà été étudiées et traitées avant même l’ALIDES. En 1973, le Secrétariat permanent du Traité Général d’Intégration Economique (SIECA) avec l’appui de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) avait élaboré un diagnostic de la situation des frontières, plus particulièrement des cas des bassins du Golfe de Fonseca, du Golfe d’Honduras et du bassin du fleuve San Juan. Suite à ce diagnostic de 1976, la BID a proposé aux gouvernements du Guatemala, du Honduras et du Salvador la réalisation d’un projet de développement tri-national sur la région frontalière appelée le Trifinio(Matul, 2007, 40 L’ALIDES est souvent cité dans ce sens dans la Stratégie Centraméricaine de Gestion des Ressources en Eau (ECAGIHR), les plans de conservations de l’environnement et le Programme Centraméricain pour le Développement des Frontières 88 p. 84). Celle-ci est une des premières expériences de coopération à l’échelle de l’Isthme et est aujourd’hui une des plus développées en matière de coopération transfrontalière. En 1987 les trois gouvernements concernés ont créé la Commission Tri-nationale pour le Plan Trifinio, laquelle a adopté une stratégie et un budget pour mettre en place des actions sur cette frontière. Ces initiatives pionnières dans la région ont contribué à ce que les frontières ne soient plus vues comme un obstacle mais plutôt comme des régions d’interactions et d’échanges. Ce processus amorcé de coopération s’est interrompu durant les années 1980, puisque les frontières sont redevenues des fronts de guerres comme nous l’avons déjà évoqué. Pendant cette période, les projets liés aux frontières ont été consacrés à l’assistance des personnes déplacées et aux réfugiés. La question du développement frontalier ne réapparaîtra qu’en 1988 avec la signature d’un Accord de Coopération pour Exécution d’un Programme de Développement Intégral des Régions Frontalières lors d’une réunion des vice-présidents centraméricains qui a eu lieu grâce à l’appui de l’Institut Interaméricain de Coopération pour l’Agriculture (IICA) de la OEA. Par la suite, dans cette même année un accord de coopération pour la mise en place du Programme ainsi qu’une Unité Technique sont créés. En novembre 1995, les vice-présidences centraméricaines présentent le document intitulé Développement Durable Frontalier en Amérique Centrale. Ce document reprend les initiatives antérieures et s’inspire des principes et des actions proposés par le SICA avec l’ALIDES. Il dispose de l’appui technique de l’IICA, de l’OEA, du SIECA et de la Fondation pour la Paix et le Démocratie (FUNPADEM) (Solís Rivera, 2002, p. 169). Ce programme est présenté comme un « puissant instrument pour l’intégration [des] peuples » (Accord pour le Développement Durable Frontalier en Amérique Centrale, 1995, p. 1). Il est établi que « les projets de développement durable frontalier, en plus de poursuivre des objectifs de développement régional, ont été conçus pour renforcer les liens socioéconomiques entre les pays voisins et cherchent à réduire la situation de marginalité socioéconomique et politique des régions frontalières par rapport aux centres de population urbaine» (Ibid, p. 1). Dans son objectif général, il insiste sur le besoin « d’améliorer le niveau et la qualité de vie des populations frontalières, tout en encourageant le développement durable » ainsi que sur la vulnérabilité des régions frontalières et le besoin de mettre en place des « actions pour le développement durable, en respectant la conservation de la qualité environnementale ». Pour atteindre ces objectifs, ce document prévoit plusieurs volets d’actions pour encourager l’agriculture, l’écotourisme, la mise en place de programmes éducatifs et des projets d’aménagement du territoire. Il prévoit aussi des actions de 89 conservation des forêts, de la biodiversité, du sol et de l’eau. Sujets qui sont généralement présents de façon transversale dans tous les projets du SICA. En outre, ce Programme de Développement Frontalier prévoit quinze projets dans toutes régions frontalières d’Amérique Centrale y compris les frontières du Belize et du Guatemala avec le Mexique, et celle du Panamá avec la Colombie. Parmi tous ces projets, nous nous intéresserons plus particulièrement à ceux que ce Programme prévoit sur nos deux terrains d’étude. Celui-ci définit de façon générale un plan de Développement Frontalier Costa Rica- Panamá et un Plan de Développement du Circuit Ecotourisme Nicaragua-Costa Rica entre Rivas au Nicaragua et le Guanacaste au Costa Rica. En ce qui concerne le Programme entre le Costa Rica et le Panamá, la proposition est notamment de renforcer la Commission Binationale qui avait été créée lors de la signature d’un accord de coopération transfrontalier en 1979. Il est intéressant de soulever l’importance donnée à l’environnement dans ces deux initiatives. Dans le cas de la frontière entre le Costa Rica et le Panamá, un accent particulier est mis notamment sur le besoin de coopérer pour la gestion partagée du Parc International La Amistad, ainsi que sur la mise en place « d’actions de reboisement et la nécessaire gestion du bassin transfrontalier du fleuve Sixaola ». Pour la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua, le Programme de Développement Frontalier propose de développer l’écotourisme dans une zone très riche naturellement et culturellement. En observant les différents accords produits entre 1990 et 1995, notamment l’ALIDES et l’Accord de Développement Durable Frontalier, on constate que la question frontalière apparaît comme un sujet de plus en plus central dans l’Isthme centraméricain. Les frontières sont présentées comme des espaces à « (re) construire ensemble » (Bovin, 1997, p. 10), à partir de la coopération entre pays voisins et leur développement est présenté comme un pas nécessaire pour atteindre l’intégration. Il est intéressant de noter que la conservation de l’environnement apparaît progressivement dans le discours du SICA parmi les thèmes qui permettent de coopérer et de négocier. C’est un thème qui peut permettre le rapprochement d’acteurs qui auparavant avaient des positions divergentes et il peut être un biais pour tenter d’introduire d’autres sujets plus sensibles comme la sécurité, la migration, entre autres (Medina & Rodriguez, 2011). Le développement durable des frontières comme condition pour l’intégration régionale est ainsi repris dans le discourt d’abord du Système d’Intégration et par la suite dans les discours des gouvernements qui souscrivent ces accords (Medina & Rodriguez, 2011, p. 120). La signature de l’Accord pour le Développement durable frontalier en Amérique centrale illustre effectivement le rapprochement effectué par le SICA entre 90 frontières, intégration, paix et environnement. La figure n. 2 nous paraît à même d’illustrer cette mise en relation. Figure 2 : Les frontières centraméricaines perçues par le Système d’intégration Centraméricain (SICA) Paix-Intégration Les Frontières Environnement- Développement Développement Intégration économique Durable Nous soutenons ainsi qu’une nouvelle sémantisation des frontières s’est mise en place. Les frontières sont passées d’une conception en tant que lignes de fronts et de guerre, à des régions en situation de pauvreté mais riches du point de vue environnemental qu’il faut non seulement pacifier et développer, mais aussi conserver, pour qu’une intégration régionale soit possible. Tout au long de ce processus, le Système d’Intégration Centraméricain (SICA) joue un rôle très important puisqu’il a encouragé les gouvernements centraméricains à souscrire des accords régionaux et bilatéraux pour développer ces frontières. Nous étudierons précisément deux de ces accords dans notre quatrième chapitre : la Convention de Coopération Frontalière entre le gouvernement du Costa Rica et le Panamá (1992), et l’Accord de Coopération entre les gouvernements de Nicaragua et Costa Rica (1991). En effet, le Système d’Intégration Centraméricain a introduit une nouvelle conception des frontières : il les présente comme des régions qui sont à la fois source d’une importante richesse naturelle et culturelle, et en même temps des régions marginales qui doivent être développées et conservées. Les frontières sont ainsi instrumentalisées à nouveau pour encourager cette fois-ci l’intégration régionale. 91 Encadré 1 Entretien Jaime Incer, ex Ministre de l’Environnement au Nicaragua Le docteur Jaime Incer a été le Ministre de l’Environnement et des Ressources Naturels (MARENA) pendant l’administration de Violeta Chamorro (1990-1994) au Nicaragua. Il est docteur en Biologie de l’Université de Michigan et a été un important précurseur de la conservation des régions frontalières en Amérique Centrale. Pour lui, les politiques environnementales de extension transfrontalière sont anciennes mais elles n’ont pas été constantes puisqu’elles ont dépendu de la volonté fluctuante des gouvernements qui changeaient chaque quatre ans et elles ont été fortement perturbées pendant la période de conflits armés. Il a participé, avant même d’être Ministre, aux négociations de paix de Esquipulas I et II et pour lui, la question de la conservation des régions frontalières a été très importante durant le processus de paix, puisque pendant les négociations la « régionalisation de l’environnement » a était définie comme un thème prioritaire. Il affirme qu’après les processus de paix, au sein du SICA, l’appel à la thématique de « l’environnement pour construire la paix » a été un choix conscient de la part des ministres de l’environnement centraméricains, dont il faisait partie. : « L’environnement a été volontairement mobilisé comme un instrument pour apaiser les régions qui avaient été touchées par les conflits armés et où avaient déjà été identifiés des écosystèmes clés et en danger. Les régions les plus touchées suite aux conflits armés étant notamment les frontières, dès Esquipulas ces régions avaient été identifiées comme des zones prioritaires d’intervention et de conservation. La création de la CCAD est pour lui une des manifestations de cet intérêt de conserver ces régions frontalières, puisque cette Commission sera la responsable de porter plusieurs projets transfrontaliers. » Le docteur Jaime Incer raconte avoir eu des nombreuses réunions avec des fonctionnaires costariciens et des experts du Centre d’Etudes Tropicales pour établir les écosystèmes prioritaires sur la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua. Il affirme que le cas de cette frontière est emblématique, puisqu’elle a été fortement touchée par les activités révolutionnaires et anti révolutionnaires, ce qui a conduit à proposer de mettre en place d’un Système d’Aires Protégés pour la Paz (SIAPAZ). Le SIAPAZ cherchait à renforcer la paix récemment instaurée entre ces deux pays à travers la coopération pour la conservation de l’environnement. Extrait d’entretien réalisé 30 août 2011 Managua, Nicaragua 92 1.3. Les régions frontalières, vers des régions transfrontalières ? Cette nouvelle sémantisation des frontières s’inscrit dans des débats qui renvoient au phénomène de la mondialisation La mondialisation (globalization pour les anglo-saxons) est conçue par D. Newman comme un processus de « liaison et d’interdépendance entre les territoires »41 et la reconnaissance que « la tyrannie de la distance et de l’espace-temps a été diminué par les innovations technologiques en transport et communication » (David Newman & Kliot, 1999, p. 2). La mondialisation suppose une perte des fonctions des Etats Nations, notamment de leur capacité régulatrice face aux mouvements de capitaux, à d’autres acteurs supranationaux et à des entités privées (David Newman & Kliot, 1999; Sassen, 2005, p. 523). Avec l’affaiblissement des Etats, des débats par rapport à un monde sans frontières (borderless world) ont émergé (Diener & Hagen, 2009, p. 1199). L’élargissement des marchés, la multiplication des échanges liés au développement des réseaux techniques ont créé l’illusion d’une intégration virtuelle du monde et ont mis en place un nouveau mythe, celui de l’élimination des frontières (Machado de Oliveira, 2009). A l’échelle régionale, même si les discours de l’intégration centraméricaine et des accords de libre échange 42 supposent aussi un effacement des frontières centraméricaines, celles-ci n’ont jamais été aussi présentes et médiatisées qu’aujourd’hui. La mondialisation économique ne signifie pas l’abolition des frontières mais plutôt l’abolition des barrières commerciales (impôts, législations du travail et environnementale) pour que les entreprises puissent accroître leurs bénéfices financiers et économiques. La mondialisation ne met nullement fin aux enjeux territoriaux (Giblin, 2011, p. 41) que supposent les frontières, puisqu’aujourd’hui les restrictions douanières et migratoires en Amérique Centrale restent une réalité indissociable des frontières. Ceci est le cas aussi de toutes les restrictions phytosanitaires et des actions de lutte contre le narcotrafic et la contrebande, activités qui occupent un place très importante dans les économies locales frontalières (Machado de Oliveira, 2009, p. 22). C’est ainsi que dans la pratique, si la mondialisation suppose une flexibilisation des barrières pour que les biens et les capitaux puissent circuler de façon fluide, en revanche elle suppose aussi un renforcement des frontières sur le plan migratoire. D. Newman et N. Kliot, affirment que nous vivons dans un monde où les fonctions qu’avaient les frontières ont changé puisque ces dernières sont devenues très perméables, mais nous ne vivons pas dans un monde sans 41 « a process of linkage and interdependence between territories » 42 Notamment le CAFTA qu’est l’Accord de libre échange signé par l’Amérique Centrale et la République Dominicaine et les Etats Unis en 2008. 93 frontières. Pour ces auteurs, une des illusions de la théorie de la mondialisation est que tout devient global, mais que les territoires comme les frontières restent différenciés spatialement, certains devenant perméables et d’autres restant fermés (Newman & Kliot, 1999, p. 12). Pour Diner et Hagen, avec la mondialisation il existe une coexistence entre ce que ces auteurs appellent frontières-barrières (barriers) et les frontières-pont (bridge-borders) (Diener & Hagen, 2009, p. 1201). Et entre ces deux catégories de frontières, il existe une multiplicité de niveaux d’ouvertures et de fermetures. De son côté, S. Sassen propose la thèse selon laquelle des composantes des États nations sont devenues le cadre institutionnel à travers lesquelles certaines des dynamiques qui sont au cœur de la mondialisation fonctionnent. Ainsi, la mondialisation économique serait en réalité un système politique-économique partiellement localisé à l’intérieur des Etats nations, avec des Etats en réalité complices de ces processus (Sassen, 2005, p. 524). C’est ce que l’auteur appelle le processus de dénationalisation, qui est souvent très spécialisé et qui peut avoir lieu dans différents domaines comme l’économie, ou même dans le cas des droits de l’homme (Sassen, 2005, p. 526). De plus, S. Sassen affirme que les régimes transnationaux spécialisés ont mis en place des processus de gouvernance mondiale (instruments administratifs et légaux) qui entrent dans l’espace institutionnel national et dans le territoire géographique, et que ces dynamiques produisent de nouvelles frontières à l'intérieur du territoire national43 sans affecter les frontières des Etats nations (Sassen, 2005, p. 524). Région transfrontalière vs Région frontalière C’est dans ce contexte de mondialisation, de libre échange et d’intégration régionale, qu’une nouvelle notion est peu à peu introduite, celle de région transfrontalière. Cette notion évoquée très couramment par les organisations internationales environnementalistes et par certains groupes d’experts pour décrire certaines régions frontalières qui sont perçues comme perméables, est employée très régulièrement mais cependant souvent de façon très imprécise. Nous essayerons maintenant de préciser ce qu’il faut entendre par « région transfrontalière »,en confrontant cette notion à celle de région frontalière. L’idée de région transfrontalière puisque celle-ci implique un certain degré de dynamisme et d’intégration fonctionnelle et formelle que n’ont pas toutes les régions frontalières. Par intégration fonctionnelle nous faisons référence au commerce et services informels, aux activités quotidiennes et culturelles (foires et marchés) qui se mettent en place entre les 43 “the specialised transnational regimes being implemented to govern global processes also enter national institutional space an geographic territory, and that both of these dynamics produce a variety of novel borderings inside national territory” (Sassen, 2005, p. 524). 94 acteurs locaux (petits entrepreneurs, entreprises touristiques, producteurs locaux, coopératives, associations de développement, entre autres) sans support formel. Ces activités qui ne sont pas soumises au contrôle légal, intensifient les échanges et les rapports frontaliers, elles étendent le marché du travail informel au-delà du cadre national (Machado de Oliveira, 2009, p. 25). Les régions de frontières ne sont plus perçues comme des « objets passifs décrits, cartographies et catégorisés, mais plutôt comme des forces actives et comme des processus qui affectent une vaste gamme de préoccupations domestiques et internationales »44 (Diener & Hagen, 2009, p. 1199). Elles sont même conceptualisées comme les sites les plus actifs des complexes territoriaux (Delaney, 2008, p. 64; Diener & Hagen, 2009, p. 1199). Les populations frontalières profitent de l’effet frontière et des avantages de la situation, elles traversent ainsi la frontière pour échanger des devises, pour acquérir des biens et des services (santé, éducation, transports, entre autres). Certains auteurs comme Machado de Oliveira parlent d’une « complémentarité visible » qui repose sur une porosité et une « permissivité innée des frontières » (Machado de Oliveira, 2009, p. 25). D’autres acteurs comme D. Newman parlent de « zones de transition » qu’il définit comme des zones de interactions et de passage et qui génèrent parfois une sorte d’hybridation (Newman, 2011, p. 18) . D’autres auteurs évoquent la notion « bridges borders » ou frontières-ponts qui sont aussi des régions perméables qui se définissent par interaction et l’échange (Diener & Hagen, 2009, p. 1201) En outre, il convient de souligner que les relations transfrontalières en Amérique centrale ne sont pas reconnues par un statut juridique. Mais il est évident que ces régions fonctionnent comme des espaces de contact, de passage, dans lesquels se mettent en place d’intenses relations d’interdépendance (Morales, 2010, p. 187). Selon D. Newman, « la création de régions transfrontalières va beaucoup plus loin que la transformation d'une frontière dans une zone de transition, puisqu’elle remplace l'impact de barrière de la frontière par une interface où le contact a lieu »(David Newman, 2011, p. 20)45. Les frontières centraméricaines sont des régions qui disposent des conditions nécessaires pour voir se nouer ce type de relations de proximité, puisqu’elles sont souvent plus connectées avec le pays voisin qu’avec les centres de pouvoir des pays auxquels elles appartiennent. D’autre part, l’intégration formelle suppose la légalité des actions et le contrôle d’organisations politiques. A différence de l’intégration fonctionnelle qui a une tendance à l’horizontalité, l’intégration formelle suppose des relations verticales (haut vers le bas) par le 44 “Borders a wide array of domestic and international concerns” (Diener & Hagen, 2009, p. 1199). 45 “The creation of transboundary regions goes a long way to transforming a borderland into a transition zone, replacing the barrier impact of a border with an interface where contact takes place” (David Newman, 2011, p. 20). 95 biais en général d’accords bilatéraux. Des exemples d’intégration formelle peuvent être les importations et les exportations, les programmes interétatiques de coopération (sanitaires, conservation pour l’environnement, lutte contre le narcotrafic, entre autres), les échanges scientifiques ou académiques, les protocoles pour gérer le risque et les évènements naturels extrêmes, entre autres. Ce type d’intégration implique la mobilisation de toute une « machine institutionnelle » qui exerce un contrôle et cherche systématiquement à formaliser les échanges informels (Machado de Oliveira, 2009, p. 27). Ainsi, il est fréquent que sur les régions frontalières se créent des commissions binationales (suite à des accords) où participent différents acteurs gouvernementaux et de la société civile. Ces commissions se créent pour gérer des problématiques frontalières et environnementales. Les recherches sur les frontières centraméricaines portées par C. Granados de l’Unité de Frontières de l’Université du Costa Rica nous amènent à considérer les régions frontalières comme des régions dynamiques où se mettent en place des importants échanges (Granados, 2000). Ces régions peuvent se convertir en régions transfrontalières, selon A. Vanneph, quand les forces du marchés dépassent les obstacles et génèrent des dynamiques migratoires, culturelles et économiques qui introduisent des deux côtés de la frontière « des solidarités et des convergences » que permet la création d’un espace de transition, un entre deux ou une région que cet auteur appelle de « troisième type ». (Vanneph, 1997, p. 29). C’est ainsi qu’une région transfrontalière suppose une extension au-delà des limites des Etats. Les régions frontalières en Amérique Centrale sont marquées par la proximité et la continuité culturelle et environnementale (Morales, 2010, p. 187), elles font preuve d’une complémentarité d’intensité variable qui instaure des comportements similaires chez les « frontaliers » (Machado de Oliveira, 2009, p. 14). Pour certains auteurs (Granados, 2000; Machado de Oliveira, 2009; Matul, 2007; Morales, 2010; Vanneph, 1997) ces conditions peuvent entraîner une « translocalité» ou un « régime de voisinage transfrontalier » qui repose sur l’existence de liens de proximité entre les habitants des régions frontalières. Ces habitants, malgré le fait d’être des citoyens d’Etats différents, partagent des caractéristiques culturelles et un passé communs, ainsi que des échanges commerciaux plus ou moins importants. Ce voisinage se base aussi sur le fait que les résidents de ces régions partagent les mêmes écosystèmes et souvent les mêmes problématiques. L’existence de rapports de voisinage rend plus facile le développement de projets de coopération. Cependant, il convient de préciser que la présence de voisinages transfrontaliers est une condition parmi d’autres qui peut rendre ces régions transfrontalières. 96 Pour revenir précisément à nos deux régions d’étude, nous ne tenons donc pas pour acquis de départ qu’elles sont transfrontalières, et nous nous attacherons à démontrer que ce sont les liens et les échanges formels ou informels qui se mettent en place qui sont transfrontaliers, et que, bien que ces régions aient de degrés d’intégration formelle limités et inconstants, autour d’elles s’articulent d’importants réseaux d’acteurs qui mettent en place des nombreuses dynamiques d’intégration fonctionnelle et de coopération transfrontalière. Ces dynamiques transfrontalières dépassent les lignes de séparation et permettent une certaine intégration entre ces deux régions frontalières (Morales, 2010, p. 186). Si l’on se penche sur les nombreuses études sur les régions transfrontalières européennes, on note qu’elles supposent qu’une condition essentielle est d’avoir une frontière apaisée (absence de conflits), poreuse et reconnue par les Etats qui la partagent (Reitel et Zander 2004, p. 2). Les contrôles doivent être moins restrictifs (ils deviennent de plus en plus sporadiques), le nombre de points de passage augmente et il doit y avoir un certain degré d’institutionnalisation. Le programme phare sur lequel repose cette conception des frontières est le Programme INTERREG, conçu et financé par l’Union Européenne. INTERREG encourage et finance des projets transfrontaliers au titre de la politique structurelle communautaire (Denert & Hurel, 2000, p. 4).. La frontière se présente comme un territoire transitoire fortement intégré appelé Eurorégions, c’est-à-dire des « organisations européennes de coopération plus ou moins structurées, de part et d’autre d’une frontière, entre des collectivités allant de la commune à la région ou leurs équivalents, associées pour la réalisation d’objectifs et de projets communs » (Perrin, 2011, p. 1). Cependant, ces caractéristiques correspondent à des espaces dont les dynamiques transfrontalières sont formalisées et souvent institutionnalisés par tout un système d’intégration très consolidé et très structuré. Les contrôles douaniers sont presque inexistants et le flux de personnes est fluide et sans restrictions. Ceci est le cas des régions transfrontalières localisées notamment dans l’espace Schengen. Néanmoins ces caractéristiques ne sont pas partagées par toutes les régions frontalières. Les espaces frontaliers centraméricains par exemple ont une importante porosité et sont très interdépendants. Mais dans leur cas, la porosité, la proximité et le manque de contrôle de certains fragments frontaliers ne sont pas forcément le résultat de la volonté politique des Etats ou des gouvernements locaux, mais plutôt l’expression de l’abandon et d’une forme de négligence de la part des autorités. Le passage et les échanges se font généralement de façon informelle et même parfois illégale : la frontière, même si elle est reconnue par les gouvernements centraux, est quotidiennement transgressée par les résidents frontaliers. La 97 proximité et l’interdépendance sont vécues comme quelque chose de naturel et même comme un moyen de survie. Malgré cette proximité informelle, la coordination institutionnelle reste, elle, dans le cas des régions des frontières centraméricaines, encore un important défi. Dans cette optique, nous ne parlerons pas de régions transfrontalières, mais de dynamiques transfrontalières, conçues par Fourny et Amihat-Szary (2006, p. 9), comme « ce qui se passe à la frontière quand la ligne séparatrice ne prétend plus bloquer les pratiques et le sentiment d’appartenance ». Comme nous l’avons déjà évoqué, les dynamiques transfrontalières peuvent être à la fois légales ou illégales, et coopératives ou conflictuelles. La frontière est un espace qui permet cette ambivalence : comme l’affirment Picouet et Renard, la frontière est un espace « catalyseur de malentendus, de conflits, d’idées préconçues et de prévarications. Mais elle peut devenir un lieu de transformation de l’identité, une identité de passage » (Picouet et Renard 2007, p. 21). Les frontières sont ainsi des lieux où se se mettent en place simultanément des dynamiques de continuité (coopération) et discontinuité (altérité, tensions, conflits). Un des objectifs de départ de cette thèse est d’identifier et d’analyser, dans le Chapitre 4, les dynamiques de coopération et de conflit transfrontalières qui se mettent en place, c’est à dire qui ne se limitent pas à une région de frontière sise dans un seul pays, mais qui impliquent des acteurs et des intérêts localisés de part et d’autre de la frontière. La mise en avant de la dimension transfrontalière fait partie des thèmes portés par le Système d’Intégration à travers ses nombreux accords et projets, qui font appel à cette nouvelle image 46 des frontières. Dans les documents de cette organisation, le développement et l’importance environnementale de frontières sont deux domaines très évoqués et ils sont souvent mobilisés pour encourager la coopération et l’intégration. En effet, nous avons pu observer ce lien entre environnement et développement dans de l’Accord de Coopération pour exécution d’un Programme de Développement Intégral des Régions Frontalières, lequel évoque dans ces objectifs spécifiques : 1. Le développement d’une infrastructure de services publics, 2. le développement institutionnel des mairies et des organisations locales frontalières, 3. L’encouragement d’un développement durable (éco-tourisme) et de l’aménagement du territoire, 5. La protection des les ressources naturelles (forêts, eau, bassins) (Accord pour le Développement Durable Frontalier en Amérique Centrale, 1995, p. 1). En plus, cet accord 46 Les document étudiés sont la Stratégie Centraméricaine de la Gestion Intégrée de Ressources en Eau (ECAGIRH) 2010, Accord de Coopération pour exécution d’un Programme de Développement Intégral des Régions Frontalières 1995 98 déclare que le développement durable des frontières « est un instrument puissant pour l’intégration de nos peuples… » (Ibid, 1995, p. 1). Nous analyserons maintenant cette tendance à la « naturalisation » des frontières, en cherchant à démontrer qu’elle répond à des courants de pensée internationaux qui ont reconnu l’importance environnementale des régions frontalières, avec le développement de projets de conservation et la création d’espaces protégés transfrontaliers. Ces derniers ont été présentés comme un patrimoine naturel universel à conserver et gérer non seulement par les Etats, mais aussi par les autorités régionales et internationales. Nous souhaitons montrer comment ces courants ont influencé le discours du Système d’Intégration Centroaméricain et comment cette nouvelle sémantisation des frontières a attiré l’attention d’autres acteurs exogènes à la région. 99 Figure 3 Frise chronologique: L’intégration centraméricaine 1950-2008 1960 Traité Général d’Intégration Economique 1977- 1979 Révolution 1992 Accord 1991-1996 Accords de Paix Centraméricain Nicaraguayenne de Paix El Guatemala Salvador 2007 Accord de 1991 Création du Libre Echange CA- 1960 1958 Traité Système EEUU Création Marché 1981- 1984 Multilatéral de Libre d’Intégration Commun Guerre Civile 1990 Commerce et Centraméricain Centraméricain Salvadorienne Accord de Intégration (SICA) (MCCA), SIECA et du Paix Economique (Remplace BCIE d’Antigua l’ODECA) 1950-1969 1970-1986 1987-1990 1990-2000 Première étape Conflits armés Processus Deuxième étape Accords de d’intégration de Paix d’intégration Libre Echange Commerce et Industrialisation Construire la paix et démocratie Commission Centraméricaine 1969 pour le Développement et Guerre du 1986 1950 Création de 1983 l’Environnement (CCAD) Football Esquipulas I l’Organisation Création du d’Etats groupe de 1990 SYAPAZ Centraméricains Echec du Contadora (ODECA) MCCA 1993 ALIDES 1987 Esquipulas II 1995 Accord pour le Développement des régions de frontières 100 2. Les frontières et l’environnement : le retour des frontières naturelles? « Pourquoi invoquer la nature quand on manie l’artifice ? » Bernard Debardieux 2.1. Le discours de la naturalisation des frontières Selon M. Foucher, il existe une tendance historique à qualifier de « naturelles » les frontières qui ont été tracées en utilisant comme support des configurations physiques, c’est à dire les accidents naturels (les rivières, les massifs, entre autres) et de frontières « artificielles », celles ayant des tracés rectilignes sans repères physiques. Les tracés qui suivent des configurations hydro-topographiques ont souvent été choisis pour leur visibilité sur le terrain et la facilité de s’appuyer sur des points de repère (Foucher, 1991, p. 41). Le lien entre les frontières et la nature n’est pas récent, mais il a évolué à travers le temps, et encore aujourd’hui, il provoque de nombreux débats dans la communauté scientifique. Le processus de naturalisation des frontières apparaît comme « un moyen privilégié […], le plus efficace de relier et de légitimer les frontières […] et de suggérer qu’elles vont de soi » (Velasco-Graciet et Bouquet 2006, p. 11). S’est en effet instauré une vision déterministe de l’influence de la topographie sur l’organisation politique (Fall, 2009, p. 202) qui présente les frontières « comme une réalité qui existait déjà qu’il suffit juste de la découvrir » (Fall, 2009, p. 204). Cette naturalisation trouve ses racines dans la Philosophie des Lumières, avec le besoin de faire appel à des formes naturelles pour dessiner les limites des territoires et pour avoir ainsi des limites durables, visibles et cartographiables. Le lien entre frontière et nature a ainsi été instrumentalisé dès le XVIIIe siècle pour délimiter les Etats. Il a servi de fondement identitaire et a été utilisé pour promouvoir l’unité nationale. L’idée de frontière naturelle impliquait que les tracés frontaliers aient comme support un cours d’eau, un marécage, une forêt, ou encore un alignement de crêtes et de cols, c’est-à-dire un élément naturel qui impose une certaine discontinuité. Ces supports naturels ont été mobilisés dans les processus de construction nationale comme un élément incontournable qui permettait la différentiation territoriale (Picouet & J. P Renard, 2007, p. 41). 101 En faisant appel à la nature, on donne en effet de l’« objectivité apparente » à la frontière, elle devient un symbole, un mythe, une réalité incontestable qui se formalise au travers des lois et des traités. Ce discours octroie à la frontière légitimité et immutabilité (Fall, 2009, p. 202) et permet d’occulter son caractère historique (Fourny, 2005, p. 101). Pour M.C. Fourny, la frontière naturelle est une conception fondée « dans la raison et dans l’émotion », puisque la nature est présentée comme un symbole de l’identité nationale et dans le même temps comme un modèle universel, une valeur et un réfèrent commun, une « source émotionnelle » qui mobilise et qui crée un « sens politique » au territoire (Ibid, p. 102). La frontière naturelle est devenue un concept dominant, rationalisé et technisé, presque irréfutable, largement justifié à travers un argumentaire scientifique (lois naturelles) et en faisant appel à la raison. En ce sens, la nature devient une figure fondatrice du territoire national, puisqu’elle permet de fixer la frontière dans le temps et dans l’espace (Ibid, p. 100). Postérieurement, cette naturalisation de la frontière a été fortement réfutée par des géographes comme Elysée Reclus, lesquels ont considéré ce lien comme manipulatoire et ont insisté sur la non existence de frontières dites naturelles (Ibid, p. 101). Foucher souligne ainsi que les frontières sont des constructions sociales (Foucher, 1991, p. 41), c’est à dire des créations de l’humanité et donc toutes artificielles sans exception. Dans ce but, les géographes estiment aujourd’hui que les frontières dites naturelles sont des limites politiques et juridiques « calées sur des discontinuités identifiées dans la nature, des limites naturalisées » (Debardieu, 2006, p. 78). Les frontières sont ainsi un objet spatial artificiel, susceptible de changement et elles ont une légitimité qui repose sur des « mythes fondateurs » irréels invoquant un passé commun et un ordre naturel préexistant. 2.2. La nature dans la représentation de l’espace transfrontalier : de l’influence des courants internationaux dans le changement de sens des frontières : conservationnisme vs préservationnisme “L’homme a besoin de la nature pour produire des mythes qui lui rendent supportables la fragilité des choses qu’il a créées”. Claude Raffestin (Raffestin, 1996, p. 38) De façon générale, il existe un consensus par rapport au caractère artificiel des frontières à partir des années 1960. On constate en même temps cependant une réintroduction de la nature dans les discours, mais cette fois dans une optique de protection de l’environnement, 102 notamment pour la création d’espaces protégés. Cet intérêt croissant a été encouragé particulièrement par un groupe d’ONG internationales (Union Internationale pour la Conservation de la Nature47, World Wild Life Fund, The Nature Conservancy, entre autres) qui ont suscité l’émergence de la question environnementale. B. Debardieux montre comment, à partir de la décennie 1960, on confère à des objets spatiaux « naturels » (montagnes, forêts, milieux humides…) des valeurs symboliques et institutionnelles (Debardieux, 2006, p. 79). Avec l’essor des discours pour la protection de l’environnement, « la nature » devient un enjeu partagé et universel qui renvoie encore une fois à un lien préexistant, la nature étant considérée comme ne connaissant pas de limites et traversant par conséquent les frontières. Cette continuité de la nature transforme le statut de « limite » et oblige, au moins dans le discours, à redéfinir les frontières politiques et à restructurer les coopérations. Dans ce sens, M-C. Fourny affirme : « La nature semble aujourd’hui constituer un objet essentiel de redéfinition des frontières politiques, en tant qu’enjeu partagé et objet de politiques communautaires certes, mais aussi aux échelles locales, en structurant des coopérations et en reconfigurant des espaces transfrontaliers » (Fourny, 2005, p. 97). Deux courants écologiques proposent deux conceptualisations différentes de la nature ainsi que deux façons différentes de la gérer. La préservation radicale apparaît au XIXe siècle, comme un courant idéologique qui veut préserver la nature sans la fréquentation de l’être humain. Ce mouvement environnementaliste s’est inspiré du courant de pensée anglo-saxon magnifiant la wilderness48. Ce terme de wilderness qui vient de la tradition protestante des colons britanniques lors de leur arrivée au continent américain, représente la nature « sauvage » (Roué, 2006, p. 287), «un milieu rebutant et dangereux » (Da Lage & Métaillé, 2000, p. 569). La nature ainsi perçue comme espace à découvrir devait être dominée, civilisée et mise au service de l’Homme. La notion de wilderness a été une notion fondatrice de l’identité étasunienne, avec la notion de frontier qui évoquait ce front pionnier mouvant qui séparait les « lieux civilisés, déjà transformés et pacifiés » de ceux où dominait la nature (Roué, 2006, p. 290). Une perception positive de cette nature sauvage apparaitra à partir XVIIe-XVIIIe siècle en Europe et au XIXe siècle aux Etats Unis, avec le Romantisme qui en fait un thème central. Des philosophes comme Kant, Rousseau, Montaigne et Voltaire, admirateurs de la Nature, mettent en valeur la nature sauvage en la présentant comme un idéal (Drouin, 1991, p. 178). 47 La première organisation internationale intéressée par la protection de l’environnement et qui a encouragé la création d’espaces protégés a été l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature qui a été créée en 1947 avec la participation de la Société Civile et 23 Etats. 48 Nous gardons l’expression en anglais car elle est couramment pas traduites dans les textes scientifiques. 103 Suite à la Déclaration d’indépendance des Etats Unis, la nature sera instrumentalisée par les intellectuels étasuniens dans le processus de construction de leur nation. La nature est présentée comme une richesse qui différencie les Etats-Unis de la vieille Europe. Marie Roué décrit ce phénomène ainsi : « Comment se comparer à l’Europe ? Il n’y avait qu’un point sur lequel ils pouvaient non seulement rivaliser, mais même prétendre la supériorité. Rien de semblable au wilderness, à cette sauvagerie originelle apportant la pureté qui n’existait pas dans la vieille Europe, vouée à la corruption » (Roué, 2006, p. 295). La version moderne de ce courant perçoit la nature comme un sanctuaire ou un wildnerness sanctuary 49 qui doit être géré par une « élite » d’élus, de scientifiques et militants préservationnistes, excluant l’Etat et les autochtones qui sont considérés comme nuisibles. Ce courant de protection de la nature a donné naissance au modèle de parcs nationaux. Les parcs naturels selon cette logique, doivent rester intouchables et réservés à quelques spécialistes. Cependant, ce courant est mis en doute par un autre courant, le conservationnisme, courant influencé par la modernité et qui propose plutôt « une gestion prudente et mesurée » des ressources naturelles pour des fins spécifiques. Il propose un type de protection intégrant les activités humaines (Da Lage & Métaillé, 2000, p. 141). Une branche du conservationnisme, le ressourcisme voit la nature comme une ressource matérielle qui est conservée mais à des fins d’exploitation (réserves forestières) (Guyot et Dellier 2011, p. 116). Une des conséquences les plus importantes de ces débats, est l’introduction de la notion de patrimoine, la nature étant perçue ainsi comme un bien précieux universel. Le patrimoine repose sur l’idée de la transmission des biens entre les générations, sous forme d’un héritage légué (Humbert & Leveuvre, 1992, p. 287). La notion de patrimoine naturel a été défini par l’UNESCO en 1972 dans sa Convention Relative à la Protection du Patrimoine Mondial Culturel et Naturel, comme « des monuments naturels, des formations géologiques et physiographiques, les zones strictement délimitées constituant l’habitat d’espèces animales et végétales menacées, et des sites naturels ou des zones strictement délimitées, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science, de la conservation ou de la beauté naturelle ». Le concept de patrimoine contient deux dimensions très importantes, celle de « long terme », puisqu’il s’agit d’un héritage à transmettre de génération en génération, et celle de « propriété collective » (Humbert & Leveuvre, 1992, p. 292). Deus modalités pour conservé ce patrimoine naturel surgissent, d’un côté il y a la conservation in situ c’est à dire dans des espaces délimités et protégés, et d’un autre côté la 49 Un espace qui échappe aux acquis de l’humanité, c’est à dire une nature sauvage. 104 conservation ex situ dans des laboratoires ou des jardins botaniques (Dajoz, 1996, p. 535). C’est ainsi que la figure de parc naturel national est introduite, dont initialement l’Etat est le responsable de la conservation pour le « bien de la nation et de l’humanité », et dont le modèle de parc national va être universalisé et développé dans le monde entier (Guyot & Dellier, 2011, p. 116). Ces parcs seront gérés par des spécialistes, des « experts » qui contrôlent et gèrent la flore, la faune et les visites. La société civile internationale et les agences internationales d’aide auront un rôle très important en intervenant dans ce processus en tant que bailleurs de fonds et experts. Cependant, progressivement, la capacité des Etats de gérer ce patrimoine naturel d el’humanité, est mise en doute. C’est ainsi que des ONG environnementalistes apparaissent comme les acteurs idéaux pour gérer ces « terres immaculées » (Guyot et Dellier 2011, p. 114). Ceci a été le cas de l’UICN, laquelle crée en 1958 une commission d’experts appelée initialement la Commission des Parcs Nationaux et Aires Protégées qui deviendra, en 1996, la Commission Mondiale des Aires Protégées (CMAP). La CMAP est aujourd’hui un réseau d’experts qui cherchent à encourager la création et la gestion d’aires protégées (IUCN Protected Areas Programme, 2010, p. 3). En outre, cette Commission est à l’origine en 1962 de la Première Conférence Mondiale de Parcs Nationaux qui eut lieu à Seattle, deux ans avant 50 le vote du Wilderness Act aux Etats-Unis. Par la suite, l’UICN et la CMAP ont été les responsables de la mise en place de toute une catégorisation des aires protégées, en établissant des différentes méthodologies d’intervention selon le type d’aire protégée. Il est important d’évoquer cette typologie d’aires protégées, parce qu’elles comptent parmi les premières méthodologies de gestion de l’environnement qui ont été produites à l’échelle globale et que par la suite ont été internationalisées grâce aux organisations internationales. Nous traiterons ce transfert de méthodologies dans la troisième partie de cette thèse. 50 Le modèle wilderness contemporain héritier de courant, a été défini et formalisé en 1964 par le Wilderness Act aux Etats Unis, lequel définit la wilderness comment « un espace où terre et la communauté de vie ne sont pas entravées par l’homme, où l’homme lui-même n’est qu’un visiteur qui ne reste pas » (Da Lage & Métaillé, 2000, p. 569; Roué, 2006, p. 287). 105 Tableau 8 Catégories d’aires protégées définies par l’UICN Catégorie Nom Caractéristiques Catégorie 1 Réserve Naturelle Stricte Aire protégée gérée pour des fins principalement / Aire Naturelle Silvestre scientifiques ou de protection de la nature. Toute activité est interdite. Catégorie 2 Parc National Aire protégée de conservation stricte des écosystèmes qui peut aussi avoir des fins de récréation. Catégorie 3 Monument National Aires protégées pour la conservation de caractéristiques naturelles spécifiques. La récréation est admise Catégorie 4 Aire de Gestion d’Habitat Aire protégées de conservation avec un ou d’Espèces administrateur qui intervient soit pour conserver soit pour restaurer les écosystèmes. Catégorie 5 Paysage terrestre et Protection et récréation. Les paysages sont Marin Protégé habités et il y a présence de cultures agricoles et d’autres formes d’usage de la terre. Catégorie 6 Aire Protégée avec des C’est une réserve de usage durable, c’est une ressources réserve qui admet l’usage des ressources par les populations locales Source : Catégories d’Aires Protégées, UICN, 2000, p. 5) Il est important d’insister sur le fait que ces courants sont produits depuis les pays du Nord et s’appliquent ensuite dans les anciennes colonies et les « nouveaux pays », mettant ainsi en place un transfert du Nord vers les Sud de stratégies de conservation. Il convient juste de signaler que le premier parc naturel est celui de Yellowstone en 1872 aux Etats-Unis, suivi du Royal National Park en Australie en 1879. C’est dans ce contexte qu’une séparation entre l’écologue, c’est-à-dire le scientifique, et l’écologiste, c’est-à-dire le militant de l’écologisme et de l’écologie politique, se mettra peu à peu en place (Drouin, 1991, p. 191; Roué, 2006, p. 287). L’écologisme devient un mouvement plus massif qui se charge de « vulgariser » le savoir produit par ces scientifiques et experts, et de mobiliser l’opinion publique face à la « crise de l’environnement ». Nous étudierons plus en profondeur le rôle de ces experts et des communautés épistémiques dans le chapitre 6 de cette thèse, cependant nous essayerons brièvement de définir ce que nous comprenons par expert. L’expert peut être un scientifique où un technicien, ou juste une personne qui a une expertise reconnue. L’expert joue le rôle de traducteur entre le savoir et la société, il intervient “au nom de son expérience particulière” et de ses compétences qui lui octroient de l’autorité (De Certeau, 1990, p. 21), pour conseiller, influencer, entre autres. Cependant rien ne s’oppose à ce qu’une même personne puisse assumer ces deux rôles au même temps, puisque dans la réalité les acteurs individuels jouent souvent plusieurs rôles à la fois. 106 Face à la crise économique des années 1970, et dans un contexte global néolibéral qui remet en cause l’Etat providence et encourage la libre circulation des marchandises, les déréglementations, la réduction de l’Etat, les programmes d’ajustement structurels et la flexibilisation du travail (Alphandery, Djama, Fortier, & Fouilleux, 2012), apparaît la notion de développement durable. Il convient de signaler que les initiatives et les projets portés par le Système d’Intégration Centraméricain et par la coopération pour la conservation de l’environnement étudiés tout au long de cette recherche s’inscrivent plutôt dans le courant du développement durable, puisqu’ils intègrent des actions de conservation pour l’environnement et dans le même temps ils encouragent le développement des activités productives qui puissent faire face à la 51 situation de pauvreté des régions frontalières. L’expression développement durable apparaît pour la première fois en 1987 dans le rapport Brundtland qui doit son nom à Gro Harlem Brundtland, présidente de la commission de rédaction. Ce rapport demandé par les Nations Unies à la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement avait pour objectifs de proposer des stratégies pour assurer le développement durable à long terme, de recommander des méthodes pour que l’intérêt porté à l’environnement se traduise en coopération nord-sud, et d’envisager les moyens pour que la communauté internationale puisse faire face aux problèmes de l’environnement et définir les efforts qu’il conviendrait de déployer pour protéger l’environnement » (CMED, 1987). Pour le Rapport Brundtland, le développement durable n’est « pas un état d’équilibre, mais plutôt un processus de changement dans lequel l’exploitation des ressources, le choix des investissements, l’orientation du développement technique ainsi que le changement institutionnel sont déterminés en fonction des besoins tant actuels qu’à venir » (CMED, 1987, p. 1). Pour satisfaire les besoins essentiels, le rapport conseille d’articuler la croissance économique, la répartition de la richesse et il insiste sur l’importance de systèmes politiques qui garantissent « la participation populaire à la prise de décisions ainsi qu’une « démocratie plus efficace ». En outre, le rapport met en avant le besoin de respecter « les limites écologiques notamment en matière de consommation d’énergie et de croissance démographique, la démographie et la croissance économique devraient « évoluer en harmonie ». 51 Nous analyserons dans le chapitre 6 le discours que ces organisations ont par rapport au développement durable. 107 C’est ainsi que originellement la notion de développement durable prend en compte « le social et l’environnement au côté de l’économique et la mise en place de modes de décisionnels plus inclusifs » (Alphandery et al., 2012, p. 9) qui permettent une conservation plus participative intégrant les besoins des populations (Guyot et Dellier 2011, p. 117). Cependant la définition issue du Rapport Brundtland est restée très large, ce qui a facilité l’apparition au fil des ans de nombreuses interprétations qui aboutiront à différentes approches, certaines plus restrictives et conservatrices et d’autres plus innovatrices (Gendron & Gagnon, 2011, p. 8). Les courants plus restrictifs proposent un modèle de développement durable plus traditionnel qui cherche seulement à rapprocher « le développement économique et la protection du capital naturel », tandis que les approches plus innovatrices incluent les « préceptes d’une société plus juste et équitable », c’est à dire une vision plus centrée sur la qualité de vie de l’être humain (Gendron & Gagnon, 2011, p. 8). Le cas particulier des aires protégées transfrontalières Face aux débats liés à la mondialisation et à l’intégration régionale, la notion de Parc National a évolué. Depuis la fin des années 1970, les organismes intergouvernementaux (OIG) ainsi que les ONG internationales mettent en évidence l’importance environnementale des régions frontalières dans le monde dans des Sommets et des réunions. On peut citer la création de l’Initiative de Parcs pour la Paix dès 1977 par l’UICN, l’Atelier de Travail sur des Parcs Frontaliers à Banff au Canada en 1988, ou encore la Conférence Internationale de l’UICN sur les Aires Protégées Transfrontalières pour la Coopération Internationale à Cape Town en Afrique du Sud en 1997. Il est intéressant de constater que durant ces évènements, la communauté internationale propose l’effacement des frontières en arguant du fait que la conservation de la nature l’emporte par rapport aux divisions politiques. Le besoin de mettre en place des Parcs Naturels Transfrontaliers a été souvent justifié par le besoin de contrôler et des pacifier des zones auparavant sujettes à conflits. Dans ce sens, Sylvain Guyot affirme qu’à fin de gérer de façon partagée et pacifique ces ressources frontaliers, il y a eu une tendance mondiale de promouvoir la création de « territoires de la nature » comme des parcs naturels : « La création des territoires de la nature est souvent liés à des enjeux de pouvoir et des conflits d’usages qui positionnent les projets de parcs et de réserves au cœur de processus géopolitique » (Guyot & Dellier, 2011, p. 118). Ces parcs naturels placés dans des régions frontalières ont été employés comme des « outils de contrôle » pour fixer le territoire national. Ces territoires ont eu ainsi d’un côté le rôle de contrôle et de défense : « Les objectifs poursuivis par les Etats dans cette politique « défensive » de la nature sont doubles : stabilisation de leurs régions limitrophes tout en 108 utilisant la nature comme symbole nationaliste ; et le contrôle par l’Etat de régions périphériques où des autochtones ont été auparavant extraits des zones protégées » (Guyot & Dellier, 2011, p. 119).. Ces territoires de la nature se sont aussi constitués comme de peace parks, c’est-à-dire, des espaces auparavant conflictuels, qui sont requalifiés comme des symboles de paix. Ces espaces susceptibles à la coopération sont également, des zones tampon, notion qui sert « à délimiter une portion de nature au service d’un projet politique dans le cadre des tensions frontalières internationales » (Ibid, 2011, p. 119). La création d’aires protégées transfrontalières est aussi justifiée par l’approche éco- systémique à travers lequel l’environnement localisé sur les frontières est perçu comme un écosystème qui a été divisé de façon artificielle par l’homme. Le concept d’écosystème développé par le biologiste A.G. Tansley en 1935 et repris par Linderman en 1942, définit un ensemble indissociable de l’organisme et de son milieu, c’est à dire une unité de base de la nature (Serpantié et al., 2012, p. 7) qui ne peut pas être divisé. La Convention sur la Diversité Biologique (1992) des Nations Unies définit dans son Article 2 un écosystème comme « le complexe dynamique formé de communautés de plantes, d'animaux et de micro-organismes et de leur environnement non vivant qui par leur interaction, forment une unité fonctionnelle » (Nations Unies, 1992, p. 4). Dans ce sens, des organisations internationales comme l’UICN ou TNC ont repris ce discours et encouragent la conservation des écosystèmes frontaliers à travers la définition de Parcs Transfrontaliers, pour ainsi encourager les Etats qui les partagent à coopérer. Les espaces frontaliers autrefois perçus comme inoccupés, comme des « no-mans lands » vides d’intérêt, se retrouvent ainsi requalifiés matériellement et symboliquement par la présence de la nature (Fourny, 2005, p. 111) qui est présentée comme un préoccupation universelle qui doit encourager la solidarité entre ceux qui partagent cet espace transfrontalier (Ibid, p. 105). La nature n’est plus conçue comme un objet qui « sépare », mais plutôt comme un objet qui crée des liens, faisant ainsi émerger une nouvelle sémantisation de la frontière (Ibid, p. 98). M.C. Fourny fait appel à la notion de « région naturelle » pour analyser les régions frontalières. Cette notion se base sur le fait que « la nature est le fondement d’une culture régionale d’extension transfrontalière. Cette notion « valorise les découpages géographiques larges et englobants, dotés d’une forte légitimité (…). La loi naturelle doit l’emporter sur les divisions humaines, la nature ne reconnaît pas les frontières » (Ibid, p. 109). Ces régions frontalières sont conceptualisées comme une nouvelle sorte d’espace public immatériel, où 109 s’établissent des échanges et où les Etats et la communauté internationale sont les responsables de les gérer et de les conserver (Ibid, p. 109). La reconnaissance d’une nature partagée est un des critères (tout comme celui de la continuité culturelle) qui intervient dans l’identification des espaces transfrontaliers. La nature comme un élément transfrontalier justifie la mise en place d’opérations de coopération, entre des structures environnementalistes et des institutions qui mettent en place des actions qui traversent souvent la frontière. C’est ainsi que la dimension écologique de l’espace transfrontalier justifie la coopération (Ibid, p. 107). La nature est ainsi objectivée par ce discours, qui propose de dépasser les divergences politiques et de mettre en place des actions pour harmoniser les pratiques et les formes de gestion. L’espace naturel frontalier dépasse le local et le national, puisqu’on lui a attribué une valeur globale (Ibid, p. 108). C’est ainsi que M.C. Fourny propose trois aspects qui permettent le passage de la « représentation de la discontinuité à la continuité territoriale » (Ibid, p. 111) : la continuité physique, la « re-sémantisation » de l’espace de séparation et la « requalification de la limite » (Ibid, p. 111). La région naturelle devient un espace de rencontre qui a une valeur patrimoniale pour les pays qui la partagent, un patrimoine qui est traversé quotidiennement de différentes façons et qui est peut être relié par des sentiers transfrontaliers, des trames vertes, des corridors biologiques et des activités comme le tourisme « vert » à échelle transfrontalière. Un exemple emblématique de ce processus de requalification des frontières a été entrepris par l’UICN à travers l’initiative Parcs pour la Paix, comme un instrument pour encourager la création d’aires protégées transfrontalières et ainsi « consolider la coopération régionale pour la conservation de la biodiversité, la prévention et la résolution des conflits, la réconciliation, et le développement durable au niveau régional » (Sandwith et al., 2001, p. 4). L’UICN comptabilise 800 aires naturelles protégées positionnées sur des régions frontalières. Pour l’UICN, une Aire Protégée Transfrontalière (TBPA) est « une étendue de terre et/ou de mer qui est à cheval sur une ou plusieurs frontières entre des États, des unités sous-nationales telles que des provinces et des régions, des zones autonomes et/ou des zones qui tombent en dehors des limites de la souveraineté ou de la juridiction nationales, dont les parties constitutives sont spécialement consacrées à la protection et à la conservation de la diversité biologique et des ressources naturelles et culturelles qui y sont associées, et gérée en coopération par des moyens juridiques ou par tout autre moyen efficace» (Ibid., p. 6). Cette initiative portée par Commission Mondiale des Aires Protégées (CMAP) de l’UICN, le Programme sur les Aires Protégées (PAP) de l’UICN, la Commission du Droit de 110 l’Environnement (CEL) de l’UICN, et la Fondation des Parcs de la Paix (Peace Parks Foundation) cherchait une gestion coopérative, à travers des conventions et des accords nationaux et internationaux entre des Etats et avec les personnes résidentes sur ces frontières pour ainsi promouvoir des échanges systématiques de communication et des relations de « bonne volonté » (Mittermeier et al., 2005, p. 30). Les Parcs pour la Paix cherchent à être non seulement des espaces de conservation mais aussi des instruments qui peuvent accroître les rapports de confiance et de coopération entre les pays, la société civile et les agences de coopération, et surtout prévenir des conflits potentiels (Sandwith et al., 2001, p. 8). L’objectif était aussi de mettre en place des programmes de coopération et de gestion plus actifs et efficients pour ainsi assurer l’accès et l’usage équitable des ressources naturelles, pour ainsi augmenter les bénéfices partagés (Ibid., p. 8) 2.3. La « naturalisation » des frontières en Amérique Centrale : le rôle de la Commission Centraméricaine de Développement et Environnement (CCAD) Comme nous l’avons exposé antérieurement, en Amérique Centrale beaucoup de frontières ont été tracées sur des supports naturels. Ces espaces frontaliers sont restés peu urbanisés, peu peuplés et concentrent aujourd’hui de fait une importante biodiversité. La conservation de ces régions frontalières n’est pas le résultat de politiques de conservation nationale, mais plutôt du délaissement des gouvernements, lesquels avaient tourné le dos à leurs régions périphériques. Même si l’Isthme ne représente que 1% de la surface terrestre, il concentre 8% de la biodiversité de la terre. Sa richesse naturelle s’explique d’abord par sa position de pont qui a permis le passage de la flore et de la faune entre l’Amérique de Nord et du Sud, et également par les variations d’altitude qui occasionnent l’existence de différents types de climats (Jimenez-Hernandez, 2002, p. 2). On estime que 40,4% des forêts de l’isthme, ainsi que 40% des 400 aires protégées de l’Amérique Centrale (Ibid., p. 7) sont localisées aux frontières, et celles-ci sont considérées comme les aires les plus riches de l’Isthme en termes de biodiversité. Dans ces régions frontalières nous pouvons identifier des réserves de la biosphère (Parc International La Amistad, Réserve Bosawas-Palpa Vans, etc.) des parcs nationaux (Cahuita), des refuges de vie sauvage (Los Guatuzos, Gandoca-Manzanillo, entre autres), des monuments nationaux (El Castillo) ou des sites Ramsar (cf. Tableaux 8 Catégories de Gestion selon l’UICN). Il convient de préciser que 6 des 25 marécages de la 111 région classés comme sites Ramsar sont aussi localisés sur ces périphéries. La carte 9 permet d’observer la coïncidence des aires protégées et des frontières en Amérique Centrale. Ces aires protégées frontalières sont celles qui ont les périmètres les plus étendus, sauf pour le cas du Salvador qui n’a pas d’aires protégées importantes sur ces frontières. En effet, le Salvador est les pays de l’Isthme qui a la plus petite surface forestière (287 000 mil hectares, face aux 2 605 000 ha du Costa Rica) (PRISMA, 2010, p. 60) comme conséquence d’un taux de déforestation et d’une densité de population (250 habitants /km2) très élevées qui est la plus 52 importante de la région . Le lien entre nature et frontières est ainsi très important en Amérique centrale. Grâce à la présence de cette richesse naturelle, les frontières ont été requalifiées et elles ont acquis une importante visibilité car elles ont été déclarées comme des régions prioritaires pour la conservation environnementale. Elles ont ainsi attiré l’attention non seulement des gouvernements, mais aussi du système d’intégration centraméricaine et de la coopération internationale. Les débats produits à l’échelle internationale par rapport à la conservation de l’environnement ont influencé profondément les accords et les projets produits par le SICA. L’environnement a un rôle déterminant et il est instrumentalisé pour encourager la coopération et l’intégration entre des pays. L’introduction des problématiques environnementales dans les débats régionaux autour des frontières durant les années 1990, a permis une nouvelle sémantisation des frontières, lesquelles auparavant étaient perçues comme des périphéries délaissées, et les a reconverties, au moins dans le discours, en sanctuaires naturels. Le fait que cette richesse naturelle soit localisée sur des régions frontalières a encouragé aussi qu’elle soit présentée comme un bien « universel » qui devait être géré de façon partagée et participative. La notion de coopération transfrontalière pour la gestion de l’environnement est apparue ainsi progressivement dans les accords et le discours du SICA comme un instrument pour encourager les acteurs nationaux et locaux à négocier et à construire ensemble. En outre, ces débats liés à l’environnement ont permis dans le même temps d’introduire des sujets plus sensibles comme la sécurité, la santé, la migration et l’éducation (Medina & Rodriguez, 2011). 52 http://www.fao.org/docrep/007/ae159s/ae159s04.htm et http://www.fao.org/docrep/007/ad680s/ad680s05.htm 112 Carte 9: Frontières et aires protégées en Amérique Centrale A l’échelle régionale, l’intérêt pour l’environnement s’est manifesté à travers la création de la Commission Centroaméricaine d’Environnement et Développement (CCAD) (Annexe 2 Texte fondateur), l’organe dédié du SICA. La CCAD a été créée par une convention le 12 décembre 1987 lors d’un sommet présidentiel qui s’est tenu à San Isidro de Coronado au Costa Rica. Durant ce sommet qui faisait partie du processus des négociations de paix dans l’Isthme (Esquipulas II), les pays centraméricains se sont engagés à faire « un usage responsable des ressources naturelles et à améliorer les conditions de vie des habitants de l’isthme à travers la conservation de l’environnement et le développement durable »(SICA, 1989, p. 1). Le fait que la CCAD ait été conçue dans le cadre des accords de paix est intéressant puisque cela met en évidence la volonté d’articuler la construction de la paix et la conservation de l’environnement. La CCAD est devenu l’organe responsable de coordonner à l’échelle régionale l’agenda environnemental, en reprenant les principes et les actions proposés par l’ALIDES. Son objectif principal est de contribuer au développement durable de la région tout en stimulant l’intégration et la coopération pour la gestion de l’environnement. Parmi ses principales fonctions, on peut identifier, 1. la formulation de stratégies régionales pour assurer la 113 protection du patrimoine naturel de l’Isthme qui se caractérise par une importante biodiversité, 2. la production de politiques environnementales et 3. la responsabilité d’encourager l’aménagement du territoire ainsi que la conservation des ressources naturelles. Pour la CCAD la conservation de l’environnement est un « élément fondamental qui peut dans un premier temps renforcer la paix dans l’Isthme et dans deuxième temps promouvoir l’intégration » (SICA, 1989, p. 4). En outre, la convention qui crée la CCAD dans son article 2, établit plusieurs thèmes prioritaires, comme l’éducation environnementale, le contrôle de la pollution urbaine, la gestion des forêts tropicales, la réduction de la vulnérabilité des pays de l’isthme, ainsi que la protection de bassins hydrographiques et écosystèmes partagés (SICA, 1989, p. 2). Ce dernier point est particulièrement important, puisque la protection et la gestion des bassins hydrographiques et des régions frontalières sont présentées comme des axes d’intervention privilégiés de la CCAD. Cette Commission est ainsi chargée de stimuler la collaboration entre les Etats centraméricains, de faciliter le transfert de politiques internationale et régionales vers les Etats et de chercher les fonds nécessaires pour mettre en place des projets de conservation en ces thématiques (Ibid, 1989, p. 2). Dans le cadre de notre recherche il est intéressant de constater que la CCAD a introduit dès sa création l’importance environnementale des frontières En plus, très rapidement la CCAD a identifié comme une problématique frontalière la nécessité de conserver et de gérer les bassins transfrontaliers. C’est ainsi que la CCAD introduit ces thématiques dans les débats régionaux, en convoquant à des forums comme le Forum Centroaméricain de l’Eau (2004) et en organisant des ateliers de sensibilisation comme l’Atelier Centraméricain sur la Gouvernance de Bassin Transfrontaliers (2004) (CEMEDE, 2004). En plus la CCAD a mis en place une initiative en 2003 pour l’intégration et harmonisation de l’information géographique en matière de ressources naturelles qui a permis d’identifier et délimiter les bassins transfrontaliers d’Amérique Centrale (GWP, 2011, p. 21). Depuis 1999 le principal instrument de la CCAD est son Plan Environnemental Régional (PARCA). Trois PARCA se sont succédés jusqu’à présent, d’une durée de quatre ans chacun. L’analyse du contenu de ces PARCA nous permet d’observer une importante évolution des fonctions et des actions de la CCAD, mais aussi des débats régionaux sur l’environnement. Le PARCA I (2000-2004), très inspiré par le courant du Développement Durable, a été consacré à l’opérationnalisation de l’ALIDES, tandis que le PARCA II (2005-2009) s’est intéressé à la création d’instruments pour la gestion environnementale. Par exemple, c’est pendant cette période qu’a été rédigée la Stratégie Centraméricaine pour la Gestion Intégrée de l’Eau 114 (ECAGIRH) 53 ainsi que le Plan pour sa mise en place. Le PARCA III 54 (2010-2014) (Comisión Centroamericana de Ambiente y Desarrollo, 2010) est consacré plutôt à la gouvernance environnementale et au travail intersectoriel, et la question de la participation d’acteurs à différentes échelles devient centrale. En outre, ce dernier plan fait particulièrement attention au travail avec la coopération internationale et au développement de davantage de partenariats publics et privés pour rendre durable la gestion de l’environnement. La CCAD reconnaît ainsi l’importance environnementale des régions frontalières et son intérêt se manifeste à travers plusieurs initiatives qui sont dirigées vers ces marges : des projets comme le Système International des Aires Protégées pour la Paix (SIAPAZ) et le 55 Projet Pro-Cuenca qui ont été mis en place sur le bassin du fleuve San Juan (cf. Encadré n.1). Le SIAPAZ est une initiative qui a émergé pendant les années 1970, lors de la Première Réunion Centraméricaine sur la Gestion des Ressources Naturelles et Culturelles, comme un projet de coopération entre les Etats centraméricains qui cherchaient initialement à conserver d’importantes ressources forestières tout au long des frontières , à peu près 130 000 hectares (Ramírez Brenes, 2002, p. 147). Le SIAPAZ a été réactivé par un accord intergouvernemental lors d’une réunion des ministres de l’environnement à la fin des années 1990 convoquée par la CCAD. Initialement, ce projet avait comme objectif la création de tout un système d’aires protégées « transfrontalières » pour ainsi promouvoir la paix et la coopération entre les nations et dans le même temps, le développement durable des régions frontalières. Ce projet voulait établir des commissions nationales et des commissions binationales pour encourager le rapprochement entre les fonctionnaires et les acteurs de la société civile de chaque pays. Malgré le soutient que ce projet a eu des ministères de l’environnement des différents pays centroaméricains et du SICA, il a été appliqué que sur le bassin du fleuve San Juan entre le Costa Rica et le Nicaragua. Cependant, cette expérience est importante, parce qu’elle permet d’illustrer cette « naturalisation » des frontières et leur instrumentalisation dans le processus de pacification de l’Isthme. Progressivement, dans les années 2000 les actions dirigées vers la conservation des écosystèmes frontaliers évoluent, et il est intéressant de noter qu’il existe une tendance à traiter les frontières à travers la question de la conservation des bassins transfrontaliers. Nous nous interrogerons sur cette nouvelle approche et chercherons à comprendre comment et pourquoi elle se met en place. Les frontières sont appréhendées de plus en plus en leur qualité 53 http://www.gwp.org/Global/GWP-CAm_Files/ECAGIRH%202010.pdf 54 PARCA III http://www.sica.int/ccad/parca.aspx?IdEnt=2 55 Nous étudierons en détail ces projets dans le quatrième chapitre. 115 de « bassins » transfrontaliers, pour celles concernées, c’est à dire un système naturel intégré qui comprend différents types de ressources (eau, forêts, marécages, faune, entre autres) et qui dépasse les limites frontalières. A travers l’analyse de ce tournant, nous cherchons à appréhender comment les notions de gestion intégrée de l’eau et de bassin sont introduites dans les projets et déclarations du système d’intégration centroaméricain. 2.4. L’introduction de la problématique de la gestion intégrée des bassins transfrontaliers La relation qui existe entre frontières et bassins hydrographiques en Amérique Centrale est très importante puisque comme nous l’avons déjà évoqué, les cours d’eau ont souvent été utilisés comme repères pour tracer les frontières. Ainsi, les régions frontalières comprennent souvent d’importants fleuves, qui constituent selon la CCAD, 23 bassins transfrontaliers en comptant les bassins entre le Mexique et le Guatemala. La carte 10 et le tableau 9 présentent la localisation et les caractéristiques en termes de superficie des différents bassins transfrontaliers centraméricains. Ces bassins transfrontaliers représentent plus d’un tiers (36%) du territoire centraméricain et ils concentrent les principales réserves d’eau douce de l’Isthme, ainsi que sa plus importante biodiversité (Kauffer, 2006, p. 10). Ces bassins transfrontaliers sont importants en termes géopolitiques, en tant que lieux de convergence, du point de vue des transports comme des ressources naturelles, vitales pour les populations et l’activité économique (énergie hydroélectrique, eau potable, pêche, agriculture et industrie). La localisation de ces ressources engendre des particularités, puisqu’elles doivent être partagées par les communautés habitant les deux rives, entraînant ainsi aussi bien des dynamiques de conflit que de coopération. 116 Carte 10 : Les bassins transfrontaliers en Amérique Centrale Tableau 9 Bassins transfrontaliers d’Amérique Centrale Bassin Pays qui partagent le Pourcentage de l’aire Aires en km2 bassin du bassin dans chaque pays Coatán Mexique 30 910 Guatemala 70 Suchiate Mexique 24 1400 Guatemala 76 Grijalva- Mexique 58 106 000 56 Usumacinta Guatemala 42 Candelaria Mexique 85 14 000 Guatemala 15 Hondo Mexique 29,7 14 600 Guatemala 29 Belize 41,3 Belize Belize 60 12154 Guatemala 40 Moho Belize 29 910 Guatemala 71 56 Le fleuve Usumacinta et le Grijalva sont en réalité le même fleuve. La Usumacinta naît au Guatemala et quand il traverse la frontière mexicaine il prend le nom de Grijalva. 117 Bassin Pays qui partagent le Pourcentage de l’aire Aires en km2 bassin du bassin dans chaque pays Temash Belize 85,5 476,4 Guatemala 14,5 Sarstún Belize 0,5 2009,5 Guatemala 99,5 Paz El Salvador 33 2647 Guatemala 67 Lempa El Salvador 67 18234,7 Guatemala 52 Honduras 16 Motagua Guatemala 80 15963,8 Honduras 20 Chamelecon Guatemala 29 5155 Honduras 71 Goascorán Honduras 47 2745,3 El Salvador 53 Choluteca Honduras 96 8133 Nicaragua 4 Negro Honduras 73 2371,2 Nicaragua 27 Coco Honduras 21 24 867 Nicaragua 79 Conventillos Costa Rica 70 17,55 Nicaragua 30 El Naranjo Costa Rica 5 50,60 Nicaragua 95 San Juan Nicaragua 28 42 200 Costa Rica 72 Colorado- Costa Rica 90 1282 57 Corredores Panamá 10 Sixaola Costa Rica 81 2848,3 Panamá 19 Changuinola Costa Rica 98 3388 Panamá 2 Jurado Colombie 76,4 1047 Panamá 23,6 Source : López & Hernández, 2009 Les débats autour de la conservation des ressources en eau et des aires protégées transfrontalières se multiplient depuis les années 1990, générant la mise en place d’autres processus de coopération. La gestion partagée des bassins transfrontaliers constitue ainsi un thème clé dans les discours sur l’intégration, motivant les Etats à coordonner des actions et à coopérer pour leur conservation (Medina & Rodriguez, 2011, p. 121). Durant les années 2000, la gestion intégrée de l’eau et plus particulièrement des bassins transfrontaliers sont devenus 57 Les fleuves Corredores et Colorado, sont aussi le même fleuve. Du côté costaricien, le fleuve s’appel Corredores et su côté panamien Colorado. 118 des sujets centraux pour le SICA, notamment avec la création de la Commission Régionale des Ressources Hydriques (CRRH) et la signature de la Stratégie pour la Gestion Intégrée de l’Eau en Amérique Centrale (ECAGIRH58). Le CRRH avait été créé en 1963 par le Comité de Coopération Economique pour l’Isthme Centraméricain, qui fait partie de la Commission Economique pour Amérique Latine (CEPAL) des Nations Unies. Originairement, le CRRH devait promouvoir un programme régional pour améliorer les services de météorologie et hydrologie. Cependant en 1991 avec la signature du Protocole de Tegucigalpa et la création du SICA, la CRRH est devenu un organisme spécialisé rattaché au SICA. Ces fonctions ont été reformulées, puisque le CRRH est désormais chargé de promouvoir la gestion intégrée de l’eau dans l’Isthme et que dans ses objectifs principaux. Le CRRH devient un des plus importants promoteurs de la Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) et de la gestion par bassin. Avec la collaboration de l’Organisations d’Etats Américains (OEA), le CRHH a mis en place un processus de diffusion de la GIRE, avec des 59 ateliers dédiés à la GIRE et la postérieure formulation d’un Plan Centraméricain pour la Gestion de Ressources en Eau en 1999. Le paradigme de la Gestion Intégrée de Ressources en Eau (GIRE) est né dans le monde des organismes de coopération internationale. La GIRE est définie par le Global Water Partnership (GWP) 60 comme “un processus qui promeut la gestion et le développement surveillé de l’eau, la terre et les ressources, afin de maximiser le bien être social et économique de façon équitable et sans compromettre la durabilité des écosystèmes vitaux”61 (Consejo Técnico GWP, 2000, p. 26). La GIRE promeut une série de concepts et de principes clés qu’elle diffuse auprès des scientifiques, des techniciens et des gestionnaires de l’eau. Par exemple, la GIRE propose la gestion du territoire en reprenant l’unité géographique du bassin hydrographique. Le concept de bassin hydrographique est apparu au XVIIIème siècle de la main du géographe Philippe Buache (1700-1773), qui le formalise et le définit en liant le réseau hydrographique et l’orographie, «comme une portion du territoire délimité par des 58 Par ses sigles en espagnol 59 Atelier pour la Gestion Intégrée des Ressources en Eau à la Ville de Guatemala en 1994 ou la Conférence sur l’Evaluation et les Stratégies en Gestion Intégrée des Ressources en Eau en Amérique Latine et la Caraïbe organisé avec ma BID à San José en 1996 60 La GWP est une institution fondée en 1996 par la Banque Mondiale (BM), le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et la Swedish International Developpement Agency (SIDA) y el WorldWater Council. Au début elle a été créée comme un “think tank”, c’est à dire un groupe de réflexion internationale pour traiter les problématiques de l’eau. Actuellement elle fonctionne comme un réseau qui regroupe une multiplicité d’ONG, des agences des Nations Unies, des institutions financières, des entreprises et de organisations de bassin (Trottier, 2012, p. 180). 61 “un proceso que promueve el manejo y desarrollo coordinado del agua, la tierra y los recursos relacionados, el fin de maximizar el bienestar social y económico resultante de manera equitativa sin comprometer la sustentabilidad de los ecosistemas vitales” (Consejo Técnico GWP, 2000, p. 26) 119 lignes de crêtes, dont les eaux coulent dans la mers ou dans un autre cours d’eau » (Ghiotti, 2007; Lasserre & Brun, 2012, p. 2). Nous entendons par bassin hydrographique, un territoire délimité par les ruissellements des eaux superficielles et souterraines. Il est constitué par des fleuves et des nappes phréatiques, et sa délimitation géographique se fait en fonction des zones d’influence hydrographique ainsi que celles de l’infiltration des eaux. Le bassin devient transfrontalier quand il s’étend sur deux ou plusieurs pays. Dans la définition de G.Aguilar et A. Iza, un bassin hydrographique est une unité géographique formée par un fleuve principal et par tous les territoires compris entre la source (les eaux en amont) et l’embouchure du fleuve (les eaux en aval). Cette définition inclut l’ensemble des terres, rivières, lacs, marécages, marais, baies, ou nappes phréatiques. Le fleuve est l’élément central de tout bassin et la gestion d’un bassin est très liée à celle du fleuve (Aguilar & Iza, 2009, p. 10). L’aire d’influence d’une unité spatiale comme le bassin hydrographique dépasse la délimitation établie par la frontière, puisque les frontières des Etats ne sauraient délimiter les dynamiques sociales et l’extension des écosystèmes qui sont partagés (bassins, forêts, marécages, entre autres). La conceptualisation même du bassin transfrontalier amène à surmonter la notion classique de frontière définie comme une limite existante entre deux ou plusieurs souverainetés et assurant ainsi la division géopolitique. La condition transfrontalière de ces bassins pose un problème fondamental au moment de penser la gestion des ressources naturelles partagées. Dans beaucoup de cas, un écosystème divisé par une frontière politique- administrative est géré d’une façon fragmentée et parfois contradictoire par les Etats qui le partagent. Cela est dû au fait que parfois les Etats ont des priorités politiques et des régulations environnementales divergentes. La notion de bassin transfrontalier propose une logique de continuité concernant des écosystèmes clés comme des dynamiques sociales, politiques et économiques (Aguilar & Iza, 2009, p. 30). Le bassin est présenté comme un système naturel connecté et interdépendant qui dépasse et traverse les divisions de l’Etat westphalien, ce qui peut encourager l’intégration régionale. Cependant nous sommes face à une nouvelle problématique : de quelle manière est- il possible de gérer de façon transfrontalière une unité naturelle divisée par une frontière ? Les habitants et les gouvernements se sont-ils appropriés ces instruments et concepts ? Les Etats centraméricains sont-ils prêts à céder leur souveraineté devant des exigences de conservation de ces écosystèmes ? La gestion partagée des ressources naturelles transfrontalières implique une redéfinition de ces concepts et exige le développement de dynamiques de coordination et de coopération 120 entre les Etats. Pour aboutir à cet objectif, les Etats doivent abandonner une partie de leur souveraineté sur ces régions frontalières et accepter d’établir des conditions minimales de coexistence, ainsi que reconnaître la le droit de participation de l’autre Etat dans la gestion du bassin (López & Hernández, 2009, p. 12). C’est pour cette raison que dans les stratégies conçues par le SICA, on observe une volonté constante de créer des règles et des institutions qui puissent faire autorité dans les bassins et ainsi établir les responsabilités et les devoirs partagés. Il s’agira de répondre à ces questionnements dans les chapitres 4 et 5 de cette thèse, où nous analyserons comment les différents projets qui se mettent en place sur les deux frontières d’étude mobilisent la GIRE et le concept de bassin hydrographique. A la fin des années 1990, la notion de GIRE a été progressivement incorporée dans les législations nationales liées à la gestion de l’eau dans le monde Depuis 1993, les Etats en voie de développement qui voulaient avoir accès aux prêts de la Banque Mondiale pour mettre en place des projets hydriques ont dû adopter ce paradigme et adopter une “bonne législation en matière d’eau” (Trottier, 2012, p. 191), c’est à dire actualiser leurs lois et mettre en place des processus de gouvernance qui garantissaient la participation d’acteurs publics et privés. De cette façon la question des bassins transfrontaliers et de la GIRE est progressivement incorporée dans les accords, les plans d’actions et les projets qui se sont développés dans l’isthme. Nous pouvons citer comme exemple le premier Plan Environnemental pour la Région Centraméricaine (PARCA I) généré par la CCAD pour la période 2000-2005 qui établis dans ces objectifs « la création d’un programme centraméricain pour la gestion des bassins partagés » et « la promotion de la gestion intégrée des bassins versants comme forme de protection des ressources en eau » (CCAD, 2000, p. 18). Par contre, le PARCA II pour la période 2005-2010, est centré autour de l’adaptation au changement climatique (CCAD, 2005, p. 23) et n’évoque pas des actions autour des bassins transfrontaliers. Cependant, le plus récent plan, le PARCA III élaboré pour la période de 2010-2014 reprend cette thématique et définit comme un des ses objectifs la « promotion de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) et des bassins partagés » (CCAD, 2010, p. 20). En plus, ce plan, propose trois actions précises en matière de bassins transfrontaliers : 1. Soutenir le développement d’instruments régionaux pour la gestion hydrique comme la Convention de l’Eau et ECAGIRH, 2. Soutenir la création et le renforcement d’institutions régionales qui gèrent l’eau et les bassins et, 3. Développer les lignes d’un Protocole pour la gestion de bassins partagés, et encourager la création de commissions transfrontalières tout en suivant les directrices proposées par 121 l’ECAGIRH. C’est dans ce plan, que le besoin de créer des institutions qui gèrent les bassins est évoqué pour la première fois. La Stratégie Centraméricaine de Gestion de Ressources en Eau (ECAGIRH) a été construite à travers un processus de consultation des différents acteurs gouvernementaux et des organisations non gouvernementales (ONG) engagés dans la gestion des ressources hydriques. Cette stratégie conçoit l’eau comme une ressource limitée et vulnérable qui est fondamentale pour les habitants de l’Isthme et le développement de ce dernier. Cette stratégie régionale revendique la valeur économique de l’eau, et affirme qu’il existe dans la région une concurrence entre les usagers, rendant nécessaire la participation des usagers, des administrateurs et des preneurs de décision dans la gestion de l’eau. En outre cette stratégie invite les gouvernements de l’Isthme à s’engager dans la recherche de mécanismes techniques et financiers pour établir des processus de GIRE, ainsi qu’à y incorporer les organisations sociales, les usagers et les organismes de bassins. Plus spécifiquement, l’ECAGIRH créée en 2009, propose dans ses objectifs stratégiques de « renforcer l’intégration régionale avec une approche des bassins partagés » en encourageant la création d’organismes de bassin et de processus de « gouvernance des bassins transfrontaliers ». L’importance donnée à la gestion par bassin dans la région est ainsi évidente. Avec l’ECAGIRH un changement dans le discours se met en évidence, cette stratégie introduit la rhétorique néolibérale très popularisée par la Banque Mondiale depuis les années 1990 après quinze ans de politiques d’ajustement structurel. Cette rhétorique propose une conception néolibérale de la participation et de la démocratie participative. Cette approche confond souvent participation avec décentralisation et introduit aussi la notion de “stakeholder”, notion empruntée au monde des entreprises qui dans les sciences politiques fait référence aux porteurs d’enjeux ou les parties prenantes. Dans les débats liés aux services d’eau, elle fait plutôt référence à une grande diversité d’acteurs comme les autorités, les opérateurs, les bailleurs, les entrepreneurs et les usagers, entre autres (Jaglin, 2007, p 274). Ce nouveau discours du SICA introduit ainsi une logique d’« usagers- payeurs » qui encourage des partenariats public-privés et prive les pouvoirs publics du monopole de l’organisation des services (Jaglin, 2007, p. 276)62. 62 Nous traiterons ce débat plus en profondeur dans notre troisième partie 122 Conclusion deuxième chapitre Nous pouvons conclure ce chapitre en affirmant que même si les régions frontalières centraméricaines ne peuvent pas nécessairement être considérées comme des régions transfrontalières à cause de leur faible niveau d’intégration politique et économique, la nature présente sur ces régions a, elle, une extension bien transfrontalière. Cette condition transfrontalière de la nature a été fortement mobilisée à l’échelle internationale et régionale par la coopération internationale (ONG et Banque Mondiale) et le SICA, en développant des méthodologies et des notions qui évoquaient des aires protégées transfrontalières. Ces espaces naturels ont été qualifiés de patrimoines naturels partagés et une valeur d’universalité leur a été attribuée, qui justifiait l’intervention d’acteurs internationaux et transfrontaliers dans leur gestion. Les frontières sont requalifiées comme des sanctuaires naturels, dépassant ainsi leur image de périphérie délaissée. La conservation de l’environnement transfrontalier en Amérique Centrale est ainsi instrumentalisée par le SICA, la CCAD et les ONG internationales (UICN, TNC, entre autres) d’abord pour encourager le processus de paix, notamment comme un thème pouvant faciliter le dialogue et la négociation, et par la suite pour promouvoir l’intégration régionale puisque l’environnement a été perçu comme un sujet qui pouvait inciter à la coopération entre les gouvernements. L’importance attribuée à la gestion intégrée de l’eau et des bassins transfrontaliers, notamment par la présence de 23 bassins transfrontaliers sur les frontières d’Amérique Centrale, est centrale dans ces processus. Progressivement, la conservation de l’environnement transfrontalier est traitée à travers des projets et des actions relatifs à la gestion intégrée des bassins transfrontaliers. Le défi posé par le Système d’Intégration Centraméricain et par les acteurs exogènes comme les ONG internationales et la Banque de Développement, est celui de mettre en place des dynamiques de coopération qui puissent permettre la gestion intégrée et transfrontalière de ces bassins. L’approche de la gestion des régions frontalières par le bassin permet ainsi de dépasser les limites des Etats et de concevoir ces régions comme un tout intégré. 123 124 Chapitre 3 De l’horogènese de la frontière au bassin versant transfrontalier : des différentes dimensions des bassins du San Juan et du Sixaola Ce chapitre sera consacré dans un premier temps à l’analyse de l’horogenèse des deux frontières sises sur les fleuves San Juan et Sixaola. Nous consacrerons une attention particulière aux enjeux qui ont accompagné la définition des limites nationales, et à l’identification des acteurs nationaux et internationaux qui sont intervenus, ainsi que de leurs intérêts. La délimitation des territoires nationaux ainsi que la démarcation des tracés ont été jalonnés par de nombreux conflits diplomatiques qui ont souvent débouché sur des conflits armés. Nous présenterons la complexité de ces processus et nous montrerons comment la délimitation de ces frontières a été influencée par les intérêts de puissances exogènes à l’Isthme centraméricain, notamment la Grande Bretagne et les Etats-Unis, qu’il s’agisse de protéger leurs intérêts géopolitiques et économiques dans le cas des projets pour la construction d’un canal interocéanique sur le fleuve San Juan au début du XXème siècle ou les investissements des entreprises bananières étasuniennes autour du tracé de la frontière entre le Costa Rica et le Panamá à la même époque.. Dans un deuxième temps nous nous attacherons aux caractéristiques socio-économiques et environnementales des bassins du fleuve Sixaola et San Juan : peuplement, caractéristiques socio culturelles, richesse environnementale, activités productives et relations transfrontalières de voisinage. L’objectif de cette partie est de proposer un état des lieux des principales caractéristiques de ces bassins, qui vise à la compréhension de leur peuplement et de leur isolement, mais aussi des rapports de proximité qui existent entre les habitants des deux côtés des ces frontières. Les répercussions que le système d’enclave a eu sur le bassin du fleuve Sixaola sont ainsi un 125 élément d’analyse intéressant, au regard de l’organisation de l’espace et aussi des rapports transfrontaliers. 1. Au-delà du fleuve San Juan, la construction de la frontière Costa Rica-Nicaragua 1.1. L’horogènese d’une frontière et le mythe du fleuve San Juan « Il n’est pas de problèmes de frontières, il n’est que des problèmes de nations ». J. Ancel( Ancel, 1938) Depuis la conquête espagnole, la frontière entre le Nicaragua et le Costa Rica, et plus particulièrement le segment sis sur le fleuve San Juan, ont été l’objet de nombreuses disputes. C’est sur cette frontière que les premiers conflits frontaliers sont apparus dans l’Isthme. Dans ce paragraphe consacré à l’histoire de cette frontière, le rôle symbolique joué par le fleuve San Juan dans la construction de l’identité nicaraguayenne est un élément central à considérer. Pour comprendre les dynamiques de conflits et de coopération existantes aujourd’hui sur cette frontière, qui sont complexes et multidimensionnelles, il est nécessaire d’analyser les disputes territoriales passées. Celles-ci se sont déroulées juste après l’indépendance du Costa Rica et du Nicaragua en 1821. Deux évènements ont été déterminants dans le processus de délimitation de cette frontière et sont toujours présents aujourd’hui dans les discours nationaux comme source inépuisable de tensions et conflits entre ces deux pays : l’annexion du Partido de Nicoya(Medina & Rodriguez, 2014)(Medina & Rodriguez, 2014) (aujourd’hui province du Guanacaste) au Costa Rica en 1824 et les velléités de construction d’un canal interocéanique utilisant le fleuve San Juan à partir de 1870. Nous partons de l’hypothèse que les élites nicaraguayennes ont instrumentalisé la question de la souveraineté du fleuve dans le cadre du processus de construction nationale, en lui octroyant une grande importance, tandis que les élites costariciennes n’entretiennent pas le même rapport avec ce fleuve. Nous cherchons ainsi à comprendre l’origine de ce discours et des différentes représentations qui existent de cette frontière et du fleuve. 126 1.2. Les conflits frontaliers interétatiques entre le Costa Rica et le Nicaragua La frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua s’est dessinée de façon tardive. Ce n’est qu’avec la création de la province du Costa Rica à la fin du XVIIIe siècle que cette limite s’est clarifiée. Au moment de l’indépendance de l’Espagne, pendant la période de la 63 République Fédéral d’Amérique Centrale, les députés costariciens de l’Assemblée Constituante réussissent le 25 septembre 1824 à se séparer du diocèse du Nicaragua (Paniagua Rodriguez & Soto Acosta, 2010, p. 55). Cependant les limites entre ces deux provinces resteront floues pendant encore plus de soixante ans. L’horogènese de cette frontière sera historiquement déterminée par des conflits interétatiques et par des arbitrages qui déterminent encore les relations diplomatiques entre ces deux pays. Pour Frank Tétard, le conflit renvoie étymologiquement à la notion de « choc » et il est « avant tout l’expression d’une rivalité sur un territoire » (Tétard, 2011, p. 8-12). Les conflits frontaliers doivent ainsi être compris par leur dimension spatiale, puisque l’enjeu principal de nombreux conflits interétatiques frontaliers est bien l’appropriation et le contrôle du territoire. Cette relation entre conflit et territoire conduit à interpréter les conflits comme des objets géographiques. La notion de frontière, elle, comme nous l’avons déjà évoqué, trouve son origine dans une connotation conflictuelle, puisque son premier sens a été militaire et renvoyait à l’idée d’aller au front, c’est à dire à un espace dédié à la défense et à la guerre (Foucher, 1991, p. 38). Entre 64 le XIXe et le XXe siècle, avec le développement de la notion d’Etat westphalien , s’est opéré selon Victor Prescott un changement dans la perception des frontières. Il y a eu un passage de la frontière comme frontier à la frontière comme boundary (Prescott, 1987). Cela renvoie au processus général de linéarisation des frontières observable avec la construction des Etats modernes. 63 Après les indépendances, les cinq provinces espagnoles de l’Audience de Guatemala (cf. Carte 4 et 5) Guatemala, Honduras, le Salvador, Nicaragua et Costa Rica se regroupent autour d’une fédération pendant 1924 jusqu’à 1938. 64 Lors des Traités de paix de Westphalie (ville allemande) qui donnent fin à la guerre de trente ans en 1648, la notion d’Etat moderne est introduite comme la forme d’organisation territoriale. L’Etat westphalien a une souveraineté interne qui implique que les acteurs extérieurs à ces frontières ne peuvent pas intervenir dans ses processus politiques ; 127 En Amérique Centrale, une grande insécurité par rapport aux limites des Etats s’est établie après les indépendances (voir chapitre 1). La précision des tracés a été perçue comme un instrument pour pacifier les relations entre les Etats (Prescott, 2001, p. 81) mais le processus de délimitation a entraîné un grand nombre de conflits frontaliers qui sont une représentation dominante des confits territoriaux pendant le XIXe siècle. Les conflits frontaliers interétatiques peuvent donc être définis comme une rivalité entre deux Etats indépendants qui n’arrivent pas à établir un accord, soit par rapport au tracé de leurs limites, soit par rapport à la propriété d’une partie du territoire ou par rapport à la gestion qu’un Etat fait de la région frontalière. A ce propos, Victor Prescott invite à étudier les conflits frontaliers interétatiques à travers une typologie qui peut permettre de mieux comprendre la complexité des conflits qui ont donné lieu aux tracés et aux accords frontaliers sur les frontières que nous nous apprêtons à analyser. Dans une perspective historique, les conflits frontaliers entre le Costa Rica et le Nicaragua peuvent être analysés comme étant d’abord des conflits territoriaux, puis de position, ensuite fonctionnels et aujourd’hui de ressources (Medina & Rodriguez, 2014). Le fait que l’évolution de ces conflits permette d’illustrer la typologie de Prescott traduit bien sa complexité. En ce qui concerne les négociations et les traités qui ont donné lieu aux tracés des frontières, nous pouvons signaler en reprenant les termes d’A.L. Amilhat-Szary que « si les frontières sont des conventions censées délimiter l’ordre et la paix des nations, dans bien des cas, leur tracé ne suffit pas à supprimer le conflit, mais l’attise au contraire. La séparation témoigne des heurts passés et nourrit les incompréhensions » (Amilhat-Szary, 2011, p. 57). De cette façon, il est fréquent que la perte d’un territoire reste un sujet « sensible » et une tension latente qui peut enchaîner même des affrontements. Comme l’affirme A.L. Amilhat- Szary : « Le conflit frontalier (…) se développe particulièrement sur des tracés frontaliers fixés à l’issue de guerres et se nourrit de l’impossibilité des perdants à accepter les termes des traités et de leur désir de revanche » (Amilhat-Szary, 2011, p. 58). Les régions de frontière sont héritières d’un passé, d’une histoire de rupture et de conflit qui peut continuer à provoquer encore des frictions. Les frontières sont même assimilées à des « cicatrices » de l’histoire qui peuvent déterminer les représentations et dynamiques locales dans les régions frontalières. 128 Encadré 2 Conflits frontaliers interétatiques : la typologie de Victor Prescott Pour Victor Prescott, les disciplines qui se sont intéressées aux disputes frontalières interétatiques comme la Science politique, la Géographie et le Droit, sont arrivées toutes à définir quatre types de disputes frontalières (Prescott, 2001, p. 82): Prescott définit d’abord les disputes territoriales (territorial disputes) : ce type de conflit se produit quand un Etat réclame des terres adjacentes, localisées de l’autre côté de la frontière, parce qu’il considère que ce morceau de terre a une importance historique, culturelle ou stratégique (comme l’accès à la mer par exemple) pour lui. Les disputes de position (positional disputes) sont la conséquence d’un manque de précision au moment de la définition du tracé de la frontière. Ces disputes peuvent être aussi le résultat de différentes interprétations des documents (traités et accords) qui définissent la frontière. Un cas qui peut illustrer ce type de disputes est par exemple quand une frontière est tracée en utilisant comme repère un fleuve et celui-ci change son cours (comme dans le cas du rio Grande entre les Etats-Unis et le Mexique ou du Rio Paz entre le Guatemala et El Salvador). Ce type de dispute s’exprime comme l’incapacité de trouver une interprétation commune et provoque un sentiment d’incertitude surtout pour les populations résidentes. Dans ces deux types de disputes, c’est un pays qui réclame et argumente que la frontière doit changer et être déplacée. Prescott identifie deux autres types de disputes que ne relèvent pas du tracé même de la frontière : les disputes de ressources (ressources disputes) et les disputes fonctionnelles (functional disputes). Les disputes pour des ressources surviennent quand la frontière coupe une ressource comme un lac, une nappe phréatique, un bassin hydrographique, un espace protégé ou un champ de pétrole, entre autres, et les pays qui partagent cette ressource ne sont pas d’accord sur la façon dont la ressource doit être exploitée, partagée ou conservée. Enfin, les disputes fonctionnelles (functional disputes) se produisent quand un pays se sent affecté défavorablement par des règles et des régulations appliquées par le pays voisin, tout au long de la frontière et spécialement dans les points de passage. Généralement ceux qui sont les plus touchés par ces restrictions sont les habitants des régions frontalières et les secteurs dédiés à l’exportation et l’importation. Ces conflits sont souvent liés à des politiques migratoires ou à des restrictions commerciales ou sur l’usage du sol (Prescott, 2001, p. 82). Ces disputes analysées par Prescott sont des disputes qui se produisent fondamentalement entre Etats, mais ils existe d’autres types de disputes qui ne concernent pas les Etats mais par des acteurs sociaux des régions de frontières. Ces types de conflits seront traités dans la troisième partie de cette thèse. 129 1.3. L’annexion du Partido de Nicoya : un différend territorial Si le processus de définition de la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua a été marqué par des intervalles de conflit et de coopération, les conflits entre ces deux pays ont dominé pendant la deuxième moitié du XIXe siècle et la coopération a eu une place secondaire et conjoncturelle, notamment pour faire face à des menaces externes comme l’invasion flibustière en 1856. Comme l’évoquait Ricardo Jiménez, président du Costa Rica au début du XXe siècle : « Au Costa Rica, il y a trois saisons: la saison sèche, la saison pluvieuse et la saison de conflits avec le Nicaragua ». Cette phrase illustre l’aisance et la familiarité avec laquelle les conflits entre ces deux pays sont perçus puisqu’ils sont anciens et surtout récurrents. Après les indépendances, un premier conflit dans la définition de la limite s’est développé sur le versant pacifique de la frontière. L’objet de cette première dispute a été l’annexion du Partido de Nicoya. Cette annexion répond aux caractéristiques des « disputes territoriales » définies par Prescott, puisque ce conflit a comme origine la concurrence entre le Costa Rica et le Nicaragua pour la possession du Partido de Nicoya. 2 La province coloniale du Partido de Nicoya d’une extension de 10 000 km correspond aujourd’hui à l’actuelle province du Guanacaste sans les cantons de Bagaces et Cañas. Elle était à l’époque peuplée par 4 600 habitants. Son rattachement au Costa Rica et au Nicaragua avait été fluctuant durant les trois siècles précédents, cependant au moment de la chute de l’Empire mexicain en mars 1833, cette entité politico-administrative était indépendante politiquement (Medina, 2004, p. 70), bien que très dépendante sur le plan culturel et économique des provinces de Costa Rica et du Nicaragua. Les villes principales de Nicoya et de Santa Cruz étaient intégrées par des circuits économiques, notamment autour de l’activité du tabac, au Costa Rica (Kinloch Tijerino, 1997, p. 97; Medina, 2004, p. 71). En revanche, la ville de Guanacaste, localisée plus au nord, était plus proche culturellement et commercialement de Rivas au Nicaragua, puisque ces deux villes partageaient des liens étroits de parenté et les propriétaires des vingt-cinq haciendas de Guanacaste habitaient à Rivas. Les différents liens existant vis à vis du Costa Rica et du Nicaragua expliquent les positions divergentes des cabildos65. Les débats au sein du Partido à propos de son annexion ont été nombreux : d’une part, la ville de Nicoya était favorable à une 65 Les cabildos étaient des autorités locales qui avaient une importante autonomie vis à vis la République Fédérale de Guatemala. 130 annexion avec le Costa Rica alors que la Ville de Guanacaste montrait d’importantes résistances, ainsi que le cabildo de Santa Cruz qui manifestait son désir de s’éloigner des deux pays (Sibaja & Zelaya, 1980, p. 128) Même si dans le discours costaricien l’annexion de Guanacaste a été décrite comme une « incorporation volontaire », certaines recherches mettent en évidence les nombreuses invitations faites par le Costa Rica faites au Partido de Nicoya dès 1822 pour qu’il rejoigne l’Etat costaricien (Kinloch Tijerino, 1997). Malgré les positions divergentes, les autorités du Partido se sont prononcées le 25 juillet 1824 en faveur d’un rattachement au Costa Rica (Paniagua Rodriguez & Soto Acosta, 2010, p. 55). Cette décision a été influencée également par la situation conflictuelle interne au Nicaragua, le système politique costaricien se présentant comme plus stable et pacifique (Medina, 2004, p. 72). Malgré ce climat d’incertitude, le Congrès Fédéral des Provinces Unies de Guatemala qui était à ce moment l’autorité régionale décréta le 9 décembre 1825 l’agrégation temporaire de la totalité du Partido de Nicoya au Costa Rica, même si la ville de Guanacaste n’était pas d’accord, en argumentant qu’il s’agissait de la seule façon de maintenir l’intégralité territoriale du Partido (Esgueva Gómez, 2007, p. 118). Cette décision a entraîné de nombreuses résistances dans les villes de Guanacaste et de Santa Cruz (Kinloch Tijerino, 1997, p. 98). Pour faire face aux émeutes le gouvernement costaricien mettra en place des expéditions pour pacifier ce nouveau territoire. A son tour, le Nicaragua demanda en 1826 la révocation de ce décret d’annexion en le caractérisant comme une dépossession et une perte de territoire. C’est ainsi que deux discours divergents et même contradictoires se sont développés, d’un côté le Costa Rica interprètant l’annexion comme une incorporation volontaire et spontanée et, d’un autre côté, le Nicaragua la percevant comme une « mutilation » injuste (Medina, 2004, p. 69). Cette vision est encore souvent instrumentalisée par les gouvernements nicaraguayens, comme dans le cas des déclarations récentes de Daniel Ortega, président actuel du Nicaragua, qui a réclamé en septembre 2013 la province du Guanacaste en menaçant de recourir à la Cour Internationale de Justice (CIJ)66. Ortega affirme que le « Costa Rica a gagné ce territoire en faisant appel aux armes », ce qui diffère profondément avec la version « pacifiste » portée par le Costa Rica. 66 “Daniel Ortega reitera intenciones de reclamar Guanacaste », Journal La Nacion, 2 septembre 2013 http://www.nacion.com/mundo/centroamerica/Daniel_Ortega-Laura_Chinchilla-Guanacaste- conflicto_fronterizo-Nicaragua-Costa_Rica-CIJ_0_1363663849.html 131 1.4. La dispute sur le segment frontalier fluvial du San Juan La problématique frontalière entre ces deux pays a également été bouleversée par une autre problématique, cette fois-ci sur le versant atlantique, autour du fleuve San Juan. Dès l’indépendance, le fleuve a été très rapidement considéré par les puissances européennes (Angleterre et France) et les Etats Unis comme un fleuve d’importance géopolitique, notamment par ses caractéristiques géographiques qui en faisaient une potentielle route interocéanique. Le versant atlantique de la frontière se caractérise par son faible peuplement et par l’absence de villes importantes. Mais sur cette partie de la frontière vont converger les intérêts géopolitiques de puissances externes à la région centraméricaine. C’est ainsi qu’à partir de 1848 le conflit limitrophe entre le Costa Rica et le Nicaragua s’aggrave avec l’intervention d’intérêts britanniques, étasuniens et même français, lesquels cherchaient à construire un canal interocéanique sur le fleuve San Juan (Girot, 1994, p. 91; Sandoval, 2012, p. 179). Ces interventions étrangères ont été déterminantes dans la fixation de la frontière et nous voudrions montrer l’importance de l’enjeu de la construction d’un éventuel canal dans la conception du tracé de celle-ci. Depuis 1848 jusqu’à la ratification du Traité limitrophe Cañas-Jerez en 1888, se produit une intense concurrence entre la Grande Bretagne et les Etats-Unis pour s’assurer la construction du canal. Ces puissances impériales financent des études et définissent trois routes potentielles pour la construction du Canal : 1. la route par l’Isthme de Tehuantepec au nord, 2. la route à travers le fleuve San Juan et le lac Cocibolca ou Lac de Nicaragua et 3. la route par le Panamá qui sera à la fin d’un long processus de négociations la route choisie67 (Medina, 2004, p. 74). Le route par le fleuve San Juan a été longtemps considérée comme une des plus favorables puisque le lac est relié à l’océan Atlantique par le fleuve San Juan, et il n’est séparé du Pacifique que par une étroite bande de terre de seulement dix-huit kilomètres. Ces puissances étrangères ont profité des conflits existants entre le Costa Rica et le Nicaragua pour établir chacune ses propres alliances. D’un côté, la Grande Bretagne établit une alliance avec le Costa Rica qui se concrétise par la signature d’un contrat en 1849 avec l’entreprise anglaise Flyer et Carmichael pour la construction d’un canal depuis le lac Cocibolca jusqu’au port de Salinas au Costa Rica (Kinloch Tijerino, 1997). A son tour le Nicaragua établit un contrat similaire avec la Compagnie étasunienne Maritime Atlantique-Pacifique dont 67 Le canal de Panamá sera construit d’abord par une entreprise française qui cèdera les droits aux Etats Unis, lesquels finiront sa construction en 1913 et auront son contrôle pendant 99ans. 132 Cornelius Vanderbilt est le principal actionnaire. L’intérêt des Etats Unis est de mettre en relation leur côte Pacifique avec l’Atlantique, pour établir un route plus rapide vers la Californie nouvellement acquise et au cœur de la fièvre de l’or. La tension arrive à son point le plus intense entre 1849 et 1853, et certains auteurs comme Frances Kinloch Tijerino et Antonio Esgueva sont d’accord avec le fait que la guerre entre le Costa Rica et le Nicaragua semblait inévitable. Cependant les problèmes politiques internes du Nicaragua détournent encore une fois l’attention. La guerre civile est déclarée en 1854 entre les villes nicaraguayennes de Granada et León, et la situation devient si grave que les principaux généraux de Granada écrivent une lettre au Général costaricien José Maria Cañas le 21 mai 1857, en sollicitant l’annexion de Granada et de Rivas (le Département Oriental) au Costa Rica (Esgueva Gómez, 2007; Kinloch Tijerino, 1997). A cause de leur incapacité de gérer la crise interne, le groupe démocrate libéral de León signe le Traité Byron Cole- Castellon, à travers lequel ils embauchent une armée de mercenaires étasuniens dirigée par William Walker pour essayer de mettre fin au conflit (Hall et al., 2003, p. 184). Cependant, ces troupes profitent du climat trouble pour s’emparer du pays. C’est ainsi que Walker devient le Général en chef du gouvernement provisoire (Esgueva Gómez, 2007, p. 355). Cette intervention provoque un tournant dans les relations entre le Costa Rica et le Nicaragua, puisque les deux pays s’allient avec des troupes centraméricaines pour faire face ensemble à cet ennemi externe. La victoire centraméricaine face aux troupes de Walker apaise les relations entre ces deux pays et entre les villes de León et Granada. C’est dans ce contexte que le 6 juillet 1857 est signé le traité Cañas-Juárez où Nicaragua accepte la cession du Partido de Nicoya « pour toujours » ainsi que la libre navigation du Costa Rica sur le fleuve San Juan. Ce traité détermine la frontière à travers une ligne droite qui va depuis la Baie de Salinas jusqu’à Punta Castilla. Cette trêve ne durera que quelques mois puisqu’en octobre 1857 le Nicaragua déclare la guerre au Costa Rica. Malgré les bonnes conditions proposées dans ce traité pour le Costa Rica, l’Assemblée Nationale costaricienne ne l’a pas ratifié. Certains historiens nicaraguayens (Esgueva Gómez, 2007, p. 358; Tijerino, 1997) affirment que le Costa Rica avait entrepris des négociations secrètes avec les Anglais pour « s’approprier le canal ». En effet, le président costaricien Juan Rafael Mora voulait des avantages majeurs pour le pays et il signe le Traité Mora-Webster en juillet 1857 avec la couronne anglaise pour la construction du Canal (Kinloch Tijerino, 1997, p. 100; Medina, 2004, p. 76). Parallèlement le Général Cañas signe un accord de son côté avec le commerçant étasunien Cornélius Vanderbilt en lui proposant de créer un Etat indépendant avec les villes de Santa Cruz, Nicoya et Guanacaste. 133 Les intérêts costariciens ont été mis en évidence lors de l’invasion réalisée par les troupes costariciennes aux forts de San Carlos et El Castillo au Nicaragua. Face à ces évènements, le Nicaragua déclare la guerre au Costa Rica le 19 octobre 1857. Mais une nouvelle invasion de William Walker unit à nouveau ces deux pays et mobilise les troupes centraméricaines. Une fois vainqueurs, le Costa Rica et le Nicaragua signent un second traité frontalier en avril 1858 connu comme le Traité Cañas-Jerez. Si ce traité reconnaît l’annexion du Partido de Nicoya au Costa Rica, il octroie au Nicaragua le « contrôle exclusif » du canal. Malgré certaines résistances au Nicaragua, le Costa Rica ratifia l’accord et une période de paix de dix ans s’établit (Esgueva Gómez, 2007, p. 385). Durant les années 1870, le contrôle du canal redevient un sujet sensible et est à l’origine de nouvelles tensions. En 1868, le ministre des relations extérieures du Nicaragua Tomas Ayon signe à Paris le Traité Ayon-Chevalier pour la construction d’un canal, traité ratifié en mars 1869. Peu après, ce traité prend un caractère binational avec la signature du Traité de Canalisation Commune entre le Nicaragua et le Costa Rica, qui cherche à faire participer le Costa Rica dans la planification et la construction du canal. Mais, avec le coup d’Etat du Général Guardia au Costa Rica cette initiative de coopération est avortée et remet en question le Traité limitrophe Cañas-Jerez. Les tensions entre ces deux pays se réactivent, toujours avec le contrôle du bassin transfrontalier du fleuve San Juan au cœur des négociations. D’un côté le Nicaragua clame sa souveraineté sur le canal et d’un autre côté, le Costa Rica revendique son droit à être consulté. La difficulté d’arriver à un accord et l’urgent besoin de définir une frontière entre les deux pays les oblige à faire appel à un arbitrage externe. C’est pourquoi en 1888, le président étasunien Grover Cleveland intervient en imposant une sentence appelée le Laudo Cleveland. Cet arbitrage réaffirme la validité du Traité Cañas-Jeréz et établit que le Costa Rica aura des droits perpétuels de navigation à des fins commerciales, mais qu’il n’a pas de le droit de naviguer sur le fleuve avec des navires de guerre. Cet arbitrage est ainsi très important puisqu’il détermine les droits de chaque pays par rapport au fleuve et qu’il clarifie la démarcation de la frontière. 134 Encadré 3 Traité limitrophe Cañas-Jeréz, Costa Rica-Nicaragua, 15avril 1858 « La ligne de division entre les deux Républiques, partant de la mer du Nord (Atlantique), commencera à l’extrémité de la Punta Castilla, à l’embouchure du fleuve San Juan de Nicaragua, et continuera en suivant la rive droite dudit fleuve, jusqu’à un point distant de Carrillo Viejo, trois miles anglais depuis les fortifications extérieures du Castillo jusqu’au point indiqué. De là partira une courbe, dont le centre sera ces fortifications, et sera distante de celui-ci de trois miles anglais sur toute sa progression, terminant en un point qui devra être distant de deux miles de la rive du fleuve en amont du Castillo. De là, elle continuera en direction du fleuve Sapoá, qui se jette dans le Lac du Nicaragua, suivant un cours qui soit toujours distant de deux miles de la rive droite du fleuve San Juan avec ses circonvolutions jusqu’à son origine dans le lac, et de la marge droite du propre Lac jusqu’au cité fleuve Sapoá où terminera cette ligne. Du point où elle coïncide avec le fleuve Sapoá, qui, de par ce qui vient d’être dit, doit être distant de deux miles du Lac, sera tracée une ligne astronomique jusqu’au point central de la baie de Salinas, dans la mer du Sud (Pacifique), où se terminera la démarcation du territoire des deux Républiques contractantes. » Traité Cañas-Jeréz, Costa Rica-Nicaragua, 1858 Cet arbitrage met en évidence le rôle dominant des Etats Unis dans l’Isthme centraméricain. Les accords établis avec la Grande Bretagne annulés, les Etats-Unis instaurent leur « contrôle exclusif » sur la construction et gestion d’un éventuel canal (Medina, 2004, p. 78). L’option panaméenne a finalement été choisie, cependant durant les gouvernements de Enrique Bolaños (2002-2007) et celui de Daniel Ortega (2007-aujourd'hui), de nombreuses tentatives ont eu lieu pour relancer les négociations et les projets de construction d’un canal (Sandoval, 2012, p. 179). Aujourd’hui le principal pays intéressé au financement de cette œuvre d’infrastructure est la Chine, ce qui a plongé encore une fois l’Isthme dans des enjeux géopolitiques à l’échelle mondiale. La figure 1 apparue dans le quotidien costaricien La Nación en 2012, ainsi que des nombreux articles publiés par ce journal comme par La Prensa et El Nuevo Diario 68 au Nicaragua, mettent en évidence que le rêve nicaraguayen de construire ce canal n’a pas disparu, et mettent en évidence la présence des intérêts exogènes comme une influence qui incite à la rupture et au conflit. La caricature représente la Chine et 68 “Canal en Nicaragua sería una obra emblemática para China”, El Nuevo Diario de Nicaragua, 1ero de noviembre 2013, http://www.elnuevodiario.com.ni/especiales/300798 135 le projet de canal tels une scie qui cherche à couper l’isthme. Ces tentatives sont encore une fois une source de conflits entre les deux pays, le Costa Rica s’opposant toujours à ce projet en rappelant notamment qu’il doit être consulté parce qu’il exerce la souveraineté sur la rive droite du fleuve, tout en dénonçant les éventuels impacts environnementaux69 que pourrait avoir ce projet sur les écosystèmes frontaliers. Figure 4 Canal Interocéanique et influence Chine Source : L’agressive politique commerciale chinoise, El Pais, Espagne, 26 juillet 2013 http://elpais.com/elpais/2013/07/25/opinion/1374754666_469917.html Il est important de souligner que l’arbitrage Cleveland a cependant marqué la fin du conflit territorial entre le Nicaragua et le Costa Rica, au moins pour un temps, et que la démarcation effectué lors d’un deuxième arbitrage étasunien entre 1897 et 1900, nommé Laudo Alexander, sera ratifié par les deux Congrès et est celle que les deux pays utilisent encore aujourd’hui. 69 Bravo, Josue. “Costa Rica en contraofensiva contra proyecto del canal interoceánico”, La Prensa, Nicaragua 17 août 2012 http://www.laprensa.com.ni/2012/08/17/ambito/112806-costa-rica-contraofensiva-contra 136 En 1896 dix ans après le Laudo Cleveland, le Costa Rica et le Nicaragua signent aussi le Traité Matus-Pacheco pour démarquer le tracé à travers l’installation de bornes qui allaient être définies par un ingénieur étasunien. Lors de ce traité il a été établi que les eaux du fleuve restaient sous la juridiction du Nicaragua et que les terres situés sur la rive droite du fleuve étaient sous la juridiction du Costa Rica (Paniagua Rodriguez & Soto Acosta, 2010, p. 57). Il est intéressant de noter que la façon dont a été tracée cette frontière est une exception dans l’Isthme centraméricain, puisque au lieu d’utiliser, comme c’est souvent le cas, le talweg (la ligne de points les plus profonds du fleuve) pour tracer la frontière, dans le cas du fleuve San Juan le tracé suit la rive droite qui est utilisée comme repère, laissant les eaux du côté nicaraguayen. Ce type de tracé cherche à faciliter la construction d’un canal et répond directement aux intérêts étasuniens (Girot, 1994). C’est ainsi que nous pouvons argumenter que le tracé de cette frontière a été fortement influencé par ce jeu de pouvoir entre la Grande Bretagne et les Etats-Unis, et nous pouvons conclure que la ligne frontalière répond à des intérêts exogènes des Etats-Unis et non à ceux des Etats frontaliers, et encore moins aux besoin des populations résidentes sur cette région de frontière. Le thème de la navigation costaricienne resurgira ainsi comme un sujet sensible et une cause de tensions entre ces deux pays. Un dernier conflit lié au canal est identifié en 1913, quand le Nicaragua signe avec les Etats- Unis le Traité Chamorro-Weizel qui octroie des droits exclusifs aux étasuniens pour la construction et gestion du canal. Le Costa Rica proteste alors en argumentant que ce Traité viole le Traité Cañas-Jérez et le Laudo Cleveland. Le Costa Rica fait appel en 1916 pour la première fois à la Cour de Justice Centraméricaine, créée en 1907 comme un instrument de résolution de conflits. La sentence de la Cour est alors favorable au Costa Rica, laissant de projet de construction du Canal en suspend. Le fleuve San Juan a été un élément central dans la construction de l’identité nationale du Nicaragua et nous pouvons même affirmer qu’il a un caractère mythique puisqu’il a représenté et il représente encore aujourd’hui un rêve irréalisé de développement, compris encore aujourd’hui dans l’imaginaire national comme étant réalisable (Anderson, 2006). Ce fleuve a été au centre du processus de définition de cette frontière, mais il a été aussi au centre de la construction identitaire de ce pays. Il n’a pas été seulement perçu comme une opportunité, certains chercheurs faisant mention du fleuve comme une « malédiction géopolitique » puisque cette route était localisée sur un jeune pays qui n’était pas consolidé au moment de la course pour construire le canal, ce qui a encouragé les puissances internationales à s’emparer du projet du canal. Ceci a été le cas du Nicaragua et ensuite du 137 Panamá, pays qui ont été marqués par les désirs et les besoins des grandes puissances impériales et commerciales (Cortes, 2011, p. 170). Les conflits frontaliers de la région se présentent jusqu’à la fin du XIXe siècle comme des positional disputes, c’est-à-dire des conflits liés au manque de précision au moment de la définition du tracé ou des désaccords par rapport aux différentes interprétations des traités et qui définissent la frontière (Prescott, 2001, p. 82). Un conflit multidimensionnel Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, les relations entre le Nicaragua et le Costa Rica seront marquées par le contexte global de la Guerre Froide et notamment par un conflit armé. Durant les trente dernières années, le conflit entre les deux pays est devenu complexe et multidimensionnel, à la fois, si l’on reprend la typologie de V. Prescott (Prescott, 2001), conflit positionnel (les débats par rapport aux droits de navigation), territorial (possession de l’île Calero), fonctionnel (dimension migratoire) et de ressources (par rapport à la conservation du bassin fleuve San Juan)70. Pendant la période 1977-1980, la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua a été profondément touchée par le conflit interne qui a opposé l’Armée Sandiniste de Libération Nationale et la dictature d’Anastasio Somoza, puis par les groupes contre-révolutionnaires soutenus par les Etats Unis qui ont utilisé les territoires costaricien et hondurien comme scénario d’opérations militaires avec le consentement de ces deux gouvernements (Morales, 2010, p. 208). Durant cette période, les relations entre le Costa Rica et le Nicaragua sont devenues hostiles et un climat d’insécurité s’est installé sur cette frontière affectant le commerce et la mobilité des personnes. Le gouvernement nicaraguayen a déposé plusieurs plaintes contre le Costa Rica, le Honduras et les Etats Unis. Pendant les années 1990, le processus de paix a permis une période d’apaisement des relations. Cepenant, malgré le processus de transition vers la démocratie, le Nicaragua subit un important malaise interne à cause de la situation de pauvreté et la stagnation de son économie. Dans ce contexte, en 1998, la municipalité de Cardenas, municipe frontalier nicaraguayen localisé dans le département de Rivas, demande son annexion au Costa Rica. Cette demande est justifiée par l’abandon du gouvernement central nicaraguayen et par la situation de précarité de cette municipalité frontalière. Même si cette demande n’aboutit à 70 èmeNous analyserons plus en profondeurs les conflits les plus récents (à partir du 2005) dans notre 6 chapitre) 138 aucune annexion, elle déclenche de nouvelles tensions. Le Nicaragua dénonce encore une fois le Costa Rica, en l’accusant de vouloir mettre en place une politique expansionniste. A partir des années 1990, la question des droits de navigation sur le fleuve San Juan ressurgit chaque fois que des tensions entre le Costa Rica et le Nicaragua se présentent. Le chercheur costaricien d’origine nicaraguayenne, Alberto Cortés affirme, à la lumière des problèmes internes du Nicaragua, que le conflit frontalier et la souveraineté nicaraguayenne sur ce fleuve sont instrumentalisés par le Nicaragua pour dévier l’attention des vraies problématiques domestiques puisque le discours nationaliste a fait preuve d’une forte capacité mobilisatrice au moment de faire appel à l’unité nationale face à l’ennemi externe (Cortes, 2011, p. 168). Cependant, dans l’imaginaire des deux pays et suite aux nombreux conflits liés à la navigation du fleuve et aux projets pour la construction d’un canal interocéanique, le fleuve a une présence dominante dans les représentations que les gens ont de la frontière. Pour le Nicaragua, comme nous l’avons déjà évoqué, le fleuve a un rôle central dans la construction identitaire nationale puisqu’il a été un moteur économique pour la ville de Granada et pour le Nicaragua en général. Il représente aussi la « promesse » du développement et le rêve d’un meilleur futur grâce à la construction d’un canal qui ne s’est jamais produite (Cortes, 2011, p. 175; Girot, 1989, p. 18). Au contraire, pour le Costa Rica ce fleuve n’a pas la même centralité, dans l’imaginaire costaricien, cette frontière est plutôt perçue négativement, elle perçue plus comme une zone « dangereuse » et « sans intérêt » pour le reste du pays, source de conflits et de migrations illégales (Cortes, 2011, p. 188) Dans ce contexte, le Nicaragua se met alors à appliquer de façon très restrictive le traité limitrophe et interdit aux forces de police costariciennes de parcourir le fleuve. Le calme revient temporairement à partir de 2002 dans le contexte des négociations liées à l’Accord de Libre Echange entre l’Amérique Centrale et la République Dominicaine avec les Etats Unis. Une trêve de trois ans se met en place entre ces deux Etats. En 2005, les conflits pour la navigation du fleuve San Juan se réactivent et le Costa Rica dépose une requête à la Cour Internationale de Justice de la Haye (CIJ), en accusant le Nicaragua de violer le traité frontalier. Le Costa Rica dénonce aussi le dragage illégal du fleuve. La sentence de la Cour intervient le 13 juin 2009. Elle a été décrite comme étant une sentence assez mitigée, puisque d’un côté elle rappelle la libre circulation des Costariciens à des fins touristiques et commerciales sans impôts ou visas, mais réaffirme que les bateaux de la police costaricienne n’ont pas le droit de circuler sur le fleuve. A partir de 2005, une accélération du conflit entre le Costa Rica et le Nicaragua peut être observée, ainsi qu’une recrudescence des effets des conflits diplomatiques à l’échelle locale. 139 Le conflit autour de l’île Calero71 en 2010, ainsi qu’une requête présentée à la CIJ en 2010 par le Costa Rica et une autre en 2011 présentée par le Nicaragua, sont des éléments qui 72 permettent de démontrer l’aggravation des tensions entre les deux pays Cependant, ces nouveaux conflits marquent une certaine rupture avec les précédents car ils mobilisent la question de l’environnement comme justification. Cette particularité sera étudiée en profondeur dans notre septième chapitre, où ils seront envisagés comme des limites à la mise en place d’actions de coopération et de gouvernance environnementale. 2. Le bassin du fleuve San Juan, une région frontalière complexe et dynamique 2.1. Une frontière traversée par trois couloirs de circulation Certaines recherches invitent à séparer cette région de frontière particulière en trois axes, définis selon des critères tels que les différentes dynamiques économiques et sociales présentes (Morales, 2010, p. 199). Un axe est une ligne ou couloir regroupant plusieurs voies de transports entre deux pôles, autour desquels se mettent en place d’importants flux. Autour de cette ligne se structurent et s’organisent des dynamiques spatiales (Clifford, Valentine, & Holloway, 2009). Le premier est l’axe occidental pacifique, formé par les villes de Rivas et de Cardenas au Nicaragua et la province de Guanacaste au Pacifique nord du Costa Rica. Cet axe aurait comme bornes deux centres urbains, la ville de Rivas au Nicaragua et celle de La Cruz au Costa Rica. Autour de cet axe se mettent en place les interactions les plus formelles en termes de commerce et de circulation de personnes. Cet axe est celui qui est le plus contrôlé et où il y a la présence la plus importante de l’Etat. Il est très bien connecté avec d’autres villes d’importance comme Liberia au Costa Rica, et Managua et Granada au Nicaragua. D’importants flux commerciaux et de personnes s’y organisent autour de l’autoroute interaméricaine. 46% de la population totale du bassin est concentrée autour de ces deux 71 Ile localisée sur le delta du fleuve San Juan dans le versant Caraïbe du bassin, pendant l’année 2010, le Nicaragua réclama sa possession en prenant comme référence la délimitation frontalière proposée par le logiciel Google Maps, nous analyserons plus en profondeur ce conflit dans notre sixième chapitre. 72 L’analyse de ces conflits sera développé plus en profondeurs dans le Chapitre 7. 140 villes qui représentent que 13% de la surface du bassin. Le poste frontalier est localisé à Sapoá dans le municipe de Cardenas. Les villes de Rivas et de Guanacaste partagent des activités productives et les exploitations agricoles (les fincas) se caractérisent par leur grande étendue et sont généralement consacrées à l’élevage extensif. Il existe une forte proximité culturelle et des forts liens de parenté entre les familles des deux côtés de la frontière. Le Guanacaste a un système économique plus diversifié avec la croissance du tourisme de masse qui est la principale source de revenus (Morales, 2010, p. 202). Le deuxième couloir de circulation est l’axe est l’axe oriental Caraïbe articule, lui, la région Caraïbe qui est constituée par la Région Autonome de l’Atlantique Sud (RAAS), le municipe de San Juan del Norte et le canton de Pococi de la province de Limon au Costa Rica. Cette région est sûrement la plus marginale et isolée, car elle ne dispose pas de voies terrestres, les moyens de transport étant fluviaux ou aériens. C’est une région très peu peuplée et les activités économiques sont assez rudimentaires et de subsistance, comme la pêche et l’agriculture. Malgré sa situation de marginalité, cette région est très riche au niveau environnemental. Cet axe correspond à la partie aval du bassin du fleuve San Juan et concentre d’importantes aires protégées, comme la Reserve Indio Maïs au Nicaragua ou le Réfuge de faune et vie sylvestre de Barra del Colorado et Tortuguero au Costa Rica. Le troisième axe peut être défini sur la partie centrale de la frontière, qui articule les départements de Boaco et Chontales et le département de Rio San Juan (San Carlos, San Miguelito, El Castillo et une partie du municipe de Cardenas) et la Zone Nord du Costa Rica, c’est-à-dire Los Chiles, Upala et Guatuso. Cet axe correspond à la partie amont du fleuve San Juan. Le pôle d’interaction majeure est celui de San Carlos du Nicaragua et de Los Chiles du Costa Rica, qui est caractérisé par C. Granados et P. Girot comme étant une interface nationale / internationale. Cette région frontalière est articulée fonctionnellement et se caractérise par une forte interdépendance qui a été renforcée par son isolement vis-à-vis des capitales et par leur situation périphérique. C’est sûrement un des segments frontaliers qui se caractérise par la proximité culturelle et économique (Girot & Granados, 1997). En effet, cette limite frontalière s’est toujours caractérisée par sa porosité, ce qu’a permis la construction d’une identité historique partagée qui avait comme fondements des liens commerciaux forts, une histoire locale partagée et des liens de parenté (Morales, 2010, p. 208). Cependant cette interdépendance a évolué à travers le temps, comme pendant les années 1980 lorsque des enjeux géopolitiques propres de la Guerre Froide ont altéré ce voisinage transfrontalier. Les municipes nicaraguayens et les cantons costariciens que nous nous apprêtons à étudier se localisent majoritairement sur l’axe central et sur la partie aval du fleuve San Juan. In 141 convient d’insister sur le fait que ces cantons et ces municipes sont localisés sur un des axes considérés comme les plus interdépendants et les plus dynamiques. Ceci a amené à des nombreuses organisations internationales à mettre en place des projets de conservation autour de ce axe. En effet, ces cantons et ces municipes frontaliers font partie d’un système environnemental qui articule des éléments naturels et sociaux qui prennent le nom de « bassin hydrographique du fleuve San Juan » que nous allons maintenant caractériser. 2.2. Le bassin du fleuve San Juan : un système naturel intégré Le bassin hydrographique du fleuve San Juan est le deuxième bassin le plus grand d’Amérique Centrale (Granados & Jiménez, 2002, p. 13). Il constitue une seule unité hydro écologique, divisée uniquement par la frontière (Granados & Jiménez, 2002, p. 15). Le bassin du fleuve San Juan est constitué par trois sous-systèmes hydrologiques : le lac de 2 2 Xolotlan ou de Managua (1 026 km ), le lac de Cocibolca ou Nicaragua (8 000 km ) et le fleuve San Juan qui va de la ville de San Carlos (sur la rive du lac Cocibolca) jusqu’à son delta, où il bifurque et se sépare du côté nicaraguayen vers le fleuve Colorado, et du côté costaricien vers la mer des Caraïbes. Le fleuve marque le segment de la frontière situé sur le versant caraïbe de l’Isthme (Granados & Jiménez, 2002, p. 13). Les principaux affluents du fleuve sont les cours d’eau Sarapiquí, San Carlos et Río Frío du côté costaricien (d’où viennent les écoulements le plus importants des eaux), et les fleuves Melchora, Sábalos, Santa Cruz et Bartola du côté nicaraguayen (Girot, 1989, p. 18; Granados & Jiménez, 2002, p. 13). Il intègre des plaines, des marécages, des montagnes et des populations du Costa Rica et du Nicaragua. Les données précises sur sa taille varient selon les recherches et les publications73, mais ici nous utiliserons les données d’Alexander Lopez et Aurora Hernandez de l’Université Nationale du Costa Rica, qui reprennent les données les plus actualisées produites par la Commission Centraméricaine d’Environnement et Développement (CCAD) (López & 2 Hernández, 2009), pour laquelle l’aire de ce bassin est de 42 200 km (c.f. Carte 11). La frontière est longue de plus de 309 km, et le fleuve San Juan ne représente que 200 km ( Granados & Jiménez, 2002, p. 13). C’est ainsi qu’une partie importante de la frontière n’utilise pas ce fleuve comme support et a plutôt un support terrestre. 73 Selon les recherches menées par l’Unité de Frontières de l’Université du Costa Rica le bassin du fleuve San Juan a une aire de38 500 (Granados & Jiménez, 2002) et selon GWP m’extension du bassin est de 36 905 km2. 142 Ce bassin a un climat tropical-humide qui se caractérise par des précipitations abondantes durant toute l’année, qui peuvent atteindre les 6 000 millimètres annuels (Granados, 2002, p. 90). La forêt tropicale humide s’étend tout au long du bassin même si elle a été victime d’une importante dégradation environnementale depuis les 25 dernières années à cause de la croissance des monocultures d’ananas, de palme africaine et d’agrumes (c.f. Photographie 4). Le bassin du fleuve San Juan est considéré comme une des zones avec le plus de biodiversité de l’Isthme, grâce aux variations altitudinales, topographiques et par conséquent climatiques. Dans ce bassin, les zones de marécages sont importantes, comme celles de Medio Queso et de Caño Negro qui traversent la frontière au sud du Lac Cocibolca et qui s’étendent jusqu’au delta du fleuve San Juan. Carte 11 Bassin du fleuve San Juan 143 La principale richesse de ce bassin est sa biodiversité et la création de nombreuses aires protégées par les deux Etats est une preuve de cela. Ces aires protégées sont une conséquence du besoin de protéger cette importante biodiversité face à la pression que la frontière agricole exerce sur ces écosystèmes. Le tableau 10 présente les différentes aires protégées par pays ainsi que leur taille. 74 Tableau 10 Aires protégées dans le bassin du fleuve San Juan Costa Rica Aire (hectares) Année de création Parc National Tortuguero 18 946 1975 Refuge de Vie Sylvestre Caño Negro 10 258 1984 Refuge de Vie Sylvestre Barra del Colorado 92 000 1985 Refuge de Vie Sylvestre Corridor Biologique 48 609 1994 Frontalier Costa Rica-Nicaragua Nicaragua Aire (hectares) Année de création Refuge de Vie Sylvestre Los Guatusos 43 750 1990 Monument Historique Fortaleza de la Inmaculada 3 750 1990 Concepción de María Refuge de Vie Sylvestre Rio San Juan 43 000 1990 Réserve Biologique Indio Maiz 295 000 1990 Sources : (Cubero Acevedo & Soto Acosta, 2010, p. 39; Granados & Jiménez, 2002, p. 22). Ces aires protégées représentent en tout 385 500 hectares pour le Nicaragua et 169 813 hectares pour le Costa Rica (Granados, 2002, p. 91) et représentent une opportunité pour le développement de l’écotourisme et du tourisme local-communautaire. Cependant elles sont fortement menacées par le développement d’activités productives liées à l’agriculture d’exportation. Ces activités, selon Natalia Camacho 75 de la Fondation espagnole pour le Développement Municipal (FUNDEMUCA), sont insuffisamment contrôlées, car elles ne sont ni planifiées ni contrôlées. 2.2.1. Activités agricoles intensives : transformation des écosystèmes à des fins productives Ces importants écosystèmes transfrontaliers sont en danger depuis les années 1970 à cause de l’incorporation de cette région à l’économie agro-exportatrice, surtout du côté costaricien. Auparavant, la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua était restée un espace peu peuplé et peu intégré par rapport aux économies nationales. Cependant à partir de cette décennie il 74 Cf. Carte 16 qui présente ces aires protégées et les principaux conflits socio-environnementaux. 75 Entretien réalisé en juillet 2012 à Barrio Escalante, San José de Costa Rica 144 est possible d’observer l’avancement de la frontière agricole comme conséquence du développement de l’élevage, de la production de grains (riz, haricots) et du développement d’importantes monocultures (agrumes, ananas, palme africaine) (Granados & Jiménez, 2002, p. 24). Le paysage de ce bassin est marqué par la présence de grandes étendues de terres dédiées à l’agriculture d’ananas, d’agrumes et de palmes africaines. Les photographies 4 et 5 permettent de montrer ce paysage : champs d’ananas pour la première et champs d’agrumes localisés entre les villages de los Chiles et d’Upala au Costa Rica pour la deuxième. Ces activités sont très polluantes d’abord parce qu’elles génèrent une importante déforestation et assèchement des marécages, mais aussi parce qu’elles utilisent des pesticides et des herbicides qui polluent les nappes phréatiques et le fleuve San Juan. En plus la production d’ananas se caractérise par 76 produire l’épuisement des sols (Aravena, 2005) . La production d’agrumes est récente puisqu’elle date surtout des années 1990. Elle est portée par l’entreprise TICOFRUT et a la particularité de s’organiser de façon transfrontalière puisque les champs s’étendent des deux côtés de la frontière et les travailleurs circulent couramment entre les deux. Alvaro Chaverri 77 , membre de la Cooperative Coopelesca 78 dénonce l’impact nocif des agrumes, il affirme que plus de 16 000 hectares sont dédiés à la production d’orange dans la zone nord et que les champs d’agrumes déplacent progressivement les produits traditionnels comme les grains, le manioc, le maïs et le cacao, mettant en danger la sécurité alimentaire du pays. 76 Dans le Chapitre 7 nous présenterons en détail l’impact de ces monocultures sur les bassins des fleuves San Juan et Sixaola. 77 Entretien réalisé le 08/09/2012 à Ciudad Quesada Costa Rica 78 Coopelesca fondée en 1965 est une coopérative de production hydroélectrique qui s’est aventurée aussi dans la communication en fondant la chaîne de télévision TV Norte. 145 Photographie 3 : Marécages à Los Chiles, Costa Rica, août 2012 Photographie 4 : Champs d’ananas, Upala, Costa Rica, août 2012 Photographie 5 : Champs d’agrumes, Upala, 2012 146 Les coûts plus avantageux et les faibles politiques de conservation au Nicaragua ont conduit la production d’agrumes à se déplacer progressivement vers le côté costaricien de la frontière. De plus en plus d’entreprises transnationales comme TICOFRUT ou DOLE, achètent des champs du côté nicaraguayen, tandis que l’industrialisation de ces fruits continue à se faire du côté costaricien où les entreprises trouvent de la main d’œuvre plus qualifiée. Une autre activité très importante dans le bassin du fleuve San Juan est la production d’ananas, cette activité est actuellement considérée comme la première activité agricole non traditionnelle du Costa Rica. Avec plus de 26 000 hectares plantées, l’ananas est le produit le plus exporté aujourd’hui par le Costa Rica (Aravena, 2005, p. 14). La production d’ananas a eu une croissance accélérée au Costa Rica. Selon le Ministère de l’Agriculture du Costa Rica, l’espace national dédié à la production d’ananas est passé de 9 300 hectares en 1998 à plus de 23 000 en 2004, ce qui implique une augmentation de 90 % en six ans (Aravena, 2005, p. 15; Cubero Acevedo & Soto Acosta, 2010, p. 44). L’impact de l’ananas est particulièrement important sur le bassin du fleuve San Juan puisque 52% de la production d’ananas du Costa Rica s’est développée dans la Zone Nord (Los Chiles, Upala et Guatuzo). Il est important de mettre en évidence que le chiffre d’hectares cultivés est aujourd’hui très difficile à définir parce que même les autorités chargées de sa régulation comme la Chambre Nationale de Producteurs et Exportateurs d’Ananas du Costa Rica ne connaissent pas l’importance de sa production (Aravena, 2005, p. 15). Ces monocultures sont développées par des entreprises transnationales comme DOLE, Chiquita et TICOFRUT, lesquelles embauchent de la main d’œuvre nicaraguayenne qui émigre de façon temporaire pour travailler dans les champs costariciens. Olman Briceño79 propriétaire d’une entreprise exportatrice de pulpe et de surgelés de fruit, nommée La Paz, affirme qu’au moins 50% de la main d’œuvre de son entreprise est nicaraguayenne et que la production d’ananas et d’agrumes de la région dépend de cette main d’œuvre nicaraguayenne. Il reconnaît que dans les champs la main d’œuvre est souvent illégale, non déclarée et elle n’est pas prise en charge par la sécurité sociale. Selon les entretiens réalisés, la majorité des acteurs interrogés (80%) s’accordent sur le fait que la principale cause de pollution du bassin est le développement de ces monocultures d’ananas, de palme africaine et d’agrumes. L’utilisation de pesticides et d’herbicides a fortement pollué les fleuves que s’écoulent vers le lac Cocibolca. Actuellement des nombreuses recherches ont démontré la présence de 79 Entretien réalisé le 07/09/2012 à l’entreprise La Paz à Ciudad Quesada Costa Rica. 147 pesticides dans les fleuves Papaturro, la Palma et La Cucaracha ainsi que dans le Rio Frio. En 1999, la mort en masse de poissons a été dénoncée par le Ministère de l’Environnement et des Ressources Naturelles du Nicaragua (MARENA) à proximité du Refuge de Vie Silvestre Los Guatusos (Granados & Jiménez, 2002, p. 33). Autour de l’ananas notamment, souvent surnommé le « fruit de la discorde » par les groupes environnementalistes et les paysans, se nouent des nombreux conflits. Un mouvement de résistance appelé le Front de Résistance contra l’Expansion de l’Ananas a même été créé. Malgré les évidents bénéfices financiers produits par cette activité notamment aux grandes entreprises transnationales, ses effets négatifs à l’échelle locale sont nombreux. L’agriculture de l’ananas est très polluante notamment à cause des herbicides et des 42 produits agrochimiques qui sont utilisés pour augmenter sa rentabilité. Ces produits ont un impact très négatif sur les cours d’eau et sur les nappes phréatiques (Cubero Acevedo & Soto Acosta, 2010, p. 45). Pour A. Chaverri la question qui doit être posée par rapport à la production d’ananas est la suivante : « Que va-t-on faire une fois que les entreprises transnationales partiront en nous laissant des champs pollués qui ne sont plus fertiles ? ». Cette question est centrale, puisque la culture de l’ananas a un impact à long terme, les terres perdent tous leurs nutriments et ne sont plus aptes pour l’agriculture. Chaverri décrit ce phénomène comme étant celui de la « tierra arrasada » c’est à dire de la terre brulée, dépourvue de toute sa rentabilité. Parallèlement, l’expansion des champs dédiés à l’agriculture pose aussi un problème de déforestation. Au début des années 1980, 50,2 % de la région de la Zone Nord du Costa Rica était couverte par des forêts, mais huit ans après, la surface forestière a été réduite à 34,5 % (Granados & Jiménez, 2002, p. 24). Plus récemment, des activités encouragées par l’Etat costaricien comme la mise en place de projets exploitation minière à Crucitas (qui a eu comme conséquence la perte de 199 hectares de forêts primaire près de Los Chiles) ou encore la construction d’une autoroute qui borde la frontière, ont contribué à l’augmentation de la déforestation dans cette région. Cependant, préciser le taux de déforestation est difficile puisqu’il n’y a pas de recensements actualisés ni du côté costaricien ni nicaraguayen pour cette région (Granados & Jiménez, 2002, p. 24). En outre, d’importantes étendues de marécages ont été drainées pour augmenter les superficies des champs dédiés à l’élevage ou à la production de riz (c.f. photographie n.3). Ceci a été le cas des marécages transfrontaliers de Medio Queso et de Caño Negro, lesquels ont été partiellement asséchés. Pour encourager la protection de ces écosystèmes, les 148 marécages Los Guatusos au Nicaragua et de Caño Negro au Costa Rica ont été déclarés sites Ramsar80 et sont protégés par cette convention internationale. 2.2.2. Une frontière aux interdépendances multiples 2.2.2.1. Une histoire en commun: peuplement, isolement, exclusion et interdépendance La région frontalière entre le Costa Rica et le Nicaragua est restée longtemps un espace de circulations libres et intenses et certains auteurs la décrivent même comme « une unité environnementale et culturelle » (Morales, 2010, p. 198). Cette intégration n’a jamais été formelle ni le résultat de la volonté des Etats, mais est plutôt la conséquence de l’isolement et de la marginalisation dont a été objet cette région frontalière. En effet, la population de cette région frontalière partage des caractéristiques ethniques et culturelles semblables de part et d’autre de la frontière. Les villages frontaliers du côté costaricien comme los Chiles, Upala et Guatuso, et les villages du côté nicaraguayen comme San Carlos, Cardenas et el Castillo, sont majoritairement peuplés par des populations métisses qui partagent une identité paysanne et le mythe d’être descendants des Espagnols. Ils partagent ainsi des caractéristiques culturelles, langue, religion et « passé commun » (Mojica- Mendieta, 2010, p. 76). Dans ce bassin, un groupe indigène appelé Maleku habite plus particulièrement sur le bassin du Rio Frio. Les Maleku sont le plus petit groupe indigène au Costa Rica, leur territoire 2 s’étend aujourd’hui sur 2 993 km à proximité du canton de Guatuso, mais auparavant il s’étendait jusqu’à la côte sud du Lac de Nicaragua. Actuellement, les populations Maleku n’habitent plus que dans trois villages: Palenque del Sol (45 habitants), Palenque Margarita (157 habitants) et Palenque Tonjibe (178 habitants) (Montoya-Greenheck, Carvajal & Salas, 2008). La population de ces régions frontalières a considérablement évolué, entre 2000 à 2007, la population des cantons frontaliers costariciens a augmenté de18,04 % et la population des municipes frontaliers nicaraguayens a augmenté de 38,31 % (Cubero Acevedo & Soto Acosta, 2010, p. 39). Ceci peut être expliqué, par l’expansion de champs dédiés à la production de monocultures. Ces plantations agricoles sont devenues une source d’emploi très importante et attirent ainsi des travailleurs costariciens et nicaraguayens. 80 “La Convention sur les zones humides (1975) d’importance internationale, appelée Convention de Ramsar, est un traité intergouvernemental qui sert de cadre à l’action nationale et à la coopération internationale pour la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides et de leurs ressources ». 149 La densité de population reste cependant basse, le municipe de Cardenas au Nicaragua a la 2 densité de population la plus importante avec 32,9 hab/km , suivi de celui de San Carlos avec 2 2 27 hab/km . Du côté costaricien, le municipe d’Upala a 25 hab/km et celui de Los Chiles 2 17 hab/km . La population frontalière est majoritairement rurale : 68,3 % de la population costaricienne et 70 % de la population nicaraguayenne vivent dans le milieu rural. Une autre caractéristique est la jeunesse des populations frontalières, puisque 40 % a moins de 15 ans (Granados & Jiménez, 2002, p. 19). Au total, plus d’un million de personnes habitent dans ce bassin, cependant il faut prendre en compte sa superficie très grande et le fait qu’il englobe d’importantes villes comme la capitale du Nicaragua, Managua, et Granada. C’est pour cette raison que du côté nicaraguayen de ce bassin il n’y a que 47 % de la population qui est rurale, contre 77 % au Costa Rica (Morales, 2010, p. 199). Tableau 11 Population et superficie des bassins du fleuve San Juan Bassin Pays qui le Superficie en Population Pourcentage Pourcentage de la 2 frontalier partagent km du bassin dans population qui y chaque pays habite Costa Rica 72% 29% * San Juan 42 200** 1 070 000 Nicaragua 28% 71%* Sources: Global Water Parthnership, « Situación de los recursos hídricos en América Central : Hacia una gestión integrada » GWP Centroamérica, 2011, p. 21 ** Hernández-Ulate et al., « Gobernabilidad e Instituciones en las cuencas transfronterizas de América central y México», FLACSO, 2009, p. 58. * Morales, Abelardo, Desentrañando fronteras y sus movimientos transnacionales entre pequeños estados. Un aproximación desde la frontera entre Nicaragua y Costa Rica, « Migraciones y fronteras, nuevos contornos para la movilidad internacional » . Fundación CIDOB, Incaria Antrazyt, Barcelona, 2010. Cette région correspond, selon le modèle centre-périphérie, à une région périphérique, c’est-à -dire une région avec une densité de population faible, rurale et avec un niveau de vie moins élevé par rapport aux centres des deux pays où se concentrent l’activité industrielle, la production de richesse et les services de l’Etat (Reynaud, 1981). Le bassin du fleuve San Juan se caractérise par d’importantes asymétries internes économiques et sociales. Dans l’ensemble du bassin, du côté costaricien 55% des familles vivent sous la ligne de pauvreté et du côté nicaraguayen 70% de la population est en situation d’extrême pauvreté (Granados & Jiménez, 2002, p. 23). 150 La présence de l’Etat costaricien sur cette région frontalière est récente, elle date de la deuxième moitié du XIXe siècle. Du côté nicaraguayen en revanche, des centres de peuplement importants comme Granada, San Carlos et El Castillo existaient déjà depuis la période coloniale. Ces villes frontalières sont encore aujourd’hui importantes mais elles ont perdu leur position stratégique. Dans le cas du Costa Rica, cette région a été un front pionnier qui devait être intégré. C’est à cause de cela que l’Etat costaricien a essayé de stimuler la colonisation de ces terres avec une loi en 1862 qui garantissait aux colons l’usufruit des terres colonisées pendant 10 ans (Girot, 1989, p. 20). Beaucoup de colons qui se sont installés à Los Chiles et à Guatuso venaient des villages comme Ciudad Quesada, Zarcero ou Florencia qui étaient des villages costariciens localisés plus au centre du territoire (Girot, 1989, p. 29). Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, cette région est restée isolée à cause du manque de routes qui auraient pu la connecter avec les centres de pouvoirs de ces deux pays. Ceci a favorisé le développement d’un commerce fluvial autour du fleuve San Juan et de ses tributaires. San Carlos et Granada, villes localisées sur la côte du lac Nicaragua, ont eu grâce à cette localisation un rôle stratégique et ils ont fonctionné comme des pôles commerciaux importants qui étaient reliés au littoral caraïbe et dont les villages costariciens dépendaient (Girot, 1989, p. 22). Les réseaux transfrontaliers ainsi que les échanges commerciaux étaient dynamiques et ils ont connu leur apogée pendant les années 1950-1970, puisque les villages d’Upala, de Guatuso et de Los Chiles exportaient leur production et leur excédents agricoles par la voie fluviale vers San Carlos de Nicaragua (Girot, 1989, p. 23). Le village de Los Chiles ne sera relié au reste du Costa Rica qu’en 1985 avec la construction d’une autoroute. Financée par les Etats-Unis, celle-ci a été construite pendant la période de la contrerévolution nicaraguayenne et répondait à des fins militaires. C’est ainsi que le développement de l’infrastructure frontalière ainsi que le renforcement de la présence de l’Etat pendant les années 1980, répondent à l’importance que cette région a eue géopolitiquement pour les Etats-Unis. C’est dans ce contexte que l’hôpital de Los Chiles a été construit et que le Projet Intégral de Développement de la Zone Nord financé par l’USAID s’est mis en place en 1983 (Girot, 1989, p. 29). Ce Programme comptait sur un budget de 350 millions de dollars et avait comme objectif principal l’intégration de cette région frontalière à travers la colonisation (peuplement) et la construction de chemins. Le conflit armé nicaraguayen ainsi que la période postrévolutionnaire pendant les années 1980 a profondément marqué cette frontière. Cependant, ce conflit n’a pas mis de la distance entre les habitants des villages frontaliers. En effet, lors de la révolution nicaraguayenne, la 151 proximité entre les habitants de part et d’autre de la frontière a été visible, notamment à travers de nombreuses actions de solidarité : le transport clandestin d’armes, la mise en place de réseaux de protection pour les familles des guérilleros où le soutien logistique du mouvement paysan, sont des formes de collaboration avec la révolution sandiniste qui ont été évoquées durant les entretiens. Selon Wilson Campos, adjoint du maire d’Upala, le mouvement paysan a eu un rôle fondamental durant la révolution nicaraguayenne puisque ses membres cachaient des personnes poursuivies par l’armée somoziste, passaient des armes, de la nourriture et donnaient de l’assistance médicale. De plus, de nombreux habitants de ces villages ont aussi combattu avec le Front Sandiniste de Libération Nationale. Cette collaboration a été d’autant plus naturelle que beaucoup d’entre eux avaient de la famille du côté nicaraguayen. D’après les entretiens réalisés, le mouvement paysan costaricien a été un moteur pour le développement et la politisation de ces villages frontaliers. Non seulement ils ont lutté pour la distribution de la terre, mais ils ont développé un discours environnementaliste qui défend la souveraineté alimentaire et le développement durable. Ce mouvement reste encore aujourd’hui très actif puisqu’il a participé de façon protagoniste à de nombreuses actions de résistance contre l’exploitation minière, contre l’accord de libre échange avec les Etats Unis et contre l’expansion des cultures d’ananas. Il réussit, avec le soutien d’autres secteurs, à déclarer le moratoire de l’activité minière dans la Zone Nord. En plus, pendant le référendum du 7 octobre 2007, qui avait comme objet de définir si le Costa Rica acceptait ou pas l’Accord de Libre Echange avec les Etats-Unis, Los Chiles, Upala et Guatuso ont voté « non ». Progressivement ce mouvement a commencé à s’institutionnaliser, et d’anciens leaders du mouvement appelé « Mesa Campesina » occupent aujourd’hui des postes au sein des gouvernements locaux comme c’est le cas de Wilson Campos81. Une proximité frontalière historique Malgré les nombreuses tensions diplomatiques existantes à l’échelle nationale entre le Costa Rica et le Nicaragua depuis plus de deux siècles, la région septentrionale du Costa Rica (Upala, Los Chiles et Guatuso) et le département du Rio San Juan au Nicaragua (Cardenas, San Carlos et El Castillo plus particulièrement) font preuve d’une importante continuité culturelle et certains auteurs évoquent même l’existence d’un « voisinage transfrontalier » historique (Matul, 2007). 81 Entretien réalisé à Wilson Campos adjoint du Maire de Upala septembre 2012 à Moravia Costa Rica. 152 Comme nous l’avons déjà évoqué, l’isolement de ces deux régions par rapport aux centres de pouvoirs a permis que d’importants échanges commerciaux se créent entre les villages frontaliers des deux pays. San Carlos de Nicaragua a été historiquement le moteur économique de cette région et les habitants du côté costaricien dépendaient commercialement de celui-ci. En revanche, depuis les trente dernières années, la mobilité de ressources et de personnes a changé de sens, aujourd’hui les flux sont plutôt dirigés vers le Costa Rica. A l’échelle nationale, la migration de Nicaraguayens vers le Costa Rica est un phénomène important depuis les années 1970, ce qui a tendu les relations entre ces deux pays (Sandoval, 2012, p. 180). En 1990, 46 000 entrées sont comptabilisées dans le pays via cette frontière, tandis qu’en 2000 les entrées atteignent les 140 000 personnes (Medina, 2004, p. 358), sans prendre en compte l’importante migration illégale et clandestine. Cette migration économique en croissance pendant cette période est à l’origine de tensions diplomatiques entre ces deux pays. Le Costa Rica durcit sa politique migratoire et le Nicaragua dénonce les mauvais traitements que subissent les immigrés nicaraguayens. Nous pouvons aussi constater une importante montée des discours nationalistes et xénophobes. A l’échelle locale, 70% de la population résidente dans partie nicaraguayenne de ce bassin est dans une situation de pauvreté extrême. La manque de centres scolaires et de centres de santé font que les Nicaraguayens qui habitent la « côte d’azur du lac », selon l’expression consacrée par les habitants pour désigner la frange de terre qui est localisée entre le Lac du Nicaragua et la frontière du Costa Rica (soit les municipes de Cardenas et San Carlos), traversent la frontière pour assister à l’école, pour avoir accès à des centres de santé costariciens ou pour trouver des travaux mieux rémunérés notamment dans la production d’ananas et d’agrumes. La photographie 6 montre un centre de santé d’attention primaire costaricien, appelé Equipe Basique d’Attention Intégrale en Santé (EBAIS). Ce centre de santé de petite taille, localisé à Mexico d’Upala, village frontalier avec Papaturro, reçoit un peu près 800 personnes par mois 82 dont 600 sont nicaraguayens . Le journal costaricien La Nación publie un article en février 2014 : « Des enfants du Nicaragua marchent sept kilomètres par jour pour venir aux écoles costariciennes »83 : selon l’enquête, 103 enfants traversent la frontière et marchent près de sept kilomètres par jour pour aller à l’école de La Cruz d’Upala au Costa Rica. Dans cette école, sur les 92 élèves inscrits en 2014, 40 élèves viennent du Nicaragua (Journal La Nación, 12 février 2014). Selon ce 82 Entretien avec le Alejando Ubaü, Maire d’Upala, réalisé le 25 août 2012 à la Mairie d’Upala, Costa Rica 83 http://www.nacion.com/nacional/educacion/Ninos-nicaraguenses-caminan-diarios- escuelas_0_1396260376.html 153 journal, les écoles sont obligées de recevoir ces élèves parce que le Costa Rica a signé la Convention Internationale des Droits des Enfants et les accords du Haut Commissariat de l’ONU pour les Réfugiés (ACNUR). Ces normes établissent que la situation migratoire n’est pas une raison qui puisse justifier le refus de l’accès à l’éducation d’un enfant. Ce qui est encore plus paradoxal, c’est que ces enfants sont souvent nés au Costa Rica puisque que beaucoup de femmes nicaraguayennes viennent accoucher à Upala, mais ne sont pas reconnus comme costariciens. Cette région est donc dynamique et interdépendante et présente une forte proximité culturelle et une importante porosité qui favorise les déplacements. Nous pouvons même affirmer que c’est un espace « traversé, de passage et de transgression » (Reitel & Zander, 2004, p. 1). Pascal Girot décrit le lien entre les habitants de la Zone Nord du Costa Rica et des villages de San Carlos et Cardenas comme un lien presque ombilical (Girot, 1989, p. 17). Les liens familiaux traversent la frontière, des nombreuses familles sont divisées par la ligne frontalière. La majorité des personnes résidentes dans ces villages frontaliers partagent de liens de familiaux avec des personnes qui habitent de l’autre côté. Pendant les entretiens nous avons pu identifier le cas de la famille Ubaü qui nous paraît à même d’illustrer la complexité des liens de proximité existant sur ce bassin (c.f. Encadré 2). A Mexico d’Upala au Costa Rica, village frontalier avec Papaturro au Nicaragua, nous avions pu constater que de nombreuses maisons ont été construites sur la ligne frontalière malgré les normes qui établissent que la bande de 200 mètres avant la frontière est la propriété de l’Etat. Sur la photographie 8, nous pouvons voir une maison qui utilise la borne frontalière comme une partie de sa clôture, ce qui démontre l’artificialité de cette frontière et la transgression faite par ses habitants, la borne ne représentant pour eux aucune limite. Comme nous l’avons déjà évoqué au début de ce chapitre, dans les dix dernières années, de nouvelles tensions se sont cependant développées, particulièrement des conflits de position liés à l’appartenance de l’île Calero et des conflits fonctionnels qui ont plutôt trait au désaccord existant entre ces deux pays autour de la gestion environnementale de ce bassin. Il est intéressant de noter qu’au fur est à mesure que les Etats cherchent à renforcer leur contrôle sur ces régions frontalières, les conflits ont tendance à ressurgir. Alejandro Ubaü est conscient que les relations sont devenues plus tendues depuis 2005 à l’échelle locale et que les mairies nicaraguayennes et les mairies costariciennes se sont considérablement distanciées. Nous analyserons, l’impact de ces nouveaux conflits dans le chapitre sept de cette thèse. 154 Encadré 4 Continuité culturelle : Familles transfrontalières, le Cas Famille Ubaü Leonel Ubaü et Alejandro Ubaü sont deux frères séparés par un conflit armé et aujourd’hui par une frontière. Leonel Ubaü est aujourd’hui le directeur de FUNDEVERDE, une organisation environnementaliste très importante à San Carlos de Nicaragua. Alejandro Ubaü est maire du village frontalier d’Upala au Costa Rica. Ils sont aujourd’hui des leaders locaux et affirment que leur lien familial facilite certaines actions de coopération entre les deux pays. La famille Ubaü est l’exemple d’une famille binationale, d’abord parce que tous ses membres ont la double nationalité, mais aussi parce que ils ont résidé en alternance des deux côtés de la frontière. Leur père a été propriétaire de terres à Upala au Costa Rica, à Papaturro et à San Carlos au Nicaragua. Deux frères habitent du côté nicaraguayen et deux du côté costaricien. Cette famille a été fortement impliquée dans le mouvement révolutionnaire sandiniste, raison pour laquelle elle a été poursuivie par l’armée somoziste. Pendant le conflit armé, les plus âgés ont combattu avec l’Armée Sandiniste de Libération Nationale, pendant que les plus jeunes fuyaient au Costa Rica. Alejandro Ubaü raconte comme ils ont été accueillis par des réseaux d’appui costariciens qui les ont aidé à s’installer dans la ville d’Heredia, localisée dans la région métropolitaine du Costa Rica. Alejandro Ubaü a ensuite poursuivi ses études à l’Université Nationale du Costa Rica à Heredia, et une fois diplômé il est revenu travailler à la frontière avec une organisation appelé CENDEROS, qui est un centre de droits sociaux pour les migrants nicaraguayens à Upala. Son frère Leonel est le directeur de une ONG environnementaliste localisé à San Carlos de Nicaragua et qui s’appel FUNDEVERDE. Selon Alejandro Ubaü, les familles binationales comme la sienne sont très nombreuses sur cette frontière et il affirme que cette frontière se définit par cette proximité culturelle et sociale. Il perçoit cette frontière comme toujours conflictuelle pour les gouvernements, et non pour les gens. Cette famille, n’a pas perdu le contact et se réunit constamment, notamment pendant les fêtes de famille. Entretien avec Alejandro Ubaü, réalisé à la Mairie d’Upala au Costa Rica le 9 septembre 2012 Entretien avec Leonel Ubaü, réalisé à San Carlos de Nicaragua, le 23 août 2012 155 Photographie 6 Centre de Santé à Mexico d’Upala et Photographie 7 Maison localisée sur la frontière Costa Rica-Nicaragua à Mexico d’Upala Photographie 8 Alejandro Ubaü, Maire d’Upala, montre la borne frontière utilisée dans la clôture d’une maison 156 3. La frontière Costa Rica-Panamá, un tracé au service des enclaves bananières 3.1.La difficile horogenèse d’une région transfrontalière La frontière entre le Costa Rica et le Panamá fait près de 333,5 km, et elle est considérée comme la frontière la plus pacifique et propice pour la coopération transfrontalière dans la région centraméricaine (Girot & Granados, 1997, p. 293). Cela ne signifie pas que la délimitation de cette frontière n’ait pas été source de nombreux conflits. Elle a même été le scénario d’un affrontement armé entre les deux Etats, alors qu’on peut rappeler que malgré les conflits diplomatiques plus nombreux existants entre le Costa Rica et le Nicaragua, ces deux pays ne sont jamais arrivés à prendre les armes pour régler leurs différends. Le processus de définition de la frontière actuelle entre le Costa Rica et le Panamá a commencé au XIXe siècle avec les négociations entamées alors entre le Costa Rica et la Grande Colombie (le Panamá n’ayant obtenu son indépendance qu’en 1904), et s’est poursuivi jusqu’en 1941, lorsqu’est signé un accord entre le Costa Rica et le Panamá. Juste après les indépendances, en 1825, la République de la Grande Colombie et les Provinces Unies d’Amérique Centrale avaient établi un premier traité, qui reprenait les tracés établis pendant la période coloniale. Cet accord devait être temporaire puisque les deux parties s’étaient engagées à rédiger postérieurement une convention spéciale pour préciser davantage la ligne frontalière. Avec la désintégration de la Grande Colombie et sa division en trois Etats, dont celui de la Nouvelle Grenade, un nouveau conflit se déclencha. En 1837, l’armée de la Nouvelle Grenade occupa l’archipel de Bocas del Toro et annexa par la suite le territoire allant de la Province de Bocas del Toro à la Province de Veraguas, aux dépens du Costa Rica. Après l’annexion de cette partie du territoire costaricien par la Nouvelle Grenade, ce n’est qu’à partir de 1880 que le Costa Rica et la Nouvelle Grenade reprendront le dialogue pour éclaircir leur situation frontalière. Le besoin de définir cette frontière devait réapparaître dans un contexte très particulier, puisqu’à la fin du XIXe cette région frontalière commençait à avoir une importance géopolitique notamment avec l’accélération du processus de colonisation, principalement du côté panaméen et avec l’installation des premières entreprises bananières sur le versant Caraïbe de cette frontière. 157 Les tentatives de négociations ont été nombreuses pendant les années 1880-1886, mais elles n’ont pas abouti à un accord. La principale source de ce désaccord était l’incapacité à faire coïncider les différentes interprétations qui existaient par rapport à la localisation de la ligne frontalière. Pendant ces négociations, la question de l’appartenance des territoires de Bocas del Toro et de la région du Coto était au cœur des tensions. Tout au long du processus de démarcation les autorités des deux pays ont plusieurs fois fait appel à des arbitrages. Le premier arbitrage d’importance a été convoqué en 1896, lorsque les Républiques du Costa Rica et de la Colombie se sont mis d’accord pour se soumettre à l’arbitrage du président français Emile Loubet. Chaque partie présenta des documents historiques, des textes d’accords et des cartes à une Commission qui avait été convoquée par le président Loubet. Le président français rendit son verdict le 11 septembre 1900, qui concédait la Vallée de Talamanca ou de Sixaola, peuplée par des Costariciens, à la Grande Colombie, mais octroyait en échange la région du Coto, peuplée par des Panaméens, au Costa Rica. Ce découpage ne fut jamais mis en exécution puisque le Costa Rica refusa catégoriquement cette délimitation. Les deux pays s’accordèrent alors pour maintenir temporairement les limites coloniales et le statu quo dans les territoires occupés, le Coto restant donc panaméen et la région de Sixaola costaricienne (Medina, 2004, p. 81). Une fois le Panamá indépendant de la Grande Colombie en 1904, il décida de reprendre les négociations, cette fois sous la médiation des Etats-Unis. Pour les Etats-Unis, deux éléments rendent leur intervention stratégique dans la délimitation de cette frontière. Le premier est la construction d’un potentiel canal interocéanique au Panamá, pour lequel il était impératif de stabiliser le pays avec une définition rapide du territoire. L’autre raison de poids était la présence de plantations de bananes étasuniennes sur cette frontière depuis les années 1870 (Hall et al., 2003, p. 204). Durant les XIXe et le XXe siècles, les Etats-Unis ont développé la Doctrine Monroe, dont le slogan était « l’Amérique aux Américains ». Cette doctrine qui a fortement influencé leur politique extérieure, avait comme objectif d’éloigner du continent américain les puissances européennes qui avaient encore des intérêts coloniaux. Cette face impérialiste étasunienne a été renforcée par un corollaire établi en 1904 par le président Theodore Roosevelt, qui condamnait toute action qui puisse menacer les entreprises et les intérêts étasuniens sur le continent et justifiait l’intervention du gouvernement étasunien. Ce corollaire sera ainsi une carte blanche pour les Etats-Unis qui progressivement étendront leur hégémonie sur le continent américain. 158 La présence d’entreprises bananières dans l’Isthme au XXe siècle a été déterminante. Ces entreprises se sont installées dans les confins de l’Isthme, sur le versant caraïbe et sur les frontières, là où la présence des Etats était particulièrement faible. Au XXe siècle, des enclaves bananières se sont consolidées dans les régions frontalières du Honduras et du Guatemala, du Costa Rica et du Panamá et sur la côte caraïbe du Honduras (Bourgois, 1994, p. 44). Ces compagnies ont eu un rôle déterminant dans la vie politique des pays de l’Isthme, elles ont supporté des partis politiques qui s’engageaient à protéger leurs intérêts et elles sont même intervenues dans la définition de plusieurs segments frontaliers entre le Guatemala et le Honduras et entre le Costa Rica et le Panamá. M. Foucher note que « la politique frontalière a été un élément essentiel du contrôle impérialiste, qui a tiré parti des divisions et rivalités entre les dirigeants locaux de l’ensemble centraméricain.[…]Plusieurs segments frontaliers – Honduras/Guatemala, Panamá/Costa Rica – ont été déterminés en fonction des intérêts et des rivalités des compagnies bananières et de leurs alliés caudillos » (Foucher, 1991, p. 152). Ces entreprises ont transformé le versant Caraïbe de l’Isthme, elles ont conquis les forêts tropicales, combattu la malaria et la fièvre jaune. Elles ont aménagé le territoire en construisant des chemins de fer, en introduisant l’électricité et en générant des modèles particuliers d’urbanisation et de peuplement, en divisant les villages en districts bananiers. Elles ont aussi peuplé ces régions en introduisant de la main d’œuvre chinoise et afro- caribéenne qui venait majoritairement des Antilles pour travailler dans les plantations (Hall et al., 2003, p. 204). Les populations autochtones Bribris et Ngöbes qui habitaient la Vallée de Sixaola, frontalière entre le Costa Rica et le Panamá, ont dû chercher refuge dans les montagnes de Talamanca pour ainsi fuir l’expansion de l’activité bananière (Bourgois, 1994, pp. 59-60). L’activité bananière, à la différence de la culture du café qui est plus saisonnière, a besoin d’une main d’œuvre régulière résidant dans les plantations. Les plantations sont ainsi devenues un monde en soi, et elles ont mis en place tout un système de production organisé en enclave. Ce système s’est mis en place de façon intensive sur la façade Caraïbe de l’Amérique Centrale 84 et a accentué la spécificité de cette zone, y établissant « des microcosmes caribéens » très distincts du peuplement métis de la façade pacifique de l’Amérique Centrale (Hall, 1985, p. 7). L’historienne spécialiste de l’Amérique Centrale, C. Hall, compare le fonctionnement de ces multinationales bananières aux empires coloniaux, en ce sens qu’elles avaient une hiérarchie très similaire, leurs centres d’opération étant localisés aux Etats Unis, 84 Ces grandes plantations se sont mises en place dans les plaines caribéennes aux Guatemala, Honduras, Costa Rica et Panamá. 159 et qu’à l’échelle locale elles mettaient en place des unités d’opération gérées par un administrateur comme les vice-royautés coloniales. Ces unités étaient connectées à des ports par des chemins de fer gérés aussi par ces mêmes entreprises. Les enclaves étaient des systèmes fermés qui articulaient des villages, des plantations et des comisariatos, magasins des entreprises bananières qui vendaient aux travailleurs de la nourriture et des biens. Les gouvernements n’encaissaient pas de vrais bénéfices pour cette activité et ne recevaient que quelques taxes liés à l’exportation (Hall et al., 2003, p. 206). L’argent produit par les travailleurs revenait ainsi à l’entreprise qui les payait. Les enclaves avaient leur propre monnaie à travers un système de coupons et étaient isolées des centres de pouvoir. Les entreprises bananières avaient ainsi toute autonomie et souveraineté sur ces territoires. Les frontières centroaméricaines ont été ainsi oubliées et livrées par les gouvernements aux mains des enclaves bananières (Girot & Granados, 1997, p. 293). La présence de ces entreprises a été particulièrement importante à la frontière entre le Costa Rica et le Panamá, laquelle a été longtemps considérée comme la zone de production majeure de bananes de l’Isthme grâce à ses conditions climatiques favorables pour cette culture (Hall et al., 2003, p. 206). La production de banane commence en 1870, encouragée par un entrepreneur étasunien appelé Minor Cooper Keith. L’exploitation de la banane sur le côté costaricien de cette frontière sera faite dans un premier temps par l’entreprise de Keith, nommée United Fruit Company (UFCO). Cette entreprise occupera presque toute la partie moyenne et amont du bassin du fleuve Sixaola. En 1899, cette compagnie conclût un accord avec le gouvernement costaricien qui avait comme président Bernardo Soto, connu comme l’accord Soto-Keith : l’UFCO serait responsable de la construction du chemin de fer et de sa gestion, recevrait une concession de 800 000 hectares pour commencer la production de banane dans la partie Caraïbe du Costa Rica et disposerait de l’autonomie nécessaire pour administrer les plantations comme elle le voudrait. Du côté panaméen cette compagnie prit le nom de Chiriqui Land Company est s’étendit dans la vallée du fleuve Sixaola, sur les villages de Changuinola et d’Almirante. Pour faciliter l’installation de cette entreprise, le gouvernement panaméen vota la loi n.33 en 1927; qui autorisa cette compagnie à construire des voies ferrées secondaires pour relier les plantations, à exploiter gratuitement les forêts et à utiliser les fleuves et les lagunes pour construire le système d’irrigation. Ces entreprises fonctionnaient ainsi de façon transfrontalière sur une frontière qui n’avait pas été clarifiée et autour de laquelle il y avait de forts conflits diplomatiques. Cette situation faisait donc peser un risque sur les importants investissements que ces entreprises avaient réalisés sur cette frontière. C’est dans ce contexte que l’intervention des Etats-Unis fut 160 sollicitée en 1910, après que le Costa Rica et le Panamá ait refusé d’un commun accord le fallo Loubet. L’arbitrage du Président de la Cour Suprême de Justice des Etats Unis, Edward White, édicté le 12 septembre 1914, repoussera la ligne frontalière vers le sud jusqu’au fleuve Sixaola et confirmera la souveraineté du Costa Rica sur la région du Coto. Mais la sentence sera perçue par les Panaméens comme étant plus favorable au Costa Rica, raison pour laquelle l’Assemblée Nationale du Panamá refusera de reconnaître ce nouvel arbitrage. C’est cette incapacité à trouver un accord qui conduit les deux pays à un affrontement armé en 1921. Cette guerre, connue comme « la guerre du Coto », se développa dans la région du Coto et de Bocas del Toro. Elle se déclencha au moment où l’armée costaricienne, rassurée par l’appui des Etats-Unis, décida d’envahir la région du Coto que les Panaméens ne voulaient pas céder. Ce premier affrontement se terminera par la reddition du Costa Rica (Casillero- Pimentel, 1973, p. 143). Cependant, les combats se sont poursuivis jusqu’au 4 mars où l’armée costaricienne débarque à Guabito, poste de frontière sur le versant Caraïbe et occupe ensuite le port d’Almirante. Face aux protestations du Panamá, qui proposait l’arbitrage de la Haute Cour Internationale de Justice, les Etats-Unis menacèrent le gouvernement panaméen d’envahir le pays et firent pression pour que le président panaméen Belisario Porras accepte les conditions de l’accord White en abandonnant le nord-ouest de Punta Burica, mettant ainsi fin au conflit armé.Même si cette « guerre » a été de faible ampleur et les affrontements finalement assez brefs, l’impact sur les relations diplomatiques entre ces deux pays a été plus sévère, puisqu’il y a une rupture des relations diplomatiques pendant presque sept ans (1921-1928). Il faudra attendre 1935 pour que les deux pays s’engagent à rédiger un nouveau traité frontalier. Le traité Arias- Calderon (noms des présidents signataires) ou Echandi-Jaen (noms des ministres responsables des négociations) a été signé le 1er mai 1941. Une Commission de Limites sera chargée des travaux de démarcation, terminés en 1944. A différence de la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua, qui utilise la rive droite du fleuve San Juan comme support de la ligne frontalière, la commission a utilisé le talweg du fleuve Sixaola comme repère pour le tracé. Celui-ci a été formalisé aussi en utilisant des coordonnées géographiques comme points de repère, ce qui permet de fixer la ligne frontalière, même si le fleuve venait à bouger ou changer de cours. 161 er er Encadré 5 Traité Arias-Calderon 1 mai 1941 (art. 1 ) « Partant de l’embouchure actuelle du rio Xixaola, dans la mer caraïbe, la frontière suit le talweg su dit fleuve vers l’amont jusqu’à sa confluence avec le rio Yorkin ; de là elle suit le talweg du rio Yorkin vers l’amont jusqu’au parallèle de latitude 9° 30’ Nord de l’Equateur ; de là elle continue en direction géographique Sud 76° 37° Ouest jusqu’au méridien de longitude 82° 56’ 10’’ à l’Ouest de Greenwich ; de là elle suit ce méridien en direction du Sud vers la cordillère qui sépare les eaux de l’Océan Atlantique des eaux Pacifique ; de là elle suit le cordillère mentionnée jusqu’au Cerro Pando, point de contact entre cette cordillère et le contrefort que constitue la séparation des eaux entre les affluents du Golfo Dulce et les affluents de la Baie Charco Azul: de là elle suit ce contrefort pour terminer à la Punta Burica sur l’Océan Pacifique ». Il est important de mettre en évidence combien l’impératif de la construction du canal et la présence d’entreprises étasuniennes ont eu un poids déterminant dans la définition de la frontière et dans la formation territoriale de ces deux nations. L’importance géopolitique notamment liée à la construction du canal sur le territoire panaméen a déterminé l’avenir de cette nation naissante. En effet, le Panamá passe presque un siècle avec un exercice limité de sa souveraineté sur son territoire en faveur des Etats-Unis. Ce pays ne récupérera le contrôle de son territoire et de la zone du canal qu’en 1999 grâce au Traité Torrijos-Carter qui avait été signé en 1977 (Casillero-Pimentel, 1973). Après un demi-siècle de disputes, les relations entre ces deux pays se sont apaisées et le traité Arias-Calderon de 1941 reste le traité frontalier en vigueur. La frontière entre le Costa Rica et le Panamá est aujourd’hui une frontière pacifique et plutôt très propice à la coopération puisqu’elle fait preuve d’une importante proximité diplomatique et culturelle (Girot & Granados, 1997, p. 293). 162 3.2. Le bassin du fleuve Sixaola, un bassin transfrontalier, entre 85 proximité culturelle et richesse environnementale Le fleuve Sixaola sert de frontière entre le Panamá et le Costa Rica sur le versant caraïbe. Le fleuve naît entre les montagnes de Talamanca (Costa Rica) et la cordillère centrale (Panamá), et s’écoule vers la Caraïbe. L’ensemble du bassin hydrographique couvre une aire de 2 839,6 2 km (Franklin, 2007, p. 8). Le bassin du fleuve Sixaola peut se diviser en trois sous-régions qui correspondent aux trois parties du bassin. La partie amont du bassin est la plus grande avec 240 000 ha, elle est très faiblement peuplée et une grande partie de sa superficie est couverte de forêts. Très clairsemées, les populations ont été isolées culturellement et économiquement. On estime que 95 % de la population de la partie amont du bassin est indigène, spécifiquement des groupes Bri Bri, Cabécar et Ngöbe Buglé (au Panamá). La partie moyenne comprend 51 000 ha et est majoritairement formée par la Vallée de Talamanca, peuplée majoritairement également par des populations indigènes Bribri et Cabécar. La partie aval du bassin localisée sur la Vallée de Sixaola enfin est plus densément peuplée par des populations métisses et des étrangers (Franklin, 2007). Selon la Banque Interaméricaine de Développement (BID), le bassin comporte 33 500 habitants, 58 % résidant au Costa Rica (canton de Talamanca) et 42 % au Panamá (municipe de Changuinola) (c.f. Tableau 12). Le récent développement du tourisme a modifié le peuplement de la partie aval du bassin, puisque on a récemment assisté à l’arrivée de populations métisses originaires d’autres régions du Costa Rica et du Panamá, ainsi qu’à des migrations d’étrangers en provenance d’Europe et des Etats-Unis. L’impact foncier de ces derniers a été prépondérant, surtout dans les zones côtières. 85 Des extraits de cette partie ont été publiés auparavant dans la revue Etudes Caribéennes : Rodriguez, Tania, Dynamiques de coopération transfrontalière sur la façade caraïbe du Costa Rica et du Panamá : le cas du bassin du fleuve Sixaola, Revue Eudes Caribéennes, n. 21, Avril 2012 : La façade caraïbe de l’Amérique centrale : fragmentation ou intégration « régionale ». 163 Tableau 12 Population et superficie du bassin du fleuve Sixaola Bassin Pays qui le Superficie Population Pourcentage Pourcentage de la 2 frontalier partagent en km du bassin population dans chaque dans chaque pays pays Costa Rica 81 % 58 % Sixaola 2 839,6 33 500 Panamá 19 % 42 % Source: « Situación de los recursos hídricos en América Central : Hacia una gestión integrada » Global Water Parthnepship (GWP Centroamérica, 2011, p. 21) Ulate, Ramírez, & Jiménez-Elizondo « Gobernabilidad e Instituciones en las cuencas transfronterizas de América central y México», 2009, p. 58 Dans la partie amont, les eaux du bassin possèdent encore une très bonne qualité et les écosystèmes y sont bien conservés, tandis que les eaux et les écosystèmes localisés dans la partie moyenne et avale ont été très endommagés par la pollution, comme résultat des activités agricoles et plus généralement de l’impact des activités anthropiques (Franklin, 2007, p. 20). Administrativement, le bassin du fleuve Sixaola s’étend sur le canton de Talamanca situé dans la Province de Limon au Costa Rica, et le municipe de Changuinola situé dans la province de Bocas del Toro au Panamá. Le Costa Rica et le Panamá étant des Etats relativement moins faibles que les autres pays de la région centraméricaine, leurs institutions sont stables, leurs démocraties en voie de consolidation, et leur présence respective sur cette frontière plus importante que ce que l’on peut oberver sur d’autres frontières centraméricaines. Cependant, ces espaces frontaliers ont historiquement été exclus des politiques de développement menées par les centres nationaux. L’intégration progressive du bassin de Sixaola par les Etats nationaux a été marquée par de profondes inégalités socio-économiques, accroissant la marginalité et la vulnérabilité de cet espace (Rodriguez, 2013). Ce bassin partage avec le reste de la façade Caraïbe de l'Amérique centrale ses principales caractéristiques démographiques, socioculturelles et productives. La continuité longitudinale donne aussi à cette façade un rôle de corridor caraïbe qui articule ces périphéries délaissées par les empires coloniaux puis par les faibles Etats nations centraméricains (Le Masne, 2010, p. 25). 164 Carte 12 Bassin du fleuve Sixaola Cette façade partage ainsi son caractère périphérique avec l’ensemble de la façade Caraïbe. Le bassin du fleuve Sixaola est doublement marginalisé, puisqu’il est dans le même temps localisé sur la frontière entre le Costa Rica et le Panamá, et sur la façade Caraïbe de l’Amérique centrale. Il est victime de l’effet frontière tout en restant isolé des centres nationaux et des pôles de développement de la façade pacifique (Rodriguez, 2013). 165 La Banque Interaméricaine de Développement considère cette région frontalière comme une des plus pauvres des deux pays (Franklin, 2007, p. 4). Le canton de Talamanca est en avant- dernière position au titre de l’Indice de Développement Humain au Costa Rica, et Changuinola est considérablement au dessous de l’IDH moyen panaméen (c.f. tableaux 5 et 6). Une caractéristique importante de cette frontière est celle des services publics déficients : 29 % de la population dans ce bassin n’a pas accès à l’eau potable ; dans la partie amont ce pourcentage augmente à 83% et dans la partie moyenne il atteint 47%. La qualité de l’eau est généralement mauvaise. Il faut noter que dans ce bassin il n’y pas de système d’assainissement et d’évacuation des eaux usées, à exception des villages BriBri et Sixaola au Costa Rica. La façade Caraïbe présente des structures géographiques communes favorisant son homogénéité écologique, sociale et culturelle, mais elle est aussi marquée par la fragmentation et l’émergence de territoires très variés (Demyk, 2005, p. 63; Le Masne, 2010, p. 9). Cette fragmentation est à la fois longitudinale et transversale. Longitudinale du fait de la dichotomie entre deux versants pacifique et caraïbe très différents, et transversale puisque bien qu’il y ait une continuité socioculturelle tout au long de la façade caribéenne, cet espace reste divisé par les frontières des sept Etats (Rodriguez, 2013). Ces caractéristiques plutôt générales de la façade Caraïbe de l’isthme centraméricain s’appliquent au bassin du fleuve Sixaola qui nous intéresse. L’homogénéité socioculturelle qui existe entre les villages frontaliers localisés dans ce bassin est la conséquence d’un passé commun marqué par la domination des puissances européennes et des entreprises bananières (Demyk, 2005, p. 63). La construction de la façade Caraïbe comme la côte caraïbe du Costa Rica a été très influencée par les espaces maritimes : d’abord les liens développés avec la métropole anglaise, puis avec les Etats-Unis. Cette façade isolée des Etats Nations centraméricains, a toujours été connectée avec l’extérieur, générant une forte présence d’acteurs exogènes : « (…) conquistadors, flibustiers, missionnaires, compagnies bananières, Marines, paramilitaires centraméricains, investisseurs asiatiques, touristes, narcotrafiquants, ONG… Il s’agit le plus souvent de relations univoques de domination et d’exploitation dont les raisons diffèrent suivant les périodes (intérêt stratégique, pression démographique, contrôle des ressources naturelles…) » (Le Masne, 2010, p. 28). Autour de ce bassin, de forts liens de proximité et de dépendance avec ces acteurs extérieurs se maintiennent encore aujourd’hui, tout en conservant sa situation marginale par rapport aux 166 centres nationaux, ce dont témoigne la faible présence étatique et les importantes lacunes en termes d’infrastructures (Rodriguez, 2013). 3.2.1. Le passage de zone de refuge à des villages multiculturels La population se caractérise par une importante diversité ethnique composée par des cultures afro-caribéennes, métisses, indigènes, asiatiques et d’ascendance européenne. Selon la BID sur ce bassin, 58 % de la population est indigène, 38% est ladina ou métisse et 4 % est afro descendante (Franklin, 2007, p. 4). Ce mélange est dû aux importants flux migratoires qu’a connu cette région. Ce bassin est peuplé par 33 500 personnes, la partie amont est peuplée par 848 personnes majoritairement indigènes des ethnies Bri Bri et Cabécar (0,0042 hab/ha), la partie moyenne du bassin par 8 375 habitants (0,16 hab/ha) dont 94 % sont indigènes de ces mêmes ethnies, et la partie aval par 24 358 habitants (0,72 hab/ha) qui sont majoritairement des métis et des populations afro-descendantes (Franklin, 2007, p. 4). Les populations indigènes sont souvent des populations qui s’étaient réfugiées dans les régions frontalières pour fuir le système colonial de l’encomienda, alors que les populations afro-caribéennes ont été majoritairement introduites par les entreprises bananières. En ce qui concerne les communautés indigènes, déplacées d’abord par le système de l’encomienda et ensuite par les plantations de bananes, pendant longtemps les rapports entre elles et les groupes noirs et asiatiques ont été infimes. Dans ce bassin nous pouvons trouver six territoires indigènes, quatre au Costa Rica (867 km2) : les réserves Bri Bri de Kekoldi, Talamanca, Cabécar de Talamanca et Telire ; et deux au Panamá (261km2) : Bribri et Naso. Les populations indigènes qui sont localisées à cheval sur cette frontière, même si elles appartiennent souvent aux mêmes groupes ethniques, n’ont pas les mêmes droits ni le même statut juridique de part et d’autre de la frontière. Par exemple, du côte panaméen les territoires indigènes sont nommés comarcas indigenas, mais les territoires indigènes localisés du côté panamien de ce bassin n’ont pas été reconnus comme Comarcas, ce qui implique qu’ils ne sont pas protégés par la législation. Les réserves indigènes au Costa Rica ont été créées par la Loi Indigène n.6172 de 1977 qui établit dans son article 3 qu’elles sont « inaliénables, imprescriptibles et intransférables », et dont l’article 4 définit que ces réserves vont être régies par les structures communautaires traditionnelles avec l’appui de la Coordination Nationale Indigène (CONAI). C’est ainsi que deux associations indigènes ont été créées : l’Association 167 de Développement Intégral du Territoire Indigène Bribri (ADITIBRI)86 et l’Association pour le Développement Intégral du Territoire Indigène Cabécar (ADITICA). Ces deux associations fonctionnent comme des autorités indigènes qui consultent les populations à l’échelle la plus locale à travers des conseils de voisins (il existe actuellement 24 conseils de voisins). La situation des groupes indigènes Naso, Bribri et Ngöbes Buglé au Panamá est plus complexe, d’abord car ils ne sont pas reconnus juridiquement et ensuite parce que le Panamá n’a pas souscrit à la convention 169 de l’OIT, qui oblige les Etats à consulter préalablement les peuples indigènes au moment de mettre en place des projets qui pourraient leur nuire. Pendant la période coloniale ont eu lieu les premières migrations d’afro-descendants vers la côte Caraïbe. Cette première vague, qui coïncide avec l’abolition de l’esclavage au Costa Rica en 1824, s’est installée dans le valle central du Costa Rica, se mélangeant très vite avec la population métisse. Ceci rompt avec le mythe, très diffusé dans les livres d’histoire, selon lesquels les premières migrations d’afro-descendants n’ont eu lieu qu’en 1870, pour la construction des chemins de fer, ce qui se révèle inexact (Duncan, 2001). La plus importante migration de population afro-descendante ainsi que de population asiatique s’est effectuée à la fin du XIXe siècle par la United Fruit Company (UFCO) déjà citée. Cette compagnie étasunienne avait d’abord eu besoin de cette main d’œuvre pour la construction du chemin de fer en 1871 et ensuite pour commencer l’exploitation de la banane sur la côte caraïbe costaricienne et panaméenne. Selon Q. Duncan, chercheur et écrivain, spécialiste du thème des populations noires au Costa Rica, en 1873 la population de Limon sur la façade Caraïbe était déjà majoritairement d’origine noire (Duncan & Melendez, 1972). Ces populations noires étaient libres, et venaient de Jamaïque, du Belize, de la Nouvelle Orléans, du Honduras, du Panamá et du Guatemala pour l’essentiel. Cette grande diversité d’origines a été vite homogénéisée par l’usage de l’anglais, héritage des esclavagistes anglais (Murillo, 2000). L’UFCO a profité de la langue en commun de ces groupes et octroyé des postes de travail privilégiés aux Noirs éduqués, et cela est devenu un avantage pour certains Noirs, par rapport aux Chinois qui ne dominaient pas l’anglais (Murillo, 2000, p. 193; Rodriguez, 2004). Un autre aspect important est celui des relations de travail établies par l’UFCO. La compagnie a profité du fait que les communautés noires étaient rassemblées autour de leurs caractéristiques ethnoculturelles pour construire un régime d’« apartheid » qui consistait en 86 http://www.aditibri.org 168 une ségrégation à deux niveaux (Murillo, 2000). Le premier niveau était dans l’«enclave », c’est à dire dans la plantation, où les Blancs, les Noirs et les Chinois avaient des conditions différentes en termes de logement, d’attention hospitalière, de salaire et d’ascension dans la hiérarchie, les conditions les plus avantageuses étaient bien entendu réservées aux fonctionnaires blancs et les plus pénibles aux Chinois. Les Noirs avaient une position intermédiaire dans l’enclave mais en dehors de cette structure, dans la société costaricienne, ils étaient discriminé (Duncan & Melendez, 1972; Rodriguez, 2005). Le deuxième niveau de ségrégation était celui des enclaves comme structure de production, car l’UFCO avait institué un isolement de ses plantations par rapport au reste du pays. L’héritage du système de production de ces entreprises bananières est encore visible dans ces villages frontaliers puisque de nombreux villages gardent les noms des districts bananiers, comme Finca 60 à Almirante au Panamá, ou Finca 98 à Sixaola au Costa Rica. Avec l’arrivée de la maladie du mal de Panamá qui atteint les plantations de bananes, l’UFCO au début des années 1930 abandonne ses plantations et décide de vendre certaines de ses terres et de transférer ses opérations d’abord vers la Vallée de Sarapiqui et ensuite du côté Pacifique (Hall et al., 2003, p. 207). Certaines des populations noires ont suivi l’entreprise bananière, d’autres sont parties travailler vers la zone du canal de Panamá, d’autres encore se sont dispersées tout au long de la province de Limon. Il faudra attendre les années soixante pour que ces populations se rapprochent réellement des institutions politiques du Costa Rica et du Panamá et aient accès aux droits civils. Pour les populations indigènes, ces droits ne seront réels qu’au cours des années 1990, lorsque les gouvernements leur attribueront des cartes d’identités. Q. Duncan, démontre que pendant longtemps, des recherches évoquent l’existence d’une loi qui interdisait le passage des populations noires vers San José. La limite était censée être établie après la ville de Turrialba ; cependant, cette loi n’a jamais existé en réalité, et constitue un mythe dans l’imaginaire costaricien. (Duncan, 2001; Duncan & Melendez, 1972). Comme conséquence de leur isolement, les communautés noires ont développé une identité qui est très différente de l’identité nationale ou du moins de celle du reste du pays. Elles conservent beaucoup de traditions africaines, comme les danses, la musique et les préparations alimentaires (Duncan, 2001; Duncan & Melendez, 1972). La musique qu’on peut trouver dans la zone est très variée, mais s’y distinguent le Calypso et le Reggae. La communauté afro-caribéenne du Costa Rica a construit un dialecte nommé « Mekatelyu », de 169 l’expression anglaise « May I tell you » et il est constitué par un mélange d’anglais, 87 d’espagnol et de français (Rodriguez, 2005). D’autre part, nous pouvons aussi constater que, dans les dernières années, il y a eu un nouveau flux migratoire qui s’est étendu à cause du développement du tourisme dans cette zone, plus particulièrement dans les villages de Puerto Viejo, Cahuita et Manzanillo. Ces villages sont devenus des « villages-globaux » où se sont développés une importante infrastructure touristique (hôtels, auberges de jeunesse, restaurants de cuisine internationale, accès internet) et une migration variée qui vient majoritairement de l’Europe (touristes, investisseurs touristiques), des Etats-Unis, d’Israël et du centre du pays. Ces migrants acquièrent peu à peu de l’importance dans la vie politique et économique de la province (Zeledón & Suárez, 2002, p. 176). Ces villages sont connectés avec l’archipel de Bocas del Toro au Panamá grâce à un grand nombre d’opérateurs touristiques qui proposent des circuits transfrontaliers entre Puerto Viejo, Sixaola, Almirante et Bocas del Toro. Ce qui implique l’existence de liens de coopérations entre entrepreneurs touristiques (entreprises de bus, tour- opérateurs, hôtels, entre autres). La proximité culturelle et l’absence de conflits diplomatiques récents ont permis ainsi le développement de tout un discours qui présente cette frontière comme une frontière pacifique, de coopération et de proximité culturelle. Il est courant d’entendre dans les discours présidentiels l’évocation d’une relation fraternelle. Ceci est en train de se concrétiser avec la signature annoncée d’un accord pour éliminer la nécessité de présenter son passeport pour circuler entre ces deux pays, facilitant ainsi la circulation des ressortissants du Costa Rica et du Panamá. 87 La présence de expressions et mots en français peut s’expliquer par la migration de travailleurs noirs, venant de la partie insulaire de la Caraïbe, dont certains étaient originaires de colonies ou d’anciennes colonies françaises. Il convient de préciser que ceux-ci étaient minoritaires (Duncan & Melendez, 1972) 170 Photographie 9 Pont frontalier construit par l’UFCO entre Guabito et Sixaola, 2012 et Photographie 10 Village de Puerto Viejo partie aval du bassin, Costa Rica, 2012 Photographie 11 Enfants Ngöbe-Bugle,village de Sillicon Creek, Panamá, 2008 et Photographie 12 Artisanat Ngöbe Bugle, 2008 171 3.2.2. Un bassin requalifié mondialement par sa nature transfrontalière Ce bassin concentre une importante biodiversité biologique et des écosystèmes d’importance mondiale, il s’agit d’une des rares régions qui possèdent encore d’importantes étendues de bois primaire en Amérique Centrale. Dans ce bassin, l’on trouve aussi de nombreuses espèces animales menacées de disparition. Dans le marécage San San Pond Sak au Panamá, vivent par exemple deux espèces de mammifères inclus dans la convention CITES (Appendice 1) et dans la liste rouge des espèces en danger de l’UICN. De plus, d’après les recherches faites par la BID, on estime qu’il reste dans ce bassin 261 700 hectares de forêt tropicale, ce qui représente à peu près 89 % du bassin. Ces forêts sont localisées principalement dans les zones protégées et dans les territoires indigènes. La région montagneuse de ce bassin est considérée comme étant un des 200 espaces écologiques prioritaires à échelle mondiale pour le Fonds Mondial de la Nature du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) (Franklin, 2007). C’est ainsi que cette région frontalière est considérée comme étant particulièrement riche au niveau environnemental et qu’elle concentre de nombreuses aires protégées (cf. Tableau 12) et le seul parc binational de l’Isthme, le Parc International La Amistad, classé comme Réserve de la Biosphère en 1982 et Patrimoine Naturel de l’Humanité par l’UNESCO en 1983. Les zones protégées et les territoires indigènes représentent respectivement 50 % et 20 % des 289 000 ha du bassin. Cette situation a été profondément critiquée par des fonctionnaires de la mairie de Talamanca lors des entretiens réalisés, car ils considèrent que la grande quantité du territoire consacrée à des aires protégées et à des territoires indigènes limite le développement économique du canton à cause des nombreuses restrictions que ces catégories de gestion imposent aux activités agricoles, extractives et touristiques. Le nombre croissant d’initiatives de coopération visant à mettre en place des projets de conservation et de gestion des écosystèmes partagés existant autour du bassin, met en lumière un intérêt international certain pour cette zone. L’intérêt repose ici sur l’importance environnementale de la zone, qui « représente une priorité en matière de conservation » selon la BID (Franklin, 2007, p. 2) Rien que dans la partie amont du bassin, correspondant au Parc 172 International La Amistad (PILA), on trouve 4% des espèces terrestres mondiales (Franklin, 2007, p. 9; Rodriguez, 2013). Des organisations comme l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), the Nature Conservancy (TNC), World Wildlife (WWF), ainsi que des organismes multilatéraux comme la BID ou le Système d’Intégration Centraméricain (SICA) s’accordent pour définir ce bassin comme une zone stratégique au niveau environnemental, du fait de l’importante biodiversité qui la caractérise (Franklin, 2007). Ce bassin comporte aussi plusieurs microclimats ainsi que d’importants écosystèmes marins (Matul, 2007, p. 77). Les aires protégées du bassin (cf. tableau 13) couvrent 143 000 ha (121 000 ha au Costa Rica et 22 000 ha au Panamá, et représentent 40,3 % des espaces protégés au Panamá et 27,9 % de ceux du Costa Rica (Matul, 2007, p. 107) Tableau 13 Aires protégées dans le bassin hydrographique du fleuve Sixaola Pays Aire protégée Catégorie de Aire Année gestion Parc binational de Parc International Réserve de la 199 147 ha 1983 gestion partagée La Amistad Biosphère et entre le Costa Rica Patrimoine de et le Panamá l’Humanité de l’UNESCO Costa Rica Parc National Parc National 43 700 ha 1975 Chirripó Costa Rica Réserve Biologique Réserve Biologique 9 949,83ha 1978 Hitoy Cerere Costa Rica Refuge National Refuge et site 5 013 ha terrestres 1985 88 Mixte de Vie RAMSAR et 4 436 ha marins Sylvestre Gandoca Manzanillo Panamá* Marécage San San Site RAMSAR 16 414 ha 1993 Pond Sak Panamá * Bois protecteur Site RAMSAR 254 445,88 ha 1983 Palo Seco Source : Système National des Aires de Conservation du Costa Rica, 2014 *Organisation Wetlands International : http://ramsar.wetlands.org/Database/SearchforRamsarsites/tabid/765/Default.aspx De plus, la partie sud de la côte Caraïbe costaricienne possède sur plus de 200 km les récifs de coraux les plus divers du Costa Rica. Le Parc National Cahuita protège ce qui est le plus grand récif de corail du Costa Rica et le deuxième plus important d’Amérique Centrale. Il faut aussi insister sur le fait que ces récifs sont déterminants pour l’existence d’un corridor 88 C’est un refuge privé et public. 173 biologique qui unit les récifs situés des Cayos (îlots) Misquitos au Nicaragua jusqu’à Bocas del Toro au Panamá (Rodriguez, 2005). 3.3. Activités productives contrastées: monocultures, agriculture biologique et tourisme La richesse environnementale est menacée par la présence d’importantes activités agricoles (monocultures) par l’extraction minière et par l’exploitation forestière. Dans la partie amont et sur la zone frontalière, notamment dans les villages de Bribri, Sixaola et Changuinola, il n’existe pas d’activité industrielle, l’activité économique est très liée au secteur primaire, agriculture, élevage et pêche. L’agriculture de subsistance (maïs, haricots noirs et pomme de terre) est la principale activité productive de cette partie amont. Les activités productives sont très restreintes dans cette partie amont, à cause des restrictions juridiques qui réglementent les aires protégées et les territoires indigènes (cf. Encadré 3). Dans la partie intermédiaire du bassin, on trouve des exploitations de petite taille, qui sont cultivées en utilisant le modèle de fermes intégrales. Ce modèle propose de produire de façon équitable et biologique, en réutilisant les déchets et en intégrant les savoirs traditionnels et la technologie. Le principe central de ces fermes est la diversification de la production en intercalant la culture de cacao avec des arbres fruitiers et des bananiers (cf photographie 15). Ces fermes font entre 1 et 10 ha et sont souvent soutenues par des programmes de recherche de l’Institut Interaméricain pour la Coopération en Agriculture 89 (IICA), du Centre d’Agronomie Tropicale de Recherche et de Formation (CATIE)90 et de l’Université du Costa Rica, lesquels donnent des formations aux paysans indigènes. Le principal produit issu de ces fermes et de cette partie du bassin est le cacao. Cette activité agricole est réalisée historiquement par les populations indigènes, plus particulièrement les groupes Bribri et Cabécar. Cette activité est transfrontalière puisqu’on peut trouver des plantations de cacao à 89 IICA est un l’institut spécialisé du Système Interaméricain et il répond à l’Organisation des Etats Américain (OEA). Il est chargé de promouvoir l’amélioration de l’agriculture et de la vie rurale en Amérique latine, à travers de l’assistance technique, la recherche et l’influence des politiques publiques. Il est chargé de mettre en place les plans d’actions souscris lors des Sommets des Amériques. 90 Centre de recherche, de formation et de coopération technique pour l’Amérique Latine et la Caraïbe. Le CATIE cherche augmenter la productivité des agriculteurs locaux en gardant les systèmes productifs durables. Il motive la gestion intégrée de l’agriculture et des ressources naturelles à travers de la recherche et l’incidence politique. 174 cheval sur cette frontière. La production de cacao est majoritairement issue de l’agriculture biologique et elle est industrialisée et commercialisée par l’Association de Petits Producteurs de Talamanca (APPTA). Cette association rassemble plus d’une centaine de familles indigènes productrices de cacao biologique, qui exportent ce cacao certifié en Europe à travers OXFAM et Max Havelaar. Le cacao biologique est très demandé et actuellement APPTA n’arrive plus à répondre à cette demande internationale, raison pour laquelle ils ont fait appel à la coopérative panaméenne Coopérative de Cacao (COCAO) avec laquelle ils ont établi un accord de coopération. L’alliance entre ces deux organisations de base est une vraie expérience de coopération transfrontalière, parce que non seulement elles collaborent pour satisfaire cette demande internationale, mais elles échangent aussi connaissances, des techniques productives et des expériences. Sur cette partie moyenne du bassin, nous pouvons aussi trouver de la production à petite échelle de banane et de banane plantain, produites par des coopératives locales comme CoopeRio, Asoplatupa et AsoMargarita. Ces coopératives sont localisées dans les villages d’Olivia et Margarita sur les berges du fleuve Sixaola. Les terres y sont très fertiles, mais localisées dans la vallée du Sixaola très vulnérable notamment pendant la saison des pluies, durant laquelle cette partie du bassin subit d’importantes crues. 175 Encadré 6 Aires protégées ou développement ? La position de la Mairie de Talamanca Carlos Cascante est entrepreneur et représentant indigène au Conseil Municipal, dont il est actuellement le président. Pour lui, une des principales limites pour le développement du canton de Talamanca est celle des restrictions que les aires protégées imposent à la production et au développement du tourisme. Cascante affirme qu’un des principaux enjeux est que 89 % du territoire de Talamanca est placé sous la coupe d’une catégorie précise de gestion (Parc National, Réserve de Vie Sylvestre, ou territoire indigène) ce qui pose de nombreux problèmes à la Mairie de Talamanca au moment de collecter des impôts, puisque sur les aires protégés aucune activité productive de moyenne ou grande taille est autorisée. Le canton de Talamanca a de cette façon peu de territoire libre de restrictions pour attirer des investisseurs. Parallèlement, depuis une dizaine d’années, il existe un conflit foncier qui est devenu prioritaire pour la mairie. Ce problème foncier qui est présent sur la côte Caraïbe et sur la zone frontalière, est la conséquence d’une réforme dans la législation d’assignation des terres au Costa Rica. Dans la zone côtière, ce problème est lié à l’interdiction de construction sur un mille à partir de la plage. Ce mille, appelé « mille maritime », est une zone protégée, propriété de l’Etat. Sur la côte Caraïbe Sud du Costa Rica, beaucoup de constructions touristiques et de maisons d’habitations n’ont pas respecté cette régulation et sont en train d’être démolis par l’Etat costaricien. Simultanément, la bande de terre frontalière qui s’étend de la ligne frontière jusqu’à deux kilomètres dans l’intérieur du territoire costaricien est aujourd’hui également propriété de l’Etat. Des producteurs de banane plantain, de banane et d’ananas, risquent par conséquent de se faire exproprier. Ces terres avaient auparavant été attribuées par l’Institut de Développement Agraire (IDA) du Costa Rica à des petits et des moyens producteurs provenant de différentes zones du pays pour la production agricole. Les agriculteurs installés depuis les années 1970 sur ces terres ont désormais perdu leurs droits comme propriétaires et n’ont plus qu’un permis temporaire pour l’utilisation de ces terres. Cette situation empêche les agriculteurs d’avoir accès à des aides, des prêts ou de participer de façon formelle à des projets de coopération. La mairie de Talamanca est opposée aux directives du gouvernement central, raison pour laquelle elle participe avec d’autres acteurs locaux à des manifestations et cherche à influencer les députés pour trouver une solution à cette situation. Entretien réalisé en juillet 2012 à la Mairie de Talamanca au Costa Rica La partie aval du bassin est la plus dynamique en matière de production et c’est là où se trouvent les plus importantes plantations de banane. Des entreprises multinationales comme DOLE, Chiquita et Del Monte (cf. photographie 13) s’y sont installées. Ces entreprises utilisent de méthodes modernes de production, des produits agrochimiques et des pesticides 176 très polluants en particulier pour le fleuve et les nappes phréatiques (Franklin, 2007, p. 6). Le canton de Talamanca à lui seul produit 4,96 millions de boîtes de banane par an (CORBANA, 2012) et Changuinola 962 500 boîtes de banane par an, selon la Cooperative Bananière de l’Atlantique R.L. (Coobana R. L.). Ces produits (panamiens et costariciens) sont exportés par le port de Limón et Moín qui sont les ports les plus importants du Costa Rica (par ces ports transitent 95 % de toutes les exportations et importations faites par le Costa Rica) (Zeledón & Suárez, 2002, p. 176). En outre, il y a une importante exploitation de la forêt tropicale humide notamment pour commercialiser le bois. Cette activité est réalisée surtout par une compagnie des Etats-Unis, la « Stone Forestal » (Zeledón & Suárez, 2002). Les données sur l’impact de cette activité sont cependant très difficiles à trouver. Le tourisme est aussi devenu une activité en croissance sur cette partie aval du bassin. Depuis la fin des années 1990, cette activité est devenue très importante pour des villages côtiers de Puerto Viejo, Cahuita et Manzanillo au Costa Rica, et au Panamá pour l’archipel de Bocas del Toro. Cette activité a permis l’apparition de nouvelles sources d’emploi et a attiré des investisseurs étrangers qui ont construit une importante infrastructure qui reçoit aujourd’hui plusieurs milliers de touristes par an. A côté de ce type de tourisme à grande échelle se développe aussi un autre type de tourisme qui cherche à moins nuire à l’environnement en mettant en place un tourisme durable, centrée en la découverte de la nature (Rodriguez, 2005). L’écotourisme et le tourisme rural se développent ainsi dans les parties intermédiaire et aval du bassin. Il existe depuis 2004 un réseau de tourisme rural et communautaire indigène à Talamanca qui rassemble 14 initiatives 91 locales . 91 http://redindigenadetalamanca.blogspot.fr/2013 177 Photographie 13 Containers de la Compagnie Chiquita à Moín, Limón, Costa Rica et Photographie 14 Production de bananes plantains de Asoplatupa à Margarita Sixaola, Costa Rica Photographie 15 Ferme intégrale de cacao d’origine biologique, Changuinola, Panamá et Photographie 16 Infrastructure touristique, Cahuita, Costa Rica 178 Conclusion troisième chapitre Ce troisième chapitre a proposé un changement d’échelle et renvoyé à une analyse plus locale. Il a été consacré à l’étude plus en profondeur de l’horogènese, des caractéristiques culturelles, environnementales et économiques des deux régions frontalières d’étude. Dans un premier temps, l’analyse de l’horogenèse de ces deux frontières montre d’importantes similitudes et divergences. Les conflits frontaliers ne se sont pas mis en place de façon simultanée, mais plutôt un après l’autre (c.f. Figure 4), mais ils ont eu en commun comme point de départ des revendications territoriales (Medina, 2004, p. 92). Ces processus de définition frontalière ont aussi en commun le fait qu’ils ont été marqués par des longues querelles qui ont généré de nombreux traités, souvent mis en doute par une des parties. Figure 5 Frise chronologique de synthèse 1941 1858 1921 Traité Traité 1888 1903 Guerre Arias- 1821 Cañas Arbitrage Indépendance du Coto Calderon Indépendances Jerez Cleveland du Panamá PrPorcoecsessusus sd d’h’hoorrooggèèneessee 1870-1888 1921-1928 Rupture 1824-1825 Conflits des relations Annexion du limitrophes 1899 1914 diplomatiques Partido de liés à la Installation Arbitrage Nicoya construction de l’UFCO White d’un éventuel Légende canal sur le 1900 Frontière Costa Rica-Nicaragua fleuve San Juan Arbitrage Loubet Frontière Costa Rica-Panamá Ce chapitre nous permet de montrer comment les Etats du Costa Rica, du Nicaragua et du Panamá ont eu recours systématiquement à des arbitrages internationaux, rendus par des présidents de puissances étrangères comme la France et les Etats-Unis. L’évolution des arbitrages nous permet d’entrevoir comment l’impérialisme européen cède sa place, à partir 179 de la deuxième moitié du XIXème siècle, à l’hégémonie des Etats-Unis et leur doctrine Monroe. Il est intéressant aussi de voir comment ces frontières ont été tracées grandement en fonction des intérêts géopolitiques et économiques des Etats-Unis. C’est ainsi qu’à travers la « diplomatie du dollar » et la menace de faire appel à la force, les Etats-Unis ont réussi à influencer les tracés frontaliers (Medina, 2004, p. 93). C’est en raison de leur intervention que le fleuve San Juan est resté sous la juridiction nicaraguayenne pour faciliter l’éventuelle construction d’un canal interocéanique. C’est aussi à cause de leur influence que le traité Arias-Calderon a établi que la région de Sixaola devait rester sous la souveraineté de l’Etat costaricien pour ainsi protéger les intérêts des entreprises bananières étasuniennes qui s’y 2 étaient installées. Ce tracé représenta pour Panamá la perte de 2 593 km de son territoire. L’UFCO et la Chiquiri Land Company ont ainsi pu être considérées comme les premières entreprises transfrontalières (Foucher, 1991; Girot & Granados, 1997). Ces entreprises ont facilité l’établissement d’une continuité culturelle et productive tout au long de ce versant qui défiait la discontinuité imposée par la fragmentation politique de l’Isthme. Ces entreprises ont gérer leurs plantations avec une autonomie totale et elles se sont constituées en vrais acteurs politiques influençant les décisions des Etats, expliquant l’appellation de ces derniers comme Banana’s republics. Nous avons aussi montré, que plus récemment, de nouvelles entreprises à la logique également transfrontalière se sont installées sur ces frontières, notamment TICOFRUT dans la 92 Zone Nord du Costa Rica, ou Chiquita et DOLE sur les berges du fleuve Sixaola. Ces entreprises productrices de fruits utilisent de la main d’œuvre binationale, ont des terrains à cheval sur ces frontières et fonctionnent selon un modèle agro-exportateur. Leur présence sur ces frontières détermine le paysage, les mobilités (migrations temporaires) et le modèle de développement. La production d’ananas, agrumes, banane et palme africaine est très polluante et rentre en confrontation avec l’intérêt des Etats de protéger la riche biodiversité transfrontalière. C’est ainsi que les nombreuses aires protégés localisées sur ces deux régions frontalières coexistent avec des modes d’exploitations agricoles qui reposent sur l’usage de pesticides et produits agro-chimiques. Ce chapitre nous a permis de porter un regard sur les bassins transfrontaliers des fleuves San Juan et Sixaola qui se localisent sur ces frontières. Nous les avons analysés comme des unités spatiales qui articulent des écosystèmes, des cours d’eau, des populations et des activités productives. Nous avons ainsi présenté leur richesse culturelle, en démontrant l’importante 92 Ancienne Chiriqui Land Company 180 proximité qui existe entre les populations métisses (familles transfrontalières) du bassin du fleuve San Juan et entre les populations indigènes et afro-caribéennes dans le bassin du fleuve Sixaola. Malgré les nombreuses similitudes qui existent entre ces deux régions frontalières, il est important d’insister sur la différence de rapports diplomatiques qui existe aujourd’hui entre ces pays. Alors que les relations diplomatiques entre le Costa Rica et le Panamá sont calmes et pacifiques, les relations entre le Costa Rica et le Nicaragua sont redevenues tendues dans les dix dernières années pour de multiples raisons : la navigation du fleuve, la pollution du fleuve par le Costa Rica, le dragage du fleuve par le Nicaragua, l’appartenance de l’île Calero, la construction d’une route frontalière par le Costa Rica, la migration nicaraguayenne et le retour du projet de construire un canal interocéanique93. Il est important d’analyser les tensions existantes parce que les bonnes ou mauvaises relations diplomatiques vont déterminer la viabilité des processus de coopération pour le développement et la conservation de ces régions de frontières. 93 Nous approfondirons sur ces nouveaux conflits dans notre sixième chapitre. 181 Conclusion première partie La perception des régions de frontières en Amérique Centrale a évolué, de « no man’s land », de fronts de guerre, à des régions riches sur les plans culturels et environnementaux. Les frontières centraméricaines tracées par les empires coloniaux ont peu évolué après les indépendances. Elles ont eu un rôle déterminant lors du processus de construction des Etats nations, pendant lequel elles ont été instrumentalisées pour participer à créer la cohésion interne et la sensation d’appartenance à un territoire. C’est ainsi que les années après les indépendances ont été marquées par ce besoin de les préciser et de les immortaliser avec la signature d’accords et des traités. Il est intéressant de constater le rôle déterminant qu’ont eu les nombreux arbitrages réalisés notamment par la France, l’Angleterre et les Etats Unis. La présence d’acteurs exogènes qui interviennent dans l’organisation et la définition du territoire dans l’Isthme est ainsi ancienne et nous pourrions même affirmer que depuis la formation de ces Etats, ces acteurs ont été présents. Bien que ces régions restent encore des périphéries délaissées et oubliées par les gouvernements centraux, elles sont aussi des lieux qui ont acquis un nouveau rôle dans la géopolitique régionale. La conservation non volontaire d’une importante biodiversité sur ces frontières, suite à l’oubli et à l’isolement des régions frontalières, a permis que ces régions prennent toute une nouvelle importance pour l’Isthme. Les lignes des frontières, souvent tracées en prenant comme repère d’importants cours d’eau, sont désormais présentées dans le débats régionaux et internationaux, non comme des lignes de frontières, mais comme des régions naturelles et des bassins hydrographiques transfrontaliers. L’environnement est ainsi présenté comme un sujet porteur pouvant mobiliser non seulement les Etats centraméricains, mais aussi la coopération internationale. Consolider la paix à travers le développement et la conservation des frontières a été un des objectifs encouragés par le SICA et la CCAD. C’est ainsi que des nombreux projets régionaux se sont mis en place comme le Système d’Aires Protégées pour la Paix ou le Corridor Biologique Mésoaméricain, lesquels voulaient dépasser la discontinuité imposée par le frontières pour mettre en place des actions de coordination et de coopération à l’échelle régionale en matière environnementale. Dans le cas des bassins des fleuves San Juan et Sixaola, malgré l’importante fragmentation créée par les frontières politiques à l’échelle locale, il existe aussi une importante continuité 182 culturelle qui crée une sensation de proximité qui peut faciliter le développement de dynamiques de coopération. Cette richesse naturelle est cependant aujourd’hui menacée par la présence croissante d’importantes extensions de monocultures d’ananas, de bananes et d’agrumes. En effet ces activités développées de façon transfrontalière, ont impact très nocif, en polluant les cours d’eau et les nappes phréatiques. Proximité culturelle et richesse naturelle de ces régions frontalières (et leur caractère menacé) ont ainsi attiré aussi l’attention d’organismes de coopération et des ONG internationales. Nous étudierons dans la deuxième partie de cette thèse les jeux d’acteurs qui se mettent en place autour des projets de ces organisations, ainsi que leur fonctionnement à l’échelle locale. 183 184 Deuxième partie La coopération pour la gestion de l’environnement dans des régions frontalières 185 186 Introduction de la deuxième partie : Comprendre les dynamiques de coopération transfrontalière à travers les acteurs collectifs « les acteurs de la frontière sont […] ceux qui la font ou la remettent en cause politiquement» (Amilhat-Szary, 2012: 1) 1. Les acteurs collectifs territoriaux Autour de la gestion de l’environnement se combinent dans l’espace et dans le temps des processus de coopération et de conflit autour desquels intervient une grande diversité d’acteurs. Notre approche s’éloigne des courants liés à la sécurité environnementale qui estimaient que « le changement global, la rareté en ressources, l’inégalité de l’accès aux ressources ou l’inégalité de la capacité à répondre aux crises » peuvent déclencher des conflits entre Etats ou au sein de l’Etat (Hufty, 2009, p. 139). Cette approche, traite les problématiques environnementales à travers le prisme de la sécurité nationale et des Etats, octroyant aux forces armées un rôle privilégié dans la résolution de ces conflits et proposant une approche binaire de la gestion de l’environnement qui sépare les conflits de la coopération. Cette deuxième partie sera consacrée à l’analyse des dynamiques de coopération environnementale formelles et informelles qui se développent sur les bassins transfrontaliers du fleuve Sixaola (Costa Rica-Panamá) et San Juan (Costa Rica-Nicaragua). Ces dynamiques de coopération que nous étudions sont portées par une grande diversité d’acteurs : des gouvernements, des organisations internationales (organisations intergouvernementales, ONG internationales, banques de développement, entreprises transnationales, etc.) et des acteurs locaux de la société civile (ONG locales, associations de développement, des coopératives, entre autres). Dans ce sens, ces initiatives s’encadrent plutôt dans l’approche apparue dans les années 1990 de la sécurité humaine, qui rompt avec l’approche de sécurité environnementale, jugée militaire et centrée autour des Etats. La sécurité humaine affirme que les crises environnementales peuvent être « résolues par la coopération entre acteurs nationaux, mais aussi au niveau international, en particulier par la mise en place de régimes internationaux et 187 d’une gouvernance globale » (Ibid, p. 145). Cette approche, considérée comme plutôt idéaliste, est très liée au discours du développement durable. La sécurité humaine a été soutenue et universalisée par les Nations Unis et plus particulièrement par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). La sécurité humaine propose ainsi une réflexion critique de la sécurité et encourage la participation dans les processus de gestion d’une diversité d’acteurs nationaux et internationaux (Ibid, p. 146). L’objectif de cette partie est de saisir le rôle qu’ont ces acteurs et leurs projets dans la gestion de l’environnement de régions de frontière. Nous essayons ainsi de comprendre comment se mettent en place les dynamiques de coopération environnementale. Dans ce sens nous prêtons une attention particulière à ce jeu d’acteurs, et plus précisément aux actions et aux relations qu’ils entretiennent. A ce égard, nous allons nous intéresser aux réseaux sociaux qui se développent entre des acteurs collectifs dans des systèmes spatiaux frontaliers. Dans cette optique, les réseaux sont compris comme un ensemble de relations spécifiques (de collaboration, de conseil, de conflit et d’influence) entre un ensemble fini d’acteurs (Mercklé, 2011). Nous partons du constat que ces systèmes spatiaux frontaliers sont dynamiques et en constante recomposition et que les acteurs qui interviennent agissent à différentes échelles (entre globales et locales) et sont porteurs de différentes temporalités. Ces acteurs sont également porteurs de projets de coopération et d’intérêts très divers qui entrent souvent en contradiction voire confrontation. Avant d’analyser les acteurs et les projets en matière de coopération transfrontalière pour l’environnement, il est nécessaire d’expliquer comment nous mènerons cette analyse et de définir certains termes. Le terme acteur peut s’appliquer aussi bien à des acteurs individuels qu’à des acteurs collectifs (entités politiques, organisations politiques, groupes d’intérêts des mouvements sociaux, ONG…). Cependant, dans le cadre de cette recherche, nous nous intéresserons plus particulièrement aux acteurs collectifs. L’acteur collectif est « un groupe de personnes organisé, mobilisé à partir d’expériences, d’intérêts et de solidarités convergentes autour d’un projet en commun qu’il tente d’imposer par le biais de l’action collective » (Duperré, 2004, p. 13). L’action collective selon E. Neveu est un ensemble de situations dans lesquelles se manifestent une pluralité d’agents sociaux, l’action collective «unifie l’intention et la coopération » (Neveu, 2002, p. 6). Une action collective implique agir ensemble, de façon intentionnelle et autour d’un projet explicite. Ces projets peuvent être très divers, ils peuvent représenter des revendications, la défense d’intérêt 188 matériel ou d’une cause où même la protection d’une situation ou un mode de vie mis en danger (Neveu, 2002, p. 10). L’acteur est un sujet qui agit et qui veut transformer son territoire, c’est à dire, dans notre cas, la région frontalière. Pour reprendre la définition d’A. Touraine, le « Sujet » a la volonté d’agir et d’être reconnu comme acteur : « le Sujet est le passage du « ça » au « je », le contrôle exercé par le vécu pour qu’il ait un sens personnel, pour que l’individu se transforme en acteur qui s’insère dans les relations sociales en les transformant… » (Touraine, 1992, p. 267). Les acteurs agissent autour d’un système d’action qu’ils contribuent à construire, mais qui, tout en même temps les détermine (Duperré, 2004, p. 14). Un système d’action, « est un ensemble humain qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes et des jeux » (Ibid, 2004, p. 14). Dans le cas de cette recherche différents systèmes d’action interviennent à différentes échelles. Par exemple, à l’échelle locale, nous identifions le système frontalier et à l’échelle internationale, le système global de la conservation de l’environnement. Les acteurs collectifs que nous nous apprêtons à étudier ont une certaine organisation et représentent des intérêts de groupe. Ces acteurs collectifs peuvent être des institutions étatiques, des organisations (ONG, OIG, entre autres), des associations, des entreprises (les partenariats publics - privés), des groupes indigènes, des mairies, des ministères, entre autres. Ces acteurs ont en commun de rassembler des intérêts et d’agir en tant que représentants d’un 94 ou plusieurs secteurs . L’étude des acteurs collectifs nous permettra enfin d’analyser des actions collectives. C’est ainsi que nous analyserons les jeux d’acteurs, à travers les actions, représentations et relations qui se mettent en place autour de la gestion de l’environnement dans ces deux bassins transfrontaliers. Nous prêterons une attention particulière aux actions portées par les acteurs en présence, en concevant l’action comme l’expression des intentions et des discours de ces acteurs. C’est pour cette raison qu’une partie importante de notre analyse se fera autour des projets de coopération encouragés par ces acteurs collectifs frontaliers. Nous estimons que l’analyse de ces actions collectives territoriales nous permettra d’élucider les discours, les intentions et les relations (confiance, proximité, influence, entre autres) qui existent entre ces acteurs. 94 Le terme secteur fait référence à un groupe d’acteurs qui se mobilisent autour de leurs occupations où des intérêts particuliers, par exemple le secteur coopératif, le secteur environnementaliste, ou encore le secteur des entrepreneurs touristiques. 189 L’acteur frontalier collectif diffère toutefois d’autres acteurs nationaux. En effet, l’acteur est territorialisé : il a une compétence territoriale qui peut être juridique, politique ou géographique (spatial, social et culturel) et il est également doté d’une personnalité et d’une individualité (Gumuchian, 2003, p. 9). L’acteur territorial comme la territorialité ont un ancrage, ils se construisent sur des lieux, des points géographiques localisés, qui sont aussi des points porteur de sens. Dans le cas de notre recherche, ce lieu où se met en place ce jeu de pouvoir entre acteurs est la frontière. Les régions frontalières, comme nous l’avons déjà développé dans les chapitres antérieurs, sont des lieux originaux qui diffèrent du reste du territoire national sur les plans culturels, politiques et environnementaux. Les acteurs qui agissent autour des régions frontalières sont influencés par ces régions, et ont des intérêts, des besoins et des répertoires d’actions différents des autres. C’est ainsi que nous analyserons les acteurs collectifs frontaliers à partir d’une perspective territoriale qui nous donne les éléments nécessaires pour comprendre comment l’ancrage à un lieu détermine l’action des acteurs. L’acteur est contraint par un contexte, mais, en même temps, l’acteur participe à la construction de ce contexte par le déploiement de ses actions stratégiques (Hassenteufel, 2011, p. 117). Le territoire et l’action sont des composants fondamentaux de la notion d’acteur collectif. En effet le territoire est à la fois l’origine et le résultat de l’action, c’est-à-dire des processus socio-spatiaux et des stratégies des acteurs. Les vécus des acteurs s’inscrivent sur le territoire et ces vécus sont l’expression des interactions, qu’elles soient échanges, coopérations ou confits (Gumuchian, 2003, p. 88). Nous ferons ainsi une analyse territoriale des acteurs collectifs qui opèrent autour de systèmes d’action concrets (la frontière) et qui cherchent à travers des stratégies territoriales (des projets et des programmes) à exercer leur influence sur le territoire. Ces acteurs font appel à différents répertoires d’actions pour positionner leurs intérêts : lobbying, négociation, action conflictuelle, action juridique, manifestation, actions symboliques, prises de position publiques, entre autres (Hassenteufel, 2011, pp. 195–197). Nous montrerons que ces stratégies s’organisent majoritairement autour des projets et des actions de coopération que des acteurs étatiques et non étatiques mettent en place d’une part, et d’autre part qu’elles ont la particularité d’articuler différentes échelles et différentes temporalités, lesquelles parfois rentrent en conflit. 190 2. Les acteurs collectifs spécifiquement frontaliers La frontière est un champ « d’expériences collectives et individuelles », elle est à la fois une ligne de contrôle, d’interdiction et de limite de la souveraineté ; et en même temps un lieu de continuité et de fragmentation (Picouet & Renard, 2007, p. 16). La frontière est ainsi un lieu porteur de sens et les acteurs qui agissent dans cet espace sont déterminés par elle. Par exemple, les caractéristiques socio-spatiales des frontières comme leur condition périphérique, le fait d’être le lieu où se juxtaposent deux systèmes politiques (avec des lois, des normes et des monnaies différentes), ainsi que la faible présence des Etats (peu de surveillance et manque d’investissement), facilitent l’émergence d’acteurs frontaliers. La situation périphérique des bassins du fleuve Sixaola et du fleuve San Juan, ainsi que leur importance environnementale et leur richesse agricole, font de ces régions de frontière des lieux de rencontre d’acteurs avec des temporalités et des intérêts différents et qui agissent à des niveaux scalaires multiples. C’est ainsi que la frontière mobilise une grande diversité d’acteurs (douaniers, policiers, contrebandiers, commerçants, OIG, ONG locales et internationales) qui mettent en place des activités formelles et légales (projets de coopération, commerce, tourisme), mais aussi des activités illicites. Les « passe-murailles » sont fréquents et très actifs, ils fonctionnent souvent en réseau (les contrebandiers, le narcotrafic), transgressent les frontières et exercent un « contre pouvoir territorial » qui modifie les rapports de pouvoir et les logiques territoriales (Picouet & Renard, 2007, p. 46). Ainsi, autour de ces régions de frontières, de nombreuses politiques publiques comme des échanges informels se mettent en place dans des domaines variés. Nous ne nous préoccuperons cependant pas des questions liées à la santé, à la sécurité ou encore au commerce. Notre attention se portera sur les dynamiques de coopération qui se développent autour de la gestion et la conservation de l’environnement et donc sur les acteurs collectifs qui agissent autour de la conservation des écosystèmes partagés et du bassin. Nous avons pu constater que ces acteurs collectifs frontaliers sont nombreux et ils ont la particularité d’être « multicasquettes et multiscalaires » (Gumuchian, 2003, p. 37). Au sein de la grande diversité d’acteurs frontaliers collectifs participant à la gestion environnementale des bassins, se dégagent trois types d’acteurs : les acteurs politiques étatiques, les acteurs non étatiques privés qui ont des intérêts économiques dans ces régions et les acteurs non étatiques issus de la société civile (associations, mouvements sociaux, ONG). 191 Ces catégories d’acteurs ne sont pas homogènes en leur sein, puisque des porosités existent entre elles. Les acteurs étatiques cherchent à maintenir le contrôle, l’autorité et la division de l’espace territoriale (Machado de Oliveira, 2009, p. 23) ils sont les porteurs de la coopération binationale formelle que nous étudierons dans le chapitre 4. Un acteur étatique a un rôle public, ce qui signifie juridiquement qu’il « détient la puissance étatique sur des ressortissants situés dans un territoire délimité, sur lesquels ses décisions s‘imposent » (Hassenteufel, 2011, p. 8). L’Etat a le monopole de la force physique et des ressources fiscales sur un territoire, et ce pouvoir est institutionnalisé par toute une administration (Hassenteufel, 2011, p. 15). Parmi les acteurs étatiques, nous avons pu identifier des institutions gouvernementales qui agissent à échelle nationale et binationale comme les ministères (environnement, économie, santé, agriculture), les institutions qui font face aux impacts des évènements naturels extrêmes (Commissions d’urgences et désastres) ou le système d’aires protégées au Costa Rica. Dans le cas du Nicaragua, l’armée est également un acteur qui joue un rôle important dans la gestion de l’environnement dans le bassin du fleuve San Juan, notamment autour de la gestion des risques. A l’échelle locale, les acteurs étatiques importants sont principalement les mairies, la police et les centres de santé. Cependant il convient de préciser que ces acteurs même s’ils sont localisés sur ces frontières, ils interviennent à plusieurs niveaux. Les acteurs étatiques sont en charge d’émettre des politiques publiques qui sont des actions qui émanent de l’Etat et qui cherchent à résoudre un ou plusieurs problèmes (Hassenteufel, 2011, p. 9). Ces politiques publiques prennent la forme de décrets, de normes, de lois et aussi de campagnes de sensibilisation. Au sein des divers acteurs privés, nous pouvons identifier des entreprises transnationales agricoles et un important réseau de narcotrafic et de contrebande. Ces acteurs profitent des avantages comparatifs qui existent dans les régions de frontières (la main d’œuvre bon marché, le taux de change, les réductions d’impôts, le manque de régulation de la part des Etats, etc.), ils dépendent directement de la libre circulation des biens et des services, c’est pourquoi ils encouragent la réduction des barrières territoriales. Sur les deux bassins transfrontaliers étudiés, nous avons pu identifier d’importantes entreprises transnationales qui travaillent dans le secteur de l’agriculture d’exportation comme DOLE, Chiquita, TICOFRUT et Del Monte, qui portent toutes un discours sur la responsabilité sociale des entreprises à travers lequel elles justifient la mise en place de projets de conservation. Lors de notre travail de terrain, nous avons pu constater que les projets encouragés par ces partenariats publics- privés sont très critiqués notamment par des acteurs de la société civile. Une des principales 192 critiques est que ces partenariats introduisent des intérêts privés dans des processus de conservation de biens communs. Lors des entretiens réalisés, la présence d’acteurs illégaux liés aux narcotrafic et à la contrebande a été très souvent évoquée, cependant nous avons décidé de ne pas approfondir ce sujet, d’une part parce que l’étudier impliquait une prise de risque et d’une autre part, parce que celui-ci s’éloigne du cœur de notre recherche relative à l’analyse des dynamiques de coopération et de conflits liées à la gestion de l’environnement. Nous avons pu aussi identifier deux autres types d’acteurs qui sont non étatiques, très actifs dans ces régions frontalières. Ce sont les organisations sociales et les organisations internationales (ONG internationales), lesquelles ont des intérêts plus « philanthropiques » liés soit à des projets de développement, soit à la conservation de l’environnement. Ces organisations, ainsi que d’autres acteurs privés, cherchent à établir des relations plus horizontales, notamment en mettant en place des structures de gouvernance pour la gestion du 95 bassin et de l’environnement. Localement, il existe sur ces deux régions de frontière de nombreuses ONG, des coopératives, des associations pour le développement local et des autorités indigènes qui mettent en place ou participent à des actions et à des projets pour la conservation de l’environnement. Nous montrerons que ces organisations sont souvent des acteurs qui ont une importante légitimité à l’échelle locale, raison pour laquelle elles jouent couramment un rôle d’intermédiaire entre les acteurs internationaux et les acteurs locaux. Un autre constat important de cette recherche est la présence de grandes organisations internationales (UICN, The Nature Conservancy entre autres), des organisations intergouvernementales (OIG), des agences de coopération bilatérale (USAID, Coopération Espagnole, Coopération Allemande, etc.) et de la Banque Interaméricaine de Développement sur ces deux bassins transfrontaliers. La présence de ces organisations, dans la plupart des cas, répond à l’importance environnementale attribuée à ces frontières aux échelles régionale et internationale. Leur installation sur ces régions a permis le développement de réseaux d’acteurs qui ont des ressources et des répertoires d’actions très amples. Les régions de frontières ont ainsi la particularité d’articuler et d’emboiter les échelles, elles sont un lieu où les acteurs locaux coexistent et ont des liens de proximité avec ces organisations internationales. Nous montrerons que même si des acteurs nationaux (autorités nationales) 95 Nous analyserons ces plateformes de gouvernance dans notre Chapitre 7, à travers les mythes et les réalités de la gouvernance environnementale. 193 sont toujours présents, les acteurs globaux qui ont des projets de coopération dans ces régions frontalières ont un contact direct avec les acteurs locaux. Acteurs locaux et globaux se rencontrent et se confrontent particulièrement nettement dans des régions frontalières (Machado de Oliveira, 2009, p. 20). D’autres acteurs qui interviennent sont les universités publiques et les centres de recherche comme le Centre Agronomique Tropical de Recherche et Education (CATIE) et la Université EARTH, lesquels proposent aux acteurs locaux des formations très diverses (agriculture biologique, gestion des déchets…) et se constituent aussi en acteurs politiques avec une forte légitimité en faisant de la recherche appliquée et en influençant ainsi les preneurs de décisions. Un autre constat a été le rôle des Eglises catholiques et évangéliques dans la gestion de 96 l’environnement, notamment la Pastoral Social de l’Eglise catholique, qui représente le secteur lié à la théologie de la libération. Cette pastorale a eu un rôle très important dans des mobilisations contre l’utilisation de produits agro-chimiques et des pesticides dans la production de banane au bassin du fleuve San Juan. Le tableau 14 et 15 présente de manière synthétique les acteurs qui ont été identifiés lors des différents terrains réalisés sur nos deux bassins et qui seront étudiés dans les chapitres qui suivent. Il permet aussi de voir les principales activités que ces acteurs mettent en place en matière d’environnement ainsi que l’échelle à laquelle ils agissent. Le quatrième chapitre, qui suit, sera ainsi consacré à l’analyse des projets portés par les acteurs étatiques et qui correspondent à des processus de coopération binationale formelle pour les bassins du fleuve Sixaola et San Juan. Dans un cinquième chapitre, nous nous intéresserons, plutôt aux projets de conservation portés par des acteurs non étatiques, comme les organisations internationales, les ONG locales et internationales, les agences de coopération et les entreprises privées. 96 Branche de l’église costaricienne qui s’inspire dans la Doctrine Sociale de l’Eglise, notamment de la théologie de la libération et qui travaille avec des paysans et des ouvriers agricoles bananiers. 194 Tableau 14 Acteurs identifiés qui agissent dans la gestion environnementale des bassins du fleuve Sixaola Type d’acteur Echelle Nom de l’acteur Type d’activité ou Projet Pays Institutions Nationale Ministère de Conservation de l’Environnement et innovation énergétique Costa Rica politiques l’Environnement et de Participe au Projet de gestion intégrée des écosystèmes du bassin binational du l’Energie (MINAE) 97fleuve Sixaola du BID –GEF 2009-2012 Ministère de l’Agriculture Promotion de la compétitivité et du développement des activités agricoles en Costa Rica et de l’Elevage harmonie avec la protection de l’environnement. Développe le Programme pour le (MAG) Développement Durable du bassin du Sixaola (2009-2012) Système National des Aires Coordination du Système des aires protégées, protection de la vie sylvestre, des Costa Rica Protégées bassins hydrographiques et des ressources en eau. Ministère de la Planification Suivi de la Convention Binationale pour le Développement des régions frontalières Costa Rica Autorité Nationale de Gestion de l’environnement et suivi des lois et normes environnementales. Participe Panamá l’Environnement (ANAM) au Projet de gestion intégrée des écosystèmes du bassin binational du fleuve Sixaola 98 du BID –GEF 2009-2012 Ministère de l’Economie et Suivi de la Convention Binationale pour le Développement des régions frontalières Panamá des Finances 97 Projet n°RS-X1017 de la BID, du 12 de septembre 2007 (documents téléchargeables sur le site de la BID). Le GEF (Global Environmental Facility) est un fonds international pour la gestion de l’environnement créé en 1990 pour canaliser les financements destinés à traiter les problèmes environnementaux globaux. Il compte avec la participation du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (chargé du support scientifique) et la Banque Mondiale . 195 Type d’acteur Echelle Nom de l’acteur Type d’activité ou Projet Pays Nationale Système National de Gestion du risque et assistance en cas d’urgence face à des événements naturels Panamá Protection Civile extrêmes (SINATROC) Nationale Commission Nationale Gestion du risque et assistance en cas d’urgence face à des événements naturels Costa Rica d’Urgences extrêmes Locale Mairie de Talamanca Gestion municipale, gestion des déchets, permis de construction. La Mairie a une Costa Rica Unité Environnementale créée et financée par la BID. Locale Mairie de Changuinola Projet pour améliorer la gestion des déchets et travail avec le projet de gestion du Panamá bassin du fleuve Sixaola de la BID Locale Mairie de Upala Participe aux projets de renforcement municipal de la coopération espagnole. Cette Costa Rica mairie encourage la réalisation de « Foires de la Santé » sur la région frontalière. Locale Mairie de Los Chiles Participe aux projets de renforcement municipal de la coopération espagnole. Costa Rica Locale Mairie de Guatuso Stratégie de Développement Durable et lutte contre l’expansion des monocultures Costa Rica Entreprises Transnationale Chiquita Activité agricole : monoculture d’ananas Internationale transnationales Transfrontalière Dole REWE Supermarché Allemagne Projets de responsabilité sociale des entreprises Alliance Public-Privé avec la coopération allemande et Chiquita Organisations Transfrontalière Union Internationale pour le Plus grande et plus ancienne des organisations globales environnementales au monde Internationale Internationales Internationale Conservation de la (1948). Nature (UICN) Met en place de nombreux projets de conservation sur ces deux bassins (Projet Allianzas, WANI, BRIDGE) Transfrontalière The Nature Conservancy A été très présente au bassin du fleuve Sixaola notamment avec leur projet de « Parcs Etasunienne Internationale en Dangers ». Participe à des activités de bio-surveillance dans le Projet de Gestion Binationale des Ecosystèmes du bassin du fleuve Sixaola (BID-FEM) RUTA Organisation responsable de mettre en place le projet de l’Alliance Public-Privé. Costa Rica Régionale Fondation pour la Paix et la Cette fondation met en place le projet d’adaptation au Changement Climatique Costa Rica 196 Type d’acteur Echelle Nom de l’acteur Type d’activité ou Projet Pays (Amérique Démocratie (FUNPADEM) « Manos a la costa », dans le bassin du fleuve San Juan de façon binationale. centrale) Agences de Internationale USAID Agence étasunienne de coopération, encourage la mise en place d’activités de Etats Unis coopération responsabilité sociale des entreprises. bilatérale Internationale Coopération Allemande Encourage des actions de responsabilité sociale des entreprises grâce à la mise en Allemagne (GIZ) place d’une alliance public-privé. Internationale Coopération Norvégienne Finance le projet Alianzas de l’UICN Norvège Organisations Locale Corridor Biologique Organisation qui rassemble 19 organisations de base et qui cherche la protection de Costa Rica non Transfrontalière Talamanca Caribe la biodiversité, en encourageant la participation locale dans la caraïbe costaricienne gouvernemental es locales Nationale Association Panamá Verde Organisations de jeunes pour la conservation de l’environnement Panamá Locale AAMVECONA ONG qui cherche la conservation et protection des ressources naturelles du marécage Panamá transfrontalier San San Pond Sak. Organisations de Locale ASOPLATUPA Coopérative productrice de banane plantain à Sixaola Costa Rica base Locale ASOParaiso Coopérative productrice de banane plantain à Paraíso de Sixaola Costa Rica Locale Cooperio Coopérative productrice de banane plantain à Olivia, Sixaola Costa Rica Locale Association de Petits Association qui regroupe de producteurs indigènes de cacao issu de l’agriculture Costa Rica Producteurs de Talamanca biologique à Talamanca (APPTA) Locale COCAO Coopérative de producteurs de cacao à Changuinola Panamá Locale Autorités indigènes Associations de développement indigène créées pour défendre les territoires Costa Rica ADITIBRI et ADITICA indigènes et leur autonomie. Ces associations regroupent différents conseils de voisins. Locale Associations de Associations de la société civile costaricienne qui sont un important groupe de Costa Rica Développement pression et qui participent aux projets de conservations de l’UICN Banques de Transnationale Banque Interaméricaine de Banque créée pour promouvoir le développement durable et la croissance International Développement Développement économique, ainsi que pour lutter contre la pauvreté en Amérique Latine et la Caraïbe. Donne des prêts et des dons et met en place des projets, dont deux projets de conservation sur le bassin du fleuve Sixaola. Centres de Nationale Université du Costa Rica Université publique avec un programme d’action sociale reposant sur un travail Costa Rica recherche et communautaire qui a permis le développement du projet Kiosques universités Environnementaux. Ces Kiosques ont comme principe l’éducation populaire et le publiques travail avec des acteurs locaux. Ils font aussi de la recherche appliquée. Internationale Centre Agronomique Ce centre de recherche met en place le projet cacao, qui cherche à améliorer les Costa Rica Tropical de recherche et de pratiques agricoles de producteurs biologiques de cacao. Travaille avec les projets de formation (CATIE) la BID et avec APPTA et COCAO Organisations Transnationale Eglises catholiques et 99Secteur social de l’Eglise catholique sui a créé la Pastoral Social , laquelle a mis en Costa Rica sociales évangéliques place des actions de résistance par rapport à la croissance des monocultures et à 99 Branche de l’Eglise Catholique inspiré par la Théologie de la Libération et travail dans l’organisation populaire. 197 Type d’acteur Echelle Nom de l’acteur Type d’activité ou Projet Pays l’usage de produits agro-chimiques. Ce côté de l’Eglise a aussi dénoncé les mauvaises conditions de travail des ouvriers bananiers. Sources : Entretiens réalisés entre 2011-2012 et Documents des projets et documents officiels Tableau 15 Acteurs identifiés qui agissent dans la gestion environnementale des bassins du fleuve San Juan Type d’acteur Echelle Nom de l’acteur Type d’activité ou Projet Pays Institutions Nationale Ministère de Conservation de l’Environnement et innovation énergétique Costa Rica politiques l’Environnement et de l’Energie (MINAE) Ministère de l’Agriculture Promotion de la compétitivité et du développement des activités agricoles en Costa Rica et de l’Elevage harmonie avec la protection de l’environnement. (MAG) Système National des Aires Coordination du Système des aires protégées, protection de la vie sylvestre, des Costa Rica Protégées bassins hydrographiques et des ressources en eau. Ministère de la Planification Suivi de la Convention Binationale Costa Rica Nicaragua Costa Rica Ministère des Ressources Conservation de l’environnement et gestion des aires protégées. Nicaragua Naturelles et de l’Environnement (MARENA) Nationale Armée nicaraguayenne Gestion du risque, défense et sécurité Nicaragua Nationale Commission Nationale Gestion du risque et assistance en cas d’urgence face à des événements naturels Costa Rica d’Urgences extrêmes 198 Type d’acteur Echelle Nom de l’acteur Type d’activité ou Projet Pays Locale Mairie de San Carlos de Participe au Projet Manos a la Costa de FUNPADEM. Nicaragua 100 Nicaragua Des activités de conservation du lac avec des organisations de pêcheurs Mairie de Upala Participe aux projets de renforcement municipal de la coopération espagnole. Cette Costa Rica mairie encourage la réalisation de « Foires de la Santé » sur la région frontalière. Locale Mairie de Los Chiles Participe aux projets de renforcement municipal de la coopération espagnole. Costa Rica Mairie de Guatuso Stratégie de Développement Durable et lutte contre l’expansion des monocultures Costa Rica Police nationale Surveillance (trafic d’espèces animales) Nicaragua Conseils Citoyens Espace de participation citoyen convoqué et dirigé par le gouvernement central qui Nicaragua valide les projets de développement et de conservation qui veulent se mettre en place à l’échelle locale. Entreprises Transnationale TICOFRUT Activité agricole : monoculture d’agrumes et ananas Internationale transnationale Transfrontalière DOLE s Agences de Internationale Coopération Finance à travers l’ONG Fundemuca des projets de renforcement des mairies. Elle a Espagne Coopération Espagnole (AECID) aussi financé un projet pour la gestion du bassin du Rio Frio affluant de bassin du fleuve San Juan. Internationale Coopération Norvégienne Finance le projet Alianzas de l’UICN Norvège Organisations Transfrontalière Union Internationale pour le Plus grande et plus ancienne des organisations globales environnementales au monde Internationale Internationale Internationale Conservation de la (1948). s Nature (UICN) L’UICN a mis en place le projet Alianzas sur ce bassin Régionale INBIO ONG et centre de recherche en biodiversité, met en place avec FUNPADEM le International projet « Manos a la costa » Régionale Fondation pour la Paix et la Cette fondation met en place le projet d’adaptation au Changement Climatique Costa Rica (Amérique Démocratie (FUNPADEM) « Manos a la costa », dans le bassin du fleuve San Juan de façon binationale. centrale) 100 Nous n’avons pas pu réaliser des entretiens avec le élus ou les fonctionnaires de cette Mairie. 199 Type d’acteur Echelle Nom de l’acteur Type d’activité ou Projet Pays Organisations Nationale Centre des droits sociaux Organisation pour la protection des droits des migrants nicaraguayens et des Costa Rica- non des Migrants (Cenderos) populations frontalières. Encourage le développement d’un réseau de jeunes Nicaragua gouvernement transfrontaliers sur la question environnementale. ales locales Locale FUNDEVERDE ONG conversationniste avec comme principal objectif la conservation des Nicaragua écosystèmes et de la biodiversité du bassin du fleuve San Juan et plus particulièrement du refuge de vie sylvestre Los Guatusos (site RAMSAR). Participent aux projets de l’UICN et de la Funpadem. Locale Fondation du Fleuve Fondation pour la conservation et le développement durable du sud-est nicaraguayen. Nicaragua Travaille avec l’UICN et la Funpadem Locale Fondation Amis du fleuve Organisation environnementaliste nicaraguayenne, qui à travers la recherche Nicaragua San Juan (FUNDAR) scientifique met en place des actions de conservation et de gestion dans le bassin du fleuve San Juan. Centres de Nationale Université du Costa Rica Université publique avec un programme d’action sociale reposant sur un travail Costa Rica recherche et communautaire qui a permis le développement du projet Kiosques universités Environnementaux. Ces Kiosques ont comme principe l’éducation populaire et le publiques travail avec des acteurs locaux. Ils font aussi de la recherche appliquée. Organisations Transnationale Eglises catholiques et 101Secteur social de l’Eglise catholique qui a créé la Pastoral Social , laquelle a mis Costa Rica sociales évangéliques en place des actions de résistance par rapport à la croissance des monocultures et à l’usage de produits agro-chimiques et à l’Accord de Libre Echange avec les Etats- Unis Nationale Fronts de Lutte contre Mouvement social qui regroupe des organisations locales et nationales qui met en Costa Rica l’expansion des champs place des activités de résistance contre la production d’ananas et l’usage de d’ananas pesticides qui polluent les nappes phréatiques. La zone nord du Costa Rica, notamment le bassin du fleuve San Juan, et le bassin du Sixoala, sont des zones considérées prioritaires par ce mouvement. 101 Branche de l’Eglise Catholique inspiré par la Théologie de la Libération et travail dans l’organisation populaire. 200 Chapitre 4 Réalités et limites de la coopération binationale pour la conservation des régions frontalières Introduction Ce chapitre est consacré à l’analyse des dynamiques de coopération binationales en matière d’environnement qui sont portées dans les régions frontalières Costa Rica-Panamá et Costa Rica-Nicaragua par les acteurs étatiques. Ces dynamiques de coopération se caractérisent par leur caractère formel et officiel, c’est-à-dire qu’elles sont définies par un cadre de légal de coopération qui a été négocié de façon bilatérale et qui se mettent en place autour des Etats et des institutions publiques. Ce cadre légal est constitué d’accords binationaux qui cherchent à encourager le développement et la conservation de ces régions frontalières. Dans un premier temps, nous nous attacherons à confronter les différentes notions de coopération, à travers le prisme de la science politique et de la géographie. Nous partons du constat que la coopération a été peu étudiée par la géographie au contraire de la science politique. A partir des différents débats disciplinaires, nous nous demanderons si nous pouvons parler de coopération territoriale. Nous différencierons la coopération binationale de la coopération transfrontalière et nous présenterons les acteurs et les échelles qui interviennent dans ces types de coopération. A travers l’examen des accords et l’observation, sur le terrain, de la réalité de la coopération, nous confronterons les éventuelles différences entre ce que les accords proposent et les actions de coopération véritablement mises en oeuvre. Nous nous intéresserons aux structures prévues par ces accords pour faciliter la mise en place d’actions binationales. Ces structures sont des commissions qui regroupent une grande diversité d’acteurs et nous interrogerons ici leur fonctionnement et leur légitimité. 201 Nous analyserons enfin la participation d’organisations internationales en tant que bailleurs et en tant qu’« organisations d’experts » qui souvent mettent en place les projets conçus par les accords. Nous essayerons d’identifier quel est leur rôle et quelles sont leurs modalités d’intervention sur ces frontières. 1. Coopération territoriale, coopération binationale, et coopération transfrontalière : la coopération une notion polysémique Après avoir défini les acteurs collectifs frontaliers et les réseaux d’acteurs, nous analyserons plus particulièrement la coopération en matière d’environnement comme une coopération territoriale. L’objectif initial de cette partie est de problématiser les différentes notions qui ont été développées sur la coopération. En outre, une fois clarifiée la notion de coopération, nous différencierons la coopération binationale d’ordre institutionnelle et souvent diplomatique de la coopération transfrontalière locale, menée par des acteurs de la société civile, qui peut être formelle ou informelle et a des impacts certes plus localisés, mais aussi plus efficaces souvent. Nous présenterons ensuite les principales actions de coopération formelle établies entre les Etats (financées souvent par des organisation intergouvernementales), puis les actions de coopération plus spontanées et non formelles, qui sont encouragées par les organisations internationales, les organisations locales et les partenariats public-privé. Les recherches sur les frontières s’accordent sur le fait que les régions frontalières sont des espaces « catalyseur de malentendus, de conflits, d’idées préconçues et de prévarications » (Picouet & Renard, 2007, p. 21). Mais dans le même temps elles peuvent devenir un espace de proximité et de passage grâce à leur continuité culturelle et naturelle qui peut permettre, malgré la fragmentation politique, la coopération. Les frontières sont des espaces privilégiés susceptibles de développer simultanément des dynamiques de coopération et de conflits. Ce chapitre analysera plus particulièrement les dynamiques de coopération binationale, nous nous intéressons aux processus donnant lieu à des accords et à des structures de coopération binationale à l’échelle frontalière sur les bassins des fleuve San Juan et Sixaola. De plus, nous 202 monterons comment ces processus coexistent avec des conflits interétatiques et socio 102 environnementaux notamment autour de la gestion de l’environnement. 1.1. La coopération territoriale Comme nous l’avons déjà évoqué pour les notions d’acteur et de réseau, la géographie comme discipline n’a pas non plus étudié en profondeur la notion de « coopération » au moins dans le sens où nous l’entendons. En réalité, la notion de coopération est presque absente des principaux ouvrages de géographie et lorsqu’elle est présente, le terme de « coopération » n’est souvent entendu que dans le sens de coopération Nord-Sud, c’est-à-dire dans la logique de l’aide économique aux pays émergents et moins développés (Bussi, 2010, p. 11). Juliet Fall affirme que la littérature géographique « manque de cadres conceptuels cohérents et opérationnels » (Fall, 2009, p. 61) en matière de coopération et plus particulièrement de coopération transfrontalière. La coopération a davantage été étudiée en économie et en science politique, mobilisant un vocabulaire spécifique de négociation, de coalition, d’alignement, de réciprocité ou de contrat social. Ces approches sont pertinentes pour expliquer les recompositions territoriales, les processus d’intégration ou la mise en réseaux (Bussi, 2010, p. 12). En faisant une analyse de la littérature produite par ces disciplines autour de la coopération, nous avons pu identifier trois approches de la coopération. La première présente les processus à échelle individuelle qui correspondent à la Théorie des Jeux, laquelle s’intéresse aux motivations des individus au moment de « choisir la coopération comme stratégie pour obtenir un gain individuel » (Fall, 2009, p. 62). La « Théorie des Jeux » décompose le jeu d’acteurs en fonction de leurs stratégies et de leur impact sur les territoires (Bussi, 2010) et propose l’idée que les acteurs ayant recours à la coopération sont ceux qui sont trop faibles pour agir seuls (Fall, 2009, p. 63). La deuxième approche perçoit la coopération comme un processus avec différentes étapes ou degrés, présents de façon linéaire et incrémentielle, qui doivent conduire à un niveau de coopération « optimal » et absolu. Cet objectif final peut être le supranationalisme entre deux Etats (Groom & Taylor, 1990), l’intégration entre deux frontières (Martinez, 1994) ou la 103 coopération complète (full cooperation) dans le cas d’espaces protégés (Zbicz, 1999b). Ce 102 Nous analyserons plus en profondeur les conflits socio-environnementaux dans le septième chapitre. 103 D.Zbicz, après une enquête réalisé à 147 administrateurs d’aires protégés localisées dans des régions frontalières, définie six niveaux possibles de coopération transfrontalière : Niveau 0 Aucune coopération (les 203 type de coopération linéaire est souvent évoqué dans les projets proposés par les grandes ONG et OIG. C’est le cas des manuels de stratégie WANI (Water and Nature Initiative) proposés par le Programme Mondial de l’eau de l’UICN, lesquels proposent une coopération en étapes, qui va d’une situation initiale où il Cenderos a une asymétrie d’intérêts, qui évolue grâce à la mise en place de dynamiques de communication et coordination, pour arriver enfin à la coopération. La coopération implique, pour l’UICN, l’action conjointe des parties impliquées et le développement de politiques communes qui mèneront dans un futur à l’intégration. Ce processus de coopération est conçu à long terme puisque c’est un processus intergénérationnel qui implique un support institutionnel capable d’assurer sa durabilité. La figure 5 illustre le modèle de coopération que l’UICN propose et qui inspire ces nombreux projets de coopération environnementale que l’UICN applique à travers le monde. Ce modèle linéaire est normatif et déterministe, puisqu’il propose une coopération en étapes qui se suivent et a une aspiration d’universalisation qui nous fait pensé à la théorie du développement « par étape » de W.W. Rostow (Rostow, 1962). La principale critique proposée par J. Fall est que ces théories n’expliquent pas ce qui se passe quand le changement se produit et voient les acteurs comme des « entités uniformes et homogènes » (Fall, 2009, p. 63). administrateurs des Aires Protégées de part et d’autre de la frontière, n’ont aucune communication) ; Niveau 1 Communication (Des communications rares, au moins une fois par an) ; Niveau 2 Consultation (Communication plus fréquente, au moins trois fois par an et des notifications formelles sont réalisées pour informer des actions entreprises pouvant affecter les aires protégées) ; Niveau 3 Collaboration (La communications entre les équipes de parcs se fait au moins trois de fois pas mois et ils coopèrent en des activés ponctuelles) ; Niveau 4 Coordination et planification (Les deux aires protégées communiquent couramment et coordonnent leurs plans de gestion. Les administrateurs perçoivent les aires protégées comme une seule unité écologique) ; Niveau 5 Coopération complète (full coopération) (La planification entre les deux aires protégées est complétement intégrée, les décisions sont prises collectivement, ainsi que la définition des objectifs. De plus, des comités transfrontaliers sont souvent crées pour porter conseil) (Zbicz, 1999a, p. 16). 204 Figure 6: Modèle de coopération en matière de gestion de l’eau proposé par l’UICN Première étape Troisième étape Deuxième étape Objectif optimal Communication Partage Adaptation des Conception conjointe de d’information plans nationaux projets Evaluation Intégration Asymétrie Processus de la Coopération d’intérêts Bénéfices partagés Coopération Action unilatérale Coordination Action conjointe Production de politiques Processus à long terme qui doit être pensé de façon intergénérationnelle Source : Adapté du document de l’UICN : Partager : gérer l’eau entre frontières, Gland, Suisse, 2008 La troisième approche identifiée est celle de la coopération internationale qui dérive des sciences politiques et des relations internationales. La conception de la coopération internationale a évolué à travers le temps dans les sciences politiques. Initialement, la coopération internationale d’après le courant du réalisme politique, très inspiré par Hobbes et Locke, était réduite aux relations entre les Etats et était vue comme un moyen pour maintenir la paix et éviter les conflits (Hobbes, 2010). Dans ce courant, les Etats étaient perçus comme les protagonistes de la coopération et les autres acteurs de la société en étaient exclus. Après la deuxième Guerre Mondiale, une vision plus idéaliste des relations internationales s’impose, notamment après les accords de Bretton Woods en 1944 et la création des Nations Unies. Dans ce courant, de nouveaux acteurs et de nouvelles échelles sont pris en compte au moment de penser la coopération internationale, notamment les organisations internationales et tout le système des Nations Unies. Les relations de coopération internationales sont régulées par le 205 droit international, ce qui doit permettre la création et le développement d’institutions supranationales pour régler les différends comme la Cour Internationale de Justice (Fall, 2009, p. 63). Par la suite des courants plus libéraux et influencés par le phénomène de la globalisation ont mis l’accent sur l’introduction d’acteurs transnationaux qui représentent des intérêts privés comme les entreprises multinationales. Parallèlement, à côté des OIG, les ONG apparaissent comme un nouvel acteur qui est invité à participer aux processus de coopération. De nombreuses organisations humanitaires et d’autres qui travaillent sur la conservation de l’environnement participent aux processus de coopération souvent plus sectoriels et décentralisés. Les ONG acquièrent un rôle fondamental notamment dans les débats liés à l’environnement, en influençant la signature de conventions multilatérales comme la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) (1992) ou la Convention sur le Commerce d’Espèces de Faune et Flore Sauvages Menacées d’Extinction (CITES) (1973) et aussi en mettant en place des programmes et des projets de coopération avec des gouvernements ou 104 des acteurs locaux . Après ce bref rappel des différents courants et approches, nous pouvons conclure avec J. Fall que la coopération n’est pas que la variation d’intensité d’un processus unique, mais qu’elle « recouvre au contraire une incroyable diversité de pratiques sociales territoriales » (Fall, 2009, p. 64). La coopération est avant tout un processus négocié qui implique de multiples acteurs institutionnels et non institutionnels pour construire de nouvelles entités sur des niveaux imbriqués. Actuellement, plusieurs auteurs (Akrich, Callon & Latour, 2006; Callon & Ferrary, 2006; Latour, 2004), proposent de concevoir ces processus de coopération à travers la 105 théorie des acteurs-réseaux, c’est-à-dire par les relations et les processus de traduction qui se développent au sein d’un réseau d’acteurs qui peut compter des acteurs individuels, des acteurs collectifs ainsi que des objets ou des acteurs non-humains (nature) (Latour, 2004). Ces réseaux sont multiscalaires et multilatéraux. C’est pourquoi nous concevons la coopération comme un processus non linéaire d’une part, et qui a des rythmes et des objectifs différents selon les acteurs qui l’encouragent d’autre part. Il est donc nécessaire, pour comprendre ce phénomène, de mettre en œuvre une analyse des 104 Deux organisations ont eu un rôle très important dans ces Conventions, pour la question des trafics d’espèces, WWF et l’UICN dans l’élaboration de la Liste Rouge des espèces en dangers. 105 La traduction échange de connaissance et d’information au sein d’un réseau. La mise en relation implique toujours la transformation de ces connaissances. 206 acteurs prenant en compte tout à la fois leurs caractéristiques sociales ainsi que leurs agendas politiques. La coopération naît du besoin de chercher l’intérêt commun à partir d’une ou de plusieurs actions collectives. Dans ce sens, l’aspect collectif est fondamental dans la coopération parce qu’il n’a pas de coopération « sans le passage de l’individu au collectif ». C’est aussi pour cette raison que dans cette recherche nous nous intéressons aux acteurs collectifs et non aux acteurs individuels. La coopération territoriale implique des coalitions, l’individu est dépendant des stratégies des autres acteurs (Bussi, 2010, p. 16). Dans cette perspective, la dimension territoriale apparaît essentielle. Pour reprendre les termes de M. Bussi, « le territoire semble alors une dimension essentielle de l’intérêt collectif (…), et donc une composante indispensable de l’émergence de la coopération » (Ibid., p.13). C’est ainsi que nous ne pouvons donc pas dissocier coopération et territoire, ni au niveau organisationnel, ni du point de vue identitaire, ni encore de celui du sentiment d’appartenance : le territoire lui donne un sens et localise la coopération. Le concept de coopération territoriale permet donc de saisir les dynamiques de coopération en matière environnementale. L’approche territoriale de la coopération permet que des personnes ayant des intérêts communs constituent une association territoriale « où le pouvoir de décision de chacun est égal et les risques comme les bénéfices sont partagés » (Ibid., p. 19). Nous estimons comme M. Bussi que la coopération territoriale est influencée par l’identitaire, l’économique et le politique. La coopération peut s’exprimer de différentes façons sur le territoire. Nous pouvons trouver une forme de coopération que M. Bussi appelle « coopération communautaire », laquelle perçoit la coopération comme fondement d’une communauté autour de laquelle se mettent en place des relations d’entraide (Ibid., p. 15). La coopération est ainsi limitée à un groupe dont les membres ont des caractéristiques communes (ethnique, religieuse, corporatiste) ; c’est ce que M. Bussi appelle « égoïsme altruiste ». Les principaux risques que ce type de coopération peut entrainer sont les tribalismes ou les communautarismes. Un deuxième type de coopération territoriale peut être celui de la « coopération stratégique », très inspirée par les théories libérales d’Adam Smith. Ce type de coopération a pour objectif la maximisation des gains, elle est déterminée par le besoin de compétitivité entre les territoires (Bussi, 2010, p. 25). Des exemples de ce type de coopération sont les associations de consommateurs et les mouvements nimbistes. Les associations et les mouvements nimbistes se préoccupent des enjeux localisés. Leur nom vient des actions NIMBY, « not in my back 207 yard » c’est-à-dire « pas dans mon propre jardin » (Neveu, 2002, p. 10). Ce type d’action se produit autour des intérêts très localisés et vise soit à défendre des intérêts déjà acquis, soit à les revendiquer. Un groupe s’organise pour défendre son mode de vie mis en danger sans pour autant vouloir propager sa lutte à des niveaux nationaux ou internationaux et sans vouloir que celle-ci ne produise de changements structurels (Neveu, 2002, p. 10).. Un troisième type de coopération territoriale est la « coopération subsidiaire », étudiée par la géographie politique, cette coopération repose sur un ordre moral ou institutionnel qui fait appel à des valeurs supérieures qui doivent diriger et inspirer l’action (Bussi, 2010, p. 26). La volonté générale des individus est soumise à la collectivité par un accord qui exprime cette volonté. En théorie la coopération est présentée comme nécessaire, puisqu’elle poursuit un objectif universel et transcendant qui implique tout le monde. C’est ainsi que les intérêts individuels doivent se soumettre au « bien commun » qui est universel. Cette volonté d’universalité encourage l’articulation d’acteurs soumis au mêmes normes et valeurs (Bussi, 2010, p. 26). C’est ce type de coopération qui caractérise certaines associations de citoyens, l’économie solidaire, mais aussi la coopération internationale pour l’environnement (Protocole de Kyoto, Convention de Rio, entre autres). C’est pourquoi la notion de coopération subsidiaire est particulièrement importante pour notre recherche. En effet, ce dernier type de coopération est très employé dans les discours de coopération internationale qui cherchent à conserver l’environnement. La notion de coopération subsidiaire nous permet en effet de saisir les spécificités de la coopération pour l’environnement des autres formes de coopération frontalière. Cette approche nous permet ainsi d’élucider les discours d’acteurs « exogènes » comme les ONG internationales, les OIG et les partenariats publics-privés qui développent des projets de conservation et de gestion de l’environnement dans nos deux bassins transfrontaliers. Ces acteurs se sont appropriés un discours qui présente la nature comme un bien commun et un patrimoine universel qui doit être protégé par la communauté internationale, dont ils se sont autoproclamées les représentants. Il est important de noter que ces types de coopération territoriale ne se présentent pas dans la réalité de façon formellement séparées, elles sont souvent combinées. La catégorisation proposée n’a pour objectif que d’en distinguer certains traits. Des actions de coopération subsidiaires peuvent ainsi être financées par la coopération internationale tout en ayant des traits communautaires puisque destinées exclusivement aux populations indigènes, par exemple. Cette catégorisation nous est utile pour cerner les différentes dynamiques de coopération que nous pouvons trouver sur les territoires à étudier. Nous allons mobiliser en 208 particulier la notion de « coopération subsidiaire » pour analyser les projets liés à la conservation de l’environnement. 1.2. La coopération binationale Suite au phénomène de mondialisation, aux processus d’intégration supranationale et de décentralisation, la fonction des frontières a évolué. Si elles étaient auparavant perçues comme des lignes de clôture et de protection, elles sont aujourd’hui davantage associées à des espaces de rencontre, d’échange et de communication et/ou, comme l’explique B. Lecoquierre (2009, p. 76), des espaces de coopération et même de recomposition territoriale puisqu’elles sont des lieux de passage, d’interdépendance commerciale, de voisinage et de communication. Cependant il convient de souligner que ceci n’est pas le cas de toutes les frontières et que dans des thématiques de type migratoire, les frontières restent d’importantes barrières. La tendance à mettre en place des processus de coopération met en évidence l’intériorisation d’une nouvelle façon de percevoir les régions frontalières par les acteurs. Toutefois, si les frontières disparaissent parfois matériellement (réduction de contrôles migratoires), elles se maintiennent souvent symboliquement puisqu’elles marquent une discontinuité dans les imaginaires des personnes (Ibid., p. 75). Aussi, la coopération ne peut exister que quand il Cenderos a des relations pacifiques et de confiance entre les Etats, et quand les préoccupations liées à la sécurité et au maintien de l’identité nationale ne constituent plus des sujets prioritaires dans l’agenda binational. L’évolution du rôle des frontières et des Etats a permis l’émergence de différentes formes de relation et de coopération entre les Etats et entre les acteurs locaux. Les formes de coopération interrégionales et transfrontalières sont diverses (Lecoquierre, 2009, p. 84). Il existe de formes de coopération internationale ou binationale formelles, c’est-à-dire qui sont officialisées par des traités et des accords internationaux et qui se mettent en place autour des Etats et des institutions publiques. La logique de pouvoir de ce type de coopération est verticale, les actions sont entreprises depuis les centres de pouvoir et les principaux protagonistes restent les Etats. Ce type de coopération coexiste avec d’autres formes de coopération qui sont informelles c’est à dire qui ne sont pas portés par des Etats Nations ou des organisations intergouvernementales. De plus, ces coopérations sont encouragées par d’autres acteurs et impliquent les échelles internationale et locale. Dans ce chapitre nous analyserons la 209 coopération formelle définie comme la coopération qui se met en place à travers des instruments légaux (accords, traités) et des stratégies binationales qui ont été conçues entre le Costa Rica et le Panamá et le Costa Rica et le Nicaragua pour encourager la coopération binationale, particulièrement en matière d’environnement dans les vingt dernières années. 2. La coopération binationale : accords, projets et institutions La coopération formelle s’organise de façon verticale, top down, elle agit du haut vers le bas et repose généralement sur des accords bilatéraux de coopération, des accords de libre échange, des accords spécifiques de coopération pour la conservation de l’environnement, des aires protégées transfrontalières, pour les importations et les exportations fiscalisées par le système douanier, les échanges d’étudiants ou encore les échanges scientifiques. Ainsi, les accords municipaux et entre institutions (ministères, commissions pour la prévention du risque, la coordination des polices frontalières, la gestion des déchets, entre autres) font partie de cette coopération formelle. Ce type de coopération fait appel à la structure institutionnelle pour exercer également un contrôle sur ces zones, freiner certaines circulations et ordonner le système frontalier (Machado de Oliveira, 2009, p. 27) Les acteurs étatiques ont agi de différentes façons tout au long de l’horogenèse de ces frontières. Les premières politiques publiques sur ces régions ont été basées sur des interventions directes (Hassenteufel, 2011, p. 17) et avaient comme objectif d’établir l’ordre et de clarifier les tracés. Postérieurement (XXe siècle), ces politiques sont devenues 106 constitutives , cherchant à mettre en place les instruments administratifs de contrôle et surveillance de ces frontières ainsi que des accords limitrophes. L’intégration des régions frontalières imposa aussi la mise en place de politiques de transport et de communication afin d’intégrer ces périphéries (Hassenteufel, 2011, p. 15). Ces politiques s’appliquaient de façon unilatérale et n’impliquaient pas l’intervention des Etats voisins. Cependant, les processus d’intégration régionale ont introduit plus récemment le besoin de négocier et de coopérer pour ainsi mettre en place des actions conjointes. Ce type de coopération binationale formelle et officielle est une forme de politique publique qui implique de dépasser les cadres nationaux pour développer des accords et des actions de façon binationale. 106 Les politiques constitutives édictent les règles et fixent les procédures à suivre que doivent respecter l’ensemble des acteurs concernés par la politique en question. 210 Nous analyserons dans un premier temps comment et pourquoi la coopération entre le Costa Rica et le Panamá peut être considérée comme pionnière, dynamique et la plus développée de l’Isthme. Dans un deuxième temps, nous analyserons la coopération entre le Costa Rica et le Nicaragua comme une coopération timide fortement limitée par une multitude de conflits. 2. 1. Coopération binationale pionnière entre le Costa Rica et le Panamá 2.1.1. Un cadre précurseur pour la coopération Cette frontière a été longtemps caractérisée comme “la plus pacifique et propice pour la coopération transfrontalière dans la région” (Girot & Granados, 1997, p. 293). Les bonnes relations diplomatiques entre le Costa Rica et le Panamá ont permis le développement d’un cadre légal de coopération qui est considéré comme l’un des plus avancé dans l’Isthme centroaméricain (Medina, 2009, p. 43). Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, ces deux pays entretiennent de bonnes relations intergouvernementales et jouissent de fortes symétries structurelles et culturelles qui facilitent le dialogue et la coopération (Granados & Girot, 1991). 107 Israël Barrera , directeur de l’Unité de coopération du Ministère de l’Economie et des Finances du Panamá, a participé au processus de négociation entrepris par ces deux pays depuis les années 1970. Cet acteur présente les relations de coopération entre ces deux pays comme anciennes et pionnières par rapport au reste de l’Amérique Centrale, ayant eu une institutionnalisation précoce, grâce aux nombreuses déclarations et aux accords qui cherchaient à encourager le développement et la conservation de cette région frontalière. Dans un premier temps, au début des années 1970, les gouvernements du Costa Rica et du Panamá ont fait appel à l’OEA puis à la BID et à la Communauté Economique Européenne (CEE) pour que ces institutions produisent un diagnostic et un plan d’action qui puisse encourager le développement économique de cette région frontalière. Comme résultat de ce processus, un document a été produit dès 1972, mais il n’a jamais été appliqué. Cependant I. Barrera affirme que ce qu’il faut retenir de cette initiative, c’est avant tout qu’elle met en évidence l’intérêt des deux gouvernements à coopérer et à développer leur région frontalière commune. Ce document est également important sur un autre plan : il présente un premier diagnostic de l’état des ressources de cette région, mettant en évidence la richesse naturelle ainsi que la présence d’importantes ressources stratégiques comme des gisements de pétrole. 107 Entretien réalisé le 23 juillet 2012, Ville de Panamá. 211 Relevons également que dès cette première initiative, la présence d’organisations de coopération internationales a été très importante, puisque ces organisations ont fourni non seulement les ressources pour développer les études exploratoires, mais elles ont aussi été chargées de concevoir des stratégies en coordination avec des fonctionnaires. A la suite de cette première tentative, les négociations se sont poursuivies et ont abouti à la signature d’une première déclaration de coopération le 30 mars 1979, lors d’une réunion entre les présidents Aristides Royo pour le Panamá et Rodrigo Carazo pour le Costa Rica. Les responsables du suivi de ce traité étaient les ministères de planification du Costa Rica (MIDEPLAN) et du Panamá (MIPE). Cette déclaration de 1979 était profondément influencée par le contexte belliqueux centraméricain des années 1970-1980 (Medina, 2004, p. 496) puisqu’elle donnait une importance considérable à la pacification de l’Isthme. Ce traité reprenait aussi des arguments liés à la proximité culturelle et à un destin commun des deux pays voisins : « Unis par l’histoire, unis par la géographie ». La principale faiblesse de ce 108 traité, selon Israel Barrera , a été qu’il avait été conçu comme un plan de travail avec des objectifs à court et à moyen terme, et non pas comme un traité cadre, raison pour laquelle il était dès sa conception très limité. C’est ainsi que même si les essais de coopération ont été précoces, les actions réellement mises en place ont été très limitées (Medina, 2009, p. 43). 2.1.2. Le Parc International de La Amistad Les premières actions de coopération frontalière entre ces deux pays ont eu pour objet principalement la question environnementale et plus particulièrement la création et la délimitation du Parc International de La Amistad. Suite aux premières réflexions en matière de coopération, a eu lieu en 1974 la première Réunion Centraméricaine pour la Conservation des Ressources Naturelles et Culturelles à San José, au Costa Rica, au cours de laquelle les autorités du Costa Rica et du Panamá ont proposé la création du Parc International de La Amistad (PILA) sur leur frontière commune (Matul, 2007, p. 107). I. Barrera affirme qu’initialement la question environnementale a eu un rôle très important dans le processus de coopération et que la mise en place d’actions de conservation de manière binationale avait été définie comme prioritaire dans l’agenda des négociations. C’est dans ce cadre que ces deux pays ont signé en 1982 une déclaration conjointe pour créer le Parc International de La Amistad (laquelle modifiait la déclaration de 1979). Cette déclaration a précisé les limites du parc (cf. carte 13), ainsi que le rôle des différentes institutions dans la 108 Entretien réalisé le 23 de juillet 2012 à la Ville de Panamá 212 gestion du parc. Dans ce texte, la démarcation est déclarée « inaliénable » (Article 2) et l’administration du parc (Article 3) est confiée au Services des Parcs Nationaux des deux pays (Article 3). Les territoires indigènes du côté costaricien sont protégés et les autorités indigènes ont le droit de participer à la cogestion du parc en choisissant les gardes–parcs. Ce parc est devenu aussi en 1990 une Réserve de la Biosphère. Cette déclaration ainsi que celle signée en 1979 rendent compte des bonnes relations binationales entre le Costa Rica et le Panamá, relations qui sont, à de nombreuses reprises, caractérisées de « relations fraternelles » entre deux nations ayant une proximité culturelle et historique. C’est ainsi que dans le préambule de la déclaration du parc (Déclaration n° 13324- A : 1982), la politique de coopération dans cette zone frontalière est présentée comme « un geste symbolique qui témoigne des excellentes relations d’amitié et de fraternité entre ces deux peuples et gouvernements ». Cette déclaration permet en outre d’entrevoir l’influence des organisations internationales aussi bien dans le processus de création du parc que dans la mise en place des actions de coopération sur cette frontière. Le premier paragraphe de cette déclaration fait référence à la Stratégie Mondiale pour la Conservation des Ressources Vivantes qui a été élaborée par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) avec la coopération du Programme des Nations Unies pour l’Environnement et le World Wildlife Fund (WWF), en collaboration avec l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture (FAO) et l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO). Cette déclaration s’inspire de cette stratégie et elle en reprend les trois objectifs principaux suivants « 1. Maintenir les processus écologiques essentiels et les systèmes vitaux, 2. Préserver la diversité génétique et 3. Assurer l’utilisation durable des espèces et des écosystèmes » (Stratégie Mondiale pour la Conservation des Ressources Vivantes, 1980, p. 1). 213 Carte 13 Bassin du fleuve Sixaola et Aires protégées 214 Le PILA est le premier parc partagé de l’Isthme et une des premières actions qui se concrétisent entre ces deux pays. Cependant, il existe de grands problèmes de gestion à cause de l’autonomie conservée par chaque Etat réalisant chacun des diagnostics séparés. Ce manque de coordination débouche ensuite sur d’importantes difficultés pour mettre en place des plans de gestion conjointe. Actuellement, le MINAET et l’ANAM ont non seulement des cadres juridiques différents, mais aussi des plans de gestion du parc disjoints. De plus, les comptes rendus qui doivent être présentés à l’UNESCO sur l’état du PILA ne sont pas produits de façon binationale, chaque pays présentant le sien sans aucune coordination (MIDEPLAN, 2011, p. 8). La situation du PILA a été mise en question en 2010 par l’association indigène Naso. Celle-ci, à la suite d’un bio-monitoring des poissons dans le fleuve Telire, affluant du fleuve Sixaola, a remarqué une réduction importante de certaines espèces. Avec le support de l’ONG ANAI, ils ont porté plainte auprès de l’UNESCO en demandant que le PILA soit inclus dans la liste du Patrimoine Mondial en Danger. Le Comité pour le Patrimoine Mondial de l’UNESCO a organisé une mission en coordination avec les gouvernements du Costa Rica et du Panamá et l’UICN pour évaluer l’état du parc. Les résultats de cette mission ont démontré qu’il existait d’importants problèmes de coordination entre les deux Etats et qu’il était nécessaire d’avoir plus de personnel pour la protection du parc. La mission a également mis en évidence le besoin de créer un meilleur système de monitoring écologique systématique avec l’appui de l’INBIO. Enfin, elle a souligné qu’il était important que les autorités du parc se mettent en relation avec les autorités indigènes afin de résoudre le problème du chevauchement de certains territoires indigènes avec le PILA (MIDEPLAN, 2011). 2.1.3. La Convention de Coopération pour le Développement Frontalier Le Costa Rica et le Panamá ont signé en 1992 la Convention de Coopération pour le Développement Frontalier entre le Costa Rica et le Panamá. Cette convention bilatérale a été ratifiée par le Panamá en 1995 et par le Costa Rica en 1994 par une loi cadre (Matul, 2007, p. 107). Ce traité de 1992 trouve ses fondements dans le document Développement durable frontalier en Amérique Centrale, élaboré grâce à l’OEA, au SIECA et à la FUNPADEM. Dans ce document, quinze projets de développement durable frontalier ont été proposés comme des instruments pour renforcer les liens de coopération socio-économique, sociale et environnementale entre pays centraméricains. Un de ces projets concernait la frontière entre 215 le Costa Rica et le Panamá. De ces quinze projets, seuls les projets mis en place au Trifinio (El Salvador, Guatemala et Honduras), autour du Golfe de Fonseca (Honduras, Guatemala), et à la frontière entre le Costa Rica et le Panamá ont fonctionné (Medina, 2009, p. 42). Suite à cette convention, en 1988 a été créée une Commission Binationale de la Réserve de la Biosphère La Amistad, laquelle a fonctionné de façon intermittente jusqu’en 2002, avant d’être suspendue. Cette convention de 1992, selon I. Barrera, est née du besoin d’établir un nouveau cadre juridique adapté aux nouvelles réalités (Annexe n.3). Le fait qu’elle s’inscrive dans une loi cadre dans chaque pays implique que le gouvernement dans son ensemble s’engage de façon transversale à coopérer à différentes échelles. L’institutionnalisation de la coopération entre ces deux pays grâce à ce traité garantit à celle-ci une certaine durabilité, en n’étant plus soumise à la volonté des gouvernements qui changent tous les quatre ans. Issus de cette convention, des accords sectoriels entre ministères et institutions se mettent en place, ainsi que des projets spécifiques. La durée de cette convention est d’une durée légale de dix ans, renouvelable automatiquement, sauf si l’une des parties déclare par la voie diplomatique vouloir quitter la Convention. L’objectif de cette convention est d’« amplifier, améliorer et approfondir les relations de coopérations dans tous les champs pour contribuer significativement au développement et à l’amélioration sociale, économique, commerciale, environnementale et politique en général de la région frontalière et ainsi renforcer le processus d’intégration » (Article 1, Convention pour la Coopération pour le Développement Frontalier entre le Costa Rica et le Panamá, 1995). Pour cela, la convention exécute « des programmes, des projets et des activités d’investissement et d’assistance technique dans les secteurs de l’agriculture, de l’infrastructure et dans les transports, santé, ressources naturelles, renforcement des gouvernements locaux, industrie, éducation, tourisme, planification et développement rural » (Article 1, Convention pour la Coopération pour le Développement Frontalier entre le Costa Rica et le Panamá, 1995). Postérieurement à la signature de la Convention, les deux gouvernements ont signé un Accord Opératif (Annexe 4) en 1996. Auparavant, malgré la création d’un cadre juridique assez avancé, dans la pratique les actions entreprises avaient été très limitées. Il a fallu attendre la signature de cet accord pour que se mette en place une véritable stratégie d’action binationale précisant la zone d’application de la convention, ainsi que les procédures et les responsabilités institutionnelles. Dans cet accord, les gouvernements définissent plus spécifiquement ce qu’ils 216 entendent par zone frontalière, désormais comprise comme « les territoires adjacents aux deux pays » ainsi que la délimitation géographique pour l’application de la convention : dans le cas du Costa Rica, la convention s’applique sur le versant atlantique dans le municipe de Talamanca, dans la province de Limón, et sur le versant pacifique dans les cantons de Corredores, de Coto Brus et de Golfito, situés dans la province de Puntarenas. Du côté panaméen, la Convention s’applique sur le versant atlantique dans le district de Changuinola, de la Province de Bocas del Toro, et du côté pacifique les districts de Renacimiento, Barú et de Bugaba, de la Province de Chiriqui (Article 3 de l’Accord Opératif, Annexe 4). Cette stratégie définit sept secteurs clés : agriculture, ressources naturelles, transports, éducation, santé, commerce et tourisme (Medina, 2004, p. 497). Une des premières actions concrètes est la création d’une Commission Mixte permanente de Démarcation de la Frontière intégrant les ministères des relations internationales et les instituts géographiques de chaque pays. La démarcation de la frontière qui restait imprécise était un souci prioritaire pour les deux pays, puisque de cela dépendait l’installation de toute l’infrastructure frontalière (poste de douanes) ainsi que la clarification des limites de certaines propriétés agricoles localisées sur cette frontière. Même si de nombreuses réunions se sont tenues pour préciser ce tracé et que de nombreuses bornes ont été installées, aujourd’hui ce 109 110 problème reste d’actualité. Lors d’entretiens, Cristian Aspitia de Cooperio et Marvin 111 112 Ruiz de ASOPLATUPA , ont affirmé tous deux que la problématique de la fixation de la ligne frontalière reste irrésolue, notamment sur le bassin du fleuve Sixaola qui correspond au segment caraïbe de cette frontière. En effet, ces dernières années le fleuve a bougé et, dans l’imaginaire des habitants, le talweg définit la ligne de frontière. Ainsi, si le fleuve bouge, la frontière bouge. Ceci a créé une importante insécurité par rapport à la propriété foncière, puisque après un changement du cours du fleuve, des terres costariciennes se sont retrouvées du côté panaméen. Cependant le traité limitrophe s’appuie sur des coordonnées géographiques pour définir la ligne frontalière, ce qui signifie que même si le fleuve bouge, la frontière est inamovible. Malgré cela, à l’échelle locale, les habitants de cette région frontalière expriment ne pas connaître les détails du traité. 109 Entretien réalisé le 12 juillet 2012 à Olivia, Sixaola, au Costa Rica. 110 Coopérative productrice de banane plantain localisée à Olivia, au Costa Rica. 111 Entretien réalisé le 26 juin 2012 à Paraiso, Sixaola, au Costa Rica. 112 Association de producteurs de banane plantain de Paraiso, village frontalier costaricien. 217 2.1.4. La Commission Binationale Permanente Afin de coordonner la Convention de Coopération pour le Développement Frontalier, une Commission Binationale Permanente a été créée. Elle est présidée par les Ministres de la Planification du Panamá et du Costa Rica et est constituée également des représentants des institutions qui interviennent dans les projets et programmes proposés dans le cadre de cette convention et des gouverneurs et maires des provinces et municipes frontaliers. La Commission doit décider par consensus et a pour fonctions : « 1. Etablir les politiques et approuver les plans d’exécution de la Convention, 2. Décider au nom des gouvernements sur les programmes et projets mis en place, 3. Organiser et coordonner la participation des institutions des deux pays, 4. Présenter les demandes de prêts et de coopération technique, ainsi qu’administrer les financements, 5. Définir les Commissions Techniques, 6. Superviser la mise en place des programmes et des projets, 7. Désigner et approuver l’exécution des programmes et des projets et les activités des Commissions Sectorielles ». Cette Commission possède dans chaque pays un Secrétariat Technique qui est rattaché au Ministère de la Planification. C’est ainsi que le secrétariat du Costa Rica est rattaché au Bureau de la Coopération Internationale du Ministère de la Planification du Costa Rica (MIDEPLAN) et celui du Panamá au Ministère de l’Economie et des Finances (MEFIN) . Ces secrétariats sont les responsables du suivi de cette convention et de la coordination des actions proposées suite à ce traité. Israel Barrera a été nommé Secrétaire exécutif de ce traité pour le Panamá et directeur du bureau de la coopération binationale du MIDEPLAN. Tandis 113 qu’Oscar Mendez est la personne nommée secrétaire pour le Costa Rica. Les secrétaires sont les responsables de rendre les décisions de la Commission exécutives, pour ainsi garantir leur application. Ceci occasionne souvent des conflits de compétences avec les Chancelleries et les Ministères des Relations Extérieures, lesquels, selon Barrera et Mendez, n’ont jamais accepté que cette responsabilité ait été confiée aux Ministères de la Planification et non à ceux des Relations Extérieures. Israel Barrera et Oscar Mendez s’accordent pour dire que le transfert de ces responsabilités aux Ministères de la Planification repose sur leurs compétences pour planifier le développement et que ce traité a justement comme principal objectif le développement des régions frontalières. Pour chaque programme et projet à mettre en place, il est prévu la création d’une Commission Technique Sectorielle où siègent des représentants des organismes nationaux compétents dans 113 Entretien réalisé juin 2012 au bureau du Ministère de la Planification, San José, Costa Rica 218 le secteur en question des deux pays. Chaque Commission Technique met en place le programme ou projet à travers une Unité Technique Binationale d’Exécution (UTEB). Ces Unités Techniques peuvent être formées par des personnes, des instances, des entreprises, des organisations ou des consortiums définis par les Commissions Techniques Sectorielles. Ces Unités sont les vraies responsables de la mise en place des projets, des programmes et des activités et elles coordonnent et facilitent la participation des secteurs de la société civile. Elles doivent de plus coordonner avec la Commission Technique Sectorielle Binationale les plans d’actions (POA), préparer des comptes rendus, définir et planifier les budgets, embaucher le personnel ainsi que gérer l’acquisition de biens. Ces Unités sont ainsi les responsables de la mise en place des bureaux (achats de matériels, voitures, etc.), du développement des projets et de la création d’alliances à l’échelle locale et transfrontalière. Ces Unités ont un rôle très important à l’échelle locale, elles ont en effet été conçues pour mettre en place les projets à échelle transfrontalière, dépassant ainsi les restrictions qu’ont les gouvernements à développer des actions et à investir des ressources en dehors de leur territoire national. Cependant, la façon dont elles ont été conçues permet également à des acteurs privés, c’est-à-dire des ONG et des entreprises privés, de participer activement à la gestion de ces régions frontalières et plus spécifiquement à la gestion de biens communs comme l’environnement. L’introduction ainsi légitimée d’acteurs privés dans la gestion d’un espace transfrontalier a produit une importante polémique qui a été largement évoquée durant les entretiens réalisés. En effet, les acteurs privés qui interviennent sont généralement des entreprises transnationales productrices de banane comme Chiquita et DOLE, lesquelles ont été mises en cause par rapport à la pollution produite par les produits chimiques qu’elles utilisent, mais aussi par leur rôle dans l’organisation de cette frontière, laquelle a été aménagée en fonction des champs de banane et des intérêts de ces entreprises. Nous approfondirons dans notre troisième partie la question du rôle de ces acteurs privés dans la gestion de l’environnement et nous montrerons qu’ils sont perçus négativement et ont une faible légitimité. Cette convention prévoit également tout un système de financement des programmes et des projets qui inclut non seulement les ressources fournies par les gouvernements, mais aussi les dons ou les prêts provenant des banques de développement, des organismes internationaux, des agences de coopération et des organisations non gouvernementales nationales ou internationales (Article 5 de la Convention Binationale). Ces acteurs fournissent deux types de coopération : d’abord la coopération technique c’est-à-dire « l’appui à des pays en voie de 219 développement par le transfert de techniques, technologies, savoirs, et expériences dans des aires déterminées (MIDEPLAN, 2010, p. 27), ainsi que la coopération financière qu’elle soit remboursable ou non remboursable. Figure 7 Projets selon types de coopération concernant la frontière entre le Costa Rica et la Panamá en 2010 Nombre de projets Coopération financière non remboursable 2 Coopération technique 4 Coopération technique et financière non 6 remboursable Coopération remboursable (prêts) 7 Source : Traduction du « Tableau de types de projet » produit par le MIDEPLAN, 2010, p. 28 La figure 7 montre que le type de coopération dominant sur ce bassin dans le cadre de cette Convention est la coopération remboursable, c’est-à-dire la coopération sous forme de prêt, impliquant un endettement de l’Etat. Le fonctionnement de la Convention et de la Commission Binationale est ainsi complexe. La figure 8 cherche à présenter la structure de cette Convention ainsi que de sa Commission Binationale Permanente: 220 Figure 8 Structure de la Commission Commission Binationale Permanente 2 Secrétariats Exécutifs : - MIDEPLAN Costa Rica - MIFE Panamá Commissions Techniques Sectorielles Binationales (CTSB) Agricole Tourisme Santé Energie Gestion des Education Développement Risques Infrastructures Gouvernements social locaux Ressources Naturelles Douanes et processus migratoires Unités techniques Responsables de binationales UTEB Sécurité et Migration la mise en place (UTEB) des projets à UTEB UTEB l’échelle Parc International La Projet BID- FEM transfrontalière Amistad SIXAOLA Source: d’après la Convention pour la Coopération pour le Développement Frontalier entre le Costa Rica et le Panamá, 1995), MIDEPLAN, 2011 Ils existe actuellement onze CTSB, cependant toutes ne sont pas en activité. Les plus actives sont celles qui sont consacrées à l’agriculture, la gestion du risque, l’infrastructure, les 114 douanes et processus migratoires, la santé et l’énergie. Pour I. Barrera, l’une des commissions les plus actives dès le début a été celle en charge des questions agricoles en raison du besoin de mettre en place des contrôles phytosanitaires sur cette frontière. A cet 114 Entretien réalisé avec Israel Barrera, 23 juillet 2012, ville de Panamá 221 effet, cette commission a compté avec des ressources de l’IICA. La Commission de santé, elle aussi très active notamment en matière d’attention sanitaire et de contrôle d’épidémies, a obtenu de son côté un financement de l’Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS).. La Commission des infrastructures a eu en charge l’amélioration de l’infrastructure frontalière. Cependant un des ses intérêts prioritaires a été la construction d’un nouveau pont reliant les villages de Sixaola au Costa Rica et de Guabito au Panamá, puisque le pont existant (cf. photographie 17) était en réalité une ancienne voie de chemin de fer construite par l’entreprise bananière UFCO au début du XXe siècle (cf. photographie 17) déclarée dangereuse. Un pont provisoire (cf. photographie 18) a été construit en 2012 pour relier ces deux villages en attente de la construction d’un pont définitif qui coutera près 5 millions de dollars (« Puente ‘bailey’ en Sixaola une más a Chinchilla con Martinelli », La Nación, 12 115 juillet 2012 ). En juillet 2012, le président du Panamá Ricardo Martinelli et la Présidente du 116 Costa Rica Laura Chinchilla, se sont réunis sur cette zone frontalière pour l’inauguration de ce pont. Le Président Martinelli durant son discours a souligné l’importance de cette infrastructure pour renforcer les liens de coopérations et a encouragé à « faire de l’ancien pont un monument qui symbolise les liens de fraternité entre le Panamá et le Costa Rica » (Note de la Présidence de la République du Panamá, 13 juillet 2012). De son côté, la Présidente du Costa Rica a affirmé que la construction de ce pont faisait partie d’un agenda de coopération binationale et que ce projet s’insère aussi dans le projet régional de construire un Corridor Atlantique conçu dans le Plan Puebla Panamá, aujourd’hui Plan Mésoamérique. Dans ce communiqué, les deux présidents mettent en évidence qu’ils restent encore en attente de l’interconnexion énergétique et de l’élimination des passeports pour traverser la frontière pour les Costariciens et les Panaméens. Ce dernier point a été évoqué par les deux présidents lors d’une réunion de mars 2013, sans toutefois pouvoir arriver à un accord (La Nación, 15 mars 2013). Cependant, le projet de faciliter le passage des personnes sur cette frontière est encore en débat. Actuellement, il existe un service de permis vicinaux pour les personnes résidentes à proximité de la frontière et l’ancien chancelier du Costa Rica Enrique Castillo s’était engagé à mettre en place avant la fin de son mandat « une carte d’identité spéciale pour les habitants de la zone frontalière, permettant ainsi aux habitants de la frontière de la 117 traverser sans avoir besoin de passeport » (Costa Rica Hoy, 15 mars 2013 ). 115 http://www.nacion.com/archivo/Puente-bailey-Sixaola-Chinchilla-Martinelli_0_1280272255.html 116 http://www.presidencia.gob.pa/3674-Presidentes-de-Panamá-intégrales-Costa-Rica-oficializan-apertura-de- puente-provisional-sobre-el-Rio-Sixaola 117 http://www.crhoy.com/gobierno-afirma-que-plan-para-sustituir-pasaporte-por-cedula-especial-con-Panamá- estaria-listo-antes-del-2014/ 222 La coopération autour de la gestion des risques est très importante, spécialement sur le versant atlantique de la frontière. Les constantes crues du fleuve Sixaola font de ce bassin versant une zone considérée à haut risque et hautement vulnérable notamment aux effets du changement climatique. La rive la plus fréquemment touchée est celle localisée du côté costaricien : les inondations touchent la vallée du Sixaola, notamment le village de Sixaola et ses nombreuses plantations bananières, endommageant régulièrement une moyenne de six cent maisons et trois mille personnes (Consorcio EPYPSA-INCLAM, 2004). 118 D’après Juan Carlos Mendez , spécialiste en Coopération Internationale de la Commission Nationale d’Urgences du Costa Rica et membre de la Commission de Gestion des Risques de la Convention Binationale, une des aires où la coopération institutionnelle est la plus efficace est celle de la gestion des risques ainsi que l’attention portée aux « désastres », c’est-à-dire la gestion des impacts des événements naturels extrêmes. Selon lui, « il existe de très bonnes 119 relations avec le SINAPROC et avec les autorités panaméennes en général », ce qui a été 120 confirmé par Gladys Concepcion directrice du SINAPROC lors de notre entretien. La Commission de Gestion des Risques costaricienne et le SINAPROC panamien ont développé tout un système d’alerte et de prévention des risques environnementaux. Selon J.C. Mendez et G. Concepcion, les relations sont proches et dynamiques, et la « communication est très fluide » entre les institutions concernées (police, pompiers, commissions d’urgences, entre autres). J.C Mendez affirme lors de notre entretien que « la question de la nationalité est sans importance au moment de faire face un désastre ». A part les systèmes d’alertes précoces, une autre action significative pour améliorer la coordination a été l’harmonisation des fréquences radio des polices, pompiers, etc. 118 Entretien réalisé auprès de la Commission Nationale d’Urgences, San José Costa Rica septembre 2012. 119 Système National de Protection Civile, institution chargée de la gestion du risque et de l’attention aux personnes touchés par les impacts des évènements naturels au Panamá http://www.sinaproc.gob.pa 120 Entretien réalisé le 4 juillet 2012 aux bureaux de SINAPROC à Changuinola, Panamá. 223 Photographie 17. Ancien pont sur le fleuve Sixaola, 2012 et Photographie 18. Pont provisoire sur le fleuve Sixaola Photographie 19 Pont Provisoire sur le fleuve Sixaolaet Photographie 20 Commerces frontaliers, Guabito, Panamá 224 En revanche, la consolidation des Commissions est inégale, puisque les Commissions de tourisme, développement social, gouvernements locaux et éducation, sont plutôt dans un processus de construction et sont moins actives. 2.1.5. Institutions et projets binationaux pour la conservation de l’environnement 2.1.5.1. La Commission Binationale Permanente de Ressources Naturelles Depuis le début des années 1990 Israël Barrera, participe dans les processus de coopération binationaux entre le Costa Rica et le Nicaragua et il est depuis plus de dix ans le secrétaire pour le Panamá de la Convention. Tout au long de ces dernières années, il a pu observer que une des commissions les plus actives et qui gère les projets les plus importants par rapport à leur budget et par rapport aux institutions qui convergent, est la Commission des Ressources Naturelles. Selon I. Barrera, cela peut s’expliquer grâce à « la mode de l’environnement à l’échelle internationale » qui a créé un contexte propice pour que la Commission des Ressources Naturelles prenne une importance inattendue. Dès la deuxième moitié des années 1980, les ONG et les organisations internationales ont commencé à encourager la mise en place d’actions binationales pour conserver l’importante biodiversité qui avait été identifiée auparavant sur cette frontière. Le cas de la Commission des Ressources Naturelles est particulier puisque la question environnementale a eu un rôle très important dans les actions de coopération transfrontalière. Un grand nombre d’actions sont consacrées à la gestion environnementale, ce qui peut s’expliquer par l’importance donnée à cette région du point de vue des ressources naturelles et également grâce à l’existence du Parc International de La Amistad, déclaré Patrimoine Naturel de l’Humanité par l’UNESCO. La création de ce parc est la première action transfrontalière qui se met vraiment en place. Le périmètre ce parc est déclaré en 1991 « projet de conservation de l’environnement et de développement économique de haute priorité pour les deux pays » (Medina, 2004, p. 500). 2.1.5.2. Stratégie de Développement Durable du bassin du fleuve Sixaola C’est ainsi que la CTSB des Ressources Naturelles est peut être la Commission la plus active, autour de laquelle de nombreuses organisations se regroupent, notamment le Ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Technologie (MINAET) du Costa Rica, l’Autorité 225 Nationale de l’Environnement du Panamá (ANAM), le Ministère de la Planification (MIDEPLAN), l’Association Nationale pour la Conservation de la Nature (ACON), l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) et The Nature Conservancy (TNC) entre autres. De plus, la Commission des Ressources Naturelles est la seule à avoir plusieurs Unités Techniques Binationales (UTEB) chargées de mettre en place chacune un projet. Même si plusieurs UTEB sont prévues, actuellement il n’existe que l’UTEB qui se charge du PILA et l’UTEB qui se charge du Projet binational de gestion du bassin du fleuve Sixaola. Les programmes et les projets qui ont été mis en place sur ce bassin ont été élaborés au sein de la « Stratégie de Développement Durable » qui est le résultat d’un processus de presque neuf ans (1995-2004) de consultation « participative » auprès des acteurs nationaux et locaux. Grâce au support financier de la Banque Interaméricaine de Développement (BID), les gouvernements du Costa Rica et du Panamá ont confié à l’entreprise internationale 121 EPYPSA (Etudes, Projets et Planification S.A) la réalisation d’un diagnostic et d’une stratégie. Les actions proposées ont été conçues à travers un processus de consultation pour lequel EPYPSA a réalisé des ateliers et des réunions de planification. Cette entreprise consultante est ainsi à l’origine de la création de la stratégie et de son « Plan d’Action », souvent présentés par le MIDEPLAN comme « le résultat de la participation » et « représentant ainsi les besoins des acteurs frontaliers » (MIDEPLAN, 2011). Durant les campagnes d’entretiens, nous avons pu interroger de nombreux représentants d’ONG et organisations internationales qui ont reconnu utiliser cette stratégie comme leur diagnostic (linea base,) c’est-à-dire comme un document de référence qui a permis d’établir un état des lieux des écosystèmes et des demandes des populations frontalières. Ce document inspire ainsi les stratégies de plusieurs institutions et ONG locales et internationales. Ceci a été le cas 122 du projet dirigé par Ana Lucia Moreno de l’organisation RUTA. Ce projet essaie de mettre en place une alliance public-privé pour la conservation du bassin du fleuve Sixaola entre le groupe de supermarché allemand REWE, l’entreprise bananière Chiquita et l’agence de 121 EPYPSA est une entreprise consultante qui réalise des projets d’infrastructure et de développement durable au service des administrations publiques, des entreprises et des institutions multilatérales de coopération pour le développement. Elle a beaucoup d’expérience dans la gestion de projets publics et privés. Les sujets de spécialisation de EPYSA sont le développement territorial, les transports, l’environnement, le tourisme. Cette entreprise travaille au service des administrations publiques et réalise souvent des projets supranationaux d’intégration régionale et transfrontalière. Elle donne support à l’élaboration de cadres normatifs et réglementation et dans le renforcement des capacités institutionnelles. 122 Entretien réalisé en août 2011 à San José Costa Rica 226 coopération allemande GIZ. A.L. Moreno affirme que le document réalisé par EPYPSA a été utilisé par eux comme un document de base qui a inspiré leur propre plan d’action. La stratégie développée par EPYPSA a identifié quatre problématiques prioritaires qui devaient être prises en compte dans le plan d’action (Consorcio EPYPSA-INCLAM, 2004) : 1. Une structure productive faible et qui a des impacts environnementaux très importants. 2. Une faible capacité de gestion environnementale et une importante vulnérabilité face aux évènements naturels extrêmes. 3. Des services et infrastructures déficients (manque de services d’eau potable et de gestion de déchets) 4. Un réseau routier insuffisant et en mauvais état 5. Une faible gouvernance (faible capacité de gestion institutionnelle) 2.1.5.3. Projets et programmes pour la conservation du bassin du fleuve Sixaola Au début des années 2000, une fois définis la stratégie et le plan d’action correspondant, les gouvernements se sont mis à la recherche de financement pour réaliser trois projets, deux nationaux et un transfrontalier. Les projets nationaux étaient consacrés initialement à la mise en place d’actions de conservation environnementale, mais cherchaient également à encourager le développement soutenable. Ces deux projets étaient : le Projet Développement Durable de Bocas del Toro (Nessim, Lemay, Alexandrou, & Smith, 2002, p. 12) du côté panaméen et le Projet de Développement Durable du Bassin du fleuve Sixaola (Nessim & Coloane, 2004, p. 12)du côté costaricien. Ces deux projets, même s’ils étaient localisés sur cette région frontalière, étaient pensés pour être nationaux et ne prévoyaient pas d’actions binationales. Au moment de leur conception, ils devaient être mis en place de façon coordonnée et simultanée avec un troisième projet appelé Projet de Gestion des Ecosystèmes du Bassin Binational du fleuve Sixaola (Franklin, 2007, p. 13) qui devait être transfrontalier et qui avait comme objectif de « renforcer la relation de travail déjà existante entre ces deux pays, pour disposer d’une structure institutionnelle qui fonctionne. (…). Pour cela, les mécanismes de mise en œuvre du projet seront orientés vers le renforcement d’un processus binational de prise de décisions qui adopte une vision unique pour la gestion intégrée du bassin, avec la participation des intéressés » (Ibid, p. 13). 227 A. Programme de Développement Durable de Bocas del Toro. Une fois définis les profils de ces projets, les Ministères de la Planification des deux pays ont fait appel à des organismes internationaux pour chercher le financement nécessaire pour leur réalisation. Les deux projets nationaux ont été sélectionnés par la Banque Interaméricaine de Développement (BID) pour être financés au travers de deux prêts. C’est ainsi que la BID a accordé en 2002 un prêt au gouvernement panaméen d’un montant de 46,9 millions de dollars pour mettre en place le Programme de Développement Durable de Bocas del Toro. Ce programme devait été mené par la Direction de Planification du Ministère de l’Economie et des Finances du Panamá qui est devenue l’institution responsable de la gestion et de la mise en place des activités. Le Programme avait été conçu en deux phases : une première de trois ans et une seconde de cinq ans. Le financement total de ce projet a été de 46,9 millions de dollars, 16,9 millions pour la première phase et 30,0 millions pour la deuxième (Lamay & Coloane, 2007, p. 5). Ce projet cherchait à développer les institutions locales, gérer de façon durable les ressources naturelles, en incluant la diversification de la production. Il concernait également l’amélioration des systèmes de production et d’infrastructure ainsi que les services primaires (notamment les services d’eau). ère La 1 phase qui s’est conclue en 2006, avait été très centrée d’abord dans la gestion durable des ressources naturelles et ensuite, elle s’était aussi préoccupée de « renforcer les institutions, les gouvernements et les organisations de la société civile à l’échelle locale en encourageant la conception d’instruments de décision et de gestion décentralisée » (Lamay & ème Coloane, 2007, p. 14). La 2 phase a quant à elle été pensée pour renforcer les composantes de diversification productive et d’infrastructure, c’est-à-dire, d’un premier temps introduire d’autres produits agricoles pour diversifier l’offre, dans une région très dépendante de la production de banane et dans un deuxième temps, encourager la construction de routes et de ponts pour améliorer l’accès à certains villages frontaliers. Elle a commencé en 2007 pour une ème durée de cinq ans. Cependant, durant la 2 étape, le programme s’est progressivement et essentiellement concentré autour des questions liées à l’eau potable, notamment par la mise en place d’associations qui puissent gérer de façon participative les aqueducs locaux (informations fournies par I. Barrera lors de nos entretiens). B. Programme de Développement Durable du Bassin du fleuve Sixaola (BID-MAG) Le Programme de Développement Durable du Bassin du fleuve Sixaola a été conçu du côté costaricien de façon parallèle avec celui de Bocas del Toro dont il partageait plus ou moins les 228 mêmes objectifs. Ce projet a été financé également par un prêt de la BID, accordé au gouvernement costaricien. Le montant était de 9,2 millions de dollars avec un apport du gouvernement du Costa Rica à hauteur de 2,7 millions de dollars. Il convient de souligner que le montant attribué au Costa Rica est beaucoup plus bas que celui accordé au Panamá et que pour ce dernier les ressources sont une donation et pour le Costa Rica un prêt. Ceci peut s’expliquer parce les bons indicateurs socio-économiques du Costa Rica ne la font pas un pays destinataire d’aide internationale. Initialement, ce projet devait être géré et mis en place par le MIDEPLAN et il avait comme objectif principal d’« améliorer les conditions de vie des populations habitant le bassin du fleuve Sixaola au Costa Rica, plus particulièrement les résidents du canton de Talamanca » (Nessim & Coloane, 2004, p. 8). Le projet proposait d’intervenir sur les plans économiques, sociaux et environnementaux et dans la gestion locale. Les principaux objectifs proposés dans le document du projet présenté à la BID étaient : 1. Conserver le patrimoine naturel et réduire la vulnérabilité, 2. Introduire un changement dans les modèles existants de production et d’utilisation des ressources naturelles, 3. Orienter l’investissement public en infrastructure et en services publics pour augmenter la couverture et l’accès des populations et 4. Augmenter la participation « effective » des populations, ainsi que leur capacités de gestion. Ces objectifs coïncidaient ainsi avec le Programme de Développement de Bocas del Toro présenté par le gouvernement panaméen. Israël Barrera a participé à la rédaction de ces deux projets, et affirme que, pendant ce processus, il était prévu que le Ministère de Planification (MIDEPLAN) costaricien soit le responsable de la mise en œuvre de ce programme. Il était en effet envisagé que différents ministères participent à ce programme et le MIDEPLAN devait avoir un rôle de coordinateur et ainsi organiser et planifier les interventions des autres ministères. Cependant, au moment où le projet a été approuvé par l’Assemblée Nationale costaricienne, il a été décidé par le Ministre de la Planification du Costa Rica, Kevin Casas, de placer ce Programme finalement sous la tutelle du Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage (MAG) en argumentant que le MIDEPLAN n’aurait pas les compétences nécessaires, notamment en matière d’environnement, pour mener ce projet. Pour Israël Barrera, Secrétaire de la Convention Binationale, cette décision a représenté une reformulation du projet, puisque celui-ci a été progressivement orienté vers des questions agricoles et productives, laissant de plus en plus de côté la question environnementale. Grace Carmiol, Directrice du Programme de Développement Durable du Bassin du Sixaola 229 123 et fonctionnaire du Ministère d’Agriculture et Elevage du Costa Rica, couramment appelé BID-MAG, décrit ce projet comme un crédit donné par la BID pour développer des projets proposés par des organisations et communautés du canton de Talamanca ; même si le nom du projet inclut le terme « bassin », elle affirme qu’ils ne font pas de la planification pour le développement et que ce projet n’a pas une vision de bassin. Elle déclare que ce projet est autorisés à mettre en place des actions selon les composantes proposées par le projet qui sont, 1. Gestion environnementale, 2. Production durable, 3. Infrastructure basique et services publics et 4. Le renforcement institutionnel. C’est ainsi que « chaque organisation demande au Programme le financement d’un projet, chaque projet répond à la volonté des organisations 124 de base, lesquelles ont conçu elles-mêmes ces projets » (Extrait d’entretien à Grace Carmiol, 9 août 2012). Le Programme BID-MAG n’a pas été formulé par le MAG, il a été formulé par le MIDEPLAN. C’est pour cette raison que ce programme garde encore des actions destinées à encourager la planification participative , cependant G. Carmiol affirme que ce programme a été actuellement d’avantage plus centré sur la question agricole. Carmiol affirme que l’attribution de ce projet au MAG s’est faite à cause des débats qui ont eu lieu au sein de l’Assemblée Législative, au cours desquels les députés ont mis en évidence que ce projet dépassait les compétences du MIDEPLAN. Cependant, il dépasse également les compétences du MAG, puisque ce ministère n’a pas de compétences en matière de construction de routes, de gestion environnementale ou de gestion des risques. Pour la mise en place de ce programme, une loi a été édictée (Loi n.8639) en 2008,. dans la loi qui donne naissance à ce projet, il a été décrété la création de trois comités de district : un à Télire, un à Bratsi, et un autre incluant Sixaola et Cahuita. Ces comités sont constitués par deux représentants des mairies, deux représentants des territoires indigènes et trois représentants de la société civile. Ces comités sont responsables de recevoir et de faire une première sélection des propositions de projet selon leur pertinence et leur adéquation aux composantes définies par le Programme. Lorsqu’un projet est sélectionné, il passe à une deuxième étape d’évaluation. Cette étape est sous la responsabilité du Comité du Bassin du Sixaola, qui a expressément été créé par le Programme BID MAG à cette fin. Ce Comité est formé de représentants du MAG, du MINAET, de l’Institut Mixte d’Aide Sociale (IMAS), de 123 Entretien réalisé le 9 août 2012 à Cahuita, Limon, Costa Rica 124 Entretien réalisé le 9 août 2012 à Cahuita, Limon, Costa Rica 230 125 la mairie de Talamanca, et le coordinateur du Projet Binational de la Cuenca du Sixaola , un 126 représentant de JAPDEVA et les trois coordinateurs des Comités de district. Ce Comité est en charge d’approuver en deuxième instance le projet. S’il est validé, l’Unité Technique du BID MAG formée par des fonctionnaires du MAG se charge de formaliser le projet afin de le présenter à la BID. Le financement des projets vient de la BID et les coûts d’opération (salaires, loyer, entre autres) viennent du MAG. Une fois approuvée par ce comité, c’est donc la BID qui donne le dernier avis et qui octroie les fonds. La BID prend de cette façon l’ultime décision, elle peut donc remettre en question le choix du programme et rejeter un projet. Une fois le projet approuvé par la BID, il doit être encore une fois révisé par les comités de district et par le Comité du Bassin Sixaola. Pendant la première phase (2009-2012) vingt-quatre projets ont été financés et les coordinateurs du programme prévoient de financer dans une deuxième phase trente-deux projets qui sont majoritairement consacrés à la production de cacao biologique dans des systèmes agro-forestiers. Chaque projet est mené par une organisation ou communauté. Les achats de biens et de matériaux sont sous la responsabilité du MAG. Il est intéressant de noter que ce programme qui originalement avait une approche binationale et de gestion intégrée par bassin, ne l’a plus aujourd’hui. Comme l’affirme G. Carmiol, « notre programme finance des projets ponctuels ; nous n’avons pas une vision binationale ni une approche par bassin» (extrait d’entretien). C’est ainsi que le projet BID-MAG ne met pas en place des actions de coopération à échelle transfrontalière et il ne conçoit pas le territoire dans une logique de bassin versant. En revanche, il communique sporadiquement avec son jumeau panaméen, mais sans que soient mises en place des actions de coopération en commun. 127 Par ailleurs, les entretiens réalisés avec le Conseil de direction d’ADITIBRI , Association de Développement du territoire indigène Bribri, formé par Demetrio Layan, Elias Morales et Rebeca Cabraca, confirment la complexité du processus de formulation des projets. Les interviewés affirment avoir dû faire appel à des consultants externes pour qu’ils les aident à formuler leurs propositions de façon adéquate, dans un langage de « projet ». Ils ont présenté 125 Projet binational qui se met en place avec des fonds du GEF et La BID, qui est consacré à la gestion du bassin, à ne pas confondre avec le projet BID-MAG. 126 JAPDEVA est l’autorité portuaire qui gère les ports de la Province de Limon et qui est un acteur politique important dans la province, notamment dans les questions de développement. 127 Entretien réalisé le 13 septembre 2012 à Suretka, Talamanca, Costa Rica. 231 une quinzaine de projets qui n’ont pas été acceptés par ce Programme. Lors des entretiens, ils ont exprimé être déçus par le programme, parce que les organisations indigènes ont dû investir des ressources pour présenter ces projets et ils n’ont jamais eu d’explications sur les raisons du refus. Pour eux, ce programme a perdu toute légitimité et affirment que les équipes responsables de mettre en place ce programme ne connaissent pas les réalités des territoires indigènes. C. Le Projet de Gestion Intégrée des Ecosystèmes du Bassin Binational du fleuve Sixaola (BID-FEM) La troisième initiative est un projet qui a été pensé pour être complémentaire aux deux programmes nationaux. Le Projet de Gestion Intégrée des Ecosystèmes du Bassin Binational du fleuve Sixaola (BID-FEM) est un don de 2.2millions de dollars provenant du Fonds pour 128 l’Environnement Mondial (FEM) du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). La création de ce fonds est le résultat d’une réorientation vers des politiques plus durables de la Banque Mondiale et de la BID qui a eu lieu à partir des années 1980. Les ressources apportées par le FEM sont administrées par la BID qui participe à la mise en oeuvre du projet. Ce projet est ainsi issu de la coopération technique non remboursable. D’après le document de projet présenté à la BID et au Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM), originalement l’institution qui devait mettre en place le projet était l’Autorité Nationale de Environnement (ANAM) du Panamá, cependant, au sein de la Commission Binationale des Ressources Naturelles de la Commission Binationale Permanente, les représentants ont décidé de créer une Unité Exécutive Technique Binationale pour l’application du projet. Cette Unité Exécutive est formée par un coordinateur et un expert en gestion des ressources naturelles, qui répondent directement à la BID et qui sont les 128 En anglais GEF (Global Environmental Facility), le FEM est un fonds pour la gestion de l’environnement créé en 1990 pour canaliser les financements destinés à traiter les problèmes environnementaux globaux. Il compte avec la participation de dix organisations : le Programme des Nations Unies pour le Développement, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, la Banque mondiale, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture, l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel, la Banque Africaine de Développement, la Banque Asiatique de Développement, la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement, la Banque Interaméricaine de Développement et le Fonds International de Développement Agricole. Il accorde des « financements aux pays en développement et aux pays en transition pour des projets concernant la biodiversité, le changement climatique, les eaux internationales, la dégradation des sols, la couche d’ozone et les polluants organiques persistants » (Source : http://www.thegef.org/gef/node/180). 232 responsables du projet. De plus, des fonctionnaires de l’ANAM du Panamá et du Ministère de l’Environnement du Costa Rica (MINAET) participent dans la mise en œuvre du projet. Le 129 Système National des Aires de Conservation (SINAC) est le bureau chargé au sein du MINAET pour participer à ce projet. Les fonctionnaires embauchés par la BID sont externes au territoire frontalier et ne représentent pas les gouvernements en question, ils ont été embauchés pour la durée du projet et ils ont partis une fois le projet achevé au début du 2013. Dans la pratique, ils ont eu une position hiérarchiquement supérieure par rapport aux fonctionnaires des autorités environnementales et c’est eux qui rendent des comptes à la BID et à la Convention. 130 Nous avons pu interroger le Coordinateur Général de ce projet, Alfonso Sanabria , ainsi que 131 l’Experte en Ressources Naturelles et Environnement, Marietta Fonseca . M. Fonseca est la responsable de la partie technique du projet. Pour elle, l’objectif de ce projet était de créer « les conditions nécessaires pour concilier le développement et la conservation ; le projet est très tourné vers la question des ressources hydriques, biodiversité et sols ». M. Fonseca affirme que la gestion participative du bassin est l’axe central du projet, ainsi que l’inclusion d’acteurs institutionnels et de la société civile comme les organisations indigènes, les coopératives, les syndicats bananiers et les associations de développement, ce qui a été un des défis les plus importants pour le projet. 129 Le SINAC est une institution du MINAET qui est autonome. 130 Entretien réalisé en septembre 2011 à Changuinola, Panamá 131 Entretien réalisé le 7 juillet 2012 à Changuinola, Panamá 233 Figure 9 Structure du Projet de Gestion Intégrée des Ecosystèmes du Bassin Binational du fleuve Sixaola (BID-GEF) Commission Binationale Permanente Commission du Bassin du fleuve Sixaola MINAET BID Unité Exécutive Binationale (UEB) ANAM BID+ MINAET+ANAM Conforment l’UEB Entités locales du bassin (amont, aval) (Organisations indigènes, associations, coopératives, entre autres) Source : Graphique établi par l’auteur d’après le document « Costa Rica-Panamá, Gestión Integrada de ecosistemas en el Río Sixaola. Documento de Proyecto » (Franklin, 2007, p. 27) Dans le document de Projet présenté à la BID, l’objectif principal était de contribuer à l’usage durable et à la conservation de la biodiversité et des ressources hydriques à travers la mise en place d’actions de « gestion intégrée et transversale du bassin binational du fleuve Sixaola » (Franklin, 2007, p. 24). Les objectifs spécifiques du projet sont : 1. Renforcer le cadre institutionnel binational pour la gestion intégrée des bassins, c’est- à-dire renforcer la coordination et coopération interinstitutionnelle, ainsi que les capacités techniques et administratives des fonctionnaires des institutions 132 concernés . Marietta Fonseca, expert technique du Projet décrit cet objectif 1 comme 132 ANAM, MINAET, SINAC, les Ministères de l’Agriculture et de l’Elevage du Costa Rica et le Ministère du Développement Agraire du Panamá, le Mairies et les Commissions d’Urgence 234 Hiérarchie du projet celui qui est dédié « aux aspects institutionnels, au renforcement des institutions, de la 133 société civile et à la gouvernance du bassin » . Parallèlement au renforcement institutionnel, le projet cherche aussi à renforcer les capacités des organisations de la société civile (indigènes, associations de développement, ONG locales) dans la thématique de la gestion par bassin et de la conservation de l’environnement. La question de la participation et la gouvernance dans les processus de gestion du bassin, a été une préoccupation majeure de ce projet. A cet effet, le Projet crée la Commission Binationale pour la Gestion du bassin du Sixaola qui est mise en place avec l’appui de l’UICN, notamment du Centre de Droit Environnemental localisé à Bonn, en Allemagne, et de l’Unité de Gestion de l’Eau du Bureau Mésoaméricain de l’UICN à San José, au Costa Rica. Cette Commission est décrite par M. Fonseca comme « l’organe souverain du Projet », elle est en charge de valider les actions et les décisions du projet : « La Commission (…) donnera les recommandations, orientera de façon stratégique le projet et sera le responsable d’approuver les Plans 134 Opérationnels Annuels (POA)» (extrait d'entretien de Marietta Fonseca ). Les membres de la Commission sont au nombre de vingt-et-un et représentent les organisations et institutions concernées par le Projet, à savoir les deux secrétaires de la Commission Binationale, l’ANAM du Panamá, le MINAET du Costa Rica, le Ministère de la Santé du Panamá (MINSA), Ministère de la Santé du Costa Rica, le Ministère du Développement Agraire (MIDA) du Panamá, le Ministère de l’Agriculture (MAG) du Costa Rica, ainsi que les Commissions d’Urgence des deux pays. La société civile est aussi représentée, du côté panaméen par un représentant des trois organisations indigènes (Näso, Ngöbe et Bribri) localisées sur ce bassin et par un 135 représentant du Conseil des Aqueducs Ruraux . Du côté costaricien, la représentation a été définie selon les parties du bassin, donc il y a un représentant de « la partie haute, un autre de la partie moyenne et un troisième de la basse du bassin ». 2. Le Projet devra promouvoir la mise en place de « modèles de production compatibles avec la conservation et l’usage durable des ressources hydriques et des sols » (Franklin, 2007). Ce deuxième objectif cherche à encourager le développement durable à travers le soutien financier et technique d’activités productives responsables 133 Entretien réalisé le 7 juillet 2012 à Changuinola, Panamá 134 Entretien réalisé le 7 juillet 2012 à Changuinola, Panamá 135 Le Conseil d’aqueducs ruraux est au Panamá un des acteurs les plus actifs et plus légitimes. Il a été renforcé avec le Programme de Développement Durable de Bocas del Toro. 235 avec l’environnement, c’est-à-dire plus propres, et qui réduisent l’utilisation de produits chimiques, ainsi que des activités équitables et propres comme l’écotourisme ou les écloseries de tortues marines. Pour cela, ils utilisent des fonds non remboursables appelés fondos semillas, ou fonds d’amorçage, qui sont donnés aux organisations pour qu’elles développent leurs projets. Ces fonds viennent des dons de la BID, mais aussi d’alliances stratégiques et des accords de cofinancement signés avec d’autres organisations internationales. 136 D’autre part, ce projet met en place aussi des stratégies de monitoring de la biodiversité et des écosystèmes en collaboration avec l’ONG internationale The 137 Nature Conservancy et avec l’Association locale ANAI . Ces stratégies supposent l’achat d’équipement de surveillance, ainsi que la formation d’acteurs locaux et des fonctionnaires pour qu’ils puissent conduire les actions de surveillance. Un des premiers résultats de coopération environnementale évoqués par Fonseca a été la création d’un laboratoire pour mesurer la qualité de l’eau du bassin élaboré en collaboration entre les universités publiques de Panamá et du Costa Rica avec l’aide des deux Ministères de la Santé. Dans la même perspective, ont également été mises en œuvre des campagnes d’éducation environnementale et de sensibilisation des populations et ce projet établit des stratégies de financement pour les aires protégées. Dans cet objectif 2, il est apparu indispensable de collaborer avec l’entreprise bananière Chiquita qui est une des plus grandes entreprises existantes sur ce bassin, et aussi une des plus polluantes. La finalité de cette alliance est d’encourager Chiquita à mettre en place des activités productives plus propres et plus justes dans une logique de responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Dans ce cadre, le Projet BID-FEM collabore avec l’Alliance Public-Privé (APP) qui rassemble l’entreprise Chiquita, le supermarché allemand REWE et la coopération allemande GIZ. 3. Le troisième objectif est dédié à promouvoir la conservation et l’usage durable de la biodiversité existante sur ce bassin. Marietta Fonseca le décrit comme « l’objectif du 136 Monitoring ou bio-monitoring est un terme technique emprunté de l’anglais qui est couramment traduit comme bio-surveillance, soit une technique d’évaluation des polluants des milieux et des organismes à travers des indicateurs qui permettent de voir une variabilité dans leurs caractéristiques où dans leurs comportements. 137 ANAI est une ONG crée en 1978 qui est née d’un accord entre des biologistes étasuniens et des paysans de Talamanca pour protéger l’environnement et mettre en place des fermes expérimentales. Cette ONG est localisée à Hone Creek Talamanca au Costa Rica, et elle s’est spécialisée la misse en place d’instruments de bio- surveillance pour évaluer périodiquement l’état des écosystèmes, des cours d’eau et des bassins transfrontaliers. ANAI se présente comme une organisation de support technique local. http://www.anaicr.org/?cat=8 236 Fonds pour l’Environnement Mondial par excellence », parce qu’il répond directement aux intérêts du fonds et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement. En effet, un des objectifs du FEM est financer des projets « concernant la conservation de la biodiversité, le changement climatique, les eaux internationales, la dégradation des 138 sols, la couche d’ozone et les polluants organiques persistants » (FEM, 2014) . Dans un premier temps, le Projet BID-FEM a mis en place des recherches sur l’état de la biodiversité aquatique et terrestre et sur la faisabilité de mettre en place des corridors biologiques. Ensuite, il a mis en oeuvre des actions dans les aires protégées, plus spécifiquement des actions de surveillance des jaguars et tortues. Ce Projet est actuellement en train de constituer un système d’information territoriale du bassin (eaux, forêts, espèces). Dans ce système interviennent les universités, de nombreux ministères et des consultants externes. En somme, la coopération transfrontalière en matière d’environnement est majoritairement financée par des organismes internationaux comme la BID, l’OEA ou encore le FEM (Medina, 2004, p. 505). Il est intéressant de remarquer que l’Unité Technique se charge de gérer et de coordonner le projet BID-FEM, mais que pour la mise en oeuvre, elle fait appel à des nombreux consultants, ONG locales ou internationales, ainsi que des chercheurs des universités ou des centres de recherche et des « experts ». Ces acteurs jouent un rôle de médiateurs ou go-between (Allard, Smadja, & Roué, 2006, p. 307), c’est-à-dire qu’ils ont une position intermédiaire entre le projet et les organisations de base. Ces médiateurs sont responsables de traduire les termes techniques et les stratégies proposées par le projet, ils doivent les rendre compréhensibles et dans le même temps ils doivent faire en sorte que les acteurs locaux s’engagent dans ces processus. Ces acteurs peuvent jouer ce rôle de médiateurs parce qu’ils ont une expertise particulière ou de l’expérience, qui leur octroient de la légitimité vis-à-vis des organisations locales et vis-à- vis des projets et des bailleurs de fonds (Allard et al., 2006, p. 310). Par exemple, l’ONG locale Corridor Biologique a une expérience de travail sur ce bassin depuis vingt ans, et c’est grâce à cette expérience que le Projet BID-FEM les a choisis pour mettre en place des actions d’éducation environnementale et de reforestation. Ceci a été le cas de l’ONG internationale The Nature Conservancy qui avait été auparavant responsable de la mise en œuvre d’un programme appelé Parcs en Danger et grâce aussi à cette expérience, elle a été embauchée 138 http://www.thegef.org/gef/node/180 237 pour réaliser les études sur l’état des sols, des eaux et des écosystèmes, ainsi qu’une stratégie d’harmonisation des plans de gestion du PILA. L’ONG ANAI, spécialiste en bio-monitoring, a été aussi convoquée pour participer à des actions de bio-surveillance. Ce qu’il convient de souligner est que ces acteurs apportent leur expertise, et le Projet BID- FEM les ressources économiques. Même si la médiation de ces organisations locales est déterminante pour le bon déroulement de ces projets, ces organisations locales dépendent des financements de BID et d’autres agences de coopération pour leur fonctionnement. 238 Tableau 16 : Tableau comparatif des projets mis en place avec la coopération technique et financière de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) dans le bassin du Sixaola 139 Projets Acteurs qui Source de Description du projet Echelle (locale, Unité spatiale interviennent financement nationale ou d’implémentati transfrontalièr on du projet e) Projet de gestion intégrée BID Donation de la Ce projet binational a pour objectif de contribuer Transfrontalière Bassin versant des écosystèmes du Ministère de BID de 17,9 à l’usage durable et à la conservation de la du fleuve Sixaola bassin binational du l’Environnement, millions US$ biodiversité, des ressources hydriques et des sols, fleuve Sixaola du BID– Energie et pour la gestion intégrée et transversale du bassin 140 FEM Télécommunicatio du fleuve Sixaola (Franklin, 2007). Le projet 2009-2012 ns (MINAET) du devait aussi encourager et financer la mise en Costa Rica. place de projets associant production et Autorité Nationale conservation, et menés par des organisations de locales. Il propose la création d’une l’Environnement « Commission binationale pour la gestion du (ANAM) du bassin du fleuve Sixaola » comme un espace de Panamá. décision et de gouvernance. Programme pour le BID Prêt de la BID de Objectif : gestion environnementale, Locale Villages de Développement Durable Ministère de 9.2 millions de développement d’infrastructures et financement Sixaola, Télire, du bassin du Sixaola l’Agriculture et de dollars au d’activités productives. Focalisé cependant sur le Bratsi et Cahuita 2009-2014 l’ Elevage (MAG) gouvernement du développement d’activités productives, du Costa Rica Costa Rica, lequel notamment la production de cacao d’origine de son côté biologique. apporte 2,78 millions de dollars. Programme de Direction de la Prêts de la BID Objectif : développer les institutions locales, Locale Villages de 139 D’après les documents fournis par les programmes 140 Projet n°RS-X1017 de la BID, du 12 de septembre 2007 (documents téléchargeables sur le site de la BID). 239 139 Projets Acteurs qui Source de Description du projet Echelle (locale, Unité spatiale interviennent financement nationale ou d’implémentati transfrontalièr on du projet e) Développement Durable Planification du Première étape : promouvoir la gestion durable des ressources Changuinola et de Bocas del Toro Ministère de 25,2 millions US$ naturelles, en incluant la diversification de la Chirriqui ère 2002-2005 1 étape l’Economie et des Deuxième étape : production et l’amélioration des systèmes de ème 2005-2010 2 étape Finances du 15,2 millions US$ production et l’amélioration de l’infrastructure et Panamá des services primaires. Actuellement le projet se focalise sur la gestion des services d’eau potable en encourageant le développement d’associations civiles qui gèrent elles-mêmes des aqueducs communaux. Source : Documents des projets et des programmes de la Commission Technique Binationale de Ressources Naturelles et documents de projets présentés à la BID et entretiens réalisés entre 2010-2012. 240 Photographie 21. Bureau du Projet Binational de Gestion Intégrée des Ecosystèmes du Bassin du Sixaola, Bribri, Costa Rica et Photographie 22. Bureau du Projet Binational de Gestion Intégrée des Ecosystèmes du Bassin du Changuinola, Panamá Photographie 23. Véhicules officiels du Programme de Développement Durable du Bassin du Sixaola BID-MAG 241 2.1.5.4. L’approche de la gestion intégrée par bassin Le Projet de gestion intégrée des écosystèmes du bassin binational du fleuve Sixaola est ainsi orienté vers la conservation de la biodiversité existante dans le bassin du fleuve Sixaola. De cette façon, l’unité spatiale d’intervention définie par le projet est le bassin transfrontalier du fleuve Sixaola, ce qui implique une approche de gestion par bassin et une approche transfrontalière. La gestion par bassin est centrale dans la conception de ce projet. Le document descriptif de ce dernier faisant toujours référence à l’importance d’intervenir dans cette région au travers de « la logique du bassin versant » qu’il découpe en trois sous-bassins, « la partie haute, moyenne et basse » et en proposant des actions différentes selon cette division. Ce projet propose ainsi de concevoir cet espace comme une unité biologique intégrée en constante interaction qui doit faire l’objet d’une intervention coordonnée par les autorités des deux pays : « L’état de la partie amont et moyenne du bassin est le résultat d’une complexe interrelation de multiples facteurs (…). Les mécanismes de mise en œuvre du projet seront orientés vers le renforcement d’un processus binational de prise de décision en adoptant une vision unique de gestion intégrée par bassin avec la participation de tous les acteurs intéressés » (Document de Projet, Franklin, 2007, p. 20). Le projet, dans sa justification, met en évidence le fait que les interventions qui ont été réalisées auparavant ont été focalisées sur des secteurs spécifiques (producteurs et indigènes). En effet, la coopération qui a été la plus fréquente dans le bassin était plutôt communautaire et sectorielle, c’est-à-dire souvent limitée à un groupe, « Nous coopérons parce que nous nous ressemblons » (Bussi, 2010, p. 24), créant ainsi des communautés d’intérêts (Bussi, 2010, p. 24). Il convient de remarquer que ces initiatives n’avaient pas pris en compte cette vision de bassin qui permet de voir que tous les problèmes dans un bassin sont connectés. C’est la raison pour laquelle, les responsables de ce projet déclarent « qu’une approche par bassin est nécessaire pour arrêter la dégradation des écosystèmes en question, en prenant en compte la logique amont et aval » (Franklin, 2007, p. 20). L’approche par bassin versant transfrontalier a été introduite sur ce bassin par d’autres projets qui ont précédé les projets encouragés par la BID. Selon Israël Barrera, le processus de conception de ce projet a été très influencé par le Programme UNESCO/OEA ISARM Nappes 242 141 Phréatiques des Amériques qui avait été mis en place à partir de l’année 2003 jusqu’à présent. Ce programme financé par l’OEA et géré par la Commission Régionale des Ressources Hydriques (CRRH) du SICA, cherchait à créer un inventaire des bassins et des nappes phréatiques des Amériques afin de rassembler des informations pouvant par la suite être utilisées par les gouvernements et les organisations internationales pour mettre en place des actions de coopération pour la gestion intégrée des ressources hydriques et l’usage durable des nappes phréatiques transfrontalières. Ce projet a été un des premiers projets à être conduit de façon binationale par les secrétariats exécutifs de la Convention. L’approche portée par ce projet a inspiré le contenu de ces trois projets financés par la BID qui ont été mis en place postérieurement sur ce bassin. Le projet UNESCO/OEA/ISARM a été une des premières initiatives abordant la question des bassins transfrontaliers et introduisant aussi la question des nappes phréatiques transfrontalières. Les fondements de ces projets ont été l’Alliance pour le Développement Durable (ALIDES) et la Stratégie pour la Gestion des Ressources Hydriques en Amérique Centrale (ECAGIRH) qui introduisent (comme nous l’avons montré dans le chapitre 2), un sujet qui auparavant avait été peu discuté et traité à l’échelle régionale et nationale : la gestion des bassins et de nappes phréatiques transfrontaliers. 2.1.6. La complexe coopération binationale pour la conservation du bassin du Sixaola Après l’examen détaillé de ces projets et programmes, nous estimons que les actions de coopération binationale entre les gouvernements du Costa Rica et du Panamá dans le bassin du fleuve Sixaola ont connu une évolution. Durant les décennies 1990 et 2000, les actions de coopération étaient plus orientées vers le renforcement institutionnel des mairies (programmes de formations des autorités locales) et le traitement des déchets solides, la question environnementale était très centrée autour du Parc International La Amistad et des projets qui cherchaient à mettre en place des actions de conservation autour du bassin du fleuve Sixaola commençaient à se tisser. Ensuite, ce n’est qu’à partir des années 2000 que l’on peut constater une progressif recentrage de la coopération binationale autour de sujets comme la gestion des risques, la conservation de l’environnement, la santé et les infrastructures. Dans la coopération binationale, l’environnement devient un sujet de plus en plus important 141 http:/www.oas.org/dsd/Water/Documentos/Sistemas%20Acu%C3%ADferos%20Transfronterizos%20en%20l as%20Américas.pdf 243 notamment grâce au Projet Binational de Gestion des Ecosystèmes du Bassin du fleuve Sixaola financé par le FEM et administré par la BID. Ce projet est le seul projet formel à être mis en place de façon binationale et qui a une véritable approche par bassin versant. Cependant, ce qu’il faut souligner est qu’au sein de ce projet, de nombreuses actions sont réalisées de façon parallèle de chaque côté de la frontière et non de façon binationale. Ceci est notamment le cas des investissements ponctuels qui sont réalisés pour développer des activités productives compatibles avec la conservation de l’environnement. Ce constat a été essentiel puisqu’il nous a permis de percevoir une dissociation entre l’approche par bassin que ce projet défend de façon discursive et l’application des actions sur le bassin, lesquelles sont souvent mises en place de façon isolée et non intégrée. Par ailleurs, concernant les processus de coordination institutionnelle, le projet a réussi à mettre en place des espaces de débat et d’échange entre autorités et acteurs nationaux, internationaux et transnationaux. Ces plateformes multi-acteurs seront étudiées en profondeur dans le septième chapitre de cette thèse. En outre, il convient de remarquer que la coopération binationale pensée par ces deux pays depuis les années 1990 rompt avec les courants réalistes de la coopération internationale qui établissaient comme acteurs protagonistes les Etats nations. L’examen de la coopération binationale nous permet d’affirmer que même si une vision réaliste des relations binationales avait prédominé après les indépendances entre le Costa Rica et le Panamá, les relations entre ces deux pays ont été profondément marquées par l’influence qu’avait l’entreprise bananière United Fruit Company et par conséquence le gouvernement des Etats-Unis. Ces deux acteurs exogènes ont introduit leurs intérêts dans les processus de négociation et de délimitation de 142 cette frontière . Les Etats ont cédé à l’entreprise le contrôle du bassin du fleuve Sixaola, et l’entreprise a imposé son autorité sur la région à travers le modèle de l’enclave bananière. La figure 10 nous permet d’illustrer ce modèle de relations binationales formelles qui a été mis en place jusqu’à la première moitié du XIXe siècle. 142 Ceci a été montré dans notre premier chapitre lors de notre analyse sur l’horogènese de la frontière entre le Costa Rica et le Panamá. 244 Figure 10. Relations binationales formelles Costa Rica-Panamá (à partir de la fin du XIXe siècle- première moitié du XXe siècle) EU Costa Rica Panamá Acteur Acteur Relation de Frontière Etat international transfrontalier coopération (EU) Privé Région (UFCO) frontalière Source : Inspiré des schémas proposés par Bruno Lecoquierre dans « Par-delà les frontières, vers de nouvelles formes de coopération territoriales » (Lecoquierre, 2009) A partir des années 1990, la participation d’acteurs internationaux multilatéraux comme la BID, l’OEA et l’UICN et d’acteurs transnationaux comme les ONG internationales (TNC) ou les entreprises productrices de fruits (Chiquita) augmente fortement dans les processus de coopération formels notamment en matière d’environnement. L’intervention de ces acteurs non traditionnels est admise et formalisée dans la Convention de Coopération pour le Développement Frontalier Costa Rica-Panamá. Il est intéressant d’apercevoir comment cette Convention de coopération souscrite par ces deux pays encourage dans son Article 5 la participation de ces acteurs exogènes et même parfois privés dans le financement et la mise en place des projets : « Les ressources nécessaires pour la mise en place des programmes, des projets ou des activités qui se mettront en place sous les directives de cette Convention pourront être apportées par les gouvernements des deux parties, par des organismes internationaux, par des gouvernements coopérants et des organismes non gouvernementaux nationaux et 245 internationaux, qui manifestent leur intérêt pour fournir des ressources de coopération technique et financière, remboursable ou non remboursable… » (Article 5, Convention, 1992). De plus, l’Accord Opératoire pour le fonctionnement de la Convention, souscrit en 2002, définit dans son chapitre IV que « les Unités Techniques Binationales peuvent être structurées par des personnes, des instances, des entreprises, des organisations ou des consortiums qui seront définis par les Commissions Techniques Sectorielles Binationales, pour la mise en place de chacun des programmes et des projets ». C’est ainsi que la Convention admet que les projets de conservation et de gestion du bien commun qu’est l’environnement, peuvent être gérés par des acteurs privés, des ONG, des organisations internationales au même titre que des institutions publiques. Le rôle de la Banque Interaméricaine de Développement comme nous l’avons déjà évoqué est particulièrement intéressant, puisqu’elle endosse plusieurs rôles : celui d’un organisme financier auquel les Etats font appel, et, dans le même temps, celui de la mise en place du projet binational et enfin d’évaluation du déroulement des projets nationaux. En effet, la BID a une position dominante au sein de l’Unité Technique Binationale, puisqu’elle a embauché de façon directe deux fonctionnaires qui sont ceux qui dirigent le projet et rendent des comptes directement à la Banque, elle est ainsi l’évaluatrice de sa propre performance. De cette façon, dans la pratique, la BID se trouve dans une position hiérarchiquement supérieure par rapport aux fonctionnaires des Ministères de l’Environnement (MINAET) du Costa Rica et de l’Autorité Nationale de l’Environnement (ANAM) du Panamá au sein de l’Unité. Lors de notre entretien avec Marcelo Pacheco, représentant du MINAE dans l’Unité Technique Binationale qui gère le projet binational, celui-ci affirmait qu’au sein de ce projet, il était clair que « la décision finale était prise par la 143 BID » . La figure 11 illustre cette structure hiérarchique et permet aussi d’apercevoir comment cette Unité embauche des consultants, des centres de recherche et d’autres organisations comme l’UICN, TNC ou l’ONG locale Corridor Biologique pour mettre en place les activités prévues par le projet. De cette manière, ce sont ces organisations qui ont une relation directe avec les organisations de base et qui sont responsables de mettre en place les actions. Cependant, il convient de souligner que si bien ces organisations jouent un rôle d’intermédiaire, en participant dans l’implémentation de ces projets, elles profitent aussi du 143 Entretien réalisé à Bribri Sixaola, le 10 juillet 2012 246 financement et des espaces de participation du Projet BID-FEM. En effet, lors des activités, ces organisations introduisent leurs intérêts et leurs agendas politiques. Par exemple, ces ONG locales utilisent les réunions et les ateliers prévus par ce projet pour diffuser leurs propres activités et pour introduire des problématiques qui ne sont pas nécessairement traitées par les organisations internationales. En outre, elles influencent la sélection de initiatives locales qui vont être financées par ce Projet, en participant dans les processus de présélection. En effet, la coopération entre ces deux Etats est formelle, c’est-à-dire qu’elle a comme base des accords, cependant elle fait appel à la coopération technique et financière d’acteurs transnationaux qui eux aussi coopèrent de façon formelle. C’est ainsi que dans le cas du bassin du fleuve Sixaola, des organisations internationales comme la BID, l’UICN et les ONG comme TNC interviennent dans le cadre de la Convention Binationale en alliance avec les Etats qui volontairement les ont cherchées pour mette en place ces projets. Ces acteurs jouent un rôle souvent ambigu puisqu’ils facilitent, cofinancent et représentent les projets encouragés originalement dans le cadre de la Convention, tout en restant des organisations internationales. De plus, ces organisations articulent leurs propres initiatives aux actions proposées par les projets administrés par la BID. De cette façon, elles bénéficient également du cadre institutionnel mais aussi des ressources qui ont été négociées par les Etats et fournies par le FEM. Il convient de souligner que ces alliances rendent cette structure de coopération complexe, parce qu’il est fréquent qu’une même activité réponde à la fois à différents projets. Par exemple, un atelier de formation à la gestion intégrée par bassin qui est mis en place par l’UICN peut faire partie simultanément des activités proposées par le Projet BID-FEM et des activités d’un autre projet de l’UICN financé par un autre bailleur de fonds. Cette situation rend difficile pour les acteurs locaux de différencier et discerner les différents projets et leurs objectifs les uns par rapport aux autres. 247 Figure 11. Structure et hiérarchie du Projet pour la Gestion Binationale des Ecosystèmes du bassin du fleuve Sixaola Convention Bilatérale Costa Rica-Panamá pour le développement de la frontière Donation Fonds pour l’Environnement Unité technique Binationale : Mondial (FEM) BID ANAM (Panamá) MINAET (Costa Rica) Projet pour la gestion binationale du bassin du fleuve Sixaola Corridor Biologique TNC UICN Centres de recherche Commission binationale Organisations de base Organisations de base Autorités Indigènes pour la gestion du bassin Producteurs de cacao Source : Elaboration propre à partir du Document du Projet pour la Gestion Binationale du Bassin du fleuve Sixaola (Franklin, 2007) La figure 12 permet d’illustrer cette complexité de la coopération binationale dans le cas des actions environnementales sur le bassin du fleuve Sixaola. Les Etats interviennent par le biais du Projet Binational et son Unité Technique Binationale gérée par la BID. La mise en œuvre du Projet fait ensuite appel à des intermédiaires qui sont des ONG locales ou internationales, ou des centres de recherches, pour qu’ils mettent en place des actions ponctuelles sur la frontière. Ces intermédiaires sont ceux qui ont des liens de coopérations directs avec les organisations de base et d’autres acteurs locaux. 248 Figure 12 La complexe coopération binationale pour la gestion intégrée des écosystèmes 144 du bassin du fleuve Sixaola Costa Rica-Panamá FEM PNUD BID Financement Transfert : Ressources, stratégies de conservation (méthodologies, concepts) et évaluation Panamá Costa Rica Frontière Etat Acteur Relation de Convention international coopération Binationale Acteur transnational Projet (ONG internationales) ONG FEM Binational Région (PNUD) BID-FEM frontalière Source : Inspiré des schémas proposés par Bruno Lecoquierre dans « Par-delà les Frontières, vers des nouvelles formes de coopération territoriales » (Lecoquierre, 2009) 144 Organisée autour de la Convention pour le développement frontalier Costa Rica- Panamá 249 2.1.7. Des limitations à la coopération : institutions et législations divergentes La coopération binationale entre le Costa Rica et le Panamá en matière d’environnement a des limites importantes qui sont liés à des difficultés pour coordonner des actions, mais aussi à deux modèles de développement divergents. En effet, malgré les accords de coopération et les projets en commun, les entretiens réalisés ont fait surgir de grandes difficultés au travail en commun. Les fonctionnaires notamment des ministères de l’environnement et de la santé du Costa Rica, ainsi que les fonctionnaires du Projet BID-FEM, expriment les difficultés à travailler avec les autorités panaméennes. Pour eux cette difficulté est la conséquence d’une culture institutionnelle et des les institutions très différentes. Les fonctionnaires de l’ANAN du Panamá, évoquent aussi les difficultés de coordination, notamment autour de Parc Internationale La Amistad, en revanche ils perçoivent que la coopération avec le Costa Rica reste plutôt fluide et efficace. Une des principales divergences relevée par les fonctionnaires de la BID et des ministères costariciens tient à la différence de statut des acteurs étatiques de part et d’autre de la frontière : un Ministère de l’Environnement et de l’Energie (MINAE) et une Autorité Nationale de l’Environnement (ANAM) au Panamá, qui n’a pas le statut de Ministère. Les deux institutions qui doivent, d’après cette convention, coordonner des actions, coopérer et mettre en place des plans de gestion en commun, n’ont donc pas le même statut et par conséquence, elles n’ont ni les mêmes compétences ni les mêmes budgets. Bien que les deux pays aient des indicateurs socioéconomiques très similaires (cf. tableau 17), le budget destiné à la conservation de l’environnement est très différent. Le budget (cf. tableau 18) du MINAE pour l’année 2014 (US$ 77 millions) est presque le double de celui octroyé à l’ANAM (US$ 34 millions). Tableau 17 Indicateurs socioéconomiques du Costa Rica et du Panamá Pays Population totale Population Revenu IDH Taux Esperance (en milliers) urbaine national (classe d’alphabétisation de vie à la brut par ment) (adultes plus de 15 naissance habitant ans) (en années) (2005) Costa Rica 4,793.7 65% US$ 10,863 0.773 96,2% 79,4 (62) Panamá 3,625.0 75,9% US$ 13,519 0.780 94,1% 76,3 (59) Source, Indicateurs internationaux de Développement Humain, Programme des Nations Unis pour le Développement, PNUD, 2012 250 Tableau 18 Budgets du MINAE et de l’ANAM pour les années 2013 et 2014 Institutions Pays Budget par an en US dollars 2013 2014 MINAE Costa Rica US$ 70 millions US$ 77 millions ANAM Panamá US$ 41 millions US$ 34 millions Sources : Projet de Loi Budget de la Nation, Costa Rica 2014 http://www.cgr.go.cr/rev_dig/inf_tec/2014/files/assets/downloads/publicacion.pdf Autorité nationale de l’Environnement Panamá Cenderos.anam.gob.pa Ministère d’Economies et Finances du Panamá http://Cenderos.mef.gob.pa/es/Paginas/home.aspx http://www.crhoy.com/cuestionan-presupuesto-destinado-a-proteccion-ambiental-para-proximo-ano/ http://www.prensa.com/impreso/panorama/menos-dinero-anam-2014/202875 De plus, un autre constat est la progressive réduction du budget de l’ANAM, à la différence de celui du MINAE qui a tendance à augmenter chaque année. Le budget de l’ANAM est passé de 51 millions en 2012 à 34 millions de dollars en 2014, c’est-à-dire qu’en moins de deux ans l’ANAM a perdu 17 millions de dollars de budget. Cette réduction budgétaire drastique a eu un impact direct sur les programmes de gestion des bassins et sur le recrutement de personnel comme les gardes-parc. Des groupes environnementalistes panamiens comme l’Association Nationale pour la Conservation de la Nature, la Société 145 Audubon de Panamá et le Centre de Plaidoirie Environnementale (Centro de Incidencia 146 Ambiental de Panamá) ont questionné dans le journal panaméen La Prensa « le peu d’importance que le gouvernement actuel a donné à la question environnementale » (La 147 Prensa, 02 septembre 2013) . Cette disproportion dans les ressources assignées pour la conservation de l’environnement entre ces deux pays met en évidence aussi deux manières de concevoir le développement. Le 148 149 Panamá, selon le rapport de l’organisation Social Watch (Social Watch, 2012), a une 145 Organisation panamienne dédiée à la conservation de oiseux http://www.audubonPanamá.org/sobre-nosotros- 2/ 146 Ce Centre est une ONG qui encourage la participation citoyenne pour la défense des droits environnementaux. http://www.cambioclimatico-regatta.org/index.php/es/instituciones-clave/item/centro-de- incidencia-ambiental-de-Panamá-ciam 147 http://www.prensa.com/impreso/panorama/menos-dinero-anam-2014/202875 148 Rapport de Social Watch, 2012 149 “Social Watch est un réseau international d’organisations de citoyens engagés dans la lutte pour éradiquer la pauvreté et ses causes, mettre fin à toute forme de discrimination et racisme pour assurer une répartition équitable de la richesse ainsi que le respect des droits de l’homme. (…) Social Watch tient les gouvernements, le 251 croissance économique annuelle de 7 %, ce qui l’amène aujourd’hui à avoir le PIB par habitant le plus important d’Amérique Centrale. Cette croissance s’est caractérisée par une augmentation non régulée du bâtiment et du tourisme. Pendant son gouvernement, Ricardo Martinelli (2009-2014) a réformé la Loi Générale de l’Environnement pour réduire les restrictions, notamment celles qui obligeaient à mettre en place des consultations publiques au moment de mettre en place de projets d’infrastructure et d’extraction minière. C’est lui qui a également mis en place le projet pour l’agrandissement du Canal de Panamá qui a entrainé un important déboisement. En contrepoint, le Costa Rica, au moins dans le discours, a non seulement une législation plus restrictive en matière d’environnement, mais le pays a également établi tout un système d’aires protégées avec des catégories de gestion plus prohibitives, aires qui représentent 25% du territoire costaricien (1.291.307 hectares) selon les chiffres du Système National des Aires 150 de Conservation (SINAC) et de l’IBIO . Cependant, il convient de préciser que l’application de cette législation dans le cas de ce bassin a été souvent contesté, notamment par des organisations indigènes Naso et Bribri, lesquelles avec le soutient de l’ONG ANAI ont démontré que les actions entreprises par les Etats n’étaient pas suffisantes pour protéger le Parc International La Amistad. Grâce au biomonitoring qu’elles avaient réalisé, elles ont prouvé que les activités agricoles liés aux monocultures de banane avaient endommagé avec des pesticides la qualité de l’eau des fleuves Sixaola et Télire, et avaient généré des actions de déforestation. Par ailleurs, le Costa Rica a une législation plus protectrice pour les territoires indigènes, alors que le Panamá, à la différence du Costa Rica, n’a pas souscrit à la Convention 169 de l’OIT 151 relative aux peuples indigènes et tribaux de 1989. Cette Convention à laquelle déjà vingt pays ont souscrit, part du fait que les populations indigènes et tribales sont vulnérables, raison pour laquelle il faut mettre en place des mesures spécifiques (Article 4) pour protéger leur mode de vie, leurs institutions, leur culture et leur environnement. Cette Convention cherche à promouvoir le respect des spécificités culturelles de ces peuples. L’Article 5 affirme: « En appliquant les dispositions de la présente convention, il faudra: 1. Reconnaître et protéger les valeurs et les pratiques sociales, culturelles, religieuses et spirituelles de ces peuples et prendre dûment en considération système des Nations Unies et les organisations internationales responsables pour la réalisation effective des engagements pris au niveau national, régional et international pour éradiquer la pauvreté ». 150 https://www.inbio.ac.cr/es/biod/estrategia/Paginas/esfuerzos_conservar01.html 151 http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO:12100:P12100_ILO_CODE:C169 252 la nature des problèmes qui se posent à eux, en tant que groupes comme en tant qu'individus; 2. Respecter l'intégrité des valeurs, des pratiques et des institutions desdits peuples 3. Adopter, avec la participation et la coopération des peuples affectés, des mesures tendant à aplanir les difficultés que ceux-ci éprouvent à faire face à de nouvelles conditions de vie et de travail. » Un aspect de cette Convention qui est particulièrement important en matière de conservation de l’environnement est la question de la consultation et de la participation. Cet aspect constitue « la pierre angulaire de cette Convention », puisque dans son article 6, elle exige que les peuples indigènes et tribaux soient consultés sur les questions qui les affectent. La consultation doit être menée de « bonne foi » et leur participation doit être libre, représentative, préalable et informée dans des processus politiques, de gouvernance et de développement: « Les gouvernements doivent: 1. consulter les peuples intéressés, par des procédures appropriées, et en particulier à travers leurs institutions représentatives, chaque fois que l'on envisage des mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher directement; 2. mettre en place les moyens par lesquels lesdits peuples peuvent, à égalité au moins avec les autres secteurs de la population, participer librement et à tous les niveaux à la prise de décisions dans les institutions électives et les organismes administratifs et autres qui sont responsables des politiques et des programmes qui les concernent; 3. mettre en place les moyens permettant de développer pleinement les institutions et initiatives propres à ces peuples et, s'il y a lieu, leur fournir les ressources nécessaires à cette fin.” (Article 6) Des populations indigènes comme les Ngöbes et les Bribris résident depuis longtemps sur la région frontalière entre les deux pays, avant même que le tracé frontalier ne soit défini, et leurs pratiques quotidiennes sont encore transfrontières. Cependant, leurs droits sont 152 diamétralement opposés selon leur nationalité et leur lieu résidence . Ce manque de coïncidence par rapport aux institutions, aux législations et aux conventions souscrites, fait ressortir le besoin d’harmoniser le cadre juridique entre ces deux pays notamment autour des questions de conservation (plans de gestion des aires protégées) et de territoires indigènes. Ce besoin d’homogénéisation a été intégré dans le Projet de Gestion Binationale des Ecosystèmes du fleuve Sixaola (BID-FEM) comme un effort qui est indispensable pour mettre en place de véritables actions de coopération qui puissent se maintenir dans le temps (Franklin, 2007, 152 Nous approfondirons l’analyse sur les territoires indigènes dans le septième chapitre 253 p. 24). Néanmoins, l’harmonisation est un processus long qui ne peut pas dépendre d’un projet a durée déterminé (4 ans). De cette façon, la coordination entre les institutions panaméennes et costariciennes est encore très difficile. Un exemple de ce manque de coordination est la gestion du Parc International La Amistad que nous avons déjà évoquée. Les entretiens avec Marcelo Pacheco du MINAE (Costa Rica), et Betsy Gonzales, chargée de la région de Bocas del Toro, de l’ANAM 153 (Panamá) , ainsi que l’analyse faite par L. Medina (2008) Montrent que les deux autorités administrent leur portion du parc de façon largement autonome. Il n’y a pas de véritable gestion binationale et la coordination pratiquement inexistante, même s’il existe une Commission Binationale du PILA créée en 1988 mais qui n’a fonctionné que de façon intermittente. En outre, un autre aspect qui rend d’autant plus difficile la coopération et qui a été évoqué par les fonctionnaires panamiens de l’ANAM et du Ministère d’Economie et Finances du Panamá, est qu’au Panamá il n’existe pas de système de Service Public. Le Service Public qui existe au Costa Rica permet d’avoir des « fonctionnaires publics de carrière » qui ont des compétences validées par des examens officiels. Ce système permet que les fonctionnaires aient une sécurité par rapport à leur poste et que celui-ci ne dépende pas de leur proximité avec le parti politique gagnant lors des élections. L’absence de ce type de sécurité au Panamá flexibilise les postes publics et entraine un changement régulier de fonctionnaires quand les gouvernements changent tous les quatre ans. Marietta Fonseca du Projet BID-FEM affirme lors de notre entretien : « Au Panamá les gouvernements changent tous les quatre ans, et même la personne qui fait le ménage change avec le gouvernement. Cette situation rend très difficile la continuité des accords et des engagements ». Alfonso Sanabria, directeur du Projet BID FEM, affirme qu’en deux ans il a eu comme interlocuteurs « cinq directeurs successifs de l’ANAM centrale et cinq directeurs régionaux de l’ANAM à Bocas del Toro » ce qui a rendu très difficile le travail avec cette institution. Avec chaque changement de personnel, les processus de négociations et de formations entrepris auparavant doivent recommencer. Ceci a un impact sur la continuité des actions, puisque si un projet met en place des actions de formation avec des fonctionnaires et si ces fonctionnaires changent, l’investissement réalisé se perd et l’avancement et l’impact des projets à long terme sont compromis. 153 Entretien réalisé à la Ville de Panamá, le 26 juillet 2012 254 En outre, le fait que le programme du côté costaricien ait été mis en place avec trois ans de retard par rapport à celui du Panamá a créé un décalage qui a rendu le travail en commun très difficile. En effet, les trois projets encouragés par la Commission Binationale Technique des Ressources Naturelles de la Convention (Projet de Développement Durable Bocas de Toro, Projet de Développement Durable du bassin du fleuve Sixaola et Projet de Gestion Intégrée des Ecosystèmes du bassin du fleuve Sixaola) avaient été conçus pour être exécutés simultanément, ils ont été mis en place de façon décalée dans le temps. Les processus pour approuver les prêts à l’intérieur des gouvernements ont été la principale cause de ce décalage. Selon Israël Barrera, Secrétaire de cette Convention, les procédures à l’intérieur du gouvernement pour approuver les prêts demandés à la BID ont été beaucoup moins contraignantes au Panamá qu’au Costa Rica. Le Projet de Développement Durable du Sixaola (BID MAG) et le Projet Binational pour la Gestion Intégrée des Ecosystèmes du bassin du fleuve Sixaola (BID-FEM) au Costa Rica ont du être discutés au sein de l’Assemblée Nationale qui devait à son tour approuver le prêt et le don ainsi que le contenu des projets. En outre, lors de cette évaluation réalisée par le gouvernement costaricien, des modifications aux projets ont été proposées. La plus importante a été portée par le Ministre de la Planification de l’époque, Kevin Casas, lequel proposa de modifier le projet BID MAG en déplaçant la responsabilité de la mise en oeuvre du Ministère de Planification au Ministère d’Agriculture et d’Elevage. Ces projets qui devaient être complémentaires ont été mis en place avec trois ans de différence ce qui a compromis leur complémentarité, ainsi que la rétro-alimentation qui aurait pu se mettre en place entre ces projets. La stratégie qui avait été pensée par ceux qui ont conçu ces projets avait établi que ces deux projets nationaux devaient travailler en collaboration avec le projet binational pour ainsi pouvoir faciliter la coordination et la coopération à l’échelle transfrontalière. Cependant, dans la pratique, même s’il Cenderos a eu des percolations, ces projet ont évolué de façon différente. Les projets nationaux sont devenus plus agricoles et liés à la question de l’eau potable, tandis que le projet binational reste encore très centré autour de la conservation de l’environnement et de la gestion du bassin. Selon Alfonso Sanabria, les seules actions de coopération qui ont pu être entreprises ont été de l’ordre de l’infrastructure où des alliances ont été établies pour la construction de trois ponts dans les villages de Gandoca et Manzanillo dans la Caraïbe Sud. La confusion est aussi alimentée par la mise en place de différentes instances de participation qui agissent de façon parallèle sur ce bassin et qui invitent les mêmes acteurs locaux à 255 participer. Ceci fait référence à ce que G. Massardier appelle « une gestion adhocratique » (Massardier, 2009, p. 22), c’est-à-dire « un système d’action polycentrique » qui propose la 154 mise en place de processus délibératifs à travers de plateformes multi-acteurs (Ibid, 2009, p. 20). Nous avons pu identifier que dans les différents projets, les questions de participation et de gouvernance sont centrales et que tous les projets proposent la mise en place de plateformes de gouvernance qui ont comme objectif principal la validation des décisions et des actions entreprises par les projets. Il convient de préciser que ces plateformes sont mises en place par les fonctionnaires des ministères de l’environnement du Costa Rica et du Panamá et de la BID dans le cadre de projets financés par la BID. Elles sont donc reconnues par les Etats, mais ne sont pas contraignantes. De plus elles fonctionnement de façon contiguës à la Commission Binationale de la Convention pour le Développement Frontalier Costa Rica-Panamá. Dans ce sens, le Programme BID-MAG ainsi que le Projet BID-FEM proposent la création d’une commission chacun : celle du Programme BID MAG appelée « Commission du bassin du fleuve Sixaola » crée en articule des acteurs qui habitent sur la partie amont, centrale et aval du bassin mais uniquement du côté costaricien ; le Projet BID FEM quant à lui a mis en place la « Commission Binationale pour la Gestion du bassin du fleuve Sixaola » qui articule des acteurs institutionnels et de la société civile des deux pays (Franklin, 2007, p. 7). Même si ces deux commissions travaillent donc à différentes échelles (l’une est nationale et l’autre est binationale) et assument ainsi des périmètres différents (cf. Carte 12 qui montre les périmètres où se mettent en place ces projets), la similitude des noms choisis pose un premier problème, puisque les acteurs locaux les confondent systématiquement. Cependant, la Commission binationale du Projet BID-FEM doit devenir progressivement une plateforme de gouvernance qui a comme finalité d’une part de valider les actions et décisions du Projet et d’autre part de devenir progressivement une autorité de bassin, ce que la Commission du Projet BID MAG ne recherche pas. En outre, la Loi n.44 sur le Régime administratif spécial pour la gestion, protection et conservation de bassins hydrographiques de la République Panaméenne, souscrite en 2002, établit le besoin d’installer des Comités de bassin dans tous les bassins versants panaméens. Dans le cadre de cette loi, le gouvernement panaméen a créé le « Comité de Bassin Sixaola ». A différence des autres commissions proposées par les Projets financés par la BID, ce Comité est un organe de consultation formel et reconnu par l’Etat panaméen et il a une juridiction 154 Nous étudierons ces plateformes multi-acteurs dans le sixième chapitre de cette thèse. 256 nationale. A la différence de ce Comité, la Commission Binationale du projet BID-FEM que nous venons d’évoquer est un organe de participation citoyenne mais qui n’est pas formel et dont les décisions ne sont pas contraignantes, même si cette Commission Binationale cherche à devenir une plateforme de décision à échelle transfrontalière qui puisse dépasser les cadres nationaux et faciliter la coopération binationale. Il est important d’insister sur le fait que ces trois instances fonctionnent de façon parallèle et que la coordination entre elles est très limitée. Actuellement, les acteurs locaux interrogés, notamment les autorités indigènes et les coopératives de producteurs, affirment qu’ils participent souvent à ces plateformes, mais ils ne connaissent pas la particularité de chacune 155 d’entre elles. Suite à l’entretien réalisé auprès de Marvin Ruiz président de la coopérative de production de banane plantain, ASOPLATUPA au Costa Rica, il est clair qu’il Cenderos a une importante méconnaissance des fonctions et des compétences de ce Comité et de ces Commissions. M. Ruiz a fait référence à ces Commissions comme la « Commission de la BID » ou la « Commission de l’UICN », mettant ainsi en évidence la désinformation et le manque d’appropriation par rapport à ces instances. Par ailleurs, du point de vue géographique, nous pouvons constater suite aux entretiens réalisés et à l’examen de la Convention Binationale et des documents des trois projets de coopération binationale qui sont mis en place sur cette frontière, un manque de correspondance par rapport aux unités spatiales où ces projets affirment vont mettre en place les actions et les lieux où finalement ils sont appliqués. C’est-à-dire que même si les projets mentionnent souvent qu’ils vont se localiser sur le bassin du fleuve Sixaola, les limites du bassin sont de façon générale soit non définies soit laissées souvent floues dans les documents de présentation. Ceci nous permet de observer comment les limites du bassin et le la gestion par bassin sont en réalité une construction sociale, c’est à dire un choix de gestion parmi d’autres. 155 Entretien réalisé le 9 août 2012 dans les installations de ASOPLATUPA, au village de Paraiso de Sixaola. 257 Carte 14 Localisation des Projets de coopération binationale soutenus par la BID sur le bassin du fleuve Sixaola Source : Documents des projets et programmes CCAD, Carte du bassin du Sixaola, 2006 Nous avons pu aussi percevoir que les projets nationaux mettaient en place des actions sur des villages qui ont été choisis de façon plus ou moins arbitraires et que ces choix répondaient à des critères davantage liés à la proximité et la facilité qu’à des critères scientifiques ou techniques. Pour le Programme BID MAG au Costa Rica, les villages choisis sont Sixaola, Bribri, Telire et Cahuita. Pour le Programme de Développement Durable de Bocas del Toro au Panamá, les villages sélectionnés sont Changuinola et Chirriqui. Même si ces villages sont localisés sur le bassin du fleuve Sixaola (cf. Carte 15), l’approche de ces programmes ne 258 relève pas d’une démarche de gestion intégrée de bassin. Les actions sont souvent isolées et les thématiques sont plus liées à l’amélioration des conditions de vie des habitants (comme la construction d’aqueducs communautaires et la mise en place activités productives) qu’à la gestion et la conservation du bassin. Souvent, les choix des localités répondent aussi aux thématiques que les projets veulent traiter, par exemple dans le cas de la promotion d’activités touristiques « justes », certaines circonscriptions locales qui ne sont pas dans l’aire du bassin ont été choisies parce qu’elles étaient déjà des pôles touristiques. C’est ainsi le cas de l’archipel de Bocas del Toro au Panamá et de la Caraïbe Sud au Costa Rica. 2.2. La coopération entre le Costa Rica et le Nicaragua : des tentatives timides de coopération entravées par une multitude de conflits 2.2.1. Un cadre légal et institutionnel existant mais tronqué En 2012, lors de notre deuxième entretien avec Oscar Mendez 156, responsable du Bureau de la Coopération Binationale du MIDEPLAN au Costa Rica, questionné sur l’état de la coopération binationale entre le Costa Rica et le Nicaragua, ce dernier a répondu très emphatiquement : « Avec le Nicaragua, c’est très facile, en ce moment rien ne se passe, tout est arrêté. Depuis 2007, on a tout arrêté, au moins du point de vue formel, rien ne bouge ». Le scénario entre le Costa Rica et le Nicaragua paraît ainsi très clair, au moins à l’échelle formelle les actions de coopération étant arrêtées. L’examen des documents officiels montre que la tendance des vingt dernières années a été celle de relations binationales froides voire même conflictuelles, même si à l’échelle locale, une forte proximité se maintenait, une certaine interdépendance, que de nombreux chercheurs costariciens ont décrit comme des « relations de voisinage » et même des « villages transfrontaliers » (Girot, 1994; Granados, 2000; Jimenez-Hernandez, 2002; Morales, 2010). En dépit de ce climat diplomatique général tendu, une analyse fine des documents officiels montre qu’entre les deux pays, pendant les périodes d’accalmie dans les relations, il y a eu de nombreuses tentatives de coopération binationale, notamment pour développer et conserver la région frontalière que ces deux pays partagent et qui coïncide avec le bassin du fleuve San Juan. Nous avions pu identifier deux périodes de coopération. La première va de 1991 à 1998, elle correspond au processus de transition démocratique au Nicaragua et coïncide aussi avec 156 Entretien réalisé le 26 juin 2012 aux bureaux du Ministère de la Planification, San José, Costa Rica 259 les élans régionaux d’intégration et de conservation de l’environnement transfrontalier. La deuxième période, qui va de 2002 à 2007, coïncide plutôt avec les négociations du Traité de Libre Echange entre l’Amérique Centrale et la République Dominicaine d’une part, et les Etats-Unis d’autre part, ce qui a entrainé un apaisement temporaire des relations diplomatiques entre ces deux pays. Ces deux périodes ont été fructueuses en termes de production d’accords et de projets de développement, même si ces élans de coopération ont été systématiquement arrêtés par la résurgence de tensions et de conflits binationaux. 2.2.2. Première période de coopération binationale 1991-1998 : l’Accord de Coopération entre les gouvernements du Nicaragua et Costa Rica Après le processus de paix au Nicaragua, on a observé une brève période d’apaisement des relations binationales entre le Costa Rica et le Nicaragua. Cet apaisement a permis que le président du Costa Rica, Rafael Angel Calderón Fournier, et la présidente du Nicaragua, Violeta Chamorro Barrios, signent le 31 janvier 1991 un Accord de Coopération entre les Gouvernements du Nicaragua et du Costa Rica. Cet Accord n’est pas une Convention cadre comme celle qui existe entre le Costa Rica et le Panamá. Pour O. Mendez, cet Accord (cf. Annexe 5) est le résultat d’un rapprochement qui a eu lieu grâce aussi aux bonnes relations existantes entre les deux présidents de l’époque. De cette façon, cet Accord est surtout une déclaration entre présidents qui avait pour objectif de « consolider, renforcer et dynamiser les relations entre ces deux peuples, pour donner un nouvel élan dans le contexte d’une nouvelle vision de la coopération, à travers des actions concrètes, spécifiques, coordonnées dans des aires d’intérêt commun » (Document de l’Accord de Coopération entre les Gouvernements du Nicaragua et du Costa Rica, 1991, p. 1). Les thématiques communes de coopération ont été définies de façon très générale dans l’Article 1: « sécurité, frontières et migrations, environnement et santé, finances publiques, économie et commerce, éducation et culture, et tourisme ». Cet accord était ainsi très général, ne prévoyant pas un plan d’action, néanmoins la véritable importance de cet Accord réside dans le fait qu’il propose la création de mécanismes de coopération binationaux qui devraient coordonner les actions et les programmes de coopération qui pourraient en découler. C’est ainsi qu’un des principaux résultats de cet Accord a été la formation d’une Commission Binationale Costa Rica-Panamá (Matul, 2007, p. 104). Cette Commission devait être présidée par les présidents de ces deux républiques, 260 lesquels étaient responsables de convoquer ses réunions un fois par an (Article 3). Elle devait aussi compter avec la participation de représentants des gouvernements notamment des ministères, ainsi que des acteurs privés selon les thèmes à traiter (Article 2). La Commission était en charge d’assurer le suivi des accords et des actions de coopération proposées. Elle était constituée de trois instances: la Réunion Présidentielle, la Réunion Ministérielle et la réunion d’un Groupe Technique. La Réunion Ministérielle devait se réunir une fois par an et être présidée par les ministres des relations extérieures, lesquels devaient convoquer, selon les thématiques à traiter, les ministres compétents. Le Groupe Technique Bilatéral devait être composé par « différentes institutions nationales » et il était responsable de « coordonner, de planifier et de mettre en place les programmes et projets de coopération » (Article 5). Ce Groupe Technique compte avec trois Sous-commissions de travail : Sous-commission de Sécurité et Migration, Sous-commission d’Economie et Commerce et Sous-commission de Coopération et Développement. Théoriquement, il devait rendre des comptes à la Réunion Ministérielle et se réunir tous les six mois. Figure 13 Structure et hiérarchie de la Commission Binationale Costa Rica-Nicaragua Commission Binationale Costa Rica-Nicaragua Réunion des Présidents Réunion des Ministres Groupe Technique Binational Sous-commission Sous-commission Sous-commission de Sécurité et d’Economie et de Coopération et Migration Commerce Développement Source : Programme de Développement Frontalier Nicaragua-Costa Rica 2007-2010, (MIDEPLAN & Ministerio de Relaciones Exteriores y Culto de Costa Rica, 2007, p. 1) 261 Si cet accord faisait preuve d’une volonté de rapprochement entre ces deux gouvernements, depuis sa création en 1991 la Commission ne s’est cependant réunie que quatre fois entre 1991 et 1997, et à partir de 1997 ses réunions ont été suspendues. Cependant cet accord est toujours théoriquement en vigueur. Conçu pour durer initialement cinq ans, sa reconduction se fait en effet automatiquement pour des périodes identiques, sauf si une des parties demande explicitement et par voie diplomatique la suspension de l’Accord. Jusqu’à présent, malgré les nombreux conflits des dernières années, aucun des gouvernements n’a demandé sa suspension. C’est pourquoi l’Accord reste en vigueur et représente aujourd’hui une opportunité de coopération à saisir dans le cas d’un rapprochement des deux pays, qui peut permettre de réactiver les actions de coopération et les réunions de la Commission. La désactivation de la Commission en 1997 est lié à une période de tension entre le Costa Rica et le Nicaragua, amplifiée à partir de 1998 par la demande du municipe de Cardenas d’être annexé au Costa Rica et la très vive réaction du gouvernement nicaraguayen attribuant la responsabilité de cette requête aux intérêts expansionnistes du gouvernement costaricien (Medina, 2004, p. 298). Les tensions arrivèrent au point où le Nicaragua rappela son ambassadeur au Costa Rica en août 1998. Même si à l’échelle nationale les relations de coopération ont alors été interrompues, on observe qu’à l’échelle locale un rapprochement entre les gouvernements locaux s’est mis en place durant cette période. Les mairies frontalières se sont en effet mobilisées en réaction à l’hostilité développée entre ces deux gouvernements (Medina, 2004, p. 524). Les conseils municipaux des municipes frontaliers ont signé en 1999 une déclaration commune exhortant les deux gouvernements au dialogue. Ces municipes partagent non seulement le même sentiment d’abandon mais aussi de manière générale les mêmes problématiques frontalières, c’est pour cette raison qu’ils dépassent la logique nationale. Ils ont également créé une Confédération des Gouvernements Locaux Frontaliers entre Nicaragua et Costa Rica en août 2000. Cette Confédération a été impulsée par la FUNPADEM, ONG qui a financé et facilité les réunions. Cette Confédération réunit onze municipalités. Du côté nicaraguayen, San Juan del Sur, Cardenas, San Carlos, El Castillo et San Juan del Norte ; du côté costaricien, La Cruz, Upala, Los Chiles, San Carlos, Sarapiqui et Pococi. Lors de nos derniers entretiens, nous avons pu constater que cette fédération ne se réunit plus. Selon le maire d’Upala au Costa 262 Rica, Alejandro Ubaü, les relations aujourd’hui entre les mairies sont très sporadiques et ne sont pas dirigées vers la coopération. Les tensions amorcées en 1997 se sont maintenues jusqu’en 2002, date à laquelle les gouvernements récemment élus de Enrique Bolaños (Nicaragua) et Abel Pacheco de La Espriella (Costa Rica) ont décidé de suspendre pour trois ans les réclamations mutuelles sur le fleuve. Cet apaisement survient au moment où, comme nous l’avons dit, la région centraméricaine et la République Dominicaine négocient un Traité de Libre Commerce avec les Etats Unis appelé CAFTA (de son sigle anglais) (Medina & Rodriguez, 2014, p. 7). 2.2.3. Deuxième période de coopération binationale : la Stratégie pour le Développement des Zones Frontalières Nicaragua-Costa Rica A partir de 2002, les négociations autour du CAFTA et le front uni face aux Etats-Unis ont permis un rapprochement entre ces deux pays et la réactivation des tentatives de coopération entre ces deux pays. Le 16 février 2003, les chanceliers du Nicaragua, Norman Caldera Cardenal, et du Costa Rica, Roberto Tovar Faja, souscrivent la Stratégie pour le Développement des Zones Frontalières Nicaragua-Costa Rica laquelle a pour objectif d’« optimiser l’investissement, le commerce et la coopération internationale pour ainsi favoriser le développement des zones frontalières » (MIDEPLAN & MRECIC, 2007). Ces « zones frontalières » correspondaient aux cantons et aux municipes frontaliers. Cette stratégie a encouragé la création d’un Groupe Technique Binational qui intègre du côté nicaraguayen le Ministère de Relations Extérieures, le Secrétariat de Coordination de la Stratégie de la Présidence de la République et l’Institut Nicaraguayen de Promotion Municipale, et du côté costaricien le Ministère de Relations Extérieures et du Culte, le Ministère de la Planification Nationale (MIDEPLAN) et l’Institut de Promotion et de Conseil Municipal (IFAM). Les Chancelleries restent les responsables de coordonner ce groupe, ainsi que de convoquer les réunions. Ce groupe a été chargé de réfléchir à une série de projets répondant aux intérêts et objectifs de la Stratégie. Pour définir ces objectifs, chaque pays a mis en place un processus de consultation avec les autorités locales, la société civile et le secteur privé, qui avait pour but de définir collectivement les priorités de ces régions frontalières. Après ce processus de consultation, le Groupe Technique a réussi à établir 28 263 profils de projets autour de 5 thématiques qui avaient été définies comme prioritaires par les populations frontalières: 1. Economie et production, 2. Infrastructure, 3. Environnement, 4. Social, et 5. Gouvernance et renforcement institutionnel (MIDEPLAN & MRECIC, 2007, p. 2). En matière environnementale, pour le sujet qui nous occupe, cinq projets ont été proposés : 1. Renforcement des initiatives pour la mise en place de corridors biologiques entre Costa Rica et Nicaragua, 2. Création d’un Institut Binational de l’Eau pour sa gestion intégrale, 3. Conservation et gestion de l’élevage de crocodiles et caïmans, 4. Amélioration de l’accès et la qualité de l’eau, traitement des déchets solides et liquides et éducation sanitaire et 5. Traitement des eaux résiduelles. Il faut souligner que de ces cinq projets proposés dans la Stratégie en matière d’environnement, trois sont consacrés aux questions d’eau, ce qui démontre l’importance donnée à la problématique de l’eau notamment à sa gestion intégrée, ainsi que au besoin de mettre en place une institution qui puisse réguler cette ressource. Il convient aussi de remarquer, que cinq mois après la signature de cette Stratégie, les deux gouvernements ont essayé de renforcer les liens de coopération en matière environnementale, à travers la souscription de l’Accord Complémentaire de Coopération Environnementale et de Ressources Naturelles Frontalières (c.f. Annexe 6), signé le 23 juillet 2003. Cet Accord avait pour objectif de « renforcer et accroitre la coopération pour la recherche de solutions qui puissent résoudre la problématique frontalière dans les champs de l’environnement et des ressources naturelles » (Introduction de l’Accord Complémentaire de Coopération Environnementale et de Ressources Naturelles Frontalières, 2003, p. 1). La conservation de cet environnement frontalier est perçue dans cet accord comme un potentiel moteur économique, puisque les gouvernements s’affirment «convaincus que la coopération frontalière aidera à la protection de l’environnement, ce qui augmentera l’activité économique, élèvera le niveau de vie des habitant, le développement durable de cette zone et renforcera les liens fraternels entre les deux pays » (Introduction de l’Accord Complémentaire de Coopération Environnementale et de Ressources Naturelles Frontalières, 2003, p. 1). Il faut noter que dans cet Accord ces deux pays reconnaissent l’importance des écosystèmes frontaliers, leur vulnérabilité et le besoin de trouver des solutions communes pour les conserver. Il faut souligner que l’environnement est encore une fois instrumentalisé, comme un sujet articulateur et comme un élément qui peut renforcer les liens de coopération et même le développement perçu comme croissance économique. Nous pouvons remarquer que cet accord utilise dans son introduction, des expressions qui cherchent à insister sur ces liens de 264 proximité, telles que « les liens fraternels entre ces deux pays » et « nations amies » (Ibid, p. 1). La Sous-Commission Binationale de Coopération et Développement qui avait été créée avec la Commission Binationale en 1991 est l’autorité définie dans l’Article 4 comme la responsable de mettre en place les projets frontaliers en matière d’environnement et cette sous-commission compte avec la participation des ministres de l’environnement de chaque pays (Accord Complémentaire de Coopération Environnementale et de Ressources Naturelles Frontalières, 2003, p. 2). Suite à la définition des projets, le 17 février 2005 à San Juan del Sur au Nicaragua, les deux gouvernements ont souscrit le Programme de Développement Frontalier Costa Rica- Nicaragua 2007-2010, qui articule les 28 projets proposés et définit les étapes à suivre pour mettre en place les projets, ainsi que les responsables de chaque projet. L’objectif central de ce Programme était celui de « promouvoir la création d’opportunités productives, économiques, sociales et institutionnelles et ainsi contribuer d’avantage à ce que ces zones frontalières entre le Nicaragua et le Costa Rica, soient des territoires de progrès et d’opportunités, où prévaut la paix et la coexistence harmonieuse entre les peuples, en encourageant la coopération et l’échange commercial, culturel et technologique pour ainsi atteindre l’amélioration économique, sociale et environnementale de la région de frontière » (MIDEPLAN & MRECIC, 2007, p. 5). Une des principales réussites de ce Programme a été la réactivation de la Commission Binationale qui ne s’était plus réunie depuis 1997. C’est ainsi qu’une Vème réunion de la Commission Binationale a été convoquée les 19 et 20 octobre 2006 avec la participation des Chanceliers Bruno Stagno Ugarte du Costa Rica et Norman Caldera Cardenal du Nicaragua. A l’occasion de cette réunion, ceux-ci ont décidé de réactiver le Groupe Technique responsable d’actualiser les projets proposés et de chercher des financements auprès des agences de coopération pour les mettre en place. Un plan de travail d’un an a été défini et une VIème réunion de la Commission Binationale programmée à Granada et à Managua au Nicaragua les 13 et 14 mars 2008. La réunion à Managua a compté avec la participation des présidents Daniel Ortega pour le Nicaragua et Oscar Arias pour le Costa Rica, ainsi que des chanceliers des deux pays. La partie de réunion réalisée à Granada a compté avec la participation des Ministres de l’Environnement et du Tourisme des deux pays et en outre de différents acteurs frontaliers comme les coopératives, les associations de développement, les 265 Conseils de Développement Durable (CODESO), les entrepreneurs locaux et les organisations non gouvernementales locales. La Déclaration des Présidents issue de la réunion insiste sur le besoin de créer un « Corridor Transfrontalier de Développement Durable Rio San Juan » (Déclaration des Présidents, 2007, p. 1 ; Ministère des Relations Extérieures et du Culte, 2008, p. 67) et évoque le besoin de réactiver des initiatives conjointes comme le Système des Aires Protégées pour la Paix (SIAPAZ) qui avaient été souscrits en 1992 dans le cadre du processus de transition vers la démocratie. Dans un contexte de tension diplomatique entre le Costa Rica et le Nicaragua, le fait de vouloir réactiver le SIAPAZ est un acte particulièrement symbolique puisque l’objectif du SIAPAZ pendant les années 1990 était de contribuer à la construction de la paix et de l’intégration à travers la création d’aires protégées transfrontalières qui conçoivent l’espace transfrontalier comme un territoire intégré qui doit être géré de façon coordonnée par ces deux pays. En outre, dans cette même déclaration, les présidents établissent des thèmes prioritaires pour la consolidation des liens de « coopération et solidarité (…), la préservation de l’environnement et le développement du tourisme durable » (Ministère des Relations Extérieures et du Culte, 2008, p. 67). Suite à l’examen des relations binationales diplomatiques et des conflits entre le Costa Rica et le Nicaragua jusqu’à 2005, on peut avancer que l’environnement n’a pas été une source de conflits, au moins dans les imaginaires nationaux nicaraguayens et costariciens. L’environnement a été plutôt perçu comme une préoccupation partagée qui pouvait apaiser les relations binationales tendues à cause d’autres sujets comme les droits de navigation sur le fleuve San Juan et l’immigration. Il convient ainsi de remarquer que l’environnement, dans le cadre de la Commission Binationale, est encore une fois instrumentalisé comme un sujet « neutre » qui peut permettre de travailler ensemble dans la recherche de solutions communes. La conservation de l’environnement est, au moins dans le discours des autorités nationales, indissociable dans ce contexte du développement et de la coopération. Malgré les bonnes intentions et toutes les actions qui avaient été prévues lors de ces deux réunions, la VIème réunion de la Commission Binationale sera la dernière. Oscar Mendéz témoigne que lors de cette réunion, « le Programme et les projets étaient prêts pour aller chercher le financement chez des bailleurs de fonds et les mettre en place, nous avions défini les fiches de projets, certains étaient nationaux d’autres binationaux. Tout le monde était d’accord, les présidents, les chanceliers, les ministres de la santé, les ministres de la planification, tout le monde s’était réuni. Le dernier accord avait été établi lors d’une réunion en 2008, et c’était que le Programme était très vaste et que nous allions nous concentrer dans 266 les projets binationaux. Et ça a été le dernier soupir. Les problèmes politiques ont freiné tout ce processus et depuis 2007 rien n’a été réactivé. Je sais qu’à l’échelle frontalière il y a des actions de coopération qui se développement encore, notamment avec les gouvernements locaux, certaines ONG locales et des groupes organisés, mais surtout autour de sujets comme la santé, et non l’environnement. C’est le cas des Foires de la Santé où participent les mairies et des ONG comme Cenderos, la Coopération Espagnole, entre autres. Ces projets sont pensés nationalement, mais ils ont un impact binational… Mais ils sont extra-officiels. » (Extrait d’entretien, 2012). La figure 14 tend à illustrer le modèle de coopération en matière d’environnement conçu par la Convention et le Programme de Développement Frontalier. Le modèle est différent de celui mis en place dans le bassin du Sixaola et propose des relations directes entre les Etats et leurs ministères. Il n’y a pas d’intervention d’acteurs internationaux. Cependant, il a été prévu dans le Programme de faire appel à des bailleurs de fonds pour financer les projets. Donc si les actions de coopération n’avaient pas été stoppées, le schéma de coopération qui se serait mis en place serait sans doute très différent. Le processus de coopération s’est trouvé arrêté à nouveau à partir de 2005 par une réactivation des tensions entre les deux pays. Une période de huit ans (2005-2012) de conflits 157 divers s’ouvre alors, compliquant les relations . Il convient de signaler que suite à ces conflits binationaux aucun des projets proposés a été mis en place. 157 Nous analyserons ces conflits en profondeur dans le chapitre huit 267 Figure 14 Modèle de coopération en matière d’environnement sur la région frontalière Costa Rica-Nicaragua, conçu dans le Programme de Développement Frontalier (19902012) Costa Rica Nicaragua Sous- Commission Relation de Frontière Etat Commission de Binationale coopération Coo pération et Région frontalière Convention Développement Binationale Source : Inspiré des schémas proposés par Bruno Lecoquierre dans « Par-delà les frontières, vers de nouvelles formes de coopérations territoriales » (Lecoquierre, 2009) 2.3. Changement de priorités et réorganisation interne au Nicaragua: le cas de Comités de Pouvoir Citoyen au Nicaragua La région frontalière du côté nicaraguayen est caractérisée comme nous l’avons déjà évoquée par une faible présence et investissement de l’Etat central. Par contre, les mairies et les organisations locales ont été traditionnellement très présentes et ont porté de nombreux projets de conservation et de coopération avec les mairies de Los Chiles et d’Upala au Costa Rica, de l’autre côté de la frontière. Cependant, les conflits existants depuis plus de huit ans avec le Costa Rica ont eu un impact sur la présence de l’Etat nicaraguayen dans les municipes frontaliers. Suite à notre dernier terrain réalisé en juin-octobre 2012, nous avons pu constater 268 que le gouvernement central est désormais plus présent sur ces zones de frontière, ce qui marque une différence par rapport à nos premiers terrains réalisés entre 2007-2009, lors desquels nous avions constaté une présence très faible de l’Etat, mais en revanche une importante décentralisation du pouvoir central en faveur des municipalités. Il faut souligner que ce renforcement de la présence de l’Etat s’est concrétisé avec l’intensification de la présence militaire sur ces zones de frontières et la création dans tout le pays de nouvelles structures de contrôle politique appelées les Comités de Pouvoir Citoyen. Les contrôles réalisés par l’armée nicaraguayenne sur les embarcations commerciales qui vont de Los Chiles au Costa Rica à San Carlos de Nicaragua sont aujourd’hui fréquents (c.f. photographie 24) et on constate aussi un investissement important réalisé par le Nicaragua en termes d’infrastructures migratoires et douanières notamment à San Carlos de Nicaragua. Le poste migratoire auparavant en bois et aujourd’hui un bâtiment de deux étages en dur (c.f. photographie 25) qui a été construit au début de l’année 2012, ce qui démontre l’intérêt du gouvernement nicaraguayen pour moderniser ses infrastructures et sécuriser et contrôler le flux de personnes. Au Nicaragua, les acteurs locaux s’organisaient jusqu’alors autour des Comités pour le Développement Durable, les CODESO (sigle en espagnol) qui étaient des structures de participation locales qui articulaient des organisations de base, des ONG et des autorités locales. Les CODESO étaient des structures qui permettaient aux acteurs de présenter leurs 158 projets, mais aussi un espace de plaidoyer. Cependant, selon Leonel Ubaü de l’organisation 159 160 FUNDEVERDE, Henry Sandino de la Chambre de Tourisme et Antonio Ruiz de la Fondation du Fleuve, ces dernières années ont vu une volonté de l’Etat nicaraguayen de centraliser les décisions et d’augmenter son contrôle sur cette région. 158 Entretien réalisé le 28 août à San Carlos de Nicaragua. 159 Entretien réalisé le 23 août à San Carlos de Nicaragua. 160 Entretien réalisé le 23 août à San Carlos de Nicaragua. 269 Photographie 24. Poste militaire de l’armée nicaraguayenne, Rio Frio, Frontière Costa Rica-Nicaragua, août 2012 Photographie 25: Nouveau poste migratoire à San Carlos de Nicaragua inauguré au début du 2012 270 Les CODESO ont été substitués par de nouvelles structures appelées les Comités de Pouvoir Citoyen. Ces Comités sont un instrument créé par décret présidentiel (Décret n°112-2007) par le gouvernement sandiniste de Daniel Ortega en 2007 pour contrôler et fiscaliser toutes les activités et les projets qui se mettent en place sur cette frontière. L’objectif officiel de ces Comités est « que le peuple nicaraguayen dans l’exercice de la démocratie participative de différents secteurs sociaux du pays, s’organise et participe au développement intégral de la nation de manière active et directe, en supportant les plans et les politiques de la Présidence de la République qui cherchent à développer ces objectifs. L’adhésion à ces Conseils ou Comités sera volontaire et sans salaire” (Décret n°112-2007, p. 1). Ces comités sont donc conçus comme des plateformes de participation locale à l’échelle municipale qui fonctionnent comme une assemblée populaire similaire à celle qui avaient été conçue dans les CODESO, mais avec un fort contrôle du gouvernement central. A l’échelle nationale, la totalité des Comités locaux se regroupent dans le Cabinet National du Pouvoir Citoyens qui est présidé par la Coordinatrice de Communication et de Citoyenneté du gouvernement, qui se trouve être son épouse, Rosario Murillo. Participent également à ce cabinet les ministres, les présidents des institutions autonomes, les autorités policières, et les personnes que le Président considère nécessaires. Dans la pratique ces Comités sont des organes de contrôle politique du gouvernement à l’échelle locale, qui ne sont pas réellement représentatifs de la diversité des acteurs locaux, puisque les acteurs qui les intègrent représentent seulement les groupes partisans du gouvernement sandiniste. Beaucoup d’acteurs nicaraguayens interrogés ont exprimé leur préoccupation par rapport au rôle de contrôle politique de ces conseils, affirmant qu’ils sont « l’expression du pouvoir du président à l’échelle locale » (Leonel Ubaü, FUNDEVERDE). Les acteurs locaux qui participent sont choisis par les mairies et validés ensuite par le gouvernement central sandiniste. Idéalement, ces conseils devaient être des espaces de participation directe et de débat public, mais ils sont en réalité fondamentalement constitués par des alliés du gouvernement et ont comme fonction de valider les actions de l’Etat et de surveiller les actions et les projets des organisations locales. A cet égard, toute initiative doit être étudiée par ces Comités qui ont autorité pour donner l’autorisation pour son 161 application . Antonio Ruiz, directeur de la Fondation du fleuve, est un leader local environnementaliste qui a exprimé d’importantes critiques par rapport au gouvernement 161 Nous aborderons plus spécifiquement les Comités du Pouvoir Citoyen dans le chapitre 6 271 sandiniste. Pour cette raison, il a été exclu du comité local et affirme qu’en réalité, « rien ne peut être fait sans l’approbation de ces Conseils ». De cette façon, nous pouvons affirmer que le Nicaragua est en train de vivre à l’échelle nationale un processus de centralisation des décisions et de la gestion du territoire. Les mairies ne peuvent plus mettre en place des processus de coopération transfrontalière, l’Etat central monopolise dorénavant les communications et les échanges avec le Costa Rica. Les Comités sont là pour diffuser le message du gouvernement central : les relations avec le Costa Rica doivent passer par les instances formelles prévues par l’Etat, c’est-à-dire par la voie diplomatique. Dans ce sens Alejandro Ubaü, Maire d’Upala au Costa Rica exprime que les communications entre les mairies de part et d’autre de la frontière ont été suspendues et que maintenant « les mairies nicaraguayennes ont été séquestrées » par le gouvernement 162 centrale . Ces Comités doivent être considérés comme de nouveaux acteurs qui ont un rôle chaque fois plus important dans la gestion du territoire. Il sera pertinent de souligner que ce contrôle politique croissant n’est pas accompagné d’actions et d’investissements pour promouvoir le développement de la région. Les actions mises en place sont davantage liées au contrôle et à la volonté de sécuriser la frontière suite aux récents conflits frontaliers avec le Costa Rica. D’autre part, le Nicaragua a de nouveau intérêts géopolitiques sur cette région, notamment la construction d’un canal interocéanique par le Lac du Nicaragua. projet d’ouvrage porté par la Chine. Cependant, la différence entre les acteurs étatiques et non étatiques est souvent floue. Par exemple au Nicaragua, depuis l’année 2007, le Comité du Pouvoir Citoyen est devenu un acteur qui détient beaucoup de pouvoir à l’échelle locale. Ces Comité se présentent comme une forme de pouvoir déconcentré qui communique directement avec le gouvernement central. 162 Entretien réalisé le 25 août à la mairie d’Upala Costa Rica. 272 Conclusion quatrième chapitre Les deux régions frontalières qui sont l’objet de notre étude ont des systèmes de coopération binationale très différents. La coopération binationale entre le Costa Rica et le Panamá est souvent présentée à l’échelle régionale comme l’exemple à suivre, à l’égal de celle du Trifinio. Néanmoins, si ces deux pays ont le cadre de coopération le plus institutionnalisé et le plus ancien (plus de vingt ans d’existence), dans la réalité ils éprouvent de fortes difficultés à réellement coordonner les projets de coopération. Une culture institutionnelle différente, le manque de correspondance entre les institutions, des modèles de développement divers et des cadres juridiques qu’ils n’ont pas encore réussi à harmoniser, en sont les principales causes. Le chemin pour arriver à une véritable intégration dans la gestion des aires protégées binationales est encore long ; il est clair par exemple que le Parc International La Amistad n’est pas géré de façon binationale, mais que chaque pays gère sa portion de parc de façon unilatérale et autonome. Les réductions du budget de l’environnement du gouvernement panaméen sont également préoccupantes ainsi que les asymétries en matière de législation environnementale. Ceci rend compliquée une coopération en matière d’environnement. Une des principales difficultés pour ce type de coopération est ainsi le manque de correspondance du droit et des réglementations dans les différents pays, situation qui est « un véritable défi pour l’intégration institutionnelle des territoires transfrontaliers » (Lecoquierre, 2009, p. 85). Pour ce qui est du Costa Rica et du Nicaragua, les initiatives de coopération ont été récurrentes depuis les années 1990. Chaque période d’apaisement dans les relations binationales entre ces deux pays a été mise à profit par les gouvernements pour encourager la signature d’accords de coopération. Cependant, chaque initiative de coopération a été interrompue par des conflits. Auparavant, malgré les conflits binationaux, à l’échelle locale entre les municipes entretenaient des liens de coopération, en dépit des tensions que cela pouvait entrainer avec les gouvernements centraux. Depuis l’année 2005, la coopération s’est peu à peu interrompue à l’échelle nationale comme à l’échelle locale. La frontière est désormais davantage sécurisée et contrôlée, la présence militaire nicaraguayenne et celle de la police costaricienne sont aujourd’hui aussi plus importantes. On peut déplorer que cette sécurisation ne soit pas accompagnée par un investissement en direction des services publics 273 ou de programmes de développement. Dans notre troisième partie, nous nous interrogerons sur la particularité de ces nouveaux conflits et sur leurs impacts sur les relations de coopération locale. Nous essaierons d’analyser ces conflits comme des limites à la coopération et gouvernance environnementale, qui ont changé les rapports à l’échelle locale. Initialement, lors de la conception de nos hypothèses, nous avions établi que la présence d’acteurs exogènes, comme les organisations internationales et les banques de développement, se faisait de façon verticale et sans une véritable participation des Etats. Cependant, en analysant la convention de coopération souscrite entre le Costa Rica et le Panamá, ainsi que les projets qui en sont issus, nous avons pu constater que les Etats dès l’élaboration des accords, conscients de la nécessité de financer les projets, avaient prévu de faire appel à des bailleurs de fonds internationaux (agences de coopération, organisations multilatérales, banques de développement, entre autres). Ces derniers allaient être des sources de financements, mais aussi les responsables de la mise en place de certains des projets proposés. En définitive, les rapports Etats - acteurs exogènes, sont plus complexes. Puisque ce sont les Etats qui ont fait appel à la participation de ces acteurs exogènes et qui leurs ont cédé des compétences et des responsabilités de façon volontaire pour ainsi gérer ce bassin transfrontalier. Sur le papier, le Projet Binational de Gestion des Ecosystèmes du Bassin du fleuve Sixaola (BID-FEM), propose une gestion partagée entre les autorités environnementales des deux pays et la BID. Pourtant, les relations entre les fonctionnaires rattachés à ce projet et les consultants de la BID sont loin d’être horizontales, puisque les fonctionnaires de la BID ont des postes de direction et la BID est la responsable de l’évaluation de l’avancement du projet (objectifs et financement). Nous approfondirons l’analyse de ces acteurs exogènes dans notre Chapitre 5 et nous nous intéresserons aux projets qui n’ont pas été conçus par les Etats, mais par des OIG et des ONG. 274 Chapitre 5 Qui gère l’environnement? Les dynamiques non étatiques de coopération pour la conservation de l’environnement dans des bassins transfrontaliers Introduction : Acteurs, projets et frontières Lors de l’examen des processus de coopération étatique pour la protection de l’environnement qui se mettent en place sur ces deux frontières, nous avons pu identifier également une grande diversité de projets soutenus par des acteurs non étatiques. Ceux-ci mettent en place des actions de coopération transfrontalière parfois organisées, parfois informelles et spontanées, et sont très hétérogènes. Dans le cadre de notre recherche, nous nous intéressons plus particulièrement aux acteurs collectifs et à leur répertoire d’actions, dans la lignée d’auteurs qui analysent les actions comme l’expression des intentions et des discours des acteurs (Gumuchian, 2003; Picouet & Renard, 2011; Alain Touraine, 1984). Pour faciliter la compréhension des dynamiques de coopération menées par ces acteurs, nous différencions les projets selon le type d’acteurs qui les portent. Une première distinction est opérable entre les projets encouragés par des acteurs exogènes et ceux encouragés par des acteurs endogènes. Nous entendons l’expression d’« acteur exogène » dans le sens de G. Fontaine pour désigner des acteurs internationaux, transnationaux et parfois nationaux qui ne sont pas originaires de ces régions frontalières et qui cherchent à mettre en place soit des actions, soit des projets, pour intervenir et modifier ce milieu (Fontaine, 2003). Ceux-ci peuvent être des organisations internationales, des entreprises, des ONG, des banques de développement, etc. Les « acteurs endogènes » sont eux des acteurs locaux, qui ont un rapport direct avec le territoire où ils habitent. Comme les acteurs exogènes, ils peuvent être privés ou publics, mais ce qui les détermine est leur appartenance au territoire sur lequel ils entendent 275 agir. Les acteurs endogènes sont les ONG locales, les coopératives de producteurs, les associations de développement, les mairies, les organisations locales, ou encore les autorités indigènes. Le présent chapitre analyse dans un premier temps les projets (contenus, objectifs, actions proposées et discours) en matière de protection de l’environnement que ces acteurs mettent en place dans les bassins du fleuve San Juan (Costa Rica-Nicaragua) et du fleuve Sixaola (Costa Rica-Panamá). Dans un premier temps, sont présentés les projets de coopération transfrontalière organisés à l’initiative d’acteurs exogènes comme les organisations internationales, les ONG internationales et les partenariats public-privé. Une attention particulière sera portée au rôle que ces acteurs jouent en matière de conservation de l’environnement à travers l’analyse du réseau d’acteurs. Il conviendra d’étudier aussi l’impact de ces projets à travers la perception des acteurs interrogés. Arrivent-ils à atteindre leurs objectifs ? Quelle est la durabilité de ces projets ? Sont-ils légitimes aux yeux des acteurs locaux ? Dans un deuxième temps, nous analyserons un type de coopération transfrontalière plus informelle et spontanée, qui est encouragée par des acteurs endogènes comme des ONG locales, les associations de développement, les mairies (de façon non officielle), les coopératives de producteurs, les universités et les centres de recherche. 1. Coopération transfrontalière institutionnalisée et coopération transfrontalière informelle : l’émergence de nouveaux acteurs? A l’échelle locale, sur les bassins du fleuve Sixaola et du fleuve San Juan, il existe des relations de coopération transfrontalière qui ne sont encouragées ni par l’Etat ni par les gouvernements locaux, mais plutôt par des acteurs non étatiques. La proximité socio- culturelle existante dans ces régions frontalières facilite les processus de coopération, de commerce, de dialogue et de négociation à l’échelle locale, puisque les habitants résidant sur ces régions, partagent non seulement des ressources, mais aussi des problématiques similaires, même s’ils vivent de part et d’autre de la frontière, dans des Etats nations différents. A cet égard, il convient de souligner que la coopération transfrontalière ne fait pas disparaître les frontières, elle dépend d’elles, puisque les frontières créent un contexte ou la coopération 276 est nécessaire. Les recherches sur la coopération transfrontalière, notamment celles de J. Fall, insistent sur le besoin de dépasser l’idée selon laquelle la coopération annule les frontières. La coopération implique l’interaction entre au moins deux partenaires. Sans la frontière, il n’y aurait pas de discontinuité qui puisse permettre l’émergence d’un « autre » différent et avec qui on doit coopérer (Fall, 2009, p. 72). La frontière donne un sens à la coopération, comme affirme M.C. Fourny : «le transfrontalier se pose en effet non comme forme spatiale mais comme dynamique de réparation d’effets-frontière enracinés et/ou de régulation de la disparition de contrôles douaniers et de leurs retombées économiques » (Fourny, 2005, p. 103). La coopération transfrontalière s’appuie sur des caractéristiques propres de l’espace transfrontalier, comme la continuité et l’unité culturelle, ainsi que le contexte naturel partagé. Les formules de la coopération transfrontalière peuvent être institutionalisées ou informelles. Comme l’affirment Picouet et Renard : « A la gestion territoriale verticale, hiérarchisée, administrative, et centripète, vient s’articuler, parfois s’opposer, mais aussi composer, une gestion plus réticulée en développement surtout le long des frontières, s’appuyant sur des réseaux d’acteurs spontanés transgressifs issus d’une tradition sociale, culturelle et ethnique antérieure à l’établissement des frontières étatiques ou au contraire impulsés par les politiques d’intégration transfrontalière » (Picouet & Renard, 2007, p. 43) Suite à l’examen des interactions de coopération transfrontalière, deux types de coopération non étatiques peuvent être identifiés: 1. les coopérations transfrontalières institutionnalisées, et 2. les coopérations transfrontalières informelles et spontanées. Ces deux types de coopération sont multiformes et permettent le développement de réseaux qui articulent des acteurs qui agissent à différentes échelles. En même temps, elles mettent en relation des territoires contigus à travers les acteurs locaux. Ces coopérations reposent aussi sur la proximité culturelle (langue, ethnie) et territoriale (problématique en commun) et sur la volonté politique (création d’institutions, d’accords ou de cadres institutionnels qui facilitent la coopération). Nous comprendrons par le terme « coopération transfrontalière institutionnalisé» les formes de coopération qui ne sont pas portées par de acteurs étatiques, mais par d’autres types d’organisations comme les ONG, les organismes de coopération internationaux ou même par les partenariats public-privés. Ces formes de coopération sont institutionnalisées et organisées parce qu’elles ont un certain degré de formalité et elles sont structurées. Cependant, elles ne 277 sont pas gouvernementales. Elles ont été conçues généralement dans le cadre de stratégies d’intervention par des équipes d’experts d’organisations internationales.. Ces projets sont ainsi structurés grâce à des « cadres logiques ». La FAO défini le cadre logique comme « un document qui synthétise sous forme de tableau les informations clés d’un projet, c’est à dire 163 les objectifs, les résultats, les activités, les risques, la programmation et les ressources » (FAO, 1990). Cet outil a été conçu en 1979 par l’Agence Etasunienne de Coopération Internationale pour le Développement (USAID) et adapté en 1983 par la Coopération allemande (GIZ) pour faciliter l’exécution, le suivi et l’évaluation des projets de coopération. Il est utilisé par une grande diversité d’agences et d’organisations internationales comme EuropeAID, la coopération Danoise (DANIDA), la GIZ, la coopération espagnole (AECID), etc. Dans un autre registre, les coopérations transfrontalières informelles et spontanées sont des dynamiques de coopération qui se développent à échelle locale, en dépassant et transgressant la frontière. Elles ne sont pas des actions encouragées ni contrôlées par les Etats, ni par des organismes de coopération mais par la société civile (ONG locales, les associations indigènes, entre autres). Dans ce cas, les Etats n’interviennent pas, « soit par manque de volonté politique, soit par manque de moyens financiers pour opérer des contrôles efficaces » (Lecoquierre, 2009, p. 82). Généralement ces actions n’ont pas de cadre juridique et se mettent en place sur des frontières poreuses. Elles correspondent souvent à des activités informelles légales (échanges culturels et productifs, foires, etc.) ou illégales (trafics et contrebande). Dans les régions frontalières étudiées, nous avons pu identifier que ces coopérations informelles sont généralement des échanges économiques de petite taille , des services (touristiques, de transport), c’est-à-dire des échanges qui ne sont pas nécessairement illicites. Ces initiatives produisent des flux marchands, de personnes, et des actions de collaboration de part et d’autre de la frontière qui ne sont pas soumises au contrôle légal. Dans ces dynamiques aussi appelées « fonctionnelles » (Machado de Oliveira, 2009), nous pouvons aussi trouver d’autres activités qui ne passent pas par des accords formels, comme par exemple des foires culturelles, les petits marchés frontaliers et les échanges de jeunes. Ces activités, que T. Machado qualifie comme relevant d’une complémentarité visible, se mettent en place grâce à la porosité et à la permissivité propre de la frontière (Ibid., p. 25). Les petits projets de coopération transfrontalière à l’échelle locale, les accords informels entre 163 http://Cenderos.fao.org/wairdocs/x5405f/x5405f00.htm 278 producteurs, notamment pour partager des pratiques agricoles, ou pour négocier ensemble face aux acheteurs nationaux et internationaux, entre autres, font partie de ces dynamiques fonctionnelles. A cet égard, le processus de coopération transfrontalière peuvent proposer ainsi des relations plus horizontales dans lesquelles les Etats ne sont plus les seuls protagonistes. Des nombreuses initiatives se mettent en place de façon spontanée pour répondre à des intérêts communs ou à des problématiques partagées. La coopération transfrontalière suppose l’emboîtement des échelles, à travers l’articulation du local avec le régional, et parfois même le global. Les programmes, les projets et les acteurs qui se mobilisent autour de ce type de coopération ont un impact local, national et même global. Par exemple, une organisation indigène peut développer des projets de conservation avec d’autres organisations indigènes de l’autre côté de la frontière avec lesquelles ils partagent une culture et, en même temps, le projet peut être financé par un organisme international qui introduit ses propres intérêts dans le projet tout en mettant simultanément en place des projets similaires avec d’autres organisations indigènes dans le monde. Le global et le local seraient connectés par le biais de ces projets.Il est ainsi particulièrement intéressant de souligner que la coopération transfrontalière suppose une revitalisation du local, les acteurs locaux se différenciant des acteurs nationaux et pouvant même interagir directement avec le global (Pérez Sáinz, 2005, p. 28). Par ailleurs, les organismes de coopération internationale, les banques multilatérales de développement et les ONG internationales ont un impact à toutes les échelles (locale, nationale, régionale et globale), parce qu’ils exécutent des projets locaux à partir des directives globales et régionales qui sont définies lors des grands sommets et des forums internationaux. 2. Coopération transfrontalière institutionnalisée et acteurs exogènes Dans cette partie nous présentons les projets de coopération pour la conservation de l’environnement encouragés par des acteurs exogènes dans les bassins du fleuve Sixaola et du fleuve San Juan. A côté des acteurs traditionnels comme l’Etat à l’échelle nationale, et les acteurs locaux (syndicats, associations indigènes et de développement, coopératives, ONG locales, 279 entreprises), on observe la présence de nombreux acteurs exogènes à ces régions frontalières qui participent depuis les années 1990 à la conservation des écosystèmes transfrontaliers. La multiplicité des acteurs qui agissent à différentes échelles et de façon souvent simultanée rend fondamentale l’analyse non seulement de leur nature, mais aussi de leurs actions et des relations qu’ils établissent. L’objectif de cette partie est de décrire le contenu des projets (objectifs, actions et discours) et leur fonctionnement pour ainsi comprendre le jeu d’acteurs qui se met en place. . En plus, nous nous interrogerons sur le rôle que ces acteurs et ces projets jouent dans les deux bassins étudiés. Sont-ils des acteurs influents ? Quels sont leurs objectifs respectifs ? Comment les projets sont-ils conçus, et par qui ? Répondent-ils réellement aux besoins locaux ? 2.1. Bassin du fleuve Sixaola : un laboratoire pour la coopération La région frontalière entre le Costa Rica et la Panamá est souvent évoquée comme un cas pionnier en matière de coopération binationale et comme « l’exemple à suivre » en matière de coopération pour l’environnement. Lors de nos entretiens avec les représentants d’ONG 164 comme l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (Pedro Cordero de 165 166 l’UICN) et The Nature Conservancy (Felipe Carazo et Julio Rodriguez ), les conditions spécifiques du bassin du fleuve Sixaola furent souvent présentées comme « idéales », notamment l’absence de conflits, la symétrie et la proximité culturelle, la présence d’une importante richesse environnementale, l’existence du premier parc binational de l’Isthme, déclaré Patrimoine naturel de l’humanité, et un cadre légal de coopération binationale très développé. De cette façon, ce bassin représente non seulement un milieu idéal pour la coopération sur le plan politique, mais aussi au niveau environnemental, ce sujet étant central dans une région où 80% du territoire du canton frontalier costaricien de Talamanca est placé dans une catégorie légale de conservation. Les acteurs interrogés ont été pris en compte au moment de choisir ce bassin pour mettre en place ces projets. Un accord existe sur le fait que ces conditions favorisaient la mise en place de projets de coopération et rendaient plus viables la réalisation des objectifs proposés. Le bassin du fleuve Sixaola suscite ainsi l’intérêt de différentes organisations intergouvernementales, d’ONG internationales, d’agences de coopération, et héberge 164 Entretien réalisé le 2 juillet 2012 à Hone Creek, Talamanca, Costa Rica 165 Entretien réalisé le 12 septembre 2011 à San José, Costa Rica 166 Entretien réalisé le 24 juillet 2012 à la Ville de Panamá 280 aujourd’hui une grande diversité d’acteurs et de projets de conservation qui ont fait de lui un véritable laboratoire pour la coopération. Le nombre croissant d’initiatives (voir Tableau 18) visant à mettre en place des projets de conservation et de gestion des écosystèmes partagés existant autour du bassin mettent en lumière un intérêt international certain pour cette zone (Franklin, 2007, p. 9). Le tableau 19 synthétise les principales initiatives de coopération mises en place depuis la fin des années 2000 sur le bassin du fleuve Sixaola. 281 Tableau 19 : Projets et programmes de coopération 2008-2013 dans le bassin du fleuve Sixaola Projets Acteurs qui interviennent Source de financement 167Description du projet Echelle (locale, nationale ou transfrontalière) Partenariat public-privé Sixaola- Supermarché allemand REWE, Coopération allemande Créé en suivant la logique de « responsabilité Transfrontalière Changuinola pour le entreprise bananière Chiquita Land Budget de 1.2 millions sociale des entreprises », a eu pour objectifs le développement (APP). Company, CORBANA (entreprise €, (51% fonds privés / financement des projets de production et de 2009-2013 costaricienne commercialisant la 49% fonds publics) conservation, ainsi que le développement de banane) et Agence de Coopération programmes de formation en gestion Allemande (GIZ) environnementale vis-à-vis d’acteurs clés. Les actions s’effectuent en collaboration avec d’autres projets situés autour du bassin du fleuve Sixaola Projet « Alianzas » Bureau régional pour la Mésoamérique Gouvernement Ce programme s’est intéressé à trois aires Transfrontalière Alliances Solidaires pour la de l’UICN norvégien transfrontalières en Amérique Centrale : les gestion territoriale durable en Organisations membres de l’UICN : Budget total du projet bassins du fleuve Paz (Guatemala / El Amérique Centrale Corridor Biologique Talamanca- US$4,3 millions pour Salvador), du fleuve San Juan et du fleuve 2004-2011 Caribe, Fondation Natura, Panamá 2004-2008 et US$1.4 Sixaola. Principal objectif : sensibilisation des Vert, entre autres. millions pour 2008- populations à la durabilité de leurs ressources 2011 naturelles et à l’amélioration de leur qualité de vie. Ce projet cherche à multiplier les alliances entre acteurs locaux afin qu’ils influencent les politiques publiques locales et nationales dans le sens d’un usage plus responsable des ressources naturelles (Nordic Consulting Group-UICN, Evaluation finale du Programme Alianzas, 2008, p. 37). Dans le cas du bassin du fleuve Sixaola, le projet a encouragé la formation de deux alliances locales de chaque côté de la frontière et une Commission Transfrontalière. Projet Bonne gestion de l’eau et Ancienne Unité de Gestion de l’Eau Ministère de Ce projet vise à améliorer les capacités Transfrontalière adaptation au changement aujourd’hui Unité de moyens de vie et l’Environnement d’adaptation au changement climatique dans 167 D’après les documents fournis par les programmes 282 Projets Acteurs qui interviennent Source de financement 167Description du projet Echelle (locale, nationale ou transfrontalière) climatique dans des bassins changement climatique de l’UICN allemand quatre bassins transfrontaliers : du fleuve Paz transfrontaliers (Guatemala / Salvador, des fleuves Coatan et (2010-2014) Centre de Droit Environnemental de Budget : US$ 2,5 Cahoacan localisés dans l’Etat de Chiapas l’UICN à Bonn millions (Mexique-Guatemala), du fleuve Lempa (Salvador / Honduras / Guatemala), ainsi que le bassin du fleuve Sixaola. Le projet cherche à promouvoir « la bonne gouvernance » à travers la participation des acteurs locaux aux processus de décision. Projet BRIDGE Ancienne Unité de Gestion de l’Eau Programme de Le Projet BRIDGE cherche à « construire des Transfrontalière (Building River Dialogue and aujourd’hui Unité de moyens Diplomatie de l’Eau de capacités de gouvernance de l’eau à travers Governance- Consruction des 168d’existence et changement l’Agence Suisse pour le l’apprentissage, la démonstration, le leadership Dialogues et de la Gouvernance climatique de l’UICN Coopération pour le et la construction de consensus, autour de la dans les fleuves) Développement gestion de bassins de fleuves transfrontaliers » (2010-2013) Centre de Droit Environnementale de (BRIDGE, 2012). l’UICN à Bonn Programme « Parcs en danger » The Nature Conservancy (TNC) TNC Programme mis en place dans les montagnes de Transfrontalière 2002-2008 Agence des Etats Unis pour le USAID Talamanca et dans le Parc International La Développement International (USAID) FEM Amistad (PILA). Ce programme a contribué Budget : US$ 77 financièrement et techniquement à millions pour 45 aires l’élaboration du « Plan de Gestion du Parc protégées International La Amistad (PILA) » (Borge, 2004) et a aussi mis en place un programme de formation avec les populations locales. Projet Compétitivité et Centre Agronomique Tropical de Gouvernement Une de ses zones considérées est le bassin du Transfrontalière Environnement dans des Recherche et d’Enseignement norvégien fleuve Sixaola. Le Projet cherche à former des territoires producteurs de cacao 169Supérieur (CATIE) familles rurales (indigènes et paysannes) pour 168 Selon la FAO, l’approche par moyens d’existence (MED) est une approche conçue pendant les années 1980 et adoptés par les Nations Unies et par d’autres organisations internationales comme l’UICN. « Les approches fondées sur les moyens d’existence (MED) apparaissent comme moyens de réduction plus efficaces et plus appropriés pour la réduction de la pauvreté grâce à la compréhension de la pauvreté du point de vue des pauvres » (Neely, Sutherland, & Johnson, 2004, p. 1) 169 Centre de recherche, d’éducation et de coopération technique pour l’Amérique Latine et la Caraïbe. Le CATIE cherche à augmenter la productivité des agriculteurs locaux en gardant les systèmes productifs soutenables. Il motive la gestion intégrée de l’agriculture et des ressources naturelles à travers la recherche et l’incidence politique. 283 Projets Acteurs qui interviennent Source de financement 167Description du projet Echelle (locale, nationale ou transfrontalière) en Amérique Centrale Alliance de petits producteurs de augmenter la compétitivité et les services (2010- jusqu’à aujourd’hui) Talamanca (APPTA) au Costa Rica environnementaux du secteur cacaotier Coopérative de Cacao de Bocas del centraméricain. Il met également en place des Toro (COCABO) au Panamá actions pour améliorer la gestion des bassins à 170 travers le soutien à des fermes intégrales. Projet Soutien pour le Kiosques environnementaux Fonds de la UCR Ce projet mis en place par des étudiants de Locale renforcement des formes 171Université du Costa Rica (UCR) l’UCR, est consacré à la récupération de la (Communautés productives et organisationnelles mémoire historique des populations résidentes indigènes côté dans la vallée du fleuve Sixaola. autour de ce bassin et à la formation d’acteurs costaricien) Depuis le 2007 jusqu’à locaux en production équitable et biologique. aujourd’hui. Source: Elaboration propre à partir des documents techniques des projets. 170 La ferme intégrale est une forme de production qui intègre la conservation de l’environnement à des activités agricoles et forestières. Elle s’oppose aux monocultures puisqu’elle propose dans un même espace la mise en place de plusieurs cultures, l’élevage d’animaux domestiques et la conservation des forêts. Ce modèle est une réponse à la lutte pour la sécurité alimentaire des communautés rurales. 171 Projet de l’Université du Costa Rica d’éducation et de diffusion des problématiques et conflits socio-environnementaux dans des villages ruraux. 284 2.1.2. Coopération pour l’environnement : Organisations intergouvernementales (OIG), ONG internationales et partenariats public-privé La présence des ONG en Amérique Centrale date des années 1980-1990. De nombreux programmes et ONG ont été encouragés et financés par des Etats que W. Robinson appelle des « Etats Transnationaux »,comme l’Europe et les Etats-Unis. Les Etats-Unis ont tout particulièrement soutenu un réseau d’organisations de la société civile d’ordre humanitaire dans le cadre du conflit armé. Dans le cadre du processus de pacification, ces bailleurs de fonds ont établi un agenda politique assez précis qui devait encadrer les transferts de ressources vers ces ONG. Les thématiques à financer étaient liées inévitablement au processus de paix, à la lutte contre la pauvreté et à la promotion de la démocratie. Selon W. Robinson, 4000 ONG centraméricaines ont reçu au total annuellement entre 1980-1990, 350 millions de dollars pour atteindre ces objectifs. Les gouvernements européens et étasunien, ainsi que les OIG, ont voulu ainsi prendre en charge (au moins dans le discours) l’Isthme centraméricain qui avait été « bouleversé » pendant les conflits armés. Cependant, W. Robinson estime que derrière le discours de la reconstruction de l’Amérique Centrale, l’objectif de ces nouvelles ONG était celui de démobiliser les secteurs populaires, les combattants démobilisés et de « consolider l’ordre transnational néolibéral » (Robinson, 2003, p. 231). La présence dans l’Isthme d’organisations spécifiquement liées à la conservation date quant à elle de la fin des années 1990. Dès le départ, ces organisations ont intégré le discours de construction de la paix à travers la conservation de l’environnement. L’apparition de ces organisations s’est faite en parallèle à la création d’organisations liées aux questions humanitaires. Les premières organisations environnementales à mettre en place des projets liés à la gestion environnementale des régions frontalières ont été l’UICN et The Nature Conservancy. Nous nous intéresserons dans cette partie aux projets que ces deux ONG ont mis en place sur le bassin du fleuve Sixaola. Dans un premier temps, seront présentés ici deux types de projets de coopération que nous avons pu identifier sur ce bassin et qui sont encouragés par des acteurs exogènes : 1. Projets encouragés par des organisations internationales (UICN, TNC, etc). 2. Projet mis en place par des partenariats public-privé. Nous utilisons le terme d’organisations internationales puisque 285 les organisations présentes sur ces bassins sont des ONG internationales, mais aussi des 172 organisations intergouvernementales (OIG) . L’analyse portera sur leur contenu et objectifs, leur fonctionnement, ainsi que leur budget. Nous tenterons de mettre en évidence la complexité des projets et la diversité d’acteurs qui y interviennent. 2.1.3. Les projets de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), entre alliances transfrontalières et gouvernance Sur le bassin du Sixaola, deux organisations internationales ont été particulièrement présentes depuis les années 1990, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), et The Nature Conservancy (TNC). La présence à travers de projets de ces deux organisations dans l’Isthme date de la fin des années 1970, mais l’installation de leurs bureaux est plus récente et dates des années 1980. Ces deux organisations ont mis en place plusieurs projets tout au long des vingt dernières années sur ces bassins, et bien que leurs thématiques aient changé leur présence s’est maintenue à travers le temps. L’Union Internationale pour la Protection de la Nature (UIPN) naît après la deuxième guerre mondiale en 1948 après la Conférence de Fontainebleau en France. Elle sera rebaptisée Union 173 Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) en 1956 . Initialement, elle devait être « une organisation susceptible de coordonner les politiques mondiales de conservation et elle se définissait comme une association d’agences gouvernementales, d’ONG et de scientifiques » (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 63). Sa création a été encouragée par 24 délégations nationales, des représentants de l’International Committee for Bird Protection 174 (ICBP) , de l’UNESCO, de la FAO et de ONU. Dès ses débuts, l’UICN ne formait pas un bloc homogène, elle rassemblait non seulement des Etats, mais aussi des institutions internationales et des associations privées pour la protection de la nature. Tous ces acteurs 172 Il convient de préciser que l’UICN a un statut particulier qui se prête à des confusions. Puisque à l’échelle locale elle fonctionne comme une ONG mais à l’échelle globale, les décisions sont prises par une Assemblée où des Etats sont membres. Donc nous estimons que l’UICN a un rôle d’OIG, cependant elle n’a pas le même statut que les instituions des Nations Unies. 173 Le changement de nom met en évidence un changement de paradigme de la part de cette organisation. Puisque celle-ci abandonne l’approche protectionniste qui était plus restrictive, pour s’assumer une approche conversationniste qui propose une gestion prudente et mesurée des ressources naturelles pour des fins spécifiques. 174 L’ICBP aujourd’hui Birdlife International a été créé en 1922. Ce partenariat regroupe des organisations et des chercheurs étasuniens, français, néerlandais, et britanniques.http://www.birdlife.org/worldwide/partnership/about-birdlife 286 avaient des conceptions différentes de ce que devait être la protection de la nature (Woebse, 2013, p. 30), ce qui a généré au sein de l’UICN d’importants débats et a permis le développement d’une importante production scientifique. La recherche et l’évaluation sont des missions de cette organisation, qui réalise ainsi de nombreuses études sur l’état des ressources naturelles au sein de six commissions d’experts et de scientifiques de différentes disciplines, lesquels conseillent les gouvernements et les organisations internationales (le rôle de ces conseils comme des communautés épistémiques sera analysé dans la troisième partie). Aujourd’hui l’UICN se décrit elle-même comme « la plus grande et la plus ancienne des 175 organisations globales environnementales au monde » (IUCN, 2014) . Comme affirment D. Dumoulin et E. Rodary, l’UICN est une OIG devenue très vite « le centre du réseau de la conservation internationale associant instances internationales, Etats-nations et ONG nationales et internationales conversationnistes, jouant un rôle proche d’une organisation de l’ONU sans en avoir le statut » (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 63). Dans le secteur mondial de la conservation, l’UICN a un statut privilégié puisqu’elle est la seule organisation de conservation (qui n’est pas une ONG) et a le statut d’observatrice officielle dans l’Assemblée de l’ONU. Il est intéressant de constater que même si l’UICN n’est pas une ONG mais plus une OIG, lors de nos entretiens avec les professionnels qui travaillent dans cette organisation, ils ont fait référence majoritairement à l’UICN comme une ONG (entretien avec Olman 176 Varela, Chargé de Projet UICN ), ce qui nous permet de remarquer comment sa nature est à l’échelle locale et nationale confuse. En outre, la structure interne de l’UICN se divise en deux. D’une part, il y a l’Assemblée des membres et de l’autre part, le Secrétariat. L’Assemblée des membres est composée par 1200 organisations membres, issues de 160 pays. Parmi ceux-ci, plus de 200 membres sont des gouvernements ou des organisations gouvernementales, et plus de 800 sont des ONG. Les membres se réunissent tous les quatre ans lors de l’Assemblée Générale de l’UICN, qui est responsable de la validation du Programme Mondial de l’UICN pour les quatre prochaines années. En théorie, au niveau de chaque pays s’organise un Comité de membres formé par des ONG nationales et locales, des centres de recherche et le gouvernement Ces Comités Nationaux par la suite se rassemblent dans des Comités Régionaux. Actuellement, l’UICN a 175 http://www.iucn.org/fr/propos/ 176 Entretien réalisé le 19 août 2011 aux bureaux de l’UICN à los Yoses, San Pedro, Costa Rica 287 177 douze Comités Régionaux qui participent à l’élaboration du Programme Mondial en produisant des motions par région, discutées et votées lors de l’Assemblée Mondiale de l’UICN pour ainsi être intégrales aux Programme Mondial. Le vote en Assemblée a été souvent remis en question par les ONG nationales et locales, qui ne disposent que d’un vote, tandis que les Etats ont trois votes. Le Secrétariat, organe exécutif de l’UICN, réunit plus de 1000 professionnels qui travaillent dans les 45 Bureaux Régionaux répartis dans le monde. Chaque bureau a une direction qui répond directement à la direction globale dont les bureaux sont situés à Gland, en Suisse. Le Secrétariat est responsable de la mise en oeuvre du Programme Mondial de l’UICN et des projets conçus à partir de ce Programme. A l’échelle globale, l’UICN est financée par des gouvernements, des organismes bilatéraux et multilatéraux, des organisations membres et des sociétés. L’UICN a développé tout un programme de participation des entreprises à la protection de la biodiversité. Ce procédé s’avère de plus en plus fréquent, de plus en plus d’organisations internationales et intergouvernementales font appel au secteur privé pour obtenir des ressources financières. Un cas qui a été particulièrement polémique a été l’accord souscrit en 1999 entre l’UICN et l’entreprise Shell, dans lequel l’UICN s’engageait à soutenir ce géant pétrolier dans ses efforts de protection de l’environnement en contrepartie d’une participation de l’entreprise Shell à l’organisation de 1,2 milliards de dollars. Plusieurs ONG et organisations de base s’y sont opposées lors de l’Assemblée des membres qui a eu lieu à Barcelone en 2008, en affirmant que ce partenariat allait nuire l’image de l’organisation. Cependant lors du vote, la majorité des membres ont voté en faveur de cet accord, lequel se maintient jusqu’à présent. A l’échelle des bureaux régionaux, l’UICN fonctionne de façon très similaire à une ONG. Le financement est fragmenté. D’une part le personnel administratif, le directeur et les coordinateurs des programmes régionaux sont payés directement par l’UICN et par les overheads, c’est-à-dire par les budgets définis au préalable pour la gestion des projets. Cependant, une grande partie du personnel n’est pas financée par ce budget mais dépend plutôt des fonds qui ont été récoltés par les projets. Les équipes régionales doivent donc produire leurs propres projets et les soumettre à des bailleurs de fonds, ou bien participer à des initiatives globales qui ont été négociées par le siège mondial de l’UICN. Cette situation 177 1.Afrique du Sud et de l’Est, 2. Afrique de Ouest et Centrale, 3. Amérique du Nord, 4. Caraïbe, 5. Amérique du Sud, 6. Mésoamérique, 7. Asie du Sud et de l’Est, 8.Asie de l’Ouest, 9. Océanie, 10. Europe de Est, 11. Nord et Centre Asie, 12. Europe de l’Ouest 288 amène une partie importante du personnel à être embauchée dans le cadre de projets déterminés, qui ont une durée limitée, et cela génère une importante instabilité dans les équipes. Il a été intéressant de constater lors des entretiens que les professionnels qui travaillent dans le secteur de l’environnement circulent souvent d’une organisation à une autre, et d’un projet à un autre, mettant en évidence une mobilité certaine et une importante flexibilité du travail. Le bureau de l’UICN sur la Mésoamérique et la Caraïbe (ORMACA) travaille directement sur la région (Mexique, Amérique centrale, Caraïbe) depuis 1989, année où l’UICN a ouvert son premier bureau dans l’Isthme à San José, au Costa Rica. Le bureau ORMACA est divisé en trois unités thématiques responsables de coordonner et de garantir la mise en oeuvre du Programme Mésoaméricain : l’Unité des moyens de subsistance et changement climatique, l’Unité de biodiversité et droit et l’Unité de gouvernance, économie et gestion des forêts. Dans le cas du bassin du fleuve Sixaola, ce bureau a mis en en place depuis le début des années 2000 des projets qui encourageaient la coopération transfrontalière comme un instrument pour la gestion de l’environnement partagé. 2.1. 3.1. Pour les gens et pour l’environnement ? Projet Alliances Solidaires pour la Gestion Territoriale Durable en Amérique Centrale Le premier projet qui a été mis en place par l’UICN avec une perspective transfrontalière sur ce bassin a été le Projet Alliances Solidaires pour la Gestion Territoriale Durable en Amérique Centrale, connu communément comme le projet « Alianzas ». Ce projet financé par le gouvernement de Norvège a eu un coût total de 5,7 millions de dollars investis en deux temps. Une première phase, de 2004 à 2008, s’est focalisée sur la décentralisation des décisions et des ressources, et a encouragé la participation des acteurs locaux dans des structures locales nommées « Alliances » ou « Consortiums ». Selon le Programme Cadre du projet, l’objectif dans cette étape, qui a été développé avec la coopération norvégienne et un groupe d’experts embauchés pour sa rédaction, était de « réussir à ce que les personnes utilisent les ressources naturelles de façon durable et améliorent leur qualité de vie, en gardant l’équilibre entre la satisfaction de leurs besoins et la conservation des moyens de subsistance que donnent les écosystèmes » (UICN, 2002, p. 1). La deuxième phase de 2008 à 2010 a été conçue pour mettre en place un processus de systématisation du modèle d’accompagnement du Projet Alianzas. Mais surtout elle a cherché 289 à « établir et valider des modèles de gouvernance pour la gestion des ressources naturelles et la conservation de la biodiversité dans des zones frontalières et à encourager le développement de moyens de subsistance, à travers l’accès aux marchés verts » (Camacho, 2012, p. 12). Les questions de participation et de gouvernance ont été centrales dans les deux phases, car le projet proposait que les activités productives, ainsi que les actions de plaidoyer soient réalisées par les acteurs locaux et que l’équipe de professionnels de l’UICN les accompagne avec des méthodologies et des connaissances. Au moment de la création du projet Alianzas, le groupe d’experts chargé de sa conception a 178 intégré comme support théorique et méthodologique l’approche par écosystème , adoptée par la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) en novembre 1995 après la Conférence de Jakarta. L’approche par écosystèmes propose de concevoir la nature frontalière comme un tout intégré, indépendamment des limites politiques et administratives. En suivant cette approche, les zones choisies pour la mise en place du projet Alianzas sont toutes des régions frontalières qui avaient été définies comme étant importantes du point de vue environnemental. Nommées « Aires Géographiques de Concentration » (AGC), ces régions ont été choisies en fonction de la répartition des « écosystèmes d’eau douce (lacs, fleuves et marécages), des écosystèmes côtiers (récifs de coraux) et des écosystèmes forestiers les plus importants » (UICN, 2002, p. 12). Les trois AGC choisies avaient été déterminées en 1999 par un groupe de professionnels et d’experts convoqué par l’UICN pour élaborer un état de lieu de la région en matière de conservation de l’environnement. Suite à cette étude, l’UICN a signé en 2004 avec 178 Selon la Convention sur la Diversité Biologique « L'approche par écosystème est une stratégie de gestion intégrée des terres, des eaux et des ressources vivantes, qui favorise la conservation et l'utilisation durable d'une manière équitable. Ainsi, l'application d'une telle approche aidera à assurer l'équilibre entre les trois objectifs de la Convention que sont la conservation, l'utilisation durable et le partage juste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques » (Secrétariat de la Convention sur la Diversité Biologique, 2004, p. 6). Elle reconnaît aussi que « les populations humaines, dans leur diversité culturelle, sont une composante intégrante de nombreux écosystèmes » (Ibid, p. 4). Elle évoque en particulier l’importance de la participation des peuples indigènes, en insistant sur l’importance de prendre en compte leurs savoirs traditionnels notamment au moment de la conception des projets. La gestion par écosystèmes encourage la participation des acteurs locaux et propose une gestion «décentralisée et ramenée le plus près possible de la base » (Principe 2) et qui puisse s’adapter aux changements des écosystèmes (Principe 9) (Ibid 2004, p. 24). D’après l’approche par écosystèmes les moyens de subsistance sont ces « capacités, ressources (économiques, physiques, naturelles, humaines et sociales) et activités qu’une population possède et utilise pour son bien-être et une meilleure qualité de vie ». Ces moyes de subsistance sont durables quand ils peuvent surmonter le changement (évènements naturels extrêmes, changements climatiques et économiques), et les effets de ce changement, pour qu’ils continuent à améliorer les conditions de vie sans affaiblir l’état des ressources naturelles. 290 la coopération norvégienne un accord, définissant ce qui deviendra le Programme Cadre du projet. Les trois AGC d’intervention ont été définies selon quatre critères: 1. Présence de ressources transfrontalières/ partagées, 2. Présence de membres et d’alliés de l’UICN sur la zone, 3. Présence d’écosystèmes clés et 4. Existence de communautés socialement vulnérables (T. Rodriguez, 2009, p. 10). La première AGC est celle du Rio San Juan, la deuxième, nommée l’AGC Talamanca-Bocas del Toro, est située entre le Costa Rica et le Panamá, et la troisième, l’AGC Río Paz, se trouve entre le Guatemala et El Salvador. Dans le cadre de cette recherche, nous nous intéresserons aux activités entreprises dans l’AGC Rio San Juan et dans l’AGC Talamanca-Bocas del Toro, et notamment aux acteurs collectifs locaux qui sont intervenus dans ce projet. Il faut souligner que dès la conception de ce projet, il avait été établi que le projet Alianzas travaillerait avec les organisations et les acteurs qui déjà membres de l’UICN ou alliés dans d’autres projets de l’UICN. Ce critère n’est pas exclusif au projet Alianzas, il doit être suivi par tous les programmes et les projets entrepris par l’UICN dans le monde. Carte 15 Aires Géographiques de Concentration du projet Alianzas de l’UICN Source : Eduardo Rodríguez pour le Projet Alianzas, UICN 2004 291 Au départ, le choix porté par l’UICN sur ces trois AGC reposait aussi sur la présence de « bassins transfrontaliers qui hébergeaient d’importants écosystèmes clés, vulnérables et où habitaient des personnes en situation de pauvreté, à cause du retard économique et de l’abandon des gouvernements centraux » (Programa Marco, 2003, p. 6). Même si la question transfrontalière a été évoquée dès le début du projet comme une priorité, l’examen des 179 documents descriptifs, des évaluations et des systématisations du projet met en évidence que la question transfrontalière n’a pas été abordée dans les deux premières années du projet (Rodriguez, 2009). Les actions mises en place ont eu une approche très nationale et très localisée et n’ont pas relevé d’une approche de gestion intégrée par bassin. Les principales activités ont été liées au renforcement du système de production agro-écologique utilisé à Talamanca notamment avec la production de cacao, la mise en place de pépinières pour le reboisement du bassin du fleuve Sixaola et le développement d’un programme de recyclage et de gestion des déchets mené par l’ONG Corridor Biologique. A Bocas del Toro au Panamá, une initiative cherchant à déclencher un processus d’aménagement du territoire n’a pas encore été mise en place. Toutes ces actions n’ont par conséquent pas été conduites dans une perspective transfrontalière : elles ont été mises en place de chaque côté de la frontière, sans une véritable coordination avec le pays voisin. Le projet Alianzas a également encouragé la production durable et les marchés verts sur ce bassin, notamment en soutenant des femmes artisanes Ngöbes et des productrices de chocolat de l’association indigène bribri ACOMUITA, particulièrement dans la modernisation de leur production. Un des résultats considérés comme essentiels lors des évaluations réalisées par la Coopération norvégienne a été la sensibilisation réalisée par l’UICN en matière d’environnement, notamment à travers des ateliers réalisés par des experts en matière de changement climatique, de production durable, de genre et d’environnement (Skaaland, Vega, & Brenes Castillo, 2008). Ainsi, la question transfrontalière n’est apparue que de façon tardive, car ce n’est qu’en 2006 que le projet a pris la décision de la reprendre. Cet intérêt a été encouragé par la Coopération norvégienne, qui a conseillé à l’équipe technique du projet de développer la coopération transfrontalière prévue au début du projet. Celle-ci a alors été développée à travers les plateformes locales de participation appelées les Consortiums ou Alliances. 179 La systématisation d’expériences est une méthodologie issue de l’éducation populaire en Amérique Latine qui est utilisé par les organisations internationales et les ONG pour récupérer à travers un processus de construction collective les apprentissages et les expériences générées suite à l’application d’un projet.(Imberechts, 2011; Jara, 2012) 292 La reconnaissance de la participation des habitants comme un élément clé de la gestion éco- systémique a été un élément central dans le projet Alianzas qui a comme slogan « Pour les gens et pour l’environnement » (Por la gente y por el ambiente).Les Consortiums locaux sont censés être les principaux exécutants des actions : 1. Alianza Bocas au Panamá, 2. Union pour le Développement de Talamanca au Costa Rica (Bassin du fleuve Sixaola), 3. Consortium Le Gaspar au Nicaragua, 4. Consortium Los Humedales au Costa Rica (zone frontalière avec le Nicaragua). Ces quatre consortiums sont des plateformes locales multi-acteurs (UICN, 2011, p. 3) que l’UICN définit comme des « plateformes pour l’articulation des efforts entre divers acteurs, organisations communautaires, organismes non gouvernementaux, représentants du secteur public et privé » (Camacho, 2012, p. 15). Ils sont constitués par des acteurs locaux, c’est-à-dire des organisations de base (coopératives, syndicats, associations de développement, associations de paysans, pêcheurs, etc.) et des ONG locales environnementalistes comme la Fondation Natura au Panamá ou le Corridor Biologique au Costa Rica. Dans les Consortiums, la participation des gouvernements s’est faite à travers les ministères de l’environnement, les mairies et des institutions comme les commissions de gestion des risques et la police. Le projet cherchait à créer les capacités nécessaires de gestion, de coordination, de planification et de plaidoyer pour mettre en place des projets de conservation et positionner leurs agendas politiques dans des instances locales et nationales. L’objectif des consortiums était de mettre en place des « structures de gouvernance environnementale décentralisées où les acteurs sont les responsables de leur propre développement » (Rodriguez, 2009, p. 21; UICN, 2006, p. 7). A cet effet, le projet a cherché à renforcer les capacités d’organisation, les processus de prise de décision et leur participation, pour que les Consortiums deviennent « des alliances locales autogestionnaires et durables » et ainsi qu’elles puissent négocier et gérer des ressources qui proviennent d’autres bailleurs de fonds. Il faut remarquer que les ONG qui ont participé à ces projets étaient des membres de l’UICN, donc des alliés de l’organisation. Ce constat invite à s’interroger sur la représentativité et la légitimité des ces alliances locales. Représentent-elles les différents acteurs et secteurs qui peuvent être impliqués dans ce bassin dans la gestion de l’environnement ? Il convient aussi de préciser que les alliances encourageaient aussi la participation d’acteurs privés. Ces acteurs privés sont majoritairement des entrepreneurs touristiques, des associations de propriétaires d’hôtels, d’agences touristiques ou de restaurants, et ce constat conduit à interroger la légitimité et le sens de l’intérêt de leur participation au sein de ces 293 plateformes. La question de la coopération transfrontalière en matière d’environnement a été portée par des Commissions Transfrontalières, lesquelles étaient intégrales par des représentants des consortiums ou des alliances locales de chaque pays. Le rôle des Commissions Transfrontalières est celui de mettre en place des projets et de positionner des agendas politiques transfrontaliers dans des espaces nationaux et internationaux. Elles sont une plateforme d’advocay ou de défense d’intérêts qui permettent de présenter des projets ou des demandes avec un support binational (Rodriguez, 2009, p. 22). Sur le bassin du fleuve Sixaola, a été mise en place la Commission Transfrontalière Talamanca-Bocas. Créée en 2006, elle a été très active pendant les années 2007-2008, pendant lesquelles elle s’est réunie une fois par mois et a réussi à mener des actions de coordination et de plaidoyer, notamment avec les deux Commissions Législatives de l’Environnement des deux Assemblées Nationales ère du Costa Rica et du Panamá. La Commission Transfrontalière a participé à la 1 Rencontre entre les Commissions Législatives de l’Environnement du Costa Rica et du Panamá, tenue les 15, 16 et 17 mars 2007 à l’Assemblée Nationale du Costa Rica. Lors de cette rencontre, le déplacement des législateurs panaméens au Costa Rica a été financé par l’UICN. Cette réunion, même si elle a eu des résultats somme toute assez modestes, a permis que les députés reconnaissent l’importance environnementale de cette zone et qu’ils s’engagent à voter rapidement la loi qui autorisait le prêt donné par la BID au Costa Rica pour mettre en place le Programme de Développement Durable du bassin du fleuve Sixaola. Par ailleurs, ils se sont engagés à revitaliser la Commission Binationale Costa Rica-Panamá. Par la suite, la Commission Transfrontalière a organisé une deuxième réunion avec les députés, mais cette fois-ci elle a lieu sur place, dans la région frontalière, afin de montrer aux élus la situation critique de l’infrastructure douanière, notamment celle du pont qui relie Sixaola (Costa Rica) à Guabito (Panamá). ème La 2 Rencontre a lieu les 11 et 12 mai 2007. Les résultats de cette réunion ont été plus concrets que ceux de la première, surtout parce que cette commission avait un agenda politique plus défini. La participation des maires a aussi été centrale, car ceux-ci se sont engagés auprès des députés à soutenir la coopération transfrontalière entre ces deux pays pour développer cette frontière, et à chercher des solutions par rapport aux droits des populations indigènes qui demandaient une loi qui protégerait leurs territoires et leur autonomie. La Commission Transfrontalière a présenté cinq thèmes qu’elle considérait clés : 1. Le renforcement de la gestion partagée des aires protégées transfrontalières, 2. La gestion du bassin binational du fleuve Sixaola prioritaire, notamment à cause des crues constantes 294 (l’approbation du projet de la BID est encouragée) 3. La problématique des populations indigènes, notamment le manque de législation pour les protéger, notamment au Panamá,à résoudre, et 5. Le besoin d’établir un permis de passage pour les personnes qui habitent sur cette frontière. En analysant la déclaration issue de cette rencontre, il est intéressant de constater que la gestion intégrée du bassin du fleuve Sixaola n’est pas dans l’agenda de cette Commission, en effet elle n’est pas développée : la gestion du bassin n’est évoquée que dans cette liste de thématiques, mais la Commission Transfrontalière ne propose pas d’actions concrètes. Une conséquence du travail de cette Commission est la création de l’Union des Peuples Autochtones Transfrontaliers. Cette Union est le résultat du rapprochement que la Commission a établi avec des organisations indigènes des deux côtés de la frontière. Après la fin du projet en 2010, ces organisations ont élaboré un agenda propre, lié à la question de 180 l’autonomie des territoires indigènes. Selon Gabriela Caldéron , chargée de projet Alianzas, cette Union garde encore aujourd’hui des liens importants, et a coordonné des actions de solidarité face aux mobilisations sociales qui ont eu lieu du côté panaméen en 2010 et en 2012. Le projet Alianzas a conclu ses activités à la fin de l’année 2011. Sur tous les Consortiums créés, il n’en reste qu’un seul encore actif, l’Alliance de Bocas del Toro, coordonné par 181 Mitzella Davila . Pendant l’entretien réalisé avec celle-ci, sont ressorties les nombreuses difficultés rencontrées actuellement pour maintenir l’Alliance active, les principaux problèmes rencontrés étant financiers, puisque l’Alliance n’est pas autonome de ce point de vue. 2.1.3.2. Projet de Bonne Gestion de l’Eau et Adaptation au Changement Climatique et Projet Construction des Dialogues et de la Gouvernance dans les fleuves (BRIDGE) Le Projet « Bonne Gestion de l’Eau et Adaptation au Changement Climatique » et le Projet BRIDGE sont portés par l’ancienne Unité de Gestion de l’Eau, aujourd’hui Unité des Moyens de subsistance et du Changement Climatique de l’UICN-ORMACA. Ces deux projets sont des initiatives globales portées par le Programme Mondial de l’Eau et par le Centre de Droit 180 Entretien réalisé en septembre 2011 aux bureaux de l’UICN à San José, Costa Rica 181 Entretien réalisé le 5 juillet 2012 aux bureaux de l’Alliance Bocas à Changuinola, Panamá 295 Environnemental de l’UICN à Bonn, qui s’intéressent particulièrement à la question des bassins transfrontaliers et à la gouvernance. La question des bassins et de la nature transfrontalière a été traitée par l’UICN-ORMACA depuis plus de 10 ans, dans le cadre de l’initiative « Eau et Nature » connue aussi comme WANI pour son acronyme en anglais (Water and Nature Initiative). L’initiative WANI naît pendant le IIème Forum Mondial de l’Eau en 2000, avec la rédaction du document “Vision Mondiale de l’Eau” (2005). Dans ce document, un objectif central est défini : « améliorer la situation des bassins, afin qu’ils aient une meilleure résilience au changement climatique, à travers la conservation des écosystèmes et des moyens de subsistance ». Cette initiative est mise en place dans 12 bassins de 30 pays du monde. L’UICN-ORMACA a été chargée de mettre en place deux projets de gestion par bassin et par micro bassin à la frontière entre le Guatemala et le Mexique : le Projet Tacaná au Guatemala et le Projet Cahoacán à Tapachula au Mexique. Ces deux projets ont travaillé à la réhabilitation des fleuves Coatán et Suchiate qui subissaient des crues importantes. Parallèlement, ils ont encouragé la création de Comités 182 par micro-bassin comme des plateformes de gouvernance. Ces Comités ont été crée par les équipes de professionnels de l’UICN, lesquels ont divisé ces bassin en segments qu’ils ont appelés « micro-bassins » selon la méthodologie de Otto Pfafstetter. Par la suite, l’UICN a identifié des segments prioritaires dans lesquels ils ont fondés de « Comités de Micro-bassin » (UICN, 2009, p. 12) qui intègrent des habitants et des autorités locales. Il convient de souligner que ces Comités ne sont pas reconnus ni par les autorités locales ni par les nationales. La question de la définition de l’approche d’intervention dans ces bassins transfrontaliers a été centrale (entretien avec Rocio Cordoba, coordinatrice de l’Unité de Moyens de Susbsistance et Changement Climatique). Pour R. Cordoba, l’approche développée a été le résultat d’un long processus de débats au sein même des équipes techniques de l’UICN à l’échelle globale. L’ouvrage Gouvernance de bassins partagés, aspects juridiques et institutionnels, paru en 2009, établit le cadre pour la coopération transfrontalière. Développé par la directrice de l’UICN-ORMACA, l’avocate G. Aguilar, et par A. Iza, Coordinateur du 182 L’UICN a repris la méthodologie proposé par Otto Pfafstetter, à travers de laquelle, il conseille de divisé les bassin en segments appelés des « micro bassins ». L’approche par micro-bassin selon O. Pfastetter a pour objectif de faciliter la gestion de l’ensemble du bassin. Les délimitations de micro bassins se font en fonction des limites des rivières qui coulent vers le cours principale. Selon cette méthodologie un bassin se divise en sub- bassins qui sont à leur tour divisé en micro-bassins (UICN, 2009, p. 11) https://portals.iucn.org/library/efiles/documents/2009-095.pdf 296 centre de Droit Environnemental de l’UICN, ce livre est considéré aujourd’hui comme une importante compilation de législation, de concepts et d’expériences liés à la gestion des bassins transfrontaliers (Aguilar & Iza, 2009). Parallèlement, le siège central de l’UICN, à travers le Programme Mondial de l’Eau et l’initiative WANI, a créé un toolkit (boîte à outils) pour encourager la gestion intégrée des bassins transfrontalier. Celui-ci consiste en une série de six manuels qui cherchent à définir les instruments et les stratégies nécessaires pour mettre en place des actions de coopération en manière de gouvernance environnementale transfrontalière. Ces manuels sont intitulés de la manière suivante : 1. Débit : l’essentiel sur les débits, 2. Changement : Adaptation de la gestion des ressources hydrologiques au changement climatique, 3. Valeur : penser les écosystèmes comme l’infrastructure de l’eau. 4. Payer : l’établissement de services de paiements de l’eau, 5. Partager, gérer l’eau à travers les frontières et 6. Négocier : arriver à des accords sur l’eau. Ces documents produits par le Programme Mondial de l’Eau présentent le cadre normatif et méthodologique à travers lequel les projets BRIDGE et « Bonne Gestion de l’Eau et Adaptation au Changement Climatique » ont été conçus et introduisent les notions de débit d’eau, l’adaptation comme moyen de faire face au changement climatique, le besoin de mettre en place des processus de coopération transfrontalière et de faire appel à des instruments 183 comme les « Codes de conduite » et à des structures de gouvernance pour négocier et gérer l’eau de façon participative. Le Projet Bonne Gestion de Eau et Adaptation au Changement Climatique a été mis en place de 2010 à septembre 2013. Il a été financé par le Ministère Fédéral allemand de l’Environnement, de la Protection de la Nature et de la Sécurité Nucléaire, et a eu un coût de 2,5 millions de dollars. Ce projet s’est fortement inspiré des expériences menées par l’UICN à la frontière entre le Mexique et le Guatemala. Les contenus de ce projet, selon Marta Perez de 184 Madrid , chargée de projet de l’Unité de Moyens de Subsistance et Changement Climatique de l’UICN, ont été définis par les équipes de professionnels de l’UICN-ORMACA et ceux du Centre de Droit Environnemental de l’UICN à Bonn, et confrontés à l’échelle locale avec les organisations de base pendant une période de sept mois. Cependant, le programme du Ministère de l’Environnement allemand a encouragé la mise en place de projets similaires en 183 Nous analyserons les codes de conduite en profondeurs dans le huitième chapitre. 184 Entretien réalisé le 28 août 2012 aux bureaux de l’UICN à San José, Costa Rica 297 Afrique, en Amérique du Sud et en Asie par d’autres organisations, comme l’ONG internationale Conservation International (CI). Ce projet a pour objectif central de «développer des capacités et des connaissances pour la bonne gouvernance et l’adaptation au changement climatique à travers la recherche appliquée, la sensibilisation, la participation publique et les expériences démonstratives, pour la gestion effective de l’eau, basée en la gestion intégrée des écosystèmes » (UICN Programa de Derecho Ambiental, 2010, p. 10) Il convient de préciser que ce projet part du constat que la région mésoaméricaine est vulnérable aux menaces générées par le changement climatique comme l’augmentation des températures, la sécheresse, les crues ou les ouragans (UICN, Programa de Derecho Ambiental, 2010, p. 1). Dans ce contexte, il considère nécessaire de renforcer « les capacités de gouvernance de l’eau, pour qu’ainsi les Etats aient une meilleure adaptation face aux impacts du changement climatique » (UICN, 2012, p. 2). Le projet part du constat que même si les pays sont en train de prendre conscience de l’importance de l’adaptation face au changement climatique, leurs normes et autres instruments légaux ne sont pas en accord avec les exigences qu’implique une politique d’adaptation en matière de l’eau, puisqu’ils ne régulent ni la disponibilité, ni la consommation, ni la conservation de cette ressource. Ce projet propose ainsi la création de « capacités de gouvernance de l’eau », c’est-à-dire « la mise en place de réformes qui promeuvent la durabilité de l’eau ». D’après notre entretien avec Rocio Cordoba, le projet travaille à trois échelles, régionale, nationale et locale. En effet, nous avons pu constater qu’à l’échelle régionale, L’UICN participe aux négociations au sein du Système d’Intégration Centraméricain liées au changement climatique et à la Stratégie Centraméricaine de Gestion Intégrale des Ressources Hydriques (ECAGIRH). A l’échelle nationale, l’UICN réalise des formations pour sensibiliser les fonctionnaires des autorités environnementales et des ministères des relations internationales. Durant l’année 2012, l’UICN a dispensé des formations sur la gouvernance de l’eau à des fonctionnaires de haut niveau de nombreux ministères et institutions du Panamá et du Costa Rica (cf. photographies 26 et 27). L’UICN participe aussi aux activités organisées par la Commission Binationale Costa Rica-Panamá. De plus, à l’échelle locale, l’UICN travaille avec des organisations de base et des ONG locales pour mettre en place des actions pour restaurer les écosystèmes et les moyens de subsistance des populations du bassin, et encouragent des activités productives pour améliorer la qualité de vie des habitants frontaliers. 298 Photographies 26 et 27 Formation relative aux eaux partagées de l’UICN pour des hauts fonctionnaires du Panamá et du Costa Rica, septembre 2012, Hotel Radisson à San José, Costa Rica 299 Dans le discours, ce projet prévoit que les actions de plaidoyer soient majoritairement portées par les organisations locales de la société civile grâce à des plateformes de gouvernance 185 commune. Ces structures doivent ainsi permettre l’empowerment des acteurs collectifs locaux (associations indigènes, coopératives, ONG locales, etc) pour ainsi combiner deux dynamiques de création de politiques : une, top-down (du haut vers le bas) et une bottom-up 186 (du bas vers le haut) (UICN, Programa de Derecho Ambiental, 2010, p. 2) . Le projet établit cinq sites pilotes où les actions proposées seront testées. Ces sites sont : 1. Le bassin du fleuve 187 Cahoacán (Mexique), 2. Le bassin du fleuve Coatán (Guatemala) 3. Le bassin du fleuve Lempa (Honduras), 4. Le bassin du fleuve Paz (El Salvador-Guatemala) et 5. Le bassin du fleuve Sixaola (Costa Rica-Panamá). Dans le cas du bassin du fleuve Sixaola, le projet a créé une antenne de l’UICN à Hone Creek (Talamanca), dans les bureaux de l’ONG locale du Corridor Biologique, avec laquelle ils ont signé un accord pour mettre en place de nombreuses activités productives et de reboisement. 188 Cette antenne est coordonnée par Pedro Cordero . Selon celui-ci, l’objectif des principales actions du projet est l’amélioration de la gestion du bassin, à travers la mise en place d’actions de formation, notamment des ateliers en gestion par bassin, en aménagement du territoire, en moyens de subsistance et en sécurité alimentaire. Des actions pour améliorer les systèmes agricoles dans quatre communautés Bribri ont aussi été mises en place pendant les années 2010-2012. Dans cette zone, l’activité agricole la plus importante est la production de cacao, raison pour laquelle le projet a fait des efforts pour améliorer la production du cacao issu de l’agriculture biologique. L’UICN a établi une alliance avec le Programme de Cacao du CATIE, pour créer des fermes intégrales. P. Cordero affirme qu’un autre objectif du projet était la protection des moyens de subsistance de la population, ce qui a conduit à planter quatre-vingts vergers communaux dans le territoire indigène, et le reboisement, avec la participation des habitants, des parties du bassin qui sont des espaces clés pour sa réhabilitation, notamment dans la partie moyenne de celui-ci, la plus dégradée par la production de banane. 185 Mise en pouvoir ou réappropriation politique 186 Nous discuterons ce discours et nous analyserons ces plateformes de gouvernance dans le sixième chapitre de cette thèse 187 Dans les cas des bassins des fleuves Cahoacán (Mexique), Coatán (Guatemala) et Lempa (Honduras), une approche nationale a été privilégiée à cause de l’opposition du Guatemala vis-à-vis à l’établissement de projets transfrontaliers sur son territoire. 188 Entretien réalisé le 2 juillet 2012 dans les bureaux du Corridor Biologique, à Hone Creek, Talamanca (Costa Rica) 300 Il faut souligner qu’un des résultats attendus était la création de structures de gouvernance. Ces deux projets ont encouragé sur le bassin du fleuve Sixaola le processus de création d’un Comité Binational du bassin du fleuve Sixaola, proposé par le Projet BID-FEM. L’UICN a appuyé et financé ses réunions, notamment les déplacements des participants. Cette Commission, encore aujourd’hui informelle, devrait devenir selon l’UICN l’autorité qui gérera le bassin. Cependant, la continuité de cette Commission dépend du résultat des négociations que l’UICN mène avec les bailleurs de fond pour établir une deuxième phase du projet Le projet Construction des Dialogues et de la Gouvernance dans les fleuves connu sous le nom de BRIDGE par ces sigles en anglais, ce qui veut dire « Pont » en français, est un projet global qui porte sur neuf bassins transfrontaliers dans trois régions du monde (cf. Tableau n° 20) Mésoamérique, Asie (le Mékong) et Amérique du Sud. Uniquement en Mésoamérique, il couvre trois bassins transfrontaliers : 1. Le bassin du fleuve Coatán (Mexique et Guatemala), 2. Le bassin du fleuve Goascorán (Honduras et El Salvador) et 3. Le bassin du fleuve du Sixaola (Costa Rica et Panamá)(Porras, 2013, p. 1). Tableau 20 Bassins d’intervention du projet BRIDGE de l’UICN dans le monde Région Bassin Mésoamérique Bassin du fleuve Coatán (Mexique et Guatemala) Bassin du fleuve Goascorán (Honduras et El Salvador) Bassin du fleuve du Sixaola (Costa Rica et Panamá) Amérique du Sud Bassin du fleuve Zarumilla (Equateur et Pérou Bassin du fleuve Catamayo- Chira (Equateur et Pérou) Bassin du Lac Titicaca (Pérou-Bolivie) Région du Mékong (Asie) Bassin du fleuve Sekong (Vietnam-Laos-Cambodge) Bassin du fleuve Sre Pok (Vietnam et Cambodge) Bassin du fleuve Sesan (Vietnam-Cambodge) Source: UICN, Projet BRIDGE , 2010 http://www.iucn.org/about/work/programmes/water/wp_our_work/wp_our_work_bridge/ Ce projet est financé par le Programme d’Hydro-diplomatie de l’Agence Suisse pour le Développement et la Coopération (SDC). Le Projet à l’échelle globale a eu un budget de CH3,1millions, soit €2,5 millions. L’information sur les budgets par bassins et par pays ayant été considérée comme étant confidentielle par nos interviewés, nous ne disposons pas des détails sur les sommes investies. La première phase du projet s’est étendue de 2011 à 2013. En avril 2013, il commence une deuxième phase, qui se terminera en 2015. Il est aussi mis en place par le l’Unité de Moyens 301 de Vie et Changement Climatique de l’UICN-ORMACA et par le Centre de Droit Environnemental de l’UICN Bonn. En revanche, il fait appel à des acteurs clés et aux membres de l’UICN pour sa mise en place, comme par exemple avec l’ONG locale du Corridor Biologique de Talamanca Caribe, responsable des contacts entre le projet et les organisations de base indigènes et des coopératives. Le rôle joué par cette organisation est particulièrement intéressant, car elle est à la fois intermédiaire entre cette organisation internationale et les organisations de base, et un acteur politique important sur cette région frontalière. Le projet travaille aussi en alliance avec les secrétariats de la Convention Binationale Costa Rica-Panamá et avec le Projet pour la gestion binationale du bassin du fleuve Sixaola (BID- FEM) notamment dans le soutien de leurs initiatives de gouvernance. L’objectif central du projet est de construire des « capacités de gouvernance de l’eau à travers l’apprentissage, la démonstration, le leadership et la génération de consensus dans les bassins transfrontaliers » (Porras, 2013, p. 1). Concrètement, il cherche a créer des espaces de dialogue et de travail binationaux, en accord avec différents acteurs qui interviennent à différentes échelles (locale, nationale et internationale) dans la gestion des bassins transfrontaliers. Dans le cas du fleuve Sixaola, sa principale action est de renforcer la Commission Binationale du Bassin en facilitant les réunions et en créant un règlement interne pour renforcer sa légitimité. Le projet BRIDGE propose ainsi le renforcement de ce qu’ils appellent « la gouvernance de l’eau », qui est fondée sur les principes de participation, de décision consensuelle, de résolution pacifique de conflits et de création de mécanismes légaux et institutionnels. Pour accomplir ces objectifs, ils proposent la mise en place de deux instruments ou mécanismes, qui sont les structures de gouvernance et les codes de conduites, ou ce qu’ils appellent les « Chartes du fleuve ». La Commission Binationale pour la gestion du fleuve Sixaola est une forme de structure de gouvernance qu’ils présentent comme une plateforme de dialogue pour la gouvernance de l’eau et la coopération, qualifiée comme étant « innovante ». Cette Commission veut articuler des acteurs gouvernementaux (Ministères de Santé, Ministères d’Environnement, institutions chargées de la gestion du risque), des représentants de la Société Civile (syndicats, coopératives, autorités indigènes). Une liste de participants de cette Commission est exposé dans l’Annexe 7. Les codes de conduite ont été inspirés par le droit international et plus particulièrement par la Convention de l’ONU de 1997 portant sur le droit en lien avec l’utilisation des cours d’eau 302 internationaux à des fins autres que la navigation. Ces chartes reprennent les principes généraux de cette convention comme l’utilisation et la participation équitables et raisonnables, l’obligation de ne pas causer de dommages significatifs, l’obligation générale de coopérer et l’échange régulier de données et d’informations (Assemblée générale des Nations Unies, 1997, p. 287). La procédure pour la construction de ces codes est assez particulière, ceux-ci n’étant pas des lois formelles issues d’un processus délibératif au sein de l’Assemblée Nationale. Ces codes sont rédigés par les experts de l’UICN et postérieurement présentés aux acteurs participants aux projets lors d’un atelier (workshop). Les acteurs convoqués par l’équipe technique de l’UICN sont généralement des membres de l’UICN ou des acteurs proches à l’organisation des deux côtés de la frontière, ce qui pose aussi des forts questionnements par rapport à leur représentativité. Cette charte est ainsi débattue entre les acteurs invités, lesquels exposent leurs recommandations et agendas politiques. Par la suite l’équipe de l’UICN les récupère et les inclut dans le texte de la Charte. La « Charte du fleuve » ou « Code de Conduite du fleuve » est un document qui expose les engagements souscrits par les signataires. Elle est ensuite diffusée dans les réseaux sociaux et publiée dans des espaces publics comme les postes de douanes, les mairies, les supermarchés, entre autres. La question du leadership est développée dans le projet à travers la mise en place d’un réseau de personnes qu’ils appellent abanderadas y abanderados pour faire allusion à des « personnes qui portent le drapeau de la conservation » et qui veulent « changer leurs pratiques en faveur de la gestion intégrale des ressources hydriques et pour la coopération transfrontalière dans des bassins » (Porras, 2013, p. 9). Ce réseau articule ainsi des leaders locaux qui participent à des rencontres qui cherchent à encourager la participation et l’éducation environnementale (Porras, 2013, p. 10). La proximité du projet Bridge avec celui de Bonne Gestion de l’Eau et Adaptation, fait que beaucoup d’actions mises en place par cette Unité répondent aux deux projets. C’est-à-dire que ces deux projets sont complémentaires et les acteurs à l’échelle locale ne font pas la différence entre eux. En somme, l’UICN se présente comme un acteur non étatique, indépendant et participe à la mise en agenda d’enjeux internationaux, nationaux et locaux, aux processus décisionnels et à la mise en œuvre de programmes et de projets (Hassenteufel, 2011, p. 210). De cette façon l’UICN intervient à la mise en agenda des problématiques locales et internationales, en faisant appel comme répertoire d’action au lobbying formelle (auditions des commissions d’environnement de l’Assemblée Nationale du Costa Rica et du Panamá, ou réunions avec les autorités) et informelle (visites, dîners, réceptions mondaines, entre autres) (Hassenteufel, 303 2011, p. 195). Elle utilise ses ressources matériels (financement) et son expertise qui lui octroie de la légitimité pour convoquer des preneurs de décision qui agissent à différentes échelles. Nous estimons que l’UICN est un acteur intermédiaire, c’est-à-dire un acteur « qu’a un rôle d’interface, non seulement entre des acteurs privés et des acteurs publics, mais aussi entre des univers institutionnels sectorisés, entre des niveaux d’action publique (infranationaux, nationaux et supranationaux) ou encore entre les forums et les arènes de politique publique » (Hassenteufel, 2011, p. 213). 2.1.4. Les ONG internationales, le cas The Nature Conservancy et son programme « Parcs en danger » Les débats autour de la définition des ONG sont nombreux, Johanna Siméant insistant sur le fait qu’il y a « autant de définitions d’ONG que d’organisations internationales ayant ou non la capacité de les accréditer en fonction de leurs intérêts propres » (Siméant & Dauvin, 2004, p. 17). Cependant, du point de vue des juristes, il convient de préciser qu’elles ne sont pas des organisations de droit international « mais au mieux des structures issues des droits internes» et qu’il y a peu de législations nationales qui leur accordent une reconnaissance spécifique (Ryfman, 2010, p. 17). Parmi les nombreuses approches, P. Rylman, établit cinq éléments qui peuvent nous permettre de caractériser les ONG, 1. Tout d’abord elles sont un regroupement de personnes privées pour défendre un idéal ou des convictions, et assurer une un but non lucratif. 2. Selon les droits nationaux, la forme juridique qui la symbolise est celle d’ « association » ou d’ « organisme non lucratif ». 3. Elle est souvent perçue comme un espace autonome de l’Etat, des entreprises, des Eglises, des organisations internationales, entre autres, 4. L’affiliation à une ONG est volontaire et 5. Leurs activités ont un caractère transnational soit parce qu’elles mènent des actions en différents pays, soit parce qu’elles ont des relations avec des entités tierces (Etat, organisation internationale, ONG internationale (Ryfman, 2010, p. 26). The Nature Conservancy est une organisation non gouvernementale internationale étasunienne créée en 1951. A ses débuts, cette ONG représentée l’esprit du « wilderness 189 étasunien » car elle a été consacrée à « la récolte de fonds pour l’achat de terres aux Etats- Unis dans le but créer des zones de conservation » (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 64). Par ONG internationale, nous comprendrons une « structure disposant des branches dans au 189 Conservation de la nature sauvage à travers des Parcs Nationaux, nous avons développé ce courant dans notre deuxième chapitre 304 moins dans deux pays » (Ryfman, 2010, p. 27) Cette ONG devient internationale durant une phase d’extension géographique qui a lieu pendant les années 1980 et qui lui permet d’ouvrir quatre bureaux régionaux en Amérique du Nord, en Amérique Centrale, en Amérique du Sud et en Asie-Pacifique. TNC est présente dans 30 pays. En 2002, cette organisation avait un budget de US$972 millions (ce qui s’explique comment elle employait plus de 3200 personnes dans 528 bureaux aux Etats Unis et dans le reste du monde) (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 68). Cependant, après la crise financière de 2008 aux Etats-Unis, elle s’est repliée, fermant une vingtaine de bureaux, dont celui du Costa Rica. La fermeture de ce bureau est assez symbolique puisque le TNC avait commencé son travail à l’international au Costa Rica en 1975, et y avait ouvert son bureau en 1989 (Entretien réalisé à Felipe Carazo chargé de l’Aire de conservation du PILA, Costa 190 Rica-Panamá ). Malgré ceci, TNC reste une ONG « profondément étasunienne », car elle est présente dans 50 Etats des Etats-Unis (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 69). 191 En 1990, TNC a lancé une stratégie mondiale appelée Parcs en Dangers active jusqu’en 2007. Durant ces 17 ans, le Programme Parcs en Dangers a été considéré comme « le plus grand réseau mondial de réserves naturelles dans les régions tropicales » (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 68). Il est financé par l’Agence des Etats-Unis pour le Développement International (USAID), qui a investit US$ 77 millions, et par des fonds de TNC et de ses partenaires pour un montant total de US$104 millions. Ce Programme reposait sur le constat que « la meilleure alternative de conservation de la diversité biologique in situ est celle des parcs nationaux » (Brenes, Castro, & Jimenez, 2004, p. 3). De nombreux parcs n’existant que sur le papier, il était nécessaire de « consolider l’infrastructure, le personnel, les outils, la capacité institutionnelle et technique, ainsi que de trouver le financement nécessaire pour protéger et administrer les aires protégées » (J. A. Rodriguez, 2008, p. 3). Le Programme de Parcs en Dangers a été mis en place sur 45 aires protégées de 18 pays, couvrant un total de 18 millions d’hectares avec la participation d’organisation gouvernementales et non gouvernementales en Amérique Latine et la Caraïbe. 190 Entretien réalisé 11 septembre 2011 aux bureau de The Nature Conservancy à Rohmoser, Costa Rica. 191 Parks in peril 305 Tableau 21 Sites du Programme Parcs en Dangers en Amérique Latine de 2000 à 2007 Sites Pays Refuge de Vie Silvestre Cuatro Ciénagas Mexique Cockpit Country Jamaïque Volcans d’Atitlán Guatemala Système Motagua-Polochic/ Réserve de la Biosphère Guatemala Réserve de la Biosphère Bosawas Nicaragua Parc National La Amistad/ Bocas del Toro Costa Rica/ Panamá Parc National Chagres Panamá Grenadines, Grenada St. Vincent and The Grenadines Réserve de la Biosphère Condor Equateur Réserve National Pacaya-Samiria Pérou Junglre Central/ Yanachanga/ Parc National Chemillén Pérou Parc National Amboró et Carrasco Bolivie Source: http://www.nature.org Le Programme de Parcs en Dangers au Costa Rica et au Panamá a choisi comme site pour son application le Parc International de La Amistad-Caribe (PILA) qui est le seul des sites choisis par le Programme a être binational puisqu’il est partagé entre le Costa Rica et le Panamá. Sur ce site, le Programme s’est consacré au travail avec les organisations partenaires (gouvernements, organisations sociales) pour améliorer le financement et l’administration du PILA. TNC a encouragé une approche de gestion participative et pour cela il a travaillé avec les populations locales (indigènes, producteurs) pour développer leurs capacités et connaissances afin qu’ils puissent participer au processus de conservation (INBIO, 2012). Les principales actions de ce Programme pour Julio Rodriguez, Coordinateur de Conservation du 192 Bureau de TNC Panamá , étaient la planification pour la conservation avec les institutions gouvernementales, la mise en place d’un processus de monitoring de la biodiversité du PILA, la mise en place d’actions pour encourager le développement communautaire durable et la conception de mécanismes financiers pour les aires protégées. Ces mécanismes étaient conçus pour de petits projets et étaient présentés comme des plans d’affaires. Le Projet Parcs en Dangers a établi un plan de conservation du Parc avec la participation active d’organisations, d’experts et du gouvernement. Le Programme a aussi renforcé la Commission Binationale du PILA qui se trouve dans la partie amont du bassin et qui articule des acteurs majoritairement gouvernementaux du Panamá et du Costa Rica. Pour Rodriguez, le manque de présence d’acteurs privés dans la partie amont du bassin est perçue comme une « contrainte », puisque pour TNC « l’efficacité financière doit être mise au service de la conservation » (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 64) 192 Entretien réalisé le 24 juillet 2012 au bureau de TNC Panamá à la « Ciudad del Saber » à la Ville de Panamá 306 Suite au Programme de Parcs en Dangers, TNC a mis en place une convention de coopération avec le Projet Binational pour la Gestion du Bassin du fleuve Sixaola (BID-FEM) pour traiter certains points qu’ils avaient en commun dans leurs projets et qu’ils ont décidé de développer ensemble. Le premier accord a été celui de développer une étude de viabilité pour la création d’un Fonds de l’Eau dans la partie panaméenne du bassin. Pour Rodriguez, le Fonds de l’Eau est un mécanisme de troisième génération qui « est une expérience qui vient d’ailleurs » puisqu’ils ont importé cette « bonne pratique » d’autres projets qui avaient été menées en Amérique du Nord et en Asie. Le Fonds de l’Eau est un instrument inspiré des partenariats Publiques-Privées. Il prévoit que, s’il existe d’importants usagers privés ou publics autour du bassin, ceux-ci doivent apporter des ressources pour ainsi constituer un fonds qui sera par la suite utilisé pour le maintien de services écosystémiques du bassin. Ce fonds doit servir à mettre en place des actions dans les sites considérés comme prioritaires en raison de leur niveau de dégradation et de pollution. En outre, ce Fonds encourage la mise en place de 193 programmes de paiement de services environnementaux . Pour J. Rodriguez, ce fonds est un mécanisme flexible qui permet les partenariats publiques et privées, ce qui est perçu par TNC comme une opportunité. Dans l’accord de coopération avec le Projet BID-FEM, TNC doit créer un programme de monitoring binational et encourager des accords de cogestion aves les groupes indigènes. De plus, ils vont aussi actualiser le plan de gestion du PILA et l’harmonisation des politiques de cogestion au niveau binational. Le Fonds de l’Eau est ainsi un mécanisme qui cherche à financer des actions de conservation, pour tenter de réduire les effets négatifs de l’expansion de monocultures et de la pollution des sources d’eau. Lors de notre entretien avec Julio Rodriguez, l’étude de viabilité était presque terminée, et ils voulaient commencer à mettre en place les premières actions en 2013 193 Les Paiements de services environnementaux sont des outils plutôt nouveaux qui partent du principe de la rémunération contractuelle d’acteurs conditionnellement au maintien ou à la restauration d’un ou plusieurs services écosystémiques préalablement identifiés. Les PSE se mettent en place pour encourager des pratiques spécifiques susceptibles de maintenir ou de restaurer un ou plusieurs services écosystémique : « c’est l’action de l’Homme permettant de faciliter la préservation de services écosystémiques qui est rémunérée » (CDC Biodiversité, 2014, p. 2) 307 2.1.5. Projets de coopération encouragés par des partenariats public- privé Dans le monde de la coopération pour la conservation de l’environnement, il est de plus en plus fréquent que les organisations internationales (UNEP, UICN, PNUD, BID) et les ONG internationales se tournent vers des entreprises, des fondations et même des milliardaires pour chercher des ressources au nom de la conservation (Bull & McNeill, 2007, p. 1). Cette alliance entre les organisations multilatérales, les Etats et le secteur privé crée ce qu’on appelle les Partenariats Publics-Privés, lesquels ont pour principal but de rassembler des efforts pour poursuivre des objectifs en commun (Bull & McNeill, 2007; Tesner & Kell, 2000). Ce rapprochement entre le public et le privé a été fortement encouragé dans les forums internationaux et dans les conventions internationales comme dans le cas des Objectifs du Millenium qui proposent dans leur l’objectif 9 de « développer un partenariat global pour le développement » ce qui veut dire « encourager les partenariats avec le secteur privé » (Bull & McNeill, 2007, p. 8). De son côté, l’ONU crée le Fonds International des Nations Unies pour les Partenariats en 2005. Le lien entre les organismes bilatéraux et les acteurs privés ne produira pas que des transferts de ressources, mais aussi le transfert de méthodologies et de modèles qui viennent du monde des entreprises vers la conservation et la gestion de l’environnement. Ce contexte met en évidence l’essor « d’acteurs privés comme une autorité dans les relations internationales ». Il convient, ici de définir les acteurs privés, comme les acteurs non étatiques qui opèrent selon la logique du profit (Bull & McNeill, 2007, p. 6). Il existe plusieurs types de partenariats publics-privés : 1. Les partenariats pour la mobilisation de ressources (fundraising), c’est-à-dire la mobilisation des ressources par des OIG où des agences de coopération pour atteindre un objectif généralement dans les pays considéré comme « pauvres ». Dans ce contexte, il est courant que le secteur privé donne les ressources et les agences de coopération apportent leur expertise et leurs réseaux politiques (les contacts avec les gouvernements, etc.). Par ailleurs, il convient de préciser que les organisations multilatérales cherchent dans ces alliances non seulement les ressources mais aussi l’expertise, les compétences en gestion de ces acteurs privés, 2. Les partenariats d’ 194 advocay sont ceux qui recherchent l’expertise du secteur privé pour légitimer les actions des organismes ou pour sensibiliser sur un thème en particulier 3. En outre, les partenariats en 194 Plaidoyer 308 matière de politiques publiques, sont des partenariats qui cherchent à établir un dialogue avec le secteur privé pour influencer une politique internationale ou nationale déterminée, pour ainsi développer des normes et des standards. 4. Et finalement les partenariats opérationnels consistent en la vente de biens entre le secteur privé et les OIG (Bull & McNeill, 2007, pp. 12–19). Il convient aussi de préciser qu’il existe aussi des partenariats dans la gestion des services publics qui ont été conçus comme « des accords contractuels à travers lesquels les autorités publiques délèguent une partie ou la totalité d’un service public à un ou plusieurs opérateurs privés » (Valdovinos, 2011, p. 39). Selon cette typologie de B. Bull et D. Mc Neil, le projet « Alliance Publique-Privée Sixaola- Changuinola » peut être défini comme un partenariat pour la mobilisation de ressources. Ceci parce qu’il mobilise des ressources publiques provenant de l’agence de coopération allemande 195 GIZ et des ressources privées du groupe de supermarchés allemands REWE, la compagnie de commercialisation CORBANA et l’entreprise bananière CHIQUITA Brand Company. La gestion depuis 2009 est sous la responsabilité de l’Unité Régional d’Assistance Technique (RUTA), à travers une équipe technique et des consultants externes. RUTA est une initiative portée par sept pays centraméricains (Belize, Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua et Panamá) et sept agences internationales de développement (MAEC, FIDA, ADA, BID, FAO, IFPRI, IICA) pour encourager le développement durable et la réduction de 196 la pauvreté dans les zones rurales centraméricaines . Sur les US$ 1,2 million de budget de ce partenariat, 50% proviennent de la coopération allemande (GIZ), 15% du supermarché REWE, 25% de CORBANA et 10% de Chiquita. Selon Ana Lucia Moreno, coordinatrice de l’APP, le fait que les fonds viennent de différents sources a rendu parfois difficile la planification des actions. L’objectif principal de ce projet est « d’améliorer la conservation des écosystèmes et des paysages, des marécages, des plaines inondables, des zones côtières et des terres continentales qui forment des aires protégées et des corridors biologiques dans l’Atlantique transfrontalier entre le Costa Rica (Talamanca) et le Panamá (Bocas del Toro). Un de ses buts est aussi que la population multiethnique ait les compétences pour augmenter sa cohésion sociale et 197 économique » (Ruta, 2011) . Pour cela, elle propose de mettre en place des actions de conservation au marécage San Pond Sack au Panamá, à la Réserve de Gandoca Manzanillo au 195 Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit 196 Information provenant du site web de RUTA http://www.ruta.org/historia_de_ruta.php 197 http://www.ecoalianzas.org/website/index.php?option=com_content&view=article&id=44&Itemid=55&lang= es 309 Costa Rica et à la réserve privée de CORBANA au Sixaola Costa Rica. Il convient de préciser que les actions sont mises en place sur des lieux qui ne sont pas connectés entre eux et sont très isolés, et aucune approche par gestion de bassin n’est évoquée dans le projet. En plus, il est intéressant aussi de constater qu’ils mettent en place des actions de conservation dans des réserves publiques et réserves privés sans faire de véritable distinction entre elles. Par ailleurs, l’APP implémente des actions de monitoring et cherche à mettre en place des actions de formation en protection de l’environnement, sur la biodiversité et sur les systèmes productifs durables. Ils ont aussi essayé de renforcer les formes culturelles et organisationnelles-administratives en mettant l’accent sur les populations indigènes. Nous avons eu l’occasion d’interroger à deux reprises la directrice et coordinatrice du projet RUTA, Lucia Moreno, une fois en septembre 2011 et une deuxième fois en juillet 2012. Lors de notre deuxième entretien, elle nous a expliqué que pendant la première année, ils se sont concentrés dans la planification et la création d’alliances entre des organisations locales et d’autres ONG qui ont également des projets dans cette région frontalière. Mais, pendant la deuxième année, ils ont essayé d’influencer la politique municipale de cette région de frontière pour qu’ils reconnaissent cette région comme une région transfrontalière et pour qu’ils entament des processus de collaboration entre les mairies localisées de part et d’autre de la frontière. Un résultat prévu par ce projet était de mettre en réseau les acteurs qui travaillent sur les questions touristiques, la gestion du risque, la production de cacao et les organisations de femmes. Pour ces acteurs, des formations en éducation environnementale et en « développement communautaire » ont été réalisées. Ces réseaux ont développé des projets qui ne sont pas financés par ce partenariat, mais qui seront présentés à d’autres coopérants ou institutions de l’Etat pour qu’ils les financent. Il est intéressant de noter que ce projet a été conçu par des experts avec la participation des acteurs locaux, mais s’est inspiré de la Stratégie développée para l’entreprise de consulting EPYPSA pour la BID. Ces types de partenariats sont chaque fois plus fréquents, mais ils sont remis en question sans cesse par de nombreux acteurs locaux, car ils permettent que des acteurs privés participent dans des affaires publiques comme la conservation et la gestion du territoire. Ce Partenariat est mis en doute parce qu’il engage deux entreprises qui ont un poids historique et environnementale sur cette région de frontière : L’entreprise Chiquita et la corporation CORBANA. Chiquita est l’héritière de l’United Fruit Company qui a été la responsable de la mise en place un système d’exploitation de la main d’œuvre locale à travers le modèle de 310 l’enclave bananière. Ce modèle a non seulement définis la distribution de l’espace frontalier en quartiers bananiers, mais il a aussi encouragé l’isolement de cette région par rapport au reste du pays. Pendant notre terrain, quand nous avons interrogé les différents acteurs frontaliers, sur quel était pour eux l’acteur avec le lequel ils ne voulaient pas travailler, le nom de Chiquita a ressortis majoritairement. Carte 16 Localisation des antennes et bureaux des acteurs collectifs sur le bassin du fleuve Sixaola 311 Carte 17 Localisation des périmètres et des lieux d’application des projets de coopération transfrontalière sur le bassin du fleuve Sixaola Source : Documents des projets et programmes CCAD, Carte du bassin du Sixaola, 2006 312 2.1.6. Le réseau transfrontalier d’acteurs du bassin du fleuve Sixaola, un réseau multi-scalaire et dynamique 198 La coopération internationale a investi plus de $US21 millions depuis le début des années 2000 dans la conservation d’un bassin qui ne fait que 2839,6 km2. Si ce chiffre peut paraître insignifiant par rapport à ce qu’une seule ONG comme TNC investit en une seule année (972 millions de dollars en 2002), à l’échelle de cette région frontalière oubliée par les gouvernements, ce type d’investissement est considérable. L’investissement réalisé par la coopération internationale a un impact non seulement sur les actions de conservation, mais aussi dans les relations de pouvoir qui se mettent en place entre les acteurs qui participent à la gestion environnementale de ce bassin. En ce qui concerne la perception qu’ont les professionnels de ces ONG et organisations par rapport au rôle qu’ils jouent sur cette frontière, il convient de remarquer qu’ils se présentent souvent comme les « exécuteurs des projets » et « facilitateurs de processus » (termes 199 employés par Julio Rodriguez de TNC en entretien). Marta Perez de Madrid de l’UICN affirme que « les ONG assument les vides laissés par les Etats, mais elles essayent de les 200 encourager pour qu’ils interviennent plus sur ces régions ». Pour Rocio Cordoba de l’UICN, ces organisations sont plutôt « des facilitatrices d’espaces de dialogues, d’échange d’information et d’expériences ». Pour elle, les ONG et les organismes internationaux peuvent aller au delà des institution publiques, c’est-à-dire agir où le gouvernement ne peut pas. 201 Nazareth Porras , chargée de projet à l’UICN, évoque plutôt leur rôle de « médiatrices » 202 entre la société civile et les gouvernements. A son tour, Guillermo Chacón , consultant de l’Alliance Publique Privée (APP), affirme qu’il faut différencier entres les ONG locales qui sont plus proches des organisations de base et des villages, et les ONG internationales qui sont pour lui plus « clientélistes ». Pour lui, les organisations comme l’APP, TNC ou l’UICN sont souvent des intermédiaires mais entre les fonds privés, les ressources des Etats et les 198 En prenant en compte les différents projets de coopération, les dons et les prêts de la BID. Nous n’incluant pas ici le budget des Programmes de Parcs en dangers ni ceux de BRIDGE parce que nous avons pas les données exactes de ce qu’a été investie sur ce bassin. 199 Entretien réalisé le 28 août 2012 aux bureaux de l’UICN à San Pedro, Costa Rica 200 Entretien réalisé le 21 juin 2012 aux bureaux de l’UICN à San Pedro, Costa Rica 201 Entretien réalisé le 31 juillet 2012 aux bureaux de l’UICN à San Pedro, Costa Rica 202 Entretien réalisé le 3 juillet 2012 à la Mairie de Talamanca, Costa Rica 313 203 habitants des villages. Cependant, Karla Murillo de l’ONG locale Corridor Biologique, affirme que « les ONG internationales sont les vraies gestionnaires des projets » même si elles disent que ces projets sont conçus de façon « participative ». Après l’examen de ces projets portés par ces acteurs exogènes et suite aux entretiens réalisés pendant les années 2011 et 2012 à différents types d’acteurs comme des représentants des ONG locales et internationales, syndicats, coopératives, chercheurs, fonctionnaires (Ministères d’Environnement, Mairie, institutions de gestion du risque, entre autres), autorités 204 indigènes, entre autres , nous avons constaté que les organisations internationales et les ONG internationales sont très présentes et ont un rôle très important dans la gestion transfrontalière du bassin Sixaola. Il convient de préciser que les Etats ont d’importantes limites juridiques, bureaucratiques et diplomatiques qui rendent difficile la mise en place d’actions de façon conjointe ainsi que l’investissement des ressources ailleurs que sur leur territoire national. Les acteurs exogènes se présentent comme ceux qui peuvent mettre en place des actions de coopération transfrontalière sans les contraintes des Etats, ils peuvent investir des fonds des deux côtés de la frontière et coordonner des actions de coopération transfrontalière sans mettre en risque la souveraineté des Etats, au moins dans le plan formel. Ana Lucia Moreno coordinatrice du Projet Alliance Publique Privée, affirme lors de notre entretien qu’un projet mis en place sur une région frontalière permet d’avoir un impact de façon simultanée sur deux pays, ce que les bailleurs de fonds perçoivent comme étant positif. D’ailleurs, elle ajoute que « le Costa Rica risque de ne pas recevoir de l’aide financière de la coopération à cause de ses bons indicateurs sociaux-économiques. Par exemple la GIZ ne peut pas intervenir au Costa Rica, c’est pour cette raison que on a cherché à soutenir la conservation de l’environnement sur cette zone de 205 frontière, sinon le projet n’aurait pas pu être possible » . Par ailleurs, il faut souligner que la majorité des actions de développement et de coopération qui se mettent en place sur ce bassin (cf. Carte 17) traitent des questions liées à la conservation de l’environnement, l’éducation environnementale, la récupération d’écosystème clés (reboisement du bassin), la gestion du risque et l’encouragement d’activités productives durables comme les fermes intégrales et la production de cacao issu de l’agriculture 203 Entretien réalisé le 2 juillet 2012 aux Bureaux du Corridor Biologique Talamanca Caribe à Hone Creek Talamanca. 204 La liste des personnes interrogées ainsi que le questionnaire utilisé peuvent être consulter dans les annexes 8 et 9 et 10 et 11 205 Entretien réalisé le 8 septembre 2011 dans le bureau de l’organisation Ruta à San Pedro Costa Rica 314 biologique. L’environnement serait ainsi un sujet qui permet de coopérer et qui articule une diversité d’acteurs. Lors des entretiens, nous avons demandé quels étaient les acteurs considérés comme étant les plus actifs en matière de conservation de l’environnement, c’est- à-dire, ceux qui étaient perçus comme étant les plus présents et ayant le plus de visibilité. Le graphique de la figure 15, représente le réseau des acteurs considérés par les personnes interrogées comme étant les plus actifs, les plus présents et ceux qui disposent de la plus 206 importante visibilité en matière de conservation sur le bassin du Sixaola . La taille des cercles est proportionnelle au nombre de fois que les acteurs ont été évoqués comme les « plus actifs » lors des entretiens. Les flèches grises représentent les relations unidirectionnelles entre ces acteurs et les noires les relations qui sont réciproques, c’est-à-dire ces acteurs se considèrent mutuellement comme les plus actifs. Et les flèches circulaires représentent les acteurs qui se sont mentionnés eux-mêmes comme les acteurs les plus actifs. Un premier constat à l’analyse de ce graphique est que les acteurs les plus actifs ne sont ni les institutions des Etats (ministères et instituions publiques) ni les mairies, mais une organisation internationale (l’UICN) et une ONG locale (le Corridor Biologique Talamanca Caribe). La reconnaissance de l’UICN comme un acteur actif peut s’expliquer d’abord par la trajectoire que cette organisation a sur cette région frontalière. Comment nous l’avons déjà souligné, l’UICN travaille sur ce bassin depuis 1999 à travers le projet Alianzas, le projet Bonne Gestion de l’Eau et Adaptation au Changement Climatique et le projet Bâtir le Dialogue et la Gouvernance autour des cours d’eau (BRIDGE). En outre, depuis 2009, l’UICN a ouvert une antenne à Hone Creek dans les bureaux du Corridor Biologique, ce que lui permet d’avoir une présence locale perceptible par les différents acteurs. Cette visibilité peut aussi s’expliquer par l’investissement que cette organisation fait en médiatisation. Les organisations environnementalistes comme TNC et l’UICN ont des unités de communication qui se chargent de diffuser les actions de l’organisation. Ceci est très courant dans le cas des organisations environnementales, d’autant qu’un de leurs objectifs est souvent la sensibilisation et la diffusion d’information (Ryfman, 2010, p. 42). C’est ainsi qu’elles produisent de nombreux matériaux imprimés et audiovisuels, ainsi que des signes extérieurs distinctifs pour mettre en évidence leur présence : utilisation de la part des équipes techniques de chemises avec le logo de l’organisation, utilisation d’autocollants sur les voitures officielles avec le nom de l’organisation ou du projet, etc. 206 La méthodologie qui explique comment nous avons produit les données nécesaire pour construiré ces réseau d’acteurs a été présentée dans l’introduction de cette thèse 315 Figure 15 : Réseau d’acteurs perçus comme les plus actifs au bassin du fleuve Sixaola 316 Le cas du Corridor Biologique Talamanca Caribe est particulièrement intéressant car, comme nous l’avons déjà évoqué, de nombreuses actions conçues par l’UICN et par le Projet Binational BID-FEM sont mises en place par le Corridor Biologique. Cette ONG est non seulement membre de l’UICN, mais elle a aussi participé de façon privilégiée aux différents projets entrepris, parfois en recevant de l’aide financière de la coopération internationale, parfois comme exécutrice de nombreuses actions proposées par ces organisations. Elle est ainsi l’organisation qui porte et représente les intérêts de ces projets dans ce bassin. Le Corridor Biologique est ainsi l’ONG locale qui est perçue par les acteurs de base comme la plus active, puisqu’elle joue un rôle d’intermédiaire entre les organisations internationales et les acteurs locaux. La figure 16 nous présente le sociogramme des organisations qui sont perçues comme les plus influentes par les acteurs interrogés, c’est-à-dire celles qui ont plus de capacités de mettre en place des actions de plaidoyer. Le BID-FEM Sixaola, est un projet « mixte », c’est-à-dire que sa gestion est partagée entre la Banque Interaméricaine de Développement (BID) et les autorités environnementales gouvernementales des deux pays avec des ressources du FEM. Il n’est pas étonnant que ce projet soit considéré comme le plus influent. Ce projet, en réalité dirigé par la BID, a la particularité d’être transfrontalier, car il met en place des actions de plaidoyer des deux côtés de la frontière. Sa capacité d’influence est telle qu’il a participé à créer au sein des municipalités concernées des Unités Environnementales qui répondent directement au projet. Il convient de remarquer que le plan d’action de ces Unités a été construit en fonction des intérêts du projet. 207 Nous avons interrogé Mauricio Santos , représentant de l’Unité Environnementale de 208 Changuinola, et Rocio Fallas , coordinatrice de l’Unité Environnementale de Talamanca au Costa Rica. Les deux ont déclaré que les ressources de ces deux unités provenaient des projets de la BID. Ce sont les projets de la BID qui ont défini le plan de travail de ces Unités, même si Rocio Fallas affirme que leur plan d’action répond aussi au Plan Municipal 2010. Cependant, ce plan même a été construit avec la participation de l’ONG Corridor Biologique et des représentants des projets portés par la BID. 207 Entretien réalisé le 11 juillet 2012 à la Mairie de Changuinola, Panamá 208 Entretien réalisé 10 juillet 2012 à la Mairie de Talamanca, Costa Rica 317 Figure 16 Réseau d’acteurs perçus comme les plus influents 318 On remarque également que les autorités indigènes sont aussi perçues comme influentes. Marietta Fonseca, du Projet BID-FEM, a même évoqué que sans la participation des organisations indigènes, il était difficile de mettre en place un projet sur cette frontière. ADITICA et ADITIBRI sont des autorités indigènes costariciennes qui sont autonomes et représentent les intérêts de groupes indigènes qui résident dans ces territoires. Ces autorités n’existent cependant que du côté costaricien et pas du côté panaméen de la frontière. Elles sont prises en compte non seulement parce qu’elles mobilisent des territoires indigènes, mais aussi parce que les bailleurs de fonds insistent sur leur inclusion dans les projets, notamment dans les stratégies liées au développement et à la lutte contre la pauvreté. Il faut souligner aussi que le Corridor apparaît encore une fois comme une des organisations les plus influentes, ce qui peut s’expliquer par son histoire de lutte et de résistances. Cette ONG a une longue trajectoire de lutte, notamment contre l’exploration et l’exploitation pétrolière dans la Caraïbe Sud (Rodriguez, 2004), contre l’installation d’une marina à Puerto Viejo, ou encore contre l’Accord de libre Echange avec les Etats-Unis. Elle a aussi été un acteur clé dans les dénonciations de corruption faites contre la Mairie de Talamanca et a pris position en faveur du respect des territoires indigènes. Le Corridor Biologique est ainsi une organisation non seulement très active mais aussi très présente dans la vie politique de cette région de frontière. En effet, le Corridor est reconnu comme un acteur contestataire, mais aussi comme un acteur qui participe à des espaces de participation plus formels, comme les assemblées organisées par la Mairie de Talamanca ou les Consortiums et Commissions transfrontalières des projets de l’UICN. 2.2. Bassin du fleuve San Juan, une coopération discrète dans un contexte conflictuel Les premières agences de coopération qui se sont intéressé à l’isthme et aux frontières après le processus de paix étaient des agences de coopération qui voulaient faire face au grand nombre de personnes qui avaient été déplacées par les conflits armés des années 1980. Les régions de frontières étaient devenues des régions réceptrices de réfugiés et une fois la paix instaurée, le retour des déplacés provoquait d’importants conflits agraires. Des organisations internationales et des agences de coopération comme ACNUR, PNUD, DANIDA, GTZ et la coopération européenne ont montré leur intérêt pour le bassin du fleuve San Juan et l’ont défini comme un lieu prioritaire pour la coopération (Girot & Granados, 1997, p. 295) 319 Ensuite, pendant les années 1990-2000, des initiatives comme le Système d’Aires Protégées 209 pour la Paix (SIAPAZ) ou le projet Pro-Cuenca , se sont mises en place sur le bassin du fleuve San Juan. Même si ces deux projets avaient des approches différentes, puisque le SIAPAZ percevait la conservation à travers les aires protégées et le projet Pro-Cuenca suivait plutôt une approche de gestion par bassin, tous deux ont essayé à partir de la conservation de l’environnement de mettre en place des processus de coopération transfrontalière et binationale. Plus récemment, pendant les années 2000, nous avons pu identifier l’émergence de nombreux projets qui avaient une approche transfrontalière. Cependant, progressivement et suite à l’émergence d’une série de conflits binationaux entre le Costa Rica et le Nicaragua, la coopération transfrontalière est devenue de plus en plus difficile à mettre en oeuvre. Malgré une diminution de l’intensité de la coopération internationale sur cette frontière, évoquée par les acteurs interrogés, des projets beaucoup plus « timides » et à une échelle plus nationale se mettent en place, et sont encouragés par des acteurs exogènes qui gardent comme objectif la conservation de l’environnement. Ces projets seront maintenant analysés, en présentant leurs objectifs, leurs moyens de financement, leurs zones d’application, afin d’expliquer comment ils arrivent à mettre en place leurs actions en dépit de ce contexte conflictuel. Le tableau 22 résume les projets qui ont été identifiés sur ce bassin durant les années 2000. 209 Le Projet Pro-Cuenca a été mis en place par le Ministère de l’Environnement et Energie (MINAE) costaricien et le Ministère des Ressources Natures et de l’Environnement (MARENA) du Nicaragua, et ses ressources proviennent du Fond de l’Environnement Mondial du PNUD et de l’OEA. Ce projet s’est mis en place sur le bassin du fleuve San Juan et il a cherché à formuler un Plan Stratégique d’Action pour la Gestion Intégrée des Ressources Hydriques et le Développement Durable du Bassin pour ainsi garantir la qualité des ressources hydriques. http://www.oas.org/sanjuan/spanish/sobre/documento_proyecto/fundamento.html. 320 Tableau 22 Projets de coopération à échelle locale et frontalière entre le Costa Rica et le Nicaragua Projets Acteurs qui Source de Description du Projet Echelle (locale, interviennent financement nationale ou transfrontalièr e) Projet « Alianzas » Le bureau régional Gouvernement Ce programme s’est intéressé à trois aires Transfrontalière pour la Mésoamérique norvégien transfrontalières en Amérique Centrale : le Alliances Solidaires de l’UICN Budget total du bassin du fleuve Paz (Guatemala – El pour la gestion Organisations projet : 4,3 Salvador), le bassin du fleuve San Juan territoriale durable en membres de l’UICN : millions $ (Nicaragua - Costa Rica), ainsi que le Amérique Centrale Corridor Biologique jusqu'en 2008 et bassin du fleuve Sixaola (Costa Rica – Talamanca-Caribe, dans sa Panamá). Son principal objectif est de 2004-2011 Fondation Natura, deuxième phase sensibiliser des populations à la durabilité Panamá Vert, entre 1.4 millions $ de leurs ressources naturelles et autres. de 2008 à 2011 d’améliorer la qualité de vie de ces mêmes populations. Ce projet cherche à multiplier les alliances entre acteurs locaux afin qu’ils influencent les politiques publiques locales et nationales dans le sens d’un usage plus responsable des ressources naturelles. Foires de la Santé Mairie d’Upala Fonds des Sans doute la seule action inter Transfrontalièr Nations Unies institutionnelle et de coopération e Depuis 1997 Fondation pour la transfrontalière qui se met encore en place 210 Cenderos Population dans cette zone de frontière. (UNFPA) Ces foires cherchent à partir d’activités Réseau de jeunes ludiques et culturelles, à rapprocher les transfrontaliers Agence habitants frontaliers. Espagnole de Elles apportent des services de santé Hôpital de Upala Coopération (médecine générale, gynécologie et Internationale odontologie) à des populations qui par leur Volontaires (AECID) isolement et leur marginalisation n’ont pas accès normalement à ces services. Cenderos Développement Local Fondation pour le AECID Ce Projet a défini comme zone prioritaire Nationale (mis et renforcement des Développement la zone nord du Costa Rica frontalière en place mairies de la zone Nord Municipal 183.000 Euros avec le Nicaragua, spécifiquement les seulement du du Costa Rica (FUNDEMUCA) Mairies de « cantons » de Upala, de Guatuso et de côté Début 2011- jusqu’à Coopération Upala, Los Los Chiles. FUNDEMUCA a développé costaricien) aujourd’hui espagnole Chiles et un programme de formation avec les Guatuso maires et parallèlement réalisé un Mairies de Upala, Los diagnostic de la zone. La mise en place de Chiles et Guatuso plans régulateurs des collectivités locales de Guatuso, Upala et los Chiles (Plans régulateurs municipaux) est ressorti comme une des principales nécessités de ces cantons. FUNDEMUCA a donc mis en place un processus participatif pour le développement de ces plans, en faisant appel à des experts comme à des consultants externes. Projet Binational Costa UNFPA UNFPA Ce projet mis en place par l’UNPFA au Transfrontalièr Rica- Nicaragua Cenderos Nicaragua et au Costa Rica, avec les ONG e 210 ONG qui travaille pour la protection des droits des populations migrantes et des habitants de la frontière Costa Rica-Nicaragua. 321 Projets Acteurs qui Source de Description du Projet Echelle (locale, interviennent financement nationale ou transfrontalièr e) Projet “Promotion de CEPS et CENDEROS, cherche à améliorer la Santé Sexuelle et le respect des droits humains des reproductive (SSR), populations migrantes ainsi que des prévention du VIH et populations transfrontalières. de la violence de genre Ce projet cherche à créer les conditions dans les populations favorables pour le respect de droits de ces migrantes populations. Il promeut la sensibilisation particulièrement envers en matière de droits sexuels et reproductifs les femmes et les et la création de capacités dans ces 211 jeunes” populations pour influencer les preneurs Depuis 2007 de décisions. Il essaie aussi d’augmenter et de rendre plus accessibles les services de santé en appuyant les « foires de la Santé ». Il encourage aussi la création de plusieurs réseaux d’acteurs, plus particulièrement le 212 réseau de jeunes transfrontaliers. Projet « Communautés Fondation pour la Donation de 2,2 Ce projet est entrain de se mettre en place Binationale côtières et changement Paix et la Démocratie millions € dans 5 communautés différentes en mais pas climatique » connu (FUNPADEM) Union Amérique Centrale et a une durée de 33 transfrontalièr aussi comme Projet Européenne mois. e « Manos a la costa » INBIO Il propose des actions d’adaptation face au (Mains à la côte) changement climatique dans les villages 213Fundación del Río de San Carlos, El Castillo, Macaroncito Début 2012 (au Nicaragua), les Guatuzos, Medio Fin 2015 Queso et Tortuguero (au Costa Rica). Son objectif est d’augmenter les capacités de réponse de ces villages, qui actuellement sont très vulnérables, face au changement climatique. Il prévoit des actions de récupération (reboisement, nettoyage des rivières, etc). Le projet prévoit trois types d’actions: 1. Dialogue 2. Diagnostic pour définir les besoins prioritaires et 3. Fonds d’inversion pour financer des projets proposés par les habitants de ces villages. Projet Intégral de Fondation Araucaria Agence Ce projet transfrontalier cherchait à Transfrontalière Gestion Durable du Espagnole de promouvoir la gestion du bassin du fleuve Capital Naturel du INBIO Coopération Rio Frio qui fait partie du bassin du fleuve bassin du fleuve « Río Internationale San Juan. Il a mis en place des actions de Frío » 400.000 € conservation des marécages de Medio 2008-2012 Queso et de Caño Negro. Ce projet a financé plusieurs recherches pour connaître l’état des nappes phréatiques transfrontalières avec l’UCR. Source : Documents des projets et entretiens réalisés. 211 “Promoción de la Salud Sexual y Reproductiva (SSR), incluida la prevención del VIH y la violencia en género, en poblaciones migrantes, particularmente mujeres y jóvenes” 212 http://unfpa.or.cr/poblacion-y-desarrollo/personas-migrantes/proyecto-binacional-costa-rica-nicaragua 213 ONG 322 2.2.1. Projets de coopération encouragés par des acteurs exogènes : Projets Alianzas de l’UICN et « Manos a la Costa » (ONG internationales, UICN, FUNDEMUCA et FUNPADEM, INBIO, etc.) Nous analyserons ici les projets qui cherchent à promouvoir la gestion et la conservation de l’environnement sur le bassin du fleuve San Juan et sont encouragés par des acteurs exogènes à la région, c’est-à-dire des acteurs internationaux ou nationaux qui ne sont pas originaires à cette région frontalière comme c’est le cas de la Fondation pour la Paix et la Démocratie (FUNPADEM) qui est costaricienne mais exogène à la région frontalière. Nous démontrerons que ces projets ne sont pas véritablement transfrontaliers et que les organisations évitent d’ailleurs soigneusement l’utilisation de ce terme, et que ceci est une conséquence directe des tensions diplomatiques existantes entre le Costa Rica et Nicaragua. 2.2.1.1. Projet Alliances Solidaires pour la gestion territoriale durable en Amérique Centrale L’UICN a défini comme Aire de Conservation Géographique le bassin du fleuve San Juan et a mis en place le Projet Alianzas des deux côtés de la frontière, à San Carlos, San Miguelito et El Castillo au Nicaragua, et à Los Chiles, Upala et Guatuso au Costa Rica. Les activités du projet Alianzas sur le bassin du fleuve Sixaola ayant déjà été décrites en détail plus haut, nous nous contenterons donc ici de présenter les actions qui ont été entreprises par ce même projet sur le bassin du fleuve San Juan. A partir de l’année 2004, le projet Alianzas a créé deux Consortiums sur ce bassin : l’Alliance 214 Los Humedales du côté costaricien et le Consortium El Gaspar du côté nicaraguayen. Les principales préoccupations environnementales de ces deux consortiums portaient d’une part sur la pollution des nappes phréatiques et du Lac du Nicaragua par les grandes entreprises d’ananas, d’agrumes, de riz et d’élevage, notamment à cause de l’utilisation de produits chimiques et de pesticides ; d’autre part sur l’importante érosion que ces activités agricoles étaient aussi en train de produire autour du fleuve San Juan, apportant des sédiments plus nombreux vers le Lac du Nicaragua, changeant sa composition et son niveau d’eau, et mettant ainsi en péril les écosystèmes lacustres. 214 Les marécages 323 Ces deux consortiums ont ensuite créé en 2006 la Commission Transfrontalière Río San Juan. Il convient de préciser que du côté costaricien (Los Chiles, Upala et Guatuso), il n’y avait pas une présence importante d’ONG locales et le projet ne comptait par sur l’appui des gouvernements locaux, lesquels étaient plutôt favorables à l’installation de grandes entreprises agricoles transnationales. Les acteurs qui se sont engagés dans cette Commission, étaient plus liés au secteur primaire, comme l’Union de Petits Producteurs de Los Chiles, des associations de femmes productrices de poivre et d’arbres pour le reboisement et la 215 Coopérative Agricole Llano Azul . Au contraire, du côté nicaraguayen, la population était plus politisée, il y avait une forte présence d’ONG locales comme la Fondation du Fleuve et FUNDEVERDE et le projet avait le soutien de la Mairie de San Carlos. En plus, ils comptaient sur la participation de l’Union de Pêcheurs Artisanaux de San Carlos ainsi que des groupes de jeunes environnementalistes comme Eco Juventud. ère L’activité la plus importante qui a été entreprise par cette Commission a été la 1 Rencontre Binationale de Maires, des Institutions publiques et de la Société Civile Nicaragua-Costa Rica le 18 octobre 2007, pour laquelle La Commission Transfrontalière a réussi à réunir le maire de San Carlos au Nicaragua, Marisol Macrea, et le maire de Los Chiles au Costa Rica, Santiago Millon, ainsi que la police, l’armée nicaraguayenne, les fonctionnaires des douanes et les consuls. La Commission a profité de cette réunion surtout pour dénoncer la situation de pollution des marécages, des nappes phréatiques et la présence de sédiments dans le lac du Nicaragua, et leur impact sur la pêche. Les maires ont produit une déclaration conjointe (c.f. Annexe 12) où ils s’engagent à encourager un rapprochement des mairies, avec des réunions périodiques, ainsi qu’à renforcer les institutions localisées sur cette frontière (douanes, ministères…) et à mettre en place une investigation judiciaire sur les délits environnementaux que cette Commission avait dénoncés. Cependant, après la signature de la déclaration et suite aux conflits binationaux qui se sont déclenchés postérieurement, celle-ci n’a eu aucun effet concret. Avec l’accompagnement technique de l’UICN, la Commission a aussi signé la Charte du fleuve San Juan en définissant comme sujets clés, 1. La gestion du risque, 2. La lutte contre la pollution produite par les monocultures, 3. Le besoin d’encourager la participation d’acteurs locaux et 4. La nécessité d’engager les institutions politiques et les gouvernements locaux 215 Le mouvement coopératif est au Costa Rica très important du point de vue politique. Le secteur coopératif est considéré comme un moteur du développement local. Il est très présent dans la zone nord et met en place tout un système de production basé sur l’économie sociale et solidaire. Les producteurs sont des associés de la coopérative, ils participent aux décisions administratives et politiques de la coopérative. En plus les bénéfices sont répartis de façon équitable. 324 dans la protection de l’environnement. Cette lettre a été rendue publique pendant le Concert du « Rio Infinito » à San Carlos Nicaragua et a été diffusée à de nombreuses institutions (Rodriguez, 2009, p. 38). Le Concert de l’Orchestre du « Rio Infinito » en 2007, a été organisé avec la collaboration directe de la Mairie de Los Chiles au Costa Rica et la Mairie de San Carlos au Nicaragua (cf. Photographie 28). Ce concert a mobilisé des nombreuses 216 organisations internationales comme HIVOS , l’Union Internationale pour la Conservation 217 de la Nature et AVINA et avait pour objectif d’encourager la coopération politique à travers l’échange culturel sur cette région frontalière. Le slogan évoquait un fleuve éternel qui unit plus qu’il ne sépare, métaphore pertinente pour une région où le fleuve San Juan a toujours été l’objet de passions et de conflits. Il convient aussi de remarquer que la Commission Transfrontalière a réussi à être reconnue comme un acteur clé par la Commission Binationale Costa Rica –Nicaragua, puisqu’elle a été invitée comme représentante de la société civile lors de la réunion de cette Commission Binationale le 13 et 14 mars 2008 à Granada, au Nicaragua. Photographie 28 Affiche du Concert de l’Orchestre du Rio Infinito à San Carlos de Nicaragua 216 HIVOS est une organisation internationale pour le développement d’origine hollandaise, crée en 1968. 217 AVINA a été créée en 1994 par l’entrepreneur suisse Stephan Schmidheiny. Cette fondation est financée par un « trust fund » qui relie des fonds d’entreprises privés et des organisations philanthropiques pour encourager le développement soutenable 325 2.2.1.2 Projet intégral de gestion durable du capital naturel du bassin du fleuve « Río Frío » Ce projet couramment connu comme le Projet Río Frío n’est pas un projet transfrontalier puisqu’il n’est mis en place que du côté costaricien, à Guatuso et à Los Chiles, les cantons 218 situés dans l’aire du bassin du Rio Frio. Cependant, très rapidement selon Elena Galante , coordinatrice du Projet, les porteurs du projet ont dû intégrer le municipe d’Upala qui était en dehors de la zone d’influence du bassin, parce qu’ils ont réalisé que ces circonscriptions étaient connectées par des dynamiques économiques, politiques et sociales qui étaient indissociables et que pour mettre en place un processus d’aménagement du territoire, comme ils désiraient le faire, « ils devaient sortir du bassin ». Ce projet a commencé en juillet 2007 avec la réalisation d’un diagnostic et de réunions de présentation du projet avec des acteurs locaux. Il a démarré réellement ensuite en 2008 et s’est poursuivi jusqu’en février 2012 (INBIO & AECID, 2011, p. 1). Les responsables de son exécution étaient l’Institut National de Biodiversité (INBIO) du Costa Rica, qui est à la fois un centre de recherche et une ONG, et l’Agence Espagnole de Coopération Internationale pour le Développement (AECID). L’objectif de ce projet était « d’améliorer la qualité de vie et de réduire la vulnérabilité sociale, économique et environnementale des habitants du bassin du río Frio à travers l’aménagement du territoire orienté à la durabilité des biens et services environnementaux » (INBIO & AECID, 2011, p. 2). Ces principaux axes étaient 1. L’aménagement du territoire et 2. Le développement de compétences en conservation de l’environnement, avec une particulière attention sur la gestion de l’eau et la participation des populations indigènes Maleku. Le projet ne proposait pas d’activités productives et ses actions en conservation étaient très limitées, étant ainsi un projet plus orienté vers le renforcement institutionnel et l’aménagement. C’est pour cette raison que ses actions ont été majoritairement dirigées vers les gouvernements locaux, le Ministère de l’Environnement et le Système des Aires Protégées. Alors que le processus de sensibilisation a été lui plutôt dirigé vers les acteurs locaux, notamment les associations de paysans ou les associations de femmes. Même si le sous-bassin du río Frio fait partie du bassin du fleuve San Juan, les actions de coopération avec le Nicaragua ont été très réduites et n’ont jamais été prioritaires pour ce projet. E. Galante affirme qu’il ont même essayé de se rapprocher du Ministère de 218 Entretien réalisé le 7 septembre 2011 à l’INBIO, Heredia, Costa Rica. 326 l’Environnement et Ressources Naturelles (MARENA) du Nicaragua, mais en raison de l’intensification du conflit binational entre le Costa Rica et le Nicaragua, le Projet Rio Frio a été obligés d’abandonner cette tentative. Néanmoins, E. Galante affirme que pour la coopération espagnole, la question frontalière avait été perçue comme « appétissante » et que c’est aussi pour cela qu’en 2005 la Coopération espagnole à travers le projet Araucaria avait défini la Zone nord du Costa Rica comme prioritaire (INBIO & AECID, 2011, p. 1). Il convient de préciser que même s’ils avaient initialement prévu de mettre en place un projet de gestion du bassin, ils ont très rapidement abandonné l’approche par bassin et ont pris comme repère les divisions administratives en focalisant leurs actions sur les municipes de Upala, de Guatuso et de Los Chiles. 2.2.1.3. Projet Communautés côtières et changement climatique, connu aussi comme Projet Manos a la costa 219 Ce projet couramment connu comme Manos a la Costa , ce qui signifie « Mains sur la Côte », cherche à mettre en place des projets en adaptation au changement climatique soit dans des villages riverains, soit dans des villages côtiers en Amérique Centrale. L’objectif central est de renforcer les capacités et les compétences des populations côtières qui sont les plus vulnérables en Amérique Centrale pour faire face au changement climatique à travers l’identification d’actions d’adaptation et de mitigation. Ce projet est porté par la Fondation pour la Paix et la Démocratie (FUNPADEM) qui avait déjà mis en place des actions sur cette frontière antérieurement, dont le Projet de Coopération Transfrontalière financé par la Fondation Ford en 1997 (Matul, 2007, p. 85). Ce premier projet a été mis en place avec la collaboration de l’Unité de Frontières de l’Université du Costa Rica et avait comme objectif d’identifier des initiatives gouvernementales qui encouragent le développement frontalier et les différencier des initiatives qui sont portées par des acteurs locaux. Manos a la costa est un projet qui a été mis en place par la FUNPADEM avec l’Institut Nationale de Biodiversité (INBIO) (deux ONG nationales costariciennes), cette fois-ci avec le financement de l’Union européenne. Le budget d’un montant de 2,2 millions d’euros était destiné à mettre en place des actions dans cinq pays pour une durée de 33 mois (date de finalisation 2015). Les zones choisies ont été identifiées en prenant comme référence les 327 modèles climatiques établis par le Projet Renforcement des Capacités pour la Phase II d’Adaptation au Changement Climatique en Amérique centrale et au Mexique (CATHALAC- PNUD-FEM), projet financé par le Programme des Nations Unies et le Fonds pour 220 l’Environnement Mondial (FEM) (Projet Manos a la Costa, 2010 ). Ils ont ainsi identifié 14 villages dans cinq pays (cf. Carte 16) : - Guatemala : Machaquita Chiclero y San Francisco del Mar (Département de Izabal). - El Salvador : Los Cóbanos (Département de Sonsonante) et Barra de Santiago (Département de Ahuachapán) - Nicaragua : San Carlos et El Castillo (Département de Río San Juan) - Costa Rica : Barra del Colorado et Barra de Tortuguero (Province de Limón) - Panamá : Fleuve Sidra et Cartí, Comarque Kuna Yala. - Les actions prévues par ce projet peuvent s’organiser en trois phases: 1.la première a consisté en la mise en place d’un « dialogue social », avec les acteurs locaux, pour les sensibiliser sur le changement climatique à travers des ateliers, 2. Par la suite ce projet a établi un diagnostic sur les caractéristiques sociopolitiques des villages, ainsi que les caractéristiques et l’état des écosystèmes. Ce diagnostic a permis l’élaboration d’un plan d’action qui établit une série de propositions de projets. 3. Finalement, le projet a mis en place un fonds d’investissement pour que les acteurs locaux puissent entrer sur le marché et financer ainsi des projets d’adaptation. En 2012, lors de notre dernier terrain, ce projet avait développé un diagnostic sur l’état des écosystèmes des villages en question, cependant les projets qui devaient être financés par les fonds d’investissement, n’avaient pas commencé à se mettre en place. 2.2.1.4. Projet Costa Rica de la Fondation pour le Développement Municipal (FUNDEMUCA) FUNDEMUCA se présente comme « un instrument technique et financier de l’Agence Espagnole de Coopération Internationale pour le Développement (AECID) », ce qui veut dire que c’est à la fois un organisme qui finance des projets et qui met en place des actions de coopération technique à travers la conception de stratégies et de projets nationaux et régionaux qui cherchent l’amélioration de la gestion municipale et d’autres formes 221 d’organisation . Il a un budget de €183.000 et une durée de 32 mois à partir d’avril 2011. 220 Site web de la FUNPADEM : http://www.funpadem.org/Project/detail/13 221 http://www.demuca.org/index.php?option=com_content&view=article&id=180&Itemid=118 328 FUNDEMUCA coordonne des actions de renforcement des municipalités au Panamá, au Costa Rica, au Salvador, au Guatemala et en République Dominicaine. Le projet que la fondation développe au Costa Rica a été mis en place dans la Zone nord du pays (Upala, Los Chiles et Guatuso) et est centré sur le renforcement institutionnel des autorités locales et la création de fédérations de gouvernements locaux. Il encourage la décentralisation municipale et le développement local. Sa stratégie consiste en la formation en gestion publique locale des fonctionnaires des mairies pour qu’ils puissent produire des politiques sociales et territoriales qui améliorent les conditions de sécurité et d’équité des municipes. Les formations incluent des débats autour des questions de genre, d’équité et de multiculturalisme (FUNDEMUCA, 2014). Même si le projet est national et qu’il ne prévoit pas d’actions de coopération transfrontalière, nous avons décidé de le considérer car il soutient des actions de coopération avec le Nicaragua qui sont portées par d’autres acteurs comme la Mairie d’Upala, qui organise de façon informelle des Foires de la Santé. 329 Carte 18 Localisation des antennes et bureaux d’acteurs collectifs sur le bassin du fleuve San Juan Source : Documents des projets et programmes CCAD, Carte du bassin du Sixaola, 2006 Auteurs: Tania Rodriguez et Huberth Vargas, 2014 330 Carte 19 Localisation des périmètres et des lieux d’application des projets de coopération transfrontalière sur le bassin du fleuve San Juan Source : Documents des projets et programmes CCAD, Carte du bassin du Sixaola, 2006 Auteurs: Tania Rodriguez et Huberth Vargas, 2014 331 2.2.2. L’abandon de la coopération transfrontalière dans le bassin du fleuve San Juan ? Les projets de coopération en matière environnementale sur le bassin du fleuve San Juan sont moins nombreux et ils investissent moins de ressources que ceux qui sont mis en place sur le bassin du fleuve Sixaola. Selon le MIDEPLAN (Costa Rica), la totalité de la coopération internationale investie sur la région frontalière Costa Rica-Nicaragua pour l’année 2009 avait été de US$ 12 895 891 (MIDEPLAN, 2009, p. 34) contre US$ 259 617 282 investis sur la région frontalière entre le Costa Rica et le Panamá en 2010 (MIDEPLAN, 2010, p. 45). Le pays qui octroie le plus de ressources à ces villages frontaliers de la zone nord du Costa Rica est l’Espagne avec 3 456 000 d’euros (MIDEPLAN, 2009, p. 34). Il faut souligner qu’après la finalisation du projet Alianzas de l’UICN, les projets en matière d’environnement sur ce bassin ont renoncé à mettre en place des actions de coopération 222 transfrontalière. Antonio Ruiz , directeur de la Fondation du Río, affirme que depuis trois ans (2010-2011), la coopération internationale s’est éloignée de cette région frontalière et les actions de coopération transfrontalière sont perçues négativement par les pouvoirs centraux. Ceci a été le cas de l’UICN, comme affirme Rocio Cordoba de l’Unité de Moyens de Subsistance et Changement Climatique. Après le projet Alianzas, cette organisation a décidé de s’éloigner de cette région frontalière à cause de sa haute conflictualité qui compromettait le bon déroulement des projets. Après l’examen de ces projets, nous pouvons constater qu’aujourd’hui ceux-ci sont conçus pour être mis en œuvre d’un seul côté de la frontière (cf. Carte 17). Dans le cas où il y a des actions de coordination avec l’autre pays, elles se font de façon informelle. Ceci a été le cas du Projet Río Frío et du Projet Manos a la Costa, initialement conçus pour être transfrontaliers et qui ont été reformulés par la suite pour n’être mis en place que d’un côté de 223 la frontière. Nous constatons avec Daniel Matul de la FUNPADEM, un éloignement entre les autorités locales du Costa Rica et celles du Nicaragua est perceptible ainsi qu’une progressive centralisation des actions de coopération dans les mains des institutions des Etats centraux. Ceci rend très difficile l’organisation d’actions de coopération transfrontalière par des organisations non gouvernementales. Les relations de proximité entre les acteurs frontaliers ont ainsi changées et pour cerner ce évolution, il convient de nous intéresser aux liens de proximité qui existent entre les acteurs 222 Entretien réalisé 23 août 2012 aux bureaux de la Fondation du fleuve San Juan, à San Carlos de Nicaragua. 223 Entretien réalisé 4 septembre 2012 aux bureaux de la FUNPADEM à Los Yoses, Costa Rica. 332 qui mettent en place des actions de coopérations sur ce bassin. Pour construire le sociogramme qui illustre les liens de proximité, nous avons interrogé les acteurs sur les organismes avec lesquels ils avaient le plus de contacts ou avec qui ils seraient prêts à travailler ? A partir de des réponses à ces questions nous avons construit un graphe qui illustre 224 les relations de proximité évoquées. L’analyse de ce réseau d’acteurs , permet d’observer que dans les cas du bassin du fleuve San Juan, il n’existe pas un véritable réseau en matière de coopération pour l’environnement sur cette frontière. La figure 17 montre des relations éclatées, divisées en micro-réseaux qui représentent des projets spécifiques qui n’interagissent pas entre eux. Il n’existe pas de relations directes entre les autorités locales et institutions politiques nicaraguayennes et costariciennes, les seules relations qui peuvent être identifiées ne sont pas directes et ont généralement comme intermédiaires soit une organisation internationale soit les ONG locales. Dans ce contexte conflictuel, nous avons considéré nécessaire de nous interroger sur les liens de confiance entre ces acteurs frontaliers. La figure 18 montre à son tour les relations de confiance qu’entretiennent les acteurs collectifs par pays (nous entendons ici les acteurs considérés comme fiables, avec lesquels les acteurs enquêtés pourraient mettre en place des relations de travail et de coopération). Son analyse permet de constater qu’entre les acteurs qui participent à la conservation de l’environnement, il n’existe pas de relations transfrontalières organisées. Le réseau de confiance nous permet d’identifier la perception de la légitimité qu’ont certains acteurs envers d’autres. Il est intéressant de constater la confiance que génère la mairie d’Upala, dont le rôle sur ce bassin en matière de conservation sera analysé plus loin. Un deuxième constat est qu’il n’y a pas de relations de confiance entre les acteurs provenant du Costa Rica et ceux du Nicaragua. Le manque de confiance entre les acteurs de part et d’autre de la frontière, crée deux réseaux séparés par la frontière qui fonctionnent de façon parallèle sans se toucher. Ceci met en évidence l’éloignement que le contexte conflictuel actuel a provoqué. Nous pouvons même affirmer que il n’existe pas des rapports transfrontaliers. Leur éloignement nous permet même de tracer une ligne de frontière entre les deux ensembles (cf. Figure 18). 224 La liste des acteurs peut être consultée dans l’annexe 9. 333 Figure 17. Réseau d’acteurs selon relations de proximité entre les acteurs qui interviennent dans la coopération pour la conservation de l’environnement sur le bassin du fleuve San Juan 334 Figure 18. Réseaux d’acteurs selon relations de « confiance » des acteurs collectifs du bassin du fleuve San Juan De manière très contrastée avec le cas du bassin du fleuve Sixaola, sur cette frontière les organisations internationales ne sont pas les acteurs considérés comme étant les plus influents, contrairement aux mairies et aux ONG locales comme nous pouvons le voir dans la figure 19. Ceci met en évidence le retrait de la présence des organisations internationales sur cette frontière, notamment à cause du conflit interétatique. 335 Figure 19. Réseau constitué autour des acteurs les plus influents sur le bassin du fleuve San Juan en matière de coopération transfrontalière pour la conservation de l’environnement 1. 336 Les Mairies se présentent comme des acteurs influents, particulièrement celles d’Upala et de Guatuso. Selon Natalia Camacho de FUNDEMUCA, ceci peut s’expliquer par la trajectoire des maires de ces deux cantons, issus d’importants mouvements sociaux. Abelino Torres, maire de Guatuso, a fait partie du mouvement paysan et est arrivé au pouvoir en tant que représentant d’un parti d’opposition, le Parti Action Citoyenne. Le maire de Upala, Alejandro Ubaü, a travaillé dans le développement des mairies et dans l’ONG Cenderos, au sein de laquelle il a encouragé des programmes de protection des droits des migrants et la création de réseaux transfrontaliers de jeunes. Ce réseau, avec les Foires de la santé sont aujourd’hui les dernières initiatives de coopération transfrontalière organisée qui se mettent en place sur ce bassin. L’analyse des trajectoires militantes a été largement étudiée depuis les recherches sur les mouvements sociaux. Il est intéressant de remarquer que les carrières des militants sont un facteur de compréhension parfois plus décisif que les facteurs structurels (Filleule et al., 2004). Ces trajectoires définissent les actions de ces acteurs et elles nous permettent aussi de voir comme les mouvements sociaux à l’échelle locale, notamment au Costa Rica, ont une tendance à s’institutionnaliser à travers la structure des partis politiques. Par ailleurs, il faut remarquer aussi la présence d’autres acteurs qui sont aujourd’hui les protagonistes sur ce bassin, comme les entreprises transnationales productrices d’ananas et d’agrumes, notamment DOLE et TICOFRUT. Ces deux entreprises possèdent d’importantes étendues de terre, notamment dans le canton de Los Chiles. Les modèles de développement soutenus par les mairies ne sont pas les même, selon Natalia Camacho, le maire de Los Chiles, Alvaro Solano, est particulièrement favorable à l’installation de ce type d’entreprises, malgré leurs impacts environnementaux. Ceci peut aussi expliquer le manque de confiance évoqué envers cette mairie lors des entretiens. Le maire de Los Chiles a ainsi des positions divergentes par rapport aux maires d’Upala et de Guatuso. D’autres acteurs qui ont été évoqués comme influents sont certains mouvements sociaux, plus particulièrement la Plateforme paysanne du territoire nord et le Front contre l’exploitation de l’ananas, qui ont entrepris un important travail de sensibilisation des habitants de cette région frontalière et ont dénoncé l’impact sur l’environnement de l’expansion de la production d’ananas et le manque de restrictions que la mairie de Los Chiles et l’Etat costaricien mettent au développement de cette activité. 337 2.3. La « recette » de la coopération pour l’environnement : analyse du contenu des projets Après l’examen de l’ensemble des projets de coopération, on peut constater que malgré les différences évidentes existantes entre ces deux bassins sur les plans politique, économique et social, il existe d’importantes similitudes dans leurs approches, méthodologies et thématiques. Il convient de remarquer que tous font appel à l’approche par les écosystèmes et évoquent l’importance de conserver les moyens de subsistance, tout en luttant contre la pauvreté. En outre, ils mettent tous en place des actions qui cherchent à réduire le risque et la vulnérabilité des habitants des régions frontalières face au changement climatique. Il est tout aussi intéressant d’apercevoir comment ces projets suivent les mêmes procédures lors de leur élaboration, que nous avons pu regrouper en cinq phases: 1. La conception du projet est généralement réalisée par des équipes de professionnels des organisations ou par des équipes de consultants embauchés pour formuler le projet. Celui-ci peut être encouragé soit par un programme ou une initiative mondiale, soit formulé dans les antennes régionales des organisations. Il est intéressant de noter que la majorité des projets sont mis en place sur différents sites, soit dans la région centroaméricaine comme le projet Alianzas de l’UICN, ou Manos a Costa de FUNPADEM, soit sur des sites d’autres continents comme le Projet BRIDGE. 2. Une fois le projet élaboré, si celui-ci ne fait pas déjà partie d’une initiative globale qui a ses propres fonds, il doit être présenté à des bailleurs pour réunir le financement nécessaire. Ces bailleurs sont soit des banques de développement (BID), des agences de coopération des pays du nord (AECID, GIZ, Coopération Norvégienne, DANIDA, entre autres), soit des organismes intergouvernementaux (PNUD, UNFPA, FEM). 3. Une fois le financement trouvé, une phase de diagnostic et de consultation se met en place avec des acteurs locaux préalablement identifiés pour incorporer au projet leurs recommandations. Ces acteurs locaux sont souvent des « alliés » ou des membres des organisations, comme dans le cas de tous les projets de l’UICN, qui a choisi les zones pour mettre en place ses projets en fonction de la présence de ses membres. 4. De façon générale, la mise en place du projet est réalisée grâce à la médiation d’acteurs locaux, en particulier des ONG locales comme le Corridor Biologique Talamanca Caribe ou la Fondation du fleuve, qui seront souvent les responsables de l’exécution des actions. Ces 338 ONG sont choisies pour leur expérience, leurs réseaux de contacts et leur légitimité à l’échelle locale. 5. Les bailleurs font des évaluations tout au long de la mise en œuvre des projets et une fois les projets terminés, ils feront appel à des consultants pour réaliser une dernière évaluation du projet. C’est ainsi que les projets suivent à peu près tous la même trajectoire de leur conception à leurs modalités de mise en oeuvre. En outre, en analysant les documents décrivant ces projets, nous constatons que les organismes internationaux proposent des actions similaires, présentées comme des « recettes à appliquer » de la même façon, sur des territoires très différents. On peut classifier les actions qu’ils proposent en quatre axes de travail : 1. Recherche : c’est généralement le premier pas proposé par les projets. L’objectif principal est celui d’établir des diagnostics sur l’état des écosystèmes et sur les besoins des populations en question. Ces recherches sont souvent menées par des consultants externes. Cette étape cherche aussi à identifier les acteurs clés qui pourront par la suite devenir des alliés. 2. Formation : tous les projets identifiés proposent des actions de formation conçues pour les acteurs locaux. Ces formations sont organisées dans la plupart des cas autour de quatre thèmes principaux : sensibilisation, activités productives, conservation de l’environnement et « lobbying politique ». Sur le thème de la conservation de l’environnement, les ONG internationales insistent sur la gestion des déchets, la gestion du risque, la gestion intégrée des bassins, et l’adaptation au changement climatique, ce dernier sujet étant présent dans tous les projets. 3. Financement d’activités productives : Les projets de l’UICN, de la BID, de la FUNPADEM et de l’AECID proposent des fonds d’investissement qui cherchent à financer des activités productives « propres et équitables » et qui promeuvent la réduction de la pauvreté et de la diminution de la vulnérabilité des populations concernées face au changement climatique. Les acteurs locaux doivent généralement se faire concurrence pour avoir accès à ces fonds et doivent parfois même embaucher des consultants pour pouvoir présenter les projets selon les formats demandés par les bailleurs. 4. Promotion de la « bonne gouvernance : ces projets (notamment ceux encouragés par l’UICN et la BID) cherchent à mettre en place des “processus de gouvernance” à travers la création de comités de bassin ou de commissions transfrontalières. Ces structures veulent promouvoir la participation d’acteurs privés et publics dans la conception de décisions collectives. Ces plateformes sont convoquées et financées par les projets et les acteurs qui 339 participent sont choisis par ces organisations. Idéalement ces structures de gouvernance doivent s’institutionnaliser et devenir des autorités de gestion de l’environnement. La gouvernance y est un sujet central. 2.4. Au-delà des projets, durabilité des actions, dépendance et apprentissages L’étude des projets pose le problème de la distinction entre ce que les responsables des projets présentent à leurs bailleurs de fonds comme étant des résultats et ce qui a été réellement atteint à l’échelle locale. Les impacts des projets sont très difficiles à non seulement à connaître mais aussi ensuite à mesurer, les critères pour les évaluer étant généralement flous et étant souvent fondés sur des indicateurs quantitatifs difficiles à interpréter, comme par exemple : « 40 femmes ont été formées à la production de cacao issu de l’agriculture biologique » ou « 5 villages bénéficient d’instruments d’adaptation pour faire face au changement climatique ». De plus, ce qui pose aussi problème au moment de déterminer les impacts de ces projets est que les termes utilisés par ces organisations internationales se caractérisent par leur manque de précision. Il n’est pas clair ni dans les projets ni dans les évaluations ce que les ces organisations et les bailleurs de fond comprennent par « former » ou « créer de capacités pour l’adaptation ». L’examen des évaluations des projets nous a conduit à nous interroger sur différents aspects : Comment se concrétisent ces résultats à l’échelle locale ? Quel est l’impact des formations dispensées ? Quelle est la durabilité de ces résultats ? De cette façon, nous avons fait appel à d’autres sources pour déterminer les impacts de ces projets, et avons confronté les résultats présentés par ces organisations internationales avec la perception que les acteurs locaux ont de ces projets. On s’aperçoit alors que le décalage est grand. Les comptes-rendus des projets présentés aux bailleurs de fonds semblent montrer souvent une image loin d’être objective. Si l’on se fie à ces documents, tous les projets semblent avoir atteint leurs objectifs et réussi à améliorer non seulement la qualité des moyens d’existence, mais aussi la qualité de vie en général des habitants de ces bassins transfrontaliers. Tous les projets affirment également avoir été participatifs et représentatifs. Cependant, après la fin de ces projets, des effets concrets sont difficilement perceptibles sur ces bassins. Nous n’avons pas pu identifier ni des ouvrages d’infrastructure issus de ces projets ni des projets productifs qui fonctionnent encore. 340 Malgré les difficultés que nous avons confronté pour déterminer les impacts de ces projets, nous avons pu constater que les organisations internationales ont souvent une plus grande capacité d’action que les Etats sur ces régions “transfrontalières”, d’abord parce qu’elles disposent de plus de budgets que les gouvernements, mais aussi parce qu’elles ne doivent pas se soumettre aux procédures diplomatiques ni à la bureaucratie propre de l’Etat pour développer un projet. Elles ont en plus la capacité d’investir des fonds dans différents pays simultanément alors que les Etats sont limités dans ce sens et ont même des interdictions d’investir en dehors de leur territoire national, dans des zones où il n’ont plus d’autorité (c’est le cas du Costa Rica). Les ONG internationales et les organismes comme la BID affirment pouvoir agir avec plus de facilité et d’efficacité. Comme ils ont moins de restrictions, ils peuvent aussi avoir accès plus facile à des fonds internationaux et investir leurs budgets sans passer par des institutions publiques régulatrices. Face à des Etats avec des budgets souvent très limités et des personnels insuffisamment formés, les ONG internationales et les OIG se présentent au contraire comme des structures hiérarchisées, disposant de ressources et d’équipements (voitures, bureaux, etc.). Elle disposent également d’un “staff” de chercheurs et d’experts internationaux qui ont les connaissances nécessaires (en tout cas dans le discours), pour agir, assumer les “vides institutionnels” ainsi que conseiller les preneurs de décisions. En ce qui concerne les questions des formations entreprises par ces organisations internationales, lors des entretiens, de nombreux acteurs locaux se sont estimés satisfaits des cours et des ateliers auxquels ils ont participé, notamment ceux qui traitaient des questions 225 liées à la gestion par bassin. Marvin Ruiz de l’association productrice de banane plantain ASOPLATUPA affirme : « L’UICN est une organisation qui nous aide, elle nous a appris ce que c’était le bassin et nous sommes passés de haïr le fleuve à cause des crues à le protéger ». Certes ces zones périphériques bénéficient largement de l’investissement de ces organisations, bien que leur présence engendre aussi une importante dépendance vis-à-vis des ressources procurées ou de l’appui technique de ces « experts ». Cette dépendance est d’autant plus dangereuse que ces projets ont une durée allant de deux à sept ans. D’après les entretiens, nous avons pu constater qu’une fois ces projets terminés, les acteurs locaux ne perpétuent pas les actions entreprises par ces organisations. La question se pose alors : qu’advient-il une fois les organismes de coopération partis ? L’organisation gérant un projet terminé quitte systématiquement la zone à moins qu’il n’y soit présent pour d’autres programmes. Et l’arrêt 225 Entretien réalisé le 10 juillet 2012 au bureaux d’ASOPLATUPA à Paraiso de Talamanca, Costa Rica 341 du projet entraîne l’arrêt des actions menées. Tel a été le cas de TNC avec « Parcs en Danger». Une fois ce projet terminé, l’organisation s’est retirée du bassin du Sixaola. Bien que les acteurs locaux aient été formés pour donner suite à ces projets, ils n’ont en général pas les ressources nécessaires pour les garder actifs. La difficulté qu’ont les populations à continuer et consolider ces actions constitue la limite majeure de ces projets. Dans le cas du projet Alianzas de l’UICN, nous avons pu constater qu’une fois le projet achevé, les initiatives productives (fermes intégrales, pépinières d’arbres pour la reboisement du bassin, gérées par des femmes des villages) et de gouvernance (les consortiums et les commissions transfrontalières) mises en place pendant les années 2004-2010 n’ont pas réussi 226 à se maintenir sur le long terme une fois que le projet terminé. Olman Varela , ancien chargé de projet d’Alianzas, affirme qu’aujourd’hui les Consortiums n’existent plus sur le bassin du fleuve San Juan, mais les organisations maintiennent les mêmes dynamiques qui existaient avant l’arrivée du projet et elles se rapprochent quand elles veulent traiter des thématiques en commun ou pour faire face à des conjonctures particulières. Ceci est le cas aussi du Consortium de Talamanca, les acteurs continuent à être en contact comme ils le faisaient avant le Projet Alianzas, mais ne s’organisent plus autour de la structure du Consortium. Ainsi, nous pouvons constater que le projet Alianzas n’a pas pu changer les dynamiques locales. Cette affirmation soulève l’insuffisante appropriation de la structure du « consortium » par les organisations locales. Ce manque d’appropriation peut s’expliquer en analysant les processus à travers lesquels sont conçus ces projets. Effectivement, ces projets ont été élaborés « ailleurs », c’est-à-dire par les équipes techniques et par des consultants depuis leurs bureaux qui sont souvent localisés dans 227 des pays du Nord ou dans les capitales. Comment nous l’avons montré lors de la description des projets, ils ont été conçus pour être appliqués sur différents sites dans le monde, comme des recettes qui ne prennent pas suffisamment en compte les particularités de chaque lieu. Par exemple le projets Alianzas voulait mettre en place le même type d’activités dans deux bassins qui avaient deux contextes politiques très différents : le bassin du fleuve Sixaola qui est considéré comme un bassin plutôt pacifique et visant à la coopération et le bassin du fleuve San Juan, lequel est marqué par les conflits binationaux. De plus, ces projets n’ont pas été conçus par les acteurs locaux et même s’ils ont été consultés a posteriori, ils sont perçus comme artificiels et exogènes. Comme l’affirme Marcelo Pacheco 226 Entretien réalisé le 19 août 2011, aux bureaux de l’UICN à Los Yoses, San Pedro, San José, Costa Rica 227 Par exemple, le siège de l’UICN est localisé à Gand, en Suisse, celui de TNC à Washington. 342 du Ministère de l’Environnement (MINAE) du Costa Rica, « les projets quand ils arrivent aux 228 territoires, ils sont déjà faits et on ne fait que nous les présenter». Wilson Campos , maire adjoint de Guatuso et leader du mouvement paysan, témoigne que ce phénomène n’est pas récent, les projets Pro-Cuenca ainsi que les projets de la coopération espagnole comme le projet Río Frío, ont toujours été développés dans les sièges de ces organisations sans une vraie participation locale et par conséquent les habitants de ces régions frontalières ne considèrent pas que leurs « vraies » problématiques locales soient représentées. Ces organisations internationales définissent quelles sont les thématiques prioritaires, ainsi que les méthodologies pour les aborder, contrôlant non seulement les agendas globaux (Robinson, 2003, p. 228), mais aussi les locaux. Nous pouvons même affirmer que les habitants et les écosystèmes constituent pour ces organisations internationales un laboratoire où elles testent leurs modèles et instruments, sous la bannière de la gouvernance de l’environnement. Il convient de souligner comme un résultat essentiel de notre recherche le fait que ces organisations comme UICN, FUNPADEM, FUNDEMUCA, TNC, APP et AECID ont créées des rapports avec les acteurs locaux que certains acteurs interrogés ont qualifié de « clientélistes », puisqu’elles financent non seulement les réunions et les ateliers (la location des salles de réunion, les repas, les conférenciers, etc.), elles convoquent et choisissent les acteurs qui participent et en plus elles donnent souvent des « per diem » à chaque participant pour rembourser le déplacement et « encourager » la participation. En revanche, ces acteurs locaux ne doivent pas être tous perçus comme étant manipulés par ces projets de coopération, puisque nous avons pu identifier que c’est une relation de réciprocité et d’intérêt bien compris de la part de chaque acteur. En effet, les acteurs locaux sont habitués à travailler avec la coopération et en tirent aussi des profits. Par exemple, Marvin Ruiz à la fin de notre entretien a affirmé que quand les acteurs locaux participent aux projets ils essaient « de voir ce qu’ils pouvaient tirer de l’UICN ». En plus de la faible durabilité des résultats et insistent sur le manque de congruence entre la durée des projets et la durée des processus politiques et sociaux à l’échelle locale. Selon eux, la temporalité des projets ne correspond pas aux réalités et aux temporalités locales puisque ces projets sont considérés comme étant très courts (3-7 ans), ce qui ne permet pas d’impulser de vrais changements qui impliquent des processus sur le temps long comme le sont 228 Entretien réalisé le 20 septembre 2012 à la Mairie de Guatuso, Zone Nord du Costa Rica. 343 l’aménagement du territoire ou la mise en place de structures du gouvernance. Israël Barrera, secrétaire de la Convention Binationale Costa Rica-Panamá, déclare qu’« il faut être clair sur le fait que la coopération est un processus, ce ne sont pas des choses qui se donnent facilement et ça prend du temps. Les organisations veulent des résultats très rapidement, et perdent de vue que mettre en place des processus et changer les mentalités, ça prend du temps ». Marietta Fonseca, du Projet Binational du bassin du fleuve Sixaola (BID-FEM) critique pour sa part le processus de formulation des projets: « souvent les projets sont écrits depuis des bureaux, et ils sont écrits de façon très rapide sans vraiment connaître les terrains. Ils répondent beaucoup aux intérêts des coopérants et dans la pratique les projets doivent être toujours reformulés et changés parce que les réalités changent ». Elle entend par « intérêts des coopérants » le besoin qu’ont les projets d’atteindre les engagements convenus avec bailleurs de fonds au moment de la négociation du projet et qui répondent plus aux agendas 229 internationales qu’aux problématiques locales . Pour M. Fonseca, les temporalités des projets sont définies par des Programmes Opérationnels Annuels (POA) qui ne correspondent pas aux dynamiques locales très différentes de ce qu’on propose dans le projet. Sur un autre plan, les acteurs interrogés ont souvent mis en doute la légitimité des projets, certains évoquent « le manque de résultats visibles » et la faible « durabilité des résultats ». Elena Galante insiste sur la réaction des acteurs locaux : « les gens se méfient, la première chose qu’ils pensaient était « voilà un autre grand projet qui va créer des attentes qui ne seront pas remplies » ». Par ailleurs, Elias Layan et Elias Morales, de l’autorité indigène ADITIBRI, se sont dits « déçus » et « fatigués » de participer depuis des années à des réunions de projets de coopération portés par la BID et d’autres ONG comme l’UICN et TNC, sans voir de vrais résultats. Pour eux, il y a beaucoup de projets qui se succèdent, ce qui provoque aussi une grande confusion. Ils affirment avoir présenté de nombreux projets pour bénéficier de financements des fonds d’investissement que ces projets annoncent, sans succès et sans aucune explication sur les raisons de leur rejet. Dans ce sens, l’analyse du réseau d’acteurs des bassin du fleuve Sixaola (où la présence des organisations internationales est très importante) et du fleuve San Juan nous a permis de constater qu’actuellement le rôle de ces organisations est controversé. Nous avons demandé aux acteurs interrogés quels étaient les acteurs qui suscitaient chez eux le plus de confiance. 229 Nous allons approfondir cette thématique dans la troisième partie de cette thèse. 344 Les graphiques présentés dans les figures n° 20et 21 illustrent les résultats des entretiens en ce qui concerne les réseaux de confiance dans les deux bassins étudiés. Il est intéressant de constater que les acteurs qui suscitent le plus de confiance ne sont pas ces organisations et ces ONG internationales, mais plutôt les ONG locales comme le Corridor Biologique pour le bassin du fleuve Sixaola et le Fondation du Fleuve (Fundación del Río) et la Mairie de Upala pour le bassin du fleuve San Juan. Ceci met en évidence un croissant manque de confiance et de légitimité des projets de coopération et des acteurs exogènes et il est clair que les acteurs locaux, notamment les ONG locales, sont perçues comme des acteurs plutôt légitimes et qui créent de la confiance. 345 Figure 20. Réseau d’acteurs du bassin du fleuve Sixaola, perception de confiance par type d’organisation 346 Figure 21 Réseau d’acteurs du bassin du fleuve San Juan, perception de confiance selon le type d’institutions 347 3. La coopération locale transfrontalière : Le rôle des acteurs locaux 3.1. Le rôle des ONG locales Comme nous l’avons déjà évoqué, le terme ONG reste assez flou car il « recouvre une grande diversité de réalités » (Chartier & Ollitrault, 2005, p. 41). Nous ne pouvons pas parler des ONG comme un ensemble uniforme et homogène, puisque les ONG sont caractérisées de manières différentes selon leur lieu de création, leur cause, leur budget, leur échelle de rayonnement, leurs répertoires d’action. Nous pouvons ainsi identifier des ONG internationales militantes comme Green Peace qui ont des répertoires d’actions non- conventionnelles qui intègrent des activités propres à la désobéissance civile et des organisations comme l’UICN plus conventionnelles qui intègrent des actions de plaidoyer, des groupes scientifiques et des actions d’intervention qui suivent les normes et les procédures officielles. Des organisations comme l’UICN sont nées avec la première vague environnementaliste et elles se caractérisent « par l’acceptation de l’ordre socio-politique dominant » (Chartier & Ollitrault, 2005, p. 50). Il faut aussi différencier les ONG internationales qui sont au centre du secteur de la gouvernance environnementale et qui « disposent des bureaux disséminés sur l’ensemble de la planète » (Chartier & Ollitrault, 2005, p. 41), des ONG locales lesquelles sont fixées dans un territoire particulier. Il est courant que les ONG internationales cherchent à s’appuyer sur des « petites structures partenaires » qui sont locales. Même si dans tous les projets étudiés, ces ONG et organisations internationales mettent en valeur « le travail qu’elles réalisent avec les organisations de base », elles font généralement appel à des ONG ad hoc qui sont « ancrées dans le tissu socio-politique local » (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 75). Les ONG locales jouent un rôle fondamental dans la mise en place des projets de coopération qui sont encouragés par les acteurs exogènes. Elles s’articulent dans l’engrenage du système global de la conservation et elles côtoient les ONG internationales, les agences de coopération, les OIG, ainsi que les fonctionnaires de l’Etat qui ont des bureaux dans ces régions frontalières. Elles sont ainsi à la fois facilitatrices, médiatrices et traductrices des politiques et des concepts créés à l’échelle globale (Allard, Smadja, & Roué, 2006, p. 309). Nous analyserons le rôle de ces ONG locales sur les deux régions étudiées à travers deux cas : celui de l’ONG Corridor Biologique Talamanca Caribe dans le bassin du fleuve Sixaola et 348 ceux de Fundeverde et de la Fondation du fleuve dans le village de San Carlos, dans le bassin du fleuve San Juan. 3.1.1. Le cas de l’ONG Corridor Biologique Talamanca Caribe Dans le document d’évaluation du Projet Alianzas de l’UICN, il est affirmé que « l’insertion s’est faite avec l’aide des organisations membres de l’UICN qui étaient présentes sur ces territoires locaux. Dans le but de faire un processus plus intégrateur, des convocations plus larges ont été faites après» (Camacho, 2012, p. 12). L’UICN a fait appel à ses membres locaux pour mettre en place les actions à l’échelle locale, méthode que cette organisation internationale emploie couramment. Dans le cas du bassin du fleuve Sixaola, l’ONG locale du Corridor Biologique Talamanca Caribe a joué un rôle très important dans tous les projets de l’UICN qui ont été mis en place (Projet Alianzas, Projet Bridge, Projet Adaptation au Changement Climatique) ainsi que dans les projets de la BID. Le Corridor met en place non seulement certaines actions définies dans ces projets, mais il coordonne aussi avec des acteurs locaux des projets proposés par ces acteurs exogènes. L’analyse du réseau d’acteurs nous a permis de constater que l’ONG Corridor Biologique Talamanca Caribe est non seulement considérée comme un des acteurs les plus actifs et les plus influents du bassin mais aussi comme celui qui génère le plus de confiance (c.f. figures 14 et 18). Il s’agit d’une ONG de deuxième degré, qui naît en 1992, qui articule dix-sept organisations de base de Talamanca (associations de développements, associations indigènes, associations de petits producteurs et associations environnementalistes). Son objectif principal est la protection du corridor biologique pour garantir le lien entre les aires protégées et les territoires indigènes. Un des programmes les plus importants est le programme d’agro- écologie, qui cherche à mettre en place des pépinières forestières avec des espèces régionales, 230 des fermes intégrales, des biodigesteurs , ainsi qu’à encourager la diversification de la production et des marchés. L’ONG a aussi un important programme d’éducation environnementale avec les écoles de tout le canton de Talamanca, ainsi que des programmes 230 Un biodigesteur à méthane est un appareil utilisé pour produire et capturer du biogaz à partir du méthane, produits lorsque la matière organique se décompose en l’absence d’oxygène, Le biogaz peut être utilisé comme combustible pour la cuisson, le chauffage, la production de lumière etc. (Doerr, 2008, pag.1) 349 de formation pour les adultes et des groupes de théâtre. Elle travaille ainsi directement avec les habitants de ce village, ce qui lui a donné une importante visibilité Les professionnels qui travaillent dans cette ONG sont le plus souvent originaires de cette région de frontière, aspect qui a souvent été évoqué lors des entretiens par des acteurs locaux comme Cristian Aspitia de la Coopérative Coope Río, qui affirme : « On les connaît les gens 231 du Corridor, c’est des locaux, ils nous soutiennent et encouragent notre participation » . C’est ainsi que ces ONG internationales utilisent ces organisations qui ont de la légitimité à l’échelle locale pour mettre en place leurs projets. Le Corridor Biologique fonctionne à la fois comme intermédiaire, facilitateur et traducteur (de concepts, méthodologies et politiques) des grands projets qui sont pensés à l’échelle globale. De même, il représente aussi les intérêts locaux à l’échelle internationale grâce à leur adhésion à l’UICN, puisque le Corridor participe à des forum internationaux et à l’Assemblée de membres de l’UICN. 3.1.2. Le cas de l’ONG Fondation du Fleuve La Fondation pour la Conservation et le Développement du Sud-est du Nicaragua, connue comme la Fondation du Fleuve, est une ONG environnementaliste basée à San Carlos de Nicaragua, mais qui a des antennes à San Miguelito et à El Castillo. Elle a été créée après le processus de paix en 1990, et c’est la première ONG environnementaliste du Río San Juan. Son directeur, Antonio Ruiz, est un acteur très important dans le secteur environnemental nicaraguayen, non seulement par son passé révolutionnaire, mais aussi en raison de ses 23 ans d’expérience dans les projets de conservation. Il est souvent perçu comme une autorité en la matière et, lors des entretiens réalisés, les acteurs interrogés l’ont mentionné comme un des acteurs individuels les plus influents de cette région frontalière. En outre, il est aujourd’hui le président du comité mésoaméricain des membres de l’UICN, et il participe de façon très active aux forums et aux sommets internationaux en matière d’environnement. Cette ONG met en place des actions de conservation de l’environnement (particulièrement pour la protection du fleuve et de ses aires protégées) et propose des actions comme la diversification des activités économiques des familles de ces trois municipes, pour ainsi augmenter la qualité de vie des habitants de cette région considérée comme l’une des plus pauvres du Nicaragua. Cette ONG a eu un rôle très important dans le projet Alianzas de l’UICN, où elle a participé à mettre en place des actions de conservation et de lobbying pour la protection des marécages 231 Entretien réalisé le 12 juillet 2012 aux bureaux de la Coopérative Coope Rio à Olivia, Sixaola, Costa Rica 350 de Medio Queso, grâce à sa proximité avec la mairie de San Carlos et avec les fonctionnaires du Marena. La Fondation du fleuve a fait partie du Consortium El Gaspar avec d’autres ONG comme FUNDEVERDE. Aujourd’hui, elle est l’organisation partenaire du Projet Manos a la Costa de la FUNPADEM et de l’INBIO, qui a comme l’objectif de réduire la vulnérabilité des 232 villages riverains face au changement climatique. Pour Antonio Ruiz , les acteurs qui cherchent à intervenir dans cette région changent fréquemment, et il donne comme exemple le Consortium El Gaspar créé par le projet Alianzas de l’UICN, qui s’est « détérioré » progressivement après la fin du projet et n’existe plus aujourd’hui. Face à la faible pérennité des projets de coopération, la Fondation du fleuve a survécu et est aujourd’hui une des organisations les plus actives de ce bassin, et l’analyse du réseau d’acteurs qui illustre les relations de confiance (cf. Figure 19) permet de la définir comme l’organisation qui suscite le plus de confiance du côté nicaraguayen, lui donnant une importante légitimité à l’échelle locale et nationale. Le Corridor Biologique et la Fondation du Fleuve participent depuis plus de 20 ans à différents projets encouragés par la coopération internationale en matière de conservation de l’environnement et ils sont souvent présentés comme des partenaires des projets. Ces organisations ont une grande expérience dans la gestion de projets, et il convient de préciser que les professionnels de ces organisations locales ont tous des carrières universitaires dans des disciplines comme le droit, l’agroécologie, la biologie, l’éducation, la géographie, ou encore l’écologie. Ils constituent ainsi une élite locale éduquée, qui est connectée avec le global à travers des projets qui leur donnent accès à des sommets et à des fonds internationaux. Ces organisations ont les compétences nécessaires pour assumer l’articulation des projets, ils savent comment les rédiger, solliciter des fonds et négocier avec les ONG internationales. Ils sont ainsi d’importants intermédiaires entre ces acteurs exogènes et les organisations de base, parce qu’ils connaissent les codes et le vocabulaire de la coopération, mais aussi qu’ils ont aussi construit d’importants liens de confiance et de légitimité, ce qui leur permet de compter sur le soutien local. Les acteurs exogènes comme l’UICN, FUNPADEM et la BID ont compris qu’ils ont besoin de ces acteurs locaux pour mettre en place leurs projets et que leur intermédiation est nécessaire pour pouvoir ainsi travailler avec des organisations de base comme des organisations paysannes ou indigènes. Le Corridor Biologique et la Fondation sur le fleuve, sont donc des « acteurs intermédiaires », définis par O. Nay et A. Smith comme des acteurs qui se distinguent par leur aptitude 232 Entretien réalisé le 9 septembre 2009 aux bureaux de la Fondation du Fleuve à San Carlos, Nicaragua. 351 (expertise) et leur capacité à intervenir dans différentes arènes dont les règles, les procédures, les savoirs et les représentations peuvent être très différents et éloignés. En outre, ils forgent leur compétences sociales sur leur capacité à se poser en relais (indépendants) entre des groupes, des institutions et des organisations dont leurs intérêts divergent, mais avec lesquelles ils sont tenus de coopérer pour atteindre les objectifs désirés. Ils doivent ainsi maîtriser une pluralité de rôles sociaux, de connaissances et de savoirs afin de les mettre en œuvre selon les lieux et les circonstances (Hassenteufel, 2011, p. 214; Nay & Smith, 2002, p. 12). Leurs ressources reposent sur leur capacité à mobiliser leurs partenaires et à formuler une représentation commune de la situation, à élaborer des compromis et à inventer des solutions (Nay & Smith, 2002, p. 13). Ces organisations passent d’un univers cognitif à un autre, permettant ainsi de faire circuler les idées, le vocabulaire de la conservation et les méthodologies. Ces deux organisations agissent comme des intermédiaires entre les organisations de base (indigènes et coopératives) et les ONG internationales, et de plus elles représentent les organisations de base dans des forums et sommets globaux. Elles sont, selon Hassenteufel, bifaces « puisqu’elle sont à la fois les représentants de l’environnement auprès de l’organisation et de l’organisation auprès de l’environnement » (Hassenteufel, 2011, p. 214). La notion d’intermédiation permet aussi de saisir les opérateurs de transfert des politiques publiques et par transfert nous allons comprendre « le processus à travers lequel un savoir à un moment donné et /ou à un endroit donné, est utilisé pour développer des politiques publiques, des structures administratives et des institutions à un autre moment et/ou endroit » (Dolowitz & Marsh, 1996, p. 343). 3.2. Les coopérations transfrontalières informelles et spontanées. 3.2.1. La coopération entre producteurs de cacao biologique et entre associations indigènes Parallèlement aux dynamiques de coopération encouragées par des acteurs exogènes, nous avions pu identifier d’autres types d’initiatives de coopération qui sont par contre encouragées par des associations qui produisent du cacao issu de l’agriculture biologique. Les coopératives et les associations de producteurs sont très présentes sur ces deux frontières, elles participent à la plupart des projets et des programmes de la coopération internationale. Ce type d’organisations est considéré par les ONG et les organisations de coopération à la fois comme des alliés et comme les principaux bénéficiaires de leurs projets. 352 Deux activités productives devenues emblématiques peuvent illustrer deux modèles de développement très différents qui se confrontent sur le bassin du fleuve Sixaola. D’une part, la production de banane, activité productive dominante mise en place majoritairement par des grandes entreprises transnationales. D’autre part, la production de cacao issu de l’agriculture biologique, qui rompt avec la tradition de la monoculture, et propose un modèle de production plus équitable et de développement durable. Le cacao est une activité agricole historiquement réalisée par les populations indigènes des deux côtés de la frontière dans la partie amont du bassin de fleuve Sixaola, plus particulièrement par les groupes Bribri et Cabécar. Nous avons pu apercevoir que la production de cacao pour ces groupes indigènes est très importante d’abord parce que le cacao est perçu comme un fruit sacré dans la cosmogonie indigène, mais aussi parce que sa production se fait de façon traditionnelle avec la participation de toute la famille. Actuellement deux associations produisent du cacao sur ce bassin selon cette logique agro- écologique : du côté costaricien, l’Association de Petits Producteurs de Talamanca (APPTA), et du côté panaméen, la Coopérative de Cacao de Bocas del Toro (COCAO). Ces deux associations font preuve d’une importante proximité culturelle puisqu’elles sont majoritairement intégrales par des populations indigènes (80%) et afro caribéennes qui s’étendent tout au long du versant Caraïbe. Cette proximité culturelle permet que des relations de coopération se mettent en place en dépassant la fragmentation politique. APPTA rassemble plus d’une centaine de familles indigènes productrices de cacao biologique et exporte ce cacao certifié en Europe. Il est intéressant de noter que plus de 40% de membres de ces organisations sont des femmes, par la tradition matriarcale des groupes indigènes Bribri. La coopération transfrontalière entre ces deux associations s’est mise en place selon Walter Rodriguez depuis les années 1990, à travers des initiatives pour produire de la banane issue de l’agriculture biologique et un projet pour créer une entreprise de production de chocolat. Cependant, après des études de viabilité, ces projets ont été abandonnés. Plus récemment, l’entreprise étasunienne productrice de chocolat Theo Chocolat et plusieurs entreprises suisses ont demandé à l’APPTA presque 700 tonnes de cacao, alors qu’elle ne produit que 350 tonnes. Même si l’APPTA prévoyait la mise en place de pépinières de cacaotiers afin d’augmenter sa production, elle veut garder le mode de production traditionnel et agro- écologique. Ainsi donc, comme elle n’arrivait pas à répondre à la demande internationale, elle s’est rapprochée de la coopérative panaméenne COCAO, qui venait juste de passer un processus de certification biologique, pour qu’elle assume la partie de la production. Il est 353 intéressant de remarquer qu’APPTA a accompagné COCAO dans son processus de certification fair trade, et elle a mis COCAO en contact avec des acheteurs de cacao étasuniens. En outre, les deux coopératives font des formations en commun avec le soutien du Programme Cacao du Centre Agro-écologique Tropical de Recherche et Formation (CATIE), avec lequel elles essayent d’améliorer les pratiques de production et les dynamiques de coopération transfrontalière en matière de production de cacao (cf. photographie 29 et 30). L’alliance entre ces deux organisations de base est une vraie expérience de coopération transfrontalière et aujourd’hui elles négocient ensemble face aux entreprises internationales qui achètent leur cacao. 233 Pour W. Rodriguez , directeur de l’Association de Petits Producteurs de Talamanca (APPTA), le travail de ces organisations se fait selon une approche agro-écologique qui « va plus loin que la question productive », puisque la coopérative propose non seulement la diversification de la production, le refus de l’utilisation de pesticides et des produits chimiques mais aussi l’encouragement à la mise en place de « fermes intégrales ». En plus, ils veulent un impact social et environnemental. Ces fermes intégrales (cf. photographie 31) mettent en place un système de production qui intègre la conservation de l’environnement à des activités agricoles et forestières. Ce modèle de production s’oppose aux monocultures puisqu’elle propose dans un même espace la mise en place de plusieurs cultures, l’élevage d’animaux domestiques et la conservation des forêts. Ces coopératives intercalent la plantation d’arbres de cacaotiers avec des arbres fruitiers. Ce modèle est une réponse à la lutte pour la sécurité alimentaire de ces communautés rurales. Ces organisations encouragent ainsi la diversification de la production agricole et la sécurité alimentaire, c’est-à-dire « produire sur un même terrain toutes les choses dont on a besoin ». En effet, ces fermes sont non seulement une source de richesse pour cinquante villages indigènes, mais elles fournissent aussi des services environnementaux et mettent en place des programmes de reboisement des rives du fleuve etc. W. Rodriguez déclare que ce que APPTA vend « n’est pas un produit, c’est un concept de production, une philosophie ; nous vendons des biens agro-écologiques, c’est-à-dire des biens fair trade, qui donnent des services environnementaux et qui sont biologiques ». 233 Entretien réalisé le 21 septembre 2011 aux bureaux de l’Association de Petits Producteurs de Talamanca, à Bribri, Talamanca, Costa Rica. 354 Photographie 29 et 30 : Atelier organisé par le CATIE avec APPTA et COCAO, pour améliorer les pratiques de production de cacao biologique à Changuinola, Panamá, 29 septembre 2012 Photographie 31 Ferme Intégrée à Changuinola Panamá 355 3.2.2. Le rôle des gouvernements locaux : les Foires Binationales de la Santé, le dernier bastion pour la coopération locale au bassin du fleuve San Juan Malgré les importantes limites à la coopération entre le Costa Rica et le Nicaragua, dues aux récents conflits frontaliers, et en dépit de l’abandon de nombreuses initiatives, la mairie d’Upala (Costa Rica) a mis en place des Foires de la Santé. Cette action s’est réalisée avec le soutien d’acteurs locaux comme l’Eglise, l’Hôpital d’Upala, le Centre de Santé de México d’Upala, la coopération espagnole à travers la Fondation pour le Développement Municipal (FUNDEMUCA), le Centre de Droits Sociaux de Migrants (Cenderos) et le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP). Ces Foires ont comme bénéficiaires les habitants des villages frontaliers localisés entre le Costa Rica et le lac du Nicaragua, ce que les Nicaraguayens appellent « la Côte d’Azur du lac ». Cette bande de terre isolée des deux pays est partagée par la Mairie de Cardenas et la Mairie de San Carlos de Nicaragua, plus spécifiquement les villages frontaliers de México d’Upala, de Pueblo Nuevo, de Papaturro. L’objectif de ces foires est de fournir de l’assistance médicale en médecine générale, gynécologie, odontologie et ophtalmologie à ces populations qui sont en situation de marginalité, qui ne comptent pas d’assurance médicale et qui travaillent souvent de façon temporaire et parfois illégale au Costa Rica. Les Foires de la Santé sont mises en place de façon informelle, c’est-à-dire qu’elle ne sont ni 234 officielles, ni encouragées par les Etats centraux. Pour le maire d’Upala, Alejandro Ubaü , ces foires sont « un acte de désobéissance puisque ni la Caisse Costaricienne d’Assurance Sociale (CCSS) ni le Ministère de Santé du Nicaragua n’ont donné l’autorisation pour mettre en place ces actions », même si presque 250 médecins volontaires participent et reçoivent à peu près 2000 personnes par jour. Ils réalisent trois foires par an et viennent de créer un service d’assistance aux migrants, parce qu’ils se sont rendus compte qu’il y avait beaucoup de personnes « qui n’existaient pas », c’est-à-dire qui n’avaient aucune carte d’identité, tant costaricienne que nicaraguayenne. Pour Alejandro Ubaü, ces Foires sont presque les dernières initiatives de coopération transfrontalières dans la région, puisqu’il affirme que « les mairies nicaraguayennes ont été prises en otage par le gouvernement central » et que, face à la recrudescence des conflits 234 Deuxième entretien réalisé avec Alejandro Ubaü, 9 septembre 2012, au centre de Santé frontalier de México d’Upala. 356 binationaux et à la sécurisation de cette frontière, les relations de coopération entre les mairies costariciennes et les mairies nicaraguayennes se sont interrompues. Les seules actions de coopération qui ont résisté aux conflits, sont les Foires de la santé. Il faut souligner que l’environnement, auparavant un sujet articulateur qui encourageait la mise en place de projets de coopération transfrontalière comme le Systèmes des Aires Protégés pour la Paix (SIAPAZ) ou le projet Alianzas, est devenu un sujet sensible, source de nombreux conflits binationaux. Par exemple, les Mairies nicaraguayennes et costariciennes avec le soutient des organisations locales mettaient en place un Festival Binational de 235 Lapas qui a eu lieu pour la dernière fois en mai 2012, mais pour la première fois sans la participation des maires de Nicaragua (cf. photographie 32). Photographie 32 X Festival Binational de « Las Lapas » 235 Variété de pérroquet 357 Cela a conduit à ce que de nombreuses organisations de coopération dévouées à la conservation de l’environnement partent de cette région frontalière comme cela a été le cas 236 pour l’UICN. Pour Natalia Camacho chargée du Projet Costa Rica à FUNDEMUCA, plus que l’environnement, le sujet qui est devenu clé à l’échelle transfrontalière est celui de la 237 santé, car l’environnement crée aujourd’hui des tensions binationales et ces foires de la santé sont des espaces clés de dialogue où d’autres sujets peuvent être traités. Dans ce contexte, la santé a été le seul sujet qui, selon Alejandro Ubaü, a permis de rassembler des gens et des institutions autour d’une cause commune. En plus, la santé, a permis aussi d’introduire d’autres sujets « tabous » sans susciter des tensions comme c’est le cas de la question migratoire. L’accès à la santé des populations frontalières a donc remplacé l’environnement comme sujet articulateur de la coopération locale. Sur un autre plan, la mairie de Upala a aussi encouragé la mise en place d’un Réseau de Jeunes Migrants et Transfrontaliers avec l’organisation Cenderos, laquelle a un bureau à Upala et travaille de façon transfrontalière pour défendre les droits des migrants nicaraguayens au Costa Rica. Ce réseau est un espace de récréation mais aussi d’échange et de formation ainsi que de soutien psychologique pour des jeunes migrants de 12 à 25 ans. L’objectif est de promouvoir leur intégration et créer des liens de solidarité à l’échelle locale. Suite à l’examen du réseau d’acteurs, il est intéressant de noter qu’avec les Foires de la Santé et le Réseau de Jeunes Migrants et Transfrontaliers, la Mairie d’Upala est devenue un acteur perçu comme un des plus influents et légitimes sur cette frontière (cf. figures 17 et 19). Nous avons pu constater suite aux entretiens que le personnage du maire Alejandro Ubaü est même très apprécié à Upala par les habitants, ainsi que par la coopération internationale, notamment parce qu’avant d’être élu, il avait travaillé pour des nombreux projets de coopération de FUNDEMUCA et mis en place des actions pour Cenderos. Natalia Camacho de FUNDEMUCA l’a décrit comme un « important allié » et un « homme engagé » qui encourage, malgré les conflits binationaux, les « dernières » actions de coopération transfrontalière qui se mettent en place sur ce bassin. 236 Entretien réalisé le 3 septembre 2012 aux bureaux de FUNDEMUCA à Barrio Dent, San José, Costa Rica 237 Nous développerons cette idée dans le chapitre sept. 358 3.2.3. L’éducation et la recherche au service du développement durable, le rôle des universités publiques au Costa Rica et des centres de recherche Les universités publiques et les centres de recherche au Costa Rica, notamment l’Université du Costa Rica et le Centre Agronomique Tropical de Recherche et d’Enseignement (CATIE), sont des acteurs très présents sur ces frontières. Ils ont mis en place des programmes de recherche et d’action sociale pour former les populations locales en matière de conservation, agriculture biologique et organisation communautaire. Nous tenterons de déterminer l’impact de leurs projets, leur légitimité et le lien qu’ils ont avec les acteurs exogènes. 3.2.3.1. Programme CACAO du CATIE Le CATIE est un organisme international qui fonctionne comme un centre de recherche, d’éducation et de coopération technique pour la gestion intégrée de l’agriculture et des ressources naturelles. Il se trouve à Turrialba au Costa Rica, mais il met en place des actions dans 14 pays du continent américain (l’Amérique Centrale, le Mexique, la Caraïbe, la Colombie et la Bolivie). Il a de nombreux programmes de recherche et de coopération sur différentes thématiques, comme la sécurité alimentaire, les bassins transfrontaliers, le changement climatique, l’agroforesterie, etc. Le CATIE met en place un programme binational pour développer des systèmes agroforestiers autour de la production de cacao entre des producteurs locaux et les habitants des villages frontaliers entre le Costa Rica et le Panamá, pour améliorer la production de cacao issu de l’agriculture biologique. Il travaille avec 1300 familles productrices de cacao dans le bassin du fleuve Sixaola qui font partie de la Coopérative COCAO au Panamá et d’APPTA au Costa Rica. Il profite ainsi des relations de coopération qui existent entre ces deux organisations pour mettre en place ce projet. Le CATIE réalise des ateliers de formation et encourage des espaces d’échanges pour développer des fermes intégrales et renforcer les compétences de ces agriculteurs, notamment. leur productivité, notamment en encourageant l’agriculture de variétés résistantes à la 238 Monilia . Cette coopération technique et financière permet de mettre en place des échanges de par et d’autre de la frontière. Dans ce sens, W. Rodriguez d’APPTA, reconnaît l’importance de la 238 La Monilia est un champignon qui produit une maladie dans les arbres fruitiers. 359 coopération donnée par le CATIE et déclare que le soutient du CATIE a facilité les processus de coopération qu’ils mettent en place avec la coopérative panaméenne COCAO. 3.2.3.2.L’action sociale comme mission de l’Université du Costa Rica, le cas du programme Kiosques Environnementaux L’Université du Costa Rica (UCR) est une institution éducative publique, créée en 1940. Les statuts de cette université établissent que « l’Université du Costa Rica est une institution d’éducation supérieure étatique, autonome constitutionnellement et démocratique qui promeut la formation critique, humaniste et culturelle. Constituée par une communauté d’étudiants, professeurs, fonctionnaires administratifs, elle contribue aux transformations dont la société a besoin pour la réalisation du bien commun, à travers le développement d’activités d’éducation, de recherche et d’action sociale, soutenues par une politique institutionnelle visant à atteindre la justice sociale, l’équité, le développement intégral, la liberté pleine et la 239 totale indépendance de notre peuple » (UCR, 2014) . L’UCR a la mission de faire de la recherche appliquée pour promouvoir le développement social du pays, mais aussi pour mettre en doute certaines études d’impact sur l’environnement réalisées par de entreprises privées, ou dénoncer l’impact d’activités polluantes comme la production d’ananas et l’extraction minière. L’UCR est un acteur politique qui aide à sensibiliser l’opinion publique, en rendant publiques ses recherches notamment grâce aux moyens de communications universitaires (la chaîne de télévision Canal 15, le journal El Semanario et deux radios). En outre, l’action sociale est un axe de travail très important pour l’UCR, ce qui implique que celle-ci doit être au service de la société costaricienne et qu’elle doit intervenir pour mettre en place des projets d’aide et d’information. C’est dans cette perspective que l’UCR a mis en place le programme Kiosques Environnementaux pour l’Organisation Communautaire, qui cherche à informer les populations rurales sur les impacts négatifs des monocultures, de l’exploitation minière et de l’exploration pétrolière. Ce programme cherche aussi à encourager l’organisation communautaire face à des problématiques socio environnementales. Il est intéressant de signaler que ce projet se met en place dans les villages frontaliers costariciens que nous étudions: Talamanca (bassin du fleuve Sixaola), Upala, Los Chiles et Guatuso (Bassin du fleuve San Juan). Le choix de ces villages se fait, selon Julian Llaguno responsable des 239 http://www.ucr.ac.cr 360 240 Kiosques Environnementaux dans le bassin du fleuve San Juan , en raison de la situation de risque de ces villages (menacés par la croissance des monocultures et des activités minières) et leur vulnérabilité au niveau socio-environnemental. Bien que ce programme ne réalise pas d’activités transfrontalières, il travaille avec des acteurs qui vivent à cheval sur la frontière, comme les populations indigènes Bribri et Cabécar. Nous estimons que le rôle de l’Université du Costa Rica sur ces deux frontières est peu conventionnel, puisqu’elle agit à la fois comme un centre de recherche et en même temps comme un acteur politique qui intervient en matière de conservation. Il est aussi intéressant de noter que ceux qui participent à ce programme, sont des chercheurs de l’UCR, mais aussi des étudiants qui font ce que l’UCR appelle Travail Communautaire Universitaire (TCU). Le TCU est réalisé par des étudiants de troisième année et a une durée de 300 heures. C’est une activité interdisciplinaire qui cherche à développer la conscience sociale des futurs professionnels et à effectuer un travail social. En plus, le TCU a comme objectif de rapprocher l’université de la société civile, notamment des acteurs les plus locaux (UCR, 1982, p. 1). Lors de notre travail de terrain nous nous sommes rendu aux villages indigènes de Bribri, 241 Suretka et Amubri , où nous avons pu interroger Mildred Blanco de la Coopérative Isiola, Roger Blanco de l’association Koswak (Amubri) et Gonzalo Moreno de la Ferme Intégrale Loroco (Bribri). Ces acteurs ont affirmé que la présence des Kiosques Environnementaux de l’UCR était très importante car « ils arrivaient là où les autres projets n’arrivaient pas », c’est- à-dire jusque dans les villages indigènes. Pour Roger Blanco, la présence des Kiosques est fondamentale en raison des formations qu’ils donnent. Pour eux, avec le Corridor Biologique Talamanca Caraïbe, ce sont les organisations les plus fiables et engagées. Cependant, en dépit de cette perception positive des populations indigènes du programme des Kiosques Environnementaux, les acteurs exogènes, dont la BID et l’UICN, perçoivent ce projet plutôt de façon négative, puisque pour eux c’est « un acteur qui a des positions radicales » (Pedro Cordero de l’UICN). En effet ce Programme participe aux mouvements sociaux de lutte contre l’exploitation minière et contre l’expansion de monocultures, etc. Il convient de remarquer que le Programme des Kiosques Environnementaux ne participe à aucun projet de coopération organisé par l’UICN, ni par la BID, ni par l’Alliance Public-Privé, ce qui permet de conclure qu’il y a une tendance à exclure les acteurs considérés comme radicaux des grands projets de coopération. 240 Entretien réalisé le 17 juin à l’Université du Costa Rica, San Pedro, Montes de Oca 241 Entretiens réalisés le 13 septembre 2009 à Amubri, Suretka et Bribri à Talamanca, Costa Rica 361 Conclusion cinquième chapitre L’objectif de ce chapitre était de déterminer les acteurs qui gèrent l’environnement sur ces régions frontalières. Après l’analyse des dynamiques de coopération identifiées, nous estimons que l’environnement frontalier est géré par une diversité d’acteurs qui agissent de façon multiscalaire, et qui sont organisés en réseaux quand les relations binationales sont apaisées et le permettent. Cependant, les dynamiques de coopération transfrontalières en matière d’environnement dans les bassins des fleuves San Juan et Sixaola sont diamétralement différentes, non seulement parce que l’investissement réalisé par la coopération est considérablement plus important dans le bassin du fleuve Sixaola, mais aussi parce qu’il existe deux contextes politiques très différents. C’est ainsi que les bonnes relations et la symétrie culturelle font du fleuve Sixaola un lieu qui facilite la mise en place de projets de coopération transfrontalière en matière d’environnement, tandis que les conflits binationaux entre le Costa Rica et le Nicaragua rendent très difficiles les dynamiques de coopération transfrontalière dans le bassin du fleuve San Juan. Le bassin du fleuve Sixaola se présente comme un laboratoire pour la conservation, grâce à la présence d’une grande diversité d’acteurs comme l’Etat, les mairies, les banques de développement (BID), les ONG internationales et locales, les organismes de coopération, les agences et les partenariats public-privé. Ces acteurs forment des réseaux d’acteurs transfrontaliers très dynamiques, qui ont des relations à différentes échelles. La question environnementale est centrale dans ce bassin et elle est un sujet articulateur qui mobilise tous ces acteurs, notamment autour de sujets clés comme la gestion intégrée par bassin, la gestion du risque, l’adaptation au changement climatique et la gouvernance environnementale. Néanmoins l’approche de gestion intégrée par bassin, même si elle est évoquée dans tous les projets, notamment dans le bassin du fleuve Sixaola, n’est cependant pas vraiment prise en compte par ceux-ci. Les actions de la BID, de TNC et de l’Alliance Public-Privé sont plutôt très ponctuelles et ne se mettent pas en place en suivant la logique de la gestion intégrée par bassin. Sur le bassin du fleuve San Juan, nous avons pu constater un important recul de la coopération internationale, notamment des projets encouragés par l’UICN et par la 362 Coopération Espagnole, qui soit n’ont pas été prolongés, soit ont été reformulés pour qu’ils n’aient plus une approche transfrontalière mais seulement nationale. En plus, entre les autorités locales et les autres institutions de l’Etat à l’échelle locale des deux pays, il y a eu un important éloignement, puisque les projets et les actions de coordination entre les gouvernements se sont arrêtés depuis 2010. La question de l’environnement, qui avait auparavant rapproché de nombreux acteurs, est aujourd’hui un sujet qui provoque d’importantes tensions. Les dernières actions de coopération qui subsistent encore sur ce bassin se concentrent autour d’autres sujets comme la santé, notamment avec le projet des Foires de la Santé qui sont encouragées par la Mairie d’Upala. Après l’analyse détaillée des relations entre les acteurs qui agissent encore sur le bassin du fleuve San Juan, nous avons pu identifier qu’il n’existe pas un véritable réseau d’acteurs transfrontaliers. Les relations entre ces acteurs sont éclatées et nettement séparées par la ligne frontière. Il existe en réalité deux réseaux distincts et très peu connectés qui mettent en place des actions non coordonnées de chaque côté de la frontière. Il faut souligner que le rôle des ONG et des organisations internationales est très important surtout dans le bassin du fleuve Sixaola. Ces acteurs exogènes sont non seulement ceux qui apportent les fonds (agences de coopération des pays du Nord, ONG internationales, APP, etc.), mais aussi les responsables de la conception des projets et de leur mise en place. Ils sont souvent perçus comme très influents et ont souvent remplacé certaines institutions des Etats dans la mise en place d’actions de conservation (reboisement, aménagement du territoire, entre autres). Après l’analyse des projets, nous avons pu constater que les Etats, notamment les ministères de l’environnement et les mairies, participent de façon très active à ces projets, même si leur participation relève d’une certaine subordination, puisque ce sont les acteurs exogènes qui proposent le cadre des projets et qui fixent souvent les agendas. Il est intéressant aussi de constater que ces projets ne rendent pas de comptes aux Etats mais aux bailleurs de fonds et aux sièges centraux de ces organisations. Parallèlement à la présence de ces organisations internationales, nous avons identifié l’émergence sur ces frontières de partenariats public-privé qui introduisent des acteurs privés dans la gestion d’un bien commun qu’est l’environnement. La présence d’acteurs exogènes et d’acteurs privés est perçue d’une manière assez critique par les fonctionnaires des Etats et par les acteurs locaux. La question 363 qui se pose est la suivante : ces acteurs privés ont-ils la légitimité pour gérer des biens 242 communs, quand ils représentent des intérêts privés ? Après l’analyse de l’impact de ces projets, nous pouvons conclure qu’il est très difficile d’estimer leur impact à travers les compte-rendus et les évaluations que ces projets présentent aux bailleurs de fonds. C’est pour cela que nous avons fait appel à la perception que les acteurs locaux ont de ces projets. Lors des entretiens, nous avons pu constater que les acteurs locaux ne s’identifient pas avec les contenus des projets, puisqu’ils affirment n’avoir pas participé à leur élaboration. D’ailleurs, ils font souvent référence à l’artificialité de ces projets et au fait qu’ils « viennent d’ailleurs ». Il est courant qu’après la finalisation de ces projets, les actions entreprises n’aient pas une véritable continuité. Les acteurs locaux n’ont généralement pas les ressources ni la volonté de poursuivre avec les commissions et comités que ces projets ont créés. Ce qui nous a permis de constater un manque d’appropriation de la part des acteurs locaux des processus politiques et productifs menés par ces ONG et organisations internationales. Il convient aussi de remarquer que les acteurs considèrent que ces projets ont des attentes très ambitieuses comme celle de mettre en place des processus d’aménagement ou de gestion par bassin dans des périodes de temps très limitées qui correspondent à la durée estimée des projets, de quatre à sept ans. Nous pouvons ainsi conclure qu’il y a un manque de coïncidence entre les temporalités des projets et les temporalités des processus bureaucratiques et des habitants des villages frontaliers. Ces temporalités coïncident mal et entrent souvent en confrontation. Les projets ont ainsi une approche qui est définie par les résultats attendus et ils prennent rarement en compte les processus et les particularités des pays où ils sont mis en place. II faut souligner qu’il y a une faible communication et coordination entre ces projets, ce qui provoque aussi que de nombreuses actions se répètent. Les objectifs, les contenus et les méthodologies des projets sont très proches, ils sont des « recettes » appliquées de façon très similaires sur différents terrains. Néanmoins, ces acteurs locaux ne doivent pas être perçus comme des « victimes », ils sont habitués à la présence de ces projets dans leurs territoires, ils connaissent leur fonctionnement et tirent profit de ce que ces projets peuvent leur offrir. Il convient aussi de remarquer que le manque de durabilité et de coordination de ces projets, a produit un important manque de confiance et de légitimité de ces acteurs exogènes de la part 242 Nous revenons sur ce questionnement dans notre huitième chapitre. 364 des acteurs locaux. Ce sont plutôt les ONG locales qui sont perçues comme les plus légitimes, puisqu’elles sont proches des acteurs de base (populations indigènes, coopératives, associations de développement, etc.) et leur présence sur ces régions de frontière est continue puisqu’ils y sont généralement localisés. Les professionnels qui intègrent ces organisations sont généralement originaires de ces villages et ils ont l’expérience et les connaissances nécessaires pour déchiffrer les codes et le vocabulaire de la coopération. Cela les conduit aussi à assumer un rôle d’intermédiaires entre les projets internationaux et les acteurs locaux. Les ONG internationales sont conscientes de l’importance de ces ONG locales, puisque, grâce à leur participation, elles rendent possible la mise en place des projets et l’adhésion des acteurs locaux. L’étude de ces interactions nous permet d’affirmer que tant l’UICN que les ONG locales Corridor Biologique Talamanca Caribe et la Fondation du Fleuve, sont des acteurs intermédiaires qui circulent entre une grande diversité de savoirs, connaissances et croyances. Et grâce à cette indépendance ils arrivent à communiquer avec une grande diversité d’acteurs, permettant l’échange entre les parties et facilitant l’élaboration de compromis (Hassenteufel, 2011, p. 214). Ces organisations se présentent comme des experts collectifs qui ont des compétences et un savoir-faire spécialisés. L’UICN est souvent, comme nous avons pu le constater, dans une position intermédiaire entre un espace de savoir (forums, commissions d’experts, entre autres) et un espace décisionnel (Commission d’environnement des Assemblées Législatives, Ministères, etc.). Son rôle est celui d’exporter un savoir et une légitimité acquise dans le champ scientifique (Hassenteufel, 2011, p. 218). Par contre, les ONG locales comme le Corridor et la Fondation du fleuve, même si elles ont aussi le qualificatif d’experts, ont des savoirs plus pratiques, des savoirs pragmatiques que peuvent s’approprier l’ensemble des acteurs d’une politique publique (Hassenteufel, 2011, p. 218). Ces savoirs pratiques permettent non seulement de communiquer et de travailler avec des organisations locales et dans le même temps également de négocier avec des ONG internationales et les institutions étatiques. 365 Conclusion de la deuxième partie Les dynamiques de coopération qui se mettent en place autour de la gestion de l’environnement peuvent être étudiées à travers l’analyse des réseaux d’acteurs collectifs qui agissent à différentes échelles sur le bassin du fleuve Sixaola et sur le bassin du fleuve San Juan. Cette analyse nous a permis de déterminer les relations de coopération qui se mettent en place pour ainsi identifier les rapports de force, les ressources de pouvoirs, les acteurs protagonistes, les relations de confiance et de proximité. Premièrement, il convient de remarquer qu’il existe différents types de dynamiques de coopération qui se mettent en place de façon simultanée. Face à la complexité de ce phénomène, il a été pertinent de différencier les relations de coopération binationale - qui se développent entre deux ou plusieurs Etats - , des relations de coopérations transfrontalières qui se mettent en place entre une grande diversité d’acteurs localement et qui peuvent être institutionnalisées ou plutôt spontanées. Cette différentiation part du constat que la coopération n’est pas un processus linéaire homogène, mais une diversité de pratiques qui sont mises en place dans le but de satisfaire l’intérêt collectif et d’avoir des bénéfices partagés. En ce qui concerne les relations binationales de coopération, entre le Costa Rica et le Panamá, et entre le Costa Rica et le Nicaragua, il existe des cadres légaux et institutionnels qui se sont développés dans les vingt dernières années pour conduire les processus de coopération. Cependant, l’absence de conflits binationaux a créé un contexte politique plus avantageux sur la frontière entre le Costa Rica et le Panamá. Entre ces deux pays, le cadre légal est le plus avancé et complet de l’Isthme centraméricain. L’existence d’un traité-cadre comme celui de la Convention Binationale Costa Rica Panamá et la création de la Commission Binationale, a permis le développement de nombreuses initiatives de coopération, dans lesquelles interviennent une grande diversité d’acteurs comme la Banque Interaméricaine de Développement (BID), le Ministère de l’Environnement costaricien et l’Autorité Nationale de Environnement panaméenne, le Fonds pour l’Environnement Mondial et des ONG internationales et locales. Un projet binational mené par la BID en collaboration avec les autorités environnementales (BIF-FEM) et un autre projet national pour la gestion du bassin 366 du fleuve Sixaola avec le Ministère de l’Agriculture du Costa Rica (BID-MAG), sont mis en place sur cette région frontalière dans le cadre de cette Convention Binationale. Dans ce bassin, nous avons pu constater que les actions de coopération binationale encouragées par l’Etat en matière environnementale sur le bassin du fleuve Sixaola sont financées par des bailleurs de fond exogènes comme le FEM et la BID et mises en place avec la participation de la BID, d’ONG internationales et locales. C’est ainsi que la coopération binationale ne se fait pas qu’entre les Etats, mais inclut une grande diversité d’acteurs qui ajoutent aux processus de coopération leurs intérêts, leurs agendas et leurs méthodologies. En dépit des relations binationales favorables existant entre ces deux pays, il existe d’importants problèmes de coordination institutionnelle entre les autorités environnementales en matière de gestion des écosystèmes frontaliers (le Parc International de La Amistad et le bassin du fleuve Sixaola). Mais il existe aussi un déséquilibre par rapport à l’investissement que ces deux pays font en matière de conservation de l’environnement. Le budget dédié à financer l’Autorité Nationale de l’Environnement du Panamá a eu tendance a diminuer considérablement pendant les cinq dernières années, tandis que celui du Ministère de l’Environnement du Costa Rica n’a fait qu’augmenter, ce qui nous révèle l’existence de priorités en matière d’environnement très différentes entre ces deux pays. Ce manque de correspondance rend plus difficile la coordination et la coopération. Contrairement aux bonnes relations binationales qui existent entre le Costa Rica et le Panamá, les relations binationales de coopération environnementale qu’entretiennent le Costa Rica et le Nicaragua sur le bassin du fleuve San Juan, sont coupées depuis 2010, suite à de nombreux conflits. Il est intéressant aussi de remarquer que malgré la récurrence des conflits binationaux, chaque fois que les tensions se sont apaisées, des tentatives de coopération se sont mises en place notamment autour d’une Commission Binationale qui, même si elle s’est réunie pour la dernière fois en 2008, existe encore, laissant ouverte la possibilité d’une réactivation future. La recrudescence depuis ces quatre dernières années des conflits binationaux entre le Costa Rica et le Nicaragua, a eu un impact aussi dans les relations de coopérations transfrontalières institutionnalisées, notamment celles qui se mettent en place entre les mairies frontalières. Les actions de coopération qui existaient entre ces autorités locales (Fédération des Municipes Transfrontaliers) sont aujourd’hui arrêtées. Cela a conduit aussi à ce que les acteurs exogènes comme les organisations et ONG internationales qui avaient des projets sur ce bassin, réajustent leur projets vers une approche nationale et locale, laissant de côté la perspective 367 transfrontalière. Actuellement dans ce bassin, il n’existe pas de véritable réseau d’acteurs transfrontaliers, les actions de conservation s’effectuent de façon indépendante de chaque côté de la frontière, sans coordination. En outre, la présence et le contrôle des Etats centraux est chaque fois plus importante, notamment autour de la sécurisation de la frontière. Par delà des obstacles et des conflits diplomatiques existants entre ces deux pays, il convient de remarquer qu’il existe encore des initiatives de coopération transfrontalière de petite taille qui se mettent en place de façon informelle et sans l’autorisation des gouvernements centraux et des institutions nationales, comme dans le cas des Foires de la Santé. Dans ce contexte, la santé a déplacé l’environnement comme thème articulateur. Plus généralement, un constat qu’il convient de préciser est celui du rôle des organisations internationales et des ONG locales. Un constat de cette recherche est que ces acteurs exogènes ne sont pas perçus comme étant légitimes par les acteurs locaux, les résultats de leurs projets sont perçus comme éphémères.. Le clientélisme que ces projets ont mis en place a eu impact dans leur durabilité et dans l’appropriation que les acteurs locaux ont de ces projets. Face au manque de légitimité de ces acteurs exogènes, les ONG locales suscitent l’adhésion parce qu’elles sont les responsables de la mise en oeuvre à l’échelle la plus locale de ces projets globaux. Ces ONG locales sont perçues comme « proches» et légitimes, puisque leurs bureaux sont localisés dans ces régions frontalières et elles ont une présence continue sur ces territoires qui ne s’arrête pas avec la fin d’un projet. Il est intéressant de constater aussi comment à travers la mise en place de ces projets de coopération transfrontalière organisés, ces villages frontaliers sont mis en lien avec des initiatives globales, et comment ces acteurs locaux participent à leur tour à travers ces projets à des forums et des congrès globaux où vont se définir les initiatives qui s’appliqueront par la suite sur ces régions frontalières. Ces acteurs locaux qui forment ces ONG sont une élite locale, proche idéologiquement des ONG internationales. Elles sont souvent des membres de ces organisations internationales et participent à plusieurs projets à fois. Cette deuxième partie, œuvre des pistes sur plusieurs thématiques que nous allons traiter plus en profondeur dans notre troisième partie. Une première thématique apparue et qui sera développé dans le sixième chapitre de cette thèse est comment ces organisations internationales, à travers leurs projets mettent en lien des acteurs locaux avec un système mondial de la conservation de l’environnement. Les projets qu’elles portent sont généralement globaux ou régionaux, c’est-à-dire qu’ils sont mis en place de façon simultanée 368 dans plusieurs pays dans le monde. En plus, ces projets sont conçus par des équipes de professionnels et de scientifiques dans les sièges centraux de ces organisation et même si des consultations existent a posteriori avec les acteurs locaux, ils ne correspondent pas complètement à leurs besoins. Une deuxième thématique qui émerge de cette partie et qui sera un point central dans les chapitres suivent, est la présence de nombreuses plateformes multi-acteurs (PMA) qui cherchent à mettre en place des processus de gouvernance environnementale. Les conclusions issues des chapitres 4 et 5 nous invitent à nous interroger sur le rôle et fonctionnement de ces PMA. Comment s’articulent elles avec les processus démocratiques établis par les Etats ? 369 370 Troisième partie Les limites de la gouvernance environnementale : Discours et conflits autour de la gestion de l’environnement dans des bassins transfrontaliers 371 372 Introduction de la troisième partie Cette troisième partie sera consacrée à l’analyse de la gouvernance environnementale proposée par les projets précédemment étudiés et plus particulièrement à ses limites. Nous confronterons les mythes, les discours et les réalités autour des discours et des concepts, mais aussi des méthodologies proposés par ces projets. Dans notre sixième chapitre nous nous intéresserons plus particulièrement à l’analyse de deux formules qui sont mises en œuvre et diffusées par les projets que nous venons d’étudier (cf. Chapitre 5) : la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) et la gouvernance. Le choix de ces deux formules s’est porté sur le fait que ce sont les notions plus présentes dans les discours des projets étudiés. L’analyse portera sur la manière comment ces concepts circulent du Nord vers les Suds et des organisations internationales vers les acteurs les plus localisés. Nous prêterons une attention particulière aux formes et aux processus à travers lesquels ces formules, concepts et méthodologies sont conçus et diffusés. Qui participe à leur conception ? Quels sont les enjeux et intérêts qui interviennent lors de leur conception et leur diffusion ? Nous nous focaliserons sur le rôle des communautés épistémiques et celui des organisations internationales notamment dans les processus de conception et de transfert de ces concepts. Il s’agira de montrer comment ces concepts sont majoritairement conçus par des élites transnationales composées de scientifiques et experts localisés dans les pays du Nord. Nous nous interrogerons aussi sur l’application des dispositifs de gouvernance comme les codes de conduite et les plateformes multi-acteurs. Comment fonctionnent-ils ? Ces dispositifs délibératifs et normatifs renforcent-ils la démocratie participative à l’échelle locale comme les organisations internationales l’affirment dans leurs discours ? Le septième chapitre sera consacré à l’analyse des conflits comme des limites pour la mise en place de processus de coopération et de gouvernance environnementale. Nous nous focaliserons dans un premier temps sur les différents types de conflits (interétatiques et socio- environnementaux) que nous avons identifiés sur les bassins des fleuves Sixaola et San Juan. 373 Nous montrerons comment ces conflits représentent un véritable obstacle pour les processus de coopération binationale et transfrontalière en matière d’environnement. En ce qui concerne les conflits socio-environnementaux en particulier, nous montrerons comment l’instrumentalisation par les Etats et les organisations internantionales, du discours de la protection de l’environnement a évolué et comment il est mobilisé encore une fois comme argumentaire pour légitimer des conflits binationaux. . Nous présenterons dans ce chapitre les conflits qui ont été identifiés comme les plus importants par les acteurs interrogés lors des nos différents terrains, pour ensuite les confronter avec les stratégies d’action proposées par ces organisations et par les Etats sur ces frontières. Nous démontrerons ainsi qu’il existe un manque de coïncidence entre les problématiques locales et les agendas proposés par les projets. Nous partons de l’hypothèse que ce décalage répond à la volonté de ces organisations d’effacer la conflictualité socio- environnementale locale qui implique une prise de position vis-à-vis du modèle de développement et de la présence d’acteurs privés transnationaux sur ces frontières. 374 Chapitre 6 Mythes et réalités de la gouvernance environnementale dans la gestion des bassins transfrontaliers Introduction A l’examen des différents projets de coopération internationale en matière de conservation de l’environnement qui se mettent en place sur les bassins du fleuve Sixaola et sur le bassin du fleuve San Juan, et des jeux d’acteurs qu’ils suscitent, nous avons pu constater que ces projets s’inscrivent dans un système mondial de la conservation qui articule des organisations intergouvernementales, des ONG internationales, des commissions d’experts, des scientifiques et des politiques. Ces projets s’insèrent dans des initiatives globales qui sont majoritairement conçues par les experts de ces organisations internationales et se mettent en place à l’échelle locale à travers l’intermédiation des antennes régionales et nationales de ces organisations et la participation d’organisations locales (ONG locales). Dans un premier temps, ce présent chapitre sera donc consacré à l’analyse détaillée de ce système global de la conservation. Nous essayerons de comprendre comment les actions internationales déterminent la gestion environnementale de ces régions frontalières. Notre hypothèse est que ce système global est un « oligopole de la conservation » qui a été définis par D. Dumoulin y E. Rodary comme un système fortement hiérarchisé qui est gouverné par quelques organisations internationales (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 70). Nous avons choisi de faire appel à cette notion, pour caractériser la structure verticale dans laquelle les concetps et stratégies d’intervention sont conçus et tranférés du Nord vers les Suds. De plus, cette compraraison nous permet de débatre sur le caractére democratique ou pas des décisions qui émanent de cette structure. C’est ainsi que pour comprendre le fonctionnement de ce système, nous prêterons une attention particulière aux processus de transfert de concepts et méthodologies que ces projets mettent en place. Nous analyserons le rôle des groupes d’experts et des communautés 375 épistémiques, dans la production de ces savoirs et le rôle de ces organisations internationales dans la diffusion de ces savoirs à travers les projets. Ces initiatives mises en place globalement définissent des méthodologies et des concepts qui cherchent à expliquer et à catégoriser les phénomènes environnementaux et anthropiques qui ont un effet dans les processus de conservation de l’environnement. Concepts comme adaptation au changement climatique, gestion intégrée de l’eau, utilisation raisonnée de la nature, gouvernance environnementale, entre autres, forment tout un vocabulaire et un ensemble de méthodologies qui sont diffusées mondialement grâce à cet oligopole de la conservation. Ces concepts présents dans tous les projets que nous avons étudiés dans le chapitre 5, sont des réponses pensées à l’échelle internationale pour faire face aux problématiques environnementales. Chaque concept vient accompagné de tout un discours et de stratégies proposant la mise en place d’une série de « bonnes » pratiques qui ont été définies de façon « consensuelle » par une communauté globale et qui doivent être mis en place sur différents terrains dans le monde entier. Dans un deuxième temps, nous allons nous intéresser plus particulièrement aux concepts de gestion intégrée des bassins transfrontaliers et de gouvernance. Leur analyse nous semble importante pour comprendre l’impact qu’ont ces projets dans les relations de pouvoir qui existent entre les acteurs collectifs internationaux, nationaux et locaux dans nos deux bassins d’étude. Ces deux concepts relèvent d’importants enjeux, d’un côté la gestion intégrée des bassins propose le bassin versant comme unité spatiale, ce qui traduit l’introduction d’une autre conception du territoire pouvant entrer en confrontation avec d’autres conceptions traditionnelles du territoire, comme les divisions administratives et les territoires indigènes. D’un autre côté, la gouvernance est un élément central dans tous les projets étudiés et elle encourage la participation d’une diversité d’acteurs dans la gestion environnementale de ces régions frontalières en mettant en place des structures (plateformes) et des instruments (codes) qui cherchent à établir une participation directe et horizontale. Le discours sur la gouvernance nous invite à la concevoir comme un élément nécessaire pour renforcer la démocratie délibérative, cependant l’incursion d’acteurs privés dans la gestion de l’environnement ainsi que le manque de représentativité de certaines plateformes de gouvernance, a suscité des nombreuses critiques que nous essayerons de saisir. L’analyse de ces discours nous paraît déterminante pour comprendre comment et pourquoi ces projets essayent de mettre en place à l’échelle locale des actions de conservation et des 376 formes délibératives plus participatives à travers des structures et des instruments de gouvernance. Nous essayerons ainsi de confronter trois hypothèses: 1. La coopération internationale pour la conservation de l’environnement fonctionne comme un oligopole, qui introduit de façon verticale, à l’échelle locale, des stratégies de gouvernance environnementale (des projets et un vocabulaire de la coopération environnementale) produites par une communauté épistémique (chercheurs et experts internationaux) depuis des sommets et des groupes de réflexions globaux. 2. Ces régions frontalières sont ainsi connectées par la présence de ces acteurs exogènes avec une gouvernance globale pour la conservation de l’environnement. 3. La coopération internationale pour la conservation de l’environnement a encouragé la création d’instruments (Codes de Conduite) et de structures (Comités de Bassin et Commissions Transfrontalières) de gouvernance environnementale qui, au lieu de renforcer les processus démocratiques, ont mis en place un pluralisme limité (la gestion sectorielle de l’environnement par des élites locales publiques et privées). 1. Du global au local : l’oligopole de la conservation Suite à l’analyse des projets de coopération pour la conservation de l’environnement encouragés, sur les deux régions frontalières étudiées, par une grande diversité d’acteurs comme des organisations internationales, des partenariats public-privé, des ONG internationales et des banques de développement (BID), nous avons pu constater que ces projets qui se mettent en place sur ces deux bassins se développent à différentes échelles, particulièrement à l’échelle locale, régionale et globale. Ces projets qui sont mis en place localement, font partie généralement d’initiatives globales, lesquelles ont été conçues soit dans des forums et des sommets internationaux, soit par des experts internationaux depuis les sièges centraux (headquarters) des organisations généralement localisées dans les « centres » c’est-à-dire dans des pays du Nord (Europe et Etats-Unis). C’est ainsi que ces projets s’insèrent dans un système de “gouvernance mondiale” fortement hiérarchisé que D. Dumoulin y E. Rodary appellent « l’oligopole de la 377 conservation » (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 70), c’est-à-dire un système gouverné par quelques-uns. Dans ce sens, les régions où se développent ces projets se transforment en des véritables laboratoires de la conservation où se valident les stratégies et initiatives qui ont été pensées par cet oligopole mondial qui est à la fois « décisionnel et financier » (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 69). Cet oligopole est composé par une grande diversité d’acteurs, des OIG comme le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) et les groupes d’experts des Nations Unies comme le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat 243 244 (GIEC) , le Panel International des Ressources (PIR) ou la Plate-forme Intergouvernementale Scientifique et Politique sur la Biodiversité et les Services 245 Ecosystémiques (IPBES) . Ces groupes d’experts ont la responsabilité d’élaborer les priorités et les objectifs d’intervention et parmi leurs fonctions nous avons identifié l’assistance, la génération de connaissances, l’appui aux politiques et la générations de compétences. Cet oligopole est aussi composé par un groupe restreint d’organisations internationales comme le PNUE ou l’UICN, les ONG internationales comme WWF, TNC ou CI, lesquelles sont reconnues grâce à leur expertise à l’échelle globale. Non seulement cet oligopole est complexe, mais chacune de ces organisations qui le forment possède à son tour une structure complexe, comme nous l’avons montré au chapitre 5. Cette complexité réside sur le fait qu’elles ont des antennes régionales et nationales qui leur permettent de mettre en place de façon simultanée des projets dans différents pays, grâce à leur proximité avec les institutions étatiques et leurs alliances avec des organisations locales qui assument souvent le rôle d’intermédiaires. Grâce à cette structure complexe, ces organisations articulent des « stratégies mondiales avec des actions locales » (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 70). 246 Certains auteurs affirment que les dernières Conférences des Parties (COP) de la Convention Cadre de Nations Unies sur le Climat ont permis de constater que le cadre 243 Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est ouvert à tous les pays membres de l’ONU et de l’OMM. 
 
 L’une des principales activités du GIEC consiste à procéder, à intervalles réguliers, à une évaluation de l’état des connaissances relatives au changement climatique. (GEIC, 2009, http://www.ipcc.ch/home_languages_main_french.shtml#1 ) 244 Crée en 2007 par les Nations Unies, le PIR est un groupe scientifique indépendant qui a comme objectif aider les nations à utiliser les ressources naturelles de façon durable, sans compromettre la croissance économique ni les besoins des êtres humains. Il met en place des évaluations scientifiques et assiste les gouvernements à travers la production de recherches sur les réserves de ressources (matières premières). 245 La IPBES est un organisme intergouvernemental ouvert à tout membre des Nations Unies, créé en avril 2012. Elle est destinée à améliorer les liens entre les connaissances et la prise de décision. (http://www.fondationbiodiversite.fr/a-l-international/ipbes). 246 La Conférence des Parties (COP) instituée lors de l’adoption de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique en 1992, est l’organe suprême de la Convention. 378 multilatéral de négociation a actuellement de grandes difficultés « à déboucher sur des accords contraignants » qui limitent effectivement les émissions de carbones (Alphandery, Djama, Fortier, & Fouilleux, 2012, p. 11). Raison pour laquelle les initiatives portées par les acteurs non étatiques, notamment les ONG et les organisations internationales ont pris « une ampleur telle qu’elles sont souvent présentées comme le principal centre de gravité de la gouvernance globale de l’environnement » (Alphandery et al., 2012, p. 11). Dans les bassins étudiés, ce lien vertical (au sens d’une relation hiérarchique et non participative) global-local est particulièrement perceptible dans les projets encouragés par l’UICN, notamment les projets « Bonne Gestion de l’Eau et Adaptation au Changement Climatique » et le Projet BRIDGE (Building River Dialogue and Gouvernance), lesquels sont portés par l’Unité de Moyens de Subsistance et du Changement Climatique de l’UICN- ORMACA, avec le Centre de Droit Environnemental de l’UICN à Bonn. Nous avons identifié quatre aspects qui nous permetrons de montrer comment ces projets de coopération étudiés sont connectés à cet oligopole mondiale de la conservation : 1. L’analyse du processus de conception des projets, qui permet de déterminer quels sont les acteurs qui participent et quelles sont le s initiatives internationales qui inspirent les projets. 2. L’identification de l’origine des sources de financement des projets qui nous permet de montrer comment les projets sont majoritairement financés par ces organisations internationales. 3. L’examen du processus d’implémentation, qui permet de saisir les échelles et les acteurs qui interviennent dans la mise en œuvre sur le terrain. 4. Les logiques d’implémentation (top down ou bottom up), qui peuvent permettre de déterminer si les relations sont verticales et s’il existe des processus de rétroalimentation. Le tableau 23 résume l’examen des projets identifiés vis-à-vis à ces quatre éléments, et présente les différents projets, les organisations responsables et leurs antennes, les initiatives qui les inspirent et les différents pays concernés par les projets. 379 Tableau 23 Projets de coopération, initiatives qui les inspirent et pays de mise en oeuvre Projet Organisation Type Financeme Initiative Globale Antennes Pays Bassin responsable d’organisatio nt responsables et/ou d’application n ONG locales Projet Alliances Solidaires UICN Organisation Coopération Convention de Diversité UICN Bureaux pour Costa Rica Bassin du fleuve San pour la gestion territoriale internationale norvégienne Biologique (CDV) l’Amérique Latine Nicaragua Juan durable en Amérique centrale Le Groupe de et la Caraïbe El Salvador Conservation (ORMACA) Guatemala Bassin du fleuve Transfrontalière de Panamá Sixaola l’UICN247 Mis en place avec The Transboundary l’intermédiation des Conservation Specialist consortiums Group de la Commission locaux : Alianza d’Aires Protégées Bocas (Panamá), Union pour le Développement (Costa Rica), Consortium Los Humedales (Costa Rica) et Consortium El Gaspar Bonne Gestion de l’Eau et UICN Organisation Coopération L’Initiative Eau et Nature ORMACA Mexique Bassin du fleuve Adaptation au Changement internationale allemande conçue dans le document Centre de Droit Guatemala Sixaola Climatique “Vision Mondiale de Environnemental Honduras l’Eau" (2005). Lors du (Bonn) El Salvador Forum Mondial de l’Eau Guatemala Costa (2000) Mis en place avec Rica Panamá Programme Mondial de l’intermédiation de l’Eau l’ONG locale Groupe d’experts Corridor Biologique intergouvernemental sur Talamanca Caribe l’évolution du climat (GIEC) 247 Transboundary Conservation Specialist Group of the IUCN World Commission on Protected Areas 380 Projet Organisation Type Financeme Initiative Globale Antennes Pays Bassin responsable d’organisatio nt responsables et/ou d’application n ONG locales Projet BRIDGE UICN Organisation Programme BRIDGE ORMACA Mexique, Bassin du fleuve internationale d’hydro- Programme Mondial de Centre de Droit Guatemala, Sixaola diplomatie l’Eau Environnemental Honduras, El de la Le Groupe de (Bonn) Salvador Agence Conservation Costa Rica Suisse pour Transfrontalière de Mis en place avec Panamá la l’UICN l’intermédiation de Pérou Coopération l’ONG locale Equateur pour le Corridor Biologique Bolivie Développe Talamanca Caribe Laos ment Vietnam Cambodge Parcs en dangers TNC ONG USAID TNC TNC Costa Rica Mexique Bassin du fleuve internationale TNC Panamá Jamaïque Sixaola Guatemala Nicaragua Costa Rica Panamá St. Vincent and The Grenadines Equateur Manos a la Costa FUNPADEM ONG Union Groupe d’experts FUNPADEM Guatemala, El Bassin du fleuve San nationale Européenne intergouvernemental sur Mis en place avec le Salvador, Juan l’évolution du climat support de l’ONG Nicaragua, Costa (GIEC locale Fondation du Rica y Panamá fleuve. Source :Convention pour la Coopération pour le Développement Frontalier entre le Costa Rica et le Panamá, 1995 381 Ce tableau a pour objectif de décomposer les différents projets qui sont portés par des ONG et des organisations internationales et d’identifier ainsi leurs grandes caractéristiques structurelles. Dans un premier temps, en ce qui concerne le processus de conception des projets, nous pouvons constater comment ils s’inscrivent dans des initiatives globales comme c’est le cas des projets de l’UICN qui font partie de l’initiative « Eau et Nature » connue comme WANI (Water and Nature Initiative). De plus, ces projets reprennent les recommandations produites par des groupes d’experts comme c’est le cas du projet « Bonne Gestion de l’Eau et Adaptation au Changement Climatique » qui s’inspire des recommandations produites par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ce projet met en place aussi des ateliers pour appliquer des outils conçus par des groupes d’experts et par l’UICN afin d’améliorer les capacités d’adaptation au changement climatique à l’échelle locale ainsi que la prise de décision au niveau communautaire. L’un des instruments conçus par différentes organisations appartenant à cet oligopole de la conservation et mis en place par ce projet à l’échelle locale est par exemple 248 l’outil CRISTAL , une méthodologie d’identification des risques au niveau communautaire face au changement climatique (UICN & IISD, 2011). 248 « L’outil Cristal est un outil de planification et de gestion de projet qui aide les utilisateurs à intégrer la réduction des risques et l’adaptation aux changements climatiques dans leur travail au niveau communautaire (…).CRISTAL a été développé pour répondre aux résultats de la première phase de l’Initiative Moyens d’Existence et Changement Climatique, qui a démontré comment la gestion et la restauration des écosystèmes et/ou des projets sur les moyens d’existence durables contribuent à la réduction des risques et à l’adaptation aux changements climatiques. En sécurisant la base des ressources naturelles locales et en diversifiant les activités liées aux moyens d’existence, ces projets peuvent réduire l’exposition aux aléas climatiques et améliorer la résilience des communautés à un ensemble de menaces, y compris la variabilité et les changements du climat. L’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), IISD (Institut international du développement durable), SEI (Stockholm Environment Institute) et Inter-coopération ont donc décidé de dédier la prochaine phase du projet Moyens d’Existence et Changement Climatique au développement d’un outil de soutien décisionnel pour aider les planificateurs et les gestionnaires de projets à mieux comprendre les liens entre le climat, les moyens d’existence et leur travail afin qu’ils puissent concevoir des activités qui favorisent l’adaptation et qui minimisent les risques d’adaptation inadéquate. En raison de son orientation communautaire, CRiSTAL incite au développement de stratégies de réduction des risques et d’adaptation fondées sur les conditions, capacités et besoins locaux » (UICN & IISD, 2011). 382 En outre, les projets de l’UICN ont la particularité de reprendre les motions qui sont votées au sein de l’Assemblée Mondiale des Membres de l’UICN. C’est ainsi que les projets étudiés ici reprennent des « bonnes pratiques » qui ont été conçues à l’échelle globale et essaient de les appliquer localement. Les bonnes pratiques les plus évoquées sont celle de la gestion intégrée par bassin, de l’adaptation au changement climatique et de la mise en place de processus de gouvernance à travers la mise en place de structures et de codes de conduites. Habituellement, une fois que ces projets sont approuvés par les bailleurs de fonds, l’UICN les présente aux acteurs locaux grâce à des ateliers d’information. Ainsi, les acteurs locaux et plus particulièrement les organisations de base (associations indigènes, associations de développement et ONG locales) et même des professionnels des antennes nationales des organisations internationales participent rarement à la conception de ces projets et en sont seulement informés une fois qu’ils sont élaborés. Cette manière de procéder est très nette. Lors de nos entretiens avec des acteurs locaux comme les autorités indigènes ou les coopératives de producteurs, ceux-ci ont évoqué le fait qu’ils n’avaient pas participé à la conception de ces projets et que pour eux ces projets étaient importés. En ce qui concerne le financement des projets, le tableau rappelle que celui-ci est soumis à des agences internationales de coopération (Union Européenne, Coopération Espagnole), ou à des OIG (PUNUD, BM, BID). Les projets étudiés sont financés par les agences de coopération des pays du Nord (Norvège, Allemagne, Suisse, Union Européenne, USAID) ce qui les connecte aussi à ces Etats. Il convient que le rôle de ces financeurs est important et ne s’arrête pas là, car lors de la finalisation de ces projets, ces bailleurs jouent aussi le rôle d’évaluateurs des résultats. Pour ce qui est du processus d’implémentation, on observe que les organisations internationales font appel à deux modes de gestion : soit elles s’installent à l’échelle nationale ou locale en créant des antennes, soit elles s’appuient sur des ONG locales de plus petite taille (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 69). Ce deuxième cas est celui par exemple des projets encouragés par la FUNPADEM qui ont été mis en place avec la collaboration de l’ONG locale Fondation du Fleuve. Cependant ces modes de gestion sont parfois mêlés, ce cas est illustré par l’UICN qui a une antenne régionale à San José et un bureau local sur le bassin du fleuve Sixaola (Costa Rica). Mais l’UICN a en plus établi des accords avec l’ONG locale, Corridor Biologique Talamanca Caribe pour qu’elle assume le rôle d’intermédiaire entre l’UICN et les acteurs de base. Ces organisations ont ainsi une structure multiscalaire qui leur 383 permet de transformer les motions des initiatives et des accords résultant des sommets, des forums et des réunions d’experts en stratégies et en projets, qu’ils mettent ensuite en place de façon simultanée dans différents pays du monde. L’examen des projets nous a permis également de constater que ces organisations mettent en place des projets qui suivent la logique top down, de haut en bas, mais aussi qu’elles instaurent simultanément des processus suivant une logique bottom up, de bas en haut, notamment quand ces organisations font rémonter des propositions locales dans des forums et des réunions globales (COP, Panels). Par exemple, l’UICN a eu un rôle très important lors de l’organisation de la Conférence des Parties n. 15 (COP 15) sur le Changement Climatique en 2009. Ainsi, l’antenne de l’UICN Mésoamérique a facilité des réunions entre différents acteurs centraméricains provenant de divers secteurs afin de créer collectivement une position régionale pour cette conférence. L’UICN a facilité l’élaboration d’un document de position régional commun et a accompagné ces acteurs dans les négociations qui ont eu lieu lors de cette Conférence. L’UICN traduit les demandes locales dans le « langage » de la coopération, assumant ainsi le rôle d’intermédiaire. L’intervention de l’UICN est déterminante, puisqu’elle articule le local avec le global, en portant l’agenda local dans des plateformes internationales où se valident de nombreuses stratégies et protocoles. On peut dire, que l’agenda local ne représente pas que les intérêts des acteurs locaux, mais surtout ceux de l’UICN. Ces organisations constituent ainsi un système complexe de gouvernance multi-niveaux grâce auquel « chaque ONG internationale possède une structure complexe qui lui permet d’articuler une stratégie mondiale avec une action locale » (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 71). L’UICN à l’échelle locale avec ces projets, et à l’échelle internationale avec les forums et les Conférences des parties suit un modèle défini par P. Hassenteufel comme « technocratique » (Hassenteufel, 2011, p. 219). Il s’agit d’un modèle où l’expert grâce à son savoir scientifique et ses compétences techniques peut dominer les acteurs politiques : « l’expertise n’est pas simplement technique mais « instituante » dans la mesure où elle construit des problèmes publics correspondant à des objets d’action, définit des normes d’intervention et effectue des choix de valeurs » (Hassenteufel, 2011, p. 219). Cependant, à l’échelle nationale, le rôle de l’UICN s’insère davantage dans un « modèle décisionnel » où le savoir produit par l’expert est subordonné au pouvoir politique, c’est-à-dire le politique fait appel au « savant » pour éclairer une décision (Hassenteufel, 2011, p. 218). A l’échelle nationale, la question de la souveraineté est centrale, et nous avons pu le constater lors de nos entretiens, malgré les faiblesses administratives des institutions étatiques, les fonctionnaires interrogés se sont 384 montré concernés dès lors qu’il s’agit de protéger la souveraineté de l’Etat sur ces régions 249 frontalières . Comme l’affirment Chartier et Ollitrault : « Les ONG internationales influent sur une forme de mondialisation en jouant un triple rôle : en socialisant une élite qui articule des intérêts Nord/Sud ; en remplissant une mission d’expertise qui soutient des programmes mondiaux d’environnement et diffuse des normes, et en traduisant des problèmes environnementaux en un langage scientifique–militant (diagnostic de la réalité, construction de problématiques) qui les légitime autant à l’égard des institutions que de certains réseaux de protestation » (Chartier & Ollitrault, 2005, p. 41). Cette apparente légitimité leur octroie la capacité de mobiliser des acteurs étatiques, des acteurs de la société civile et des acteurs privés autour des thématiques qu’elles encouragent. Pour comprendre la complexité de cet oligopole de la conservation, nous approfondirons le cas de l’UICN. En effet, cette organisation a souvent été placée au centre du secteur mondial de la conservation, grâce à sa nature complexe et à sa structure décentralisée caractérisée par certains auteurs d’« innovatrice » (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 68). De plus, cet exemple nous paraît illustrer le fonctionnement de cet oligopole de la conservation (c.f. figure 22). Comme nous l’avons déjà évoqué, l’UICN agit à différentes échelles grâce à sa structure multiscalaire. A l’échelle globale, ses commissions d’experts, ainsi que son Assemblée des Membres élaborent des recommandations et des stratégies qui devront être appliquées à travers différentes méthodologies et sur des terrains très différents par les antennes et les organisations membres. Il est intéressant de constater que l’UICN exerce également un important lobbying international, à travers notamment sa participation aux groupes d’experts des Nations Unies et aux conférences des parties. Les savoirs qui sont produits dans ces groupes, réunions et assemblées, sont par la suite repris et « traduis » par le Secrétariat de l’UICN (le siège et les antennes) et par toutes les institutions de l’UICN, tel que le Centre de Droit Environnemental. Même si de nombreux Etats aux conférences et à l’Assemblée de Membres, une fois les projets conçus, il est rare que ces Etats soient protagonistes des processus de mise en oeuvre des projets. 249 Entretiens réalisés le 10 juin 2012 avec Marcelo Pacheco, représentant du MINAET à Talamanca et dans le Projet BID-FEM, et le 19 juillet 2012 avec Ruben Munoz, directeur de la Coopération Internationale du MINAET à San José, Costa Rica. 385 Comme nous l’avons déjà exposé dans notre cinquième chapitre, il est chaque fois plus fréquent que les ONG internationales fassent appel à des alliances avec des ONG locales au moment de présenter les projets aux bailleurs. Les ONG locales, grâce à leur proximité avec les acteurs locaux et leur légitimité, ont un rôle grandissant d’intermédiaires. Les ONG internationales s’appuient sur elles pour mettre en place leurs projets. Néanmoins les ONG internationales gardent toujours le contrôle des projets, puisqu’elles coordonnent les actions, gèrent les projets et les fonds, et évaluent les résultats. Elles ont une position de supériorité vis-à-vis des ONG locales, ceci est le cas de l’ONG locale Corridor Biologique Talamanca Caribe, laquelle maintient une position de subordination par rapport à l’UICN (cf. figure 20). L’UICN est une organisation internationale très particulière, grâce à son Assemblée des Membres et à sa structure décentralisée, elle se présente comme une “union démocratique” d’organisations et d’Etats. Malgré tout, sa « démocratie » est souvent mise en doute par de nombreux acteurs qui y voient une structure verticale, hiérarchique et peu représentative. Dans ce sens, D. Compagnon affirme en parlant des ONG et des organisations internationales en général que « les stratégies et les campagnes sont définies par un petit état-major de permanents, la base étant amenée à adhérer aux actions et à ratifier les prises de position de l’organisation. Comment une organisation non démocratique pourrait-elle contribuer à démocratiser la gouvernance globale ? » (Compagnon, 2005, p. 186). Cette question nous amène à nous interroger sur la représentativité de ces organisations et l’importance donnée par le secteur de la conservation à la démocratie délibérative. Nous traiterons ces questions dans la sous-partie 4 de ce Chapitre. En effet, nous estimons que la présence d’acteurs exogènes comme les organisations internationales, la BID mais aussi les agences de coopération et les ONG internationales connectent ces régions frontalières avec un oligopole de la conservation qui a développé tout un discours (concepts, méthodologies, vocabulaire) appliqué de façon verticale à l’échelle locale, sans passer nécessairement par les gouvernements centraux. Ces organisations justifient le dépassement du champ national en argumentant qu’une action globale est nécessaire pour combattre la dégradation de la biodiversité, les Etats sont pour elles, très limités notamment parc qu’ils manquent d’une vision globale et ne peuvent agir que sur leurs territoires nationaux (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 84). Cependant nous ne pouvons pas affirmer que les gouvernements soient complétement absents mais leur rôle est assez flou. Même s’ils participent à ces projets, il est clair qu’ils ne sont pas les protagonistes, ils apparaissent soit comme un participant parmi d’autres, soit comme des alliés des projets. 386 Figure 22 Structure et implémentation des projets de l’UICN. Les cas des Projets Alianzas, BRIDGE et Adaptation au Changement Climatique en Amérique Centrale Groupes d’experts Initiative Eau et Nature Assemblée des Membres de l’UICN Commissions de Global l’UICN Secrétariat de l’UICN Antenne de l’UICN Afrique Antenne de l’UICN Régionale Amérique du Sud Antenne de l’UICN Mésoamérique et Caraïbes Antenne de l’UICN Méditerranée Antenne de l’UICN Asie Projet Adaptation au Coopération Projet Coopération Projet BRIDGE Coopération Changement Climatique Allemande Alianzas Norvégienne Suisse Consortiums locaux Corridor Biologique Talamanca Caribe Locale APPTA Autorités Indigènes Coopératives Espaces de Projets mis en place par l’UICN conception Mésoamérique et Caraïbes Antennes régionales de Acteurs locaux (associations, ONH, l’UICN Coopératives) 387 2. Le rôle des communautés épistémiques dans la construction des discours et des concepts de la gouvernance environnementale Les organisations et les ONG environnementalistes se sont construites de façon différente que les ONG humanitaires et de développement. En effet, si ces dernières se sont davantage consacrées au montage et à la gestion de projets, les ONG environnementalistes se sont davantage dédiées à la sensibilisation ainsi qu’à la production d’information publique (Ryfman, 2010, p. 42). Certaines ont aussi assumé le rôle de la dénonciation comme Greenpeace et Amis de la terre, de mise en alerte comme l’UICN ou de prévention comme TNC. Même si ces organisations ont assumé des répertoires d’actions très divers comme le lobbying, la dénonciation et même la désobéissance civile (particulièrement Greenpeace), elles ont toutes en commun le fait d’avoir fondé leurs positions et actions sur des résultats issus de processus de recherche scientifique. Le rapprochement de la science à la politique, notamment en matière environnementale a été fondamentale et nous pouvons l’observer dans toutes les conventions (CITES, CDB, RAMSAR, Objectifs du Millénaire) et dans toutes les déclarations issues des sommets (Déclaration de Rio), lesquelles font appel à des recherches scientifiques pour soutenir leurs recommandations et normes. Dans le secteur mondial de l’environnement, la science et l’expertise ont ainsi un rôle primordial. Il existe une grande diversité d’acteurs à qui la communauté internationale a attribué la tâche de produire ces données scientifiques. Ces acteurs couramment appelés « communautés épistémiques » regroupent non seulement des organisations comme l’UICN, TNC, WWF, mais aussi des groupes d’experts. L’expression de communauté épistémique a été introduite à la fin des années 1990 par des auteurs comme Emmanuel Adler et Peter Haas (Meyer & Molyneux-Hodgson, 2011). Pour Haas, une communauté épistémique est un « réseau de professionnels ayant une expertise et une compétence reconnues dans un domaine particulier qui peuvent faire valoir un savoir pertinent sur les politiques du domaine en question » (Haas, 2013, p. 351). L’étude des communautés épistémiques est pertinent, puisqu’il nous permet de comprendre comment fonctionnent « les canaux par lesquels de nouvelles idées circulent des sociétés vers les gouvernements et d’un pays à l’autre » (Bossy & Evard, 2010, p. 140). 388 Ces communautés d’experts ont une influence croissante sur de nombreux aspects de la politique, « que se soit la création de nouvelles politiques ou de régulations, leur diffusion, ou le maintien de certaines idées sur l’agenda politique » (Meyer & Molyneux-Hodgson, 2011, p. 141). Elles sont intégrées par des professionnels et des scientifiques de différentes disciplines qui partagent un ensemble de croyances normatives et des principes, lesquels fournissent les bases des actions qu’ils proposent (Bossy & Evard, 2010, p. 143; Haas, 2013, p. 352). C’est ainsi que ces communautés épistémiques partagent des compétences, des méthodes scientifiques et des croyances normatives c’est-à-dire des critères intersubjectifs qui vont par la suite justifier l’action sociale de ces membres (Meyer & Molyneux-Hodgson, 2011, p. 142). Ils ont des « croyances partagées sur les causalités, qui sont issues de leur analyse (…) et qui servent pour élucider les liens multiples entre actions politiques possibles et résultats souhaités » (Haas, 1992, p. 3). Les solutions proposées par cette communauté sont une construction collective d’un cercle assez fermé d’experts (modèle technocrate), elles sont aussi le résultat d’une demande politique, d’un besoin de la part des preneurs de décisions (modèle décisionnel) qui parfois n’ont ni les connaissances ni les moyens de les produire(Meyer & Molyneux-Hodgson, 2011, p. 142). Les experts internationaux en matière de conservation environnementale forment plusieurs communautés épistémiques qui ont déjà été très étudiées (Dumoulin & Rodary, 2005 ; Haas, 1992, 2013; Ryfman, 2010). Cette communauté internationale a une influence très importante dans les relations internationales et dans les politiques publiques. Consacrée à la conservation de l’environnement, elle est ordonnée en organisations internationales (UICN, TNC, WWF, entre autres), en OIG (PUND, UNEP), groupes d’experts et Think Tanks. Il convient de préciser le concept de Think Tanks (laboratoires d’idées), qui fait référence à des groupes de réflexion nés aux Etats-Unis à partir des années 1970 (Medvetz, 2009, p. 7). Initialement ce terme faisait référence à une grande diversité d’institutions appartenant aux universités, aux grandes entreprises, aux partis politiques et aux mouvements sociaux (Ibid., p. 7). Aujourd’hui les think tanks « occupent des espaces plus réservés » et ils se différencient des centres de recherche universitaire par leur objectif qui est celui d’influencer les décisions 250 politiques à travers des produits comme les short policy papers où les policy brief . Ces documents produits par des spécialistes sont développés de façon réactive « face aux cycles 250 Un policy brief, est un résumé réalisé par des experts sur une thématique particulière qui propose une analyse et des recommandations ponctuelles pour faire face à des problématiques particulières. Il est destiné à des décideurs politiques pour ainsi influencer l’élaboration des politiques publiques. http://www.fao.org/docrep/014/i2195e/i2195e03.pdf 389 rapides et inexorables des décisions politiques » (Ibid., p. 9). Ces policy brief doivent expliquer de façon opportune les raisons qui font qu’une décision politique soit bonne ou mauvaise. La recherche scientifique en sciences sociales a une temporalité différente qui permet la prise de recul par rapport aux évènements et permet la création de savoirs qui seront utiles à travers le temps, et non dans une conjoncture donnée (Ibid., pp. 9–10). Il convient ainsi de différencier les scientifiques des experts, les scientifiques étant les producteurs des savoirs et souvent liés au monde académique. Les experts sont avant tout « des individus dotés de compétences et/ou d’un savoir-faire spécialisé » (Hassenteufel, 2011, p. 217). Il ont un rôle influent par rapport aux politiques publiques, puisqu’ils exercent un rôle d’intermédiaire entre « un espace de savoir et un espace décisionnel (une arène de politique publique) » (Hassenteufel, 2011, p. 218). Ainsi, ils passent de l’univers académique vers le milieu politique et ils agissent à différents niveaux d’action publique (Hassenteufel, 2011, p. 223). En effet, grâce à leur structure décentralisée, ils diffusent les savoirs, les instruments d’actions (méthodologies et concepts) et les argumentaires qui justifient leurs orientations. Les processus de débat, de construction de connaissances ont souvent lieu lors des forums internationaux, des sommets sur de sujets spécifiques (Conférence sur le Changement 251 Climatique par exemple). Les commissions d’experts et les panels se différencient des think tanks, parce ce sont des groupes de réflexion produisant des connaissances suite à une recherche scientifique et ne se réunissant pas qu’à la demande des politiques. L’UICN par exemple rassemble près de 11 000 scientifiques et spécialistes volontaires au sein de six Commissions qui sont : - Commission de Gestion d’Ecosystèmes - Commission d’Education et Communication - Commission d’Environnement, Politique Economique et Sociale - Commission de Droit Environnemental - Commission pour la Survie des Espèces - Commission Mondiale des Aires Protégées L’UICN à travers ces six Commissions cherche à accomplir l’objectif de mettre en place des actions de recherche et d’évaluation sur l’état des écosystèmes. Elle réalise ainsi de nombreuses études sur l’état des ressources naturelles au sein de ces commissions, lesquelles 251 Le panel est un groupe d’experts qui se réunit autour d’une thématique et qui a comme objectif de synthétiser différentes contributions (techniques et scientifiques) et de produire un rapport qui fournit une vision et/ou des recommandations (Slocum, 2006, p. 111). http://www.kbs-frb.be/uploadedFiles/KBS-FRB/Files/FR/PUB_1600_Outil_7_PanelExperts.pdf 390 réunissent des experts et des scientifiques de différentes disciplines, ces commissions conseillent les gouvernements et les organisations internationales. Ces Commissions ont la responsabilité de produire et de diffuser des standards mondiaux pour les politiques nationales de conservation. Deux instances jouent un rôle très important de « catalyseurs dans cette mondialisation de politiques » (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 63): la Commission pour la Survie des Espèces qui produit, depuis plus de cinquante ans, la liste 252 mondialement connue des espèces menacées (The Red List ) et la Commission Mondiale des Parcs qui a produit une classification des aires protégées dans le monde. Même si à l’échelle globale, l’UICN est encore un de principaux lieux de « contact des spécialistes de secteur » (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 77), d’autres organisations comme le PNUE et l’UNESCO représentent aujourd’hui d’importants espaces de débat. Il y a ainsi une importante multiplication des agences et de l’expertise dans la construction d’un savoir global sur la conservation de l’environnement. Il convient de remarquer que ces ONG internationales et ces OIG ont développé et diffusé tout un discours qui détermine ce qui peut-être conçu comme une « bonne » gestion de l’environnement. Ce discours et ces concepts sont présentés comme une vérité incontestable, comme l’affirment Meyer et Molyneux-Hodgson : « Les membres de ces communautés épistémiques partagent une foi dans les méthodes scientifiques comme moyen de produire la vérité » (Meyer & Molyneux-Hodgson, 2011, p. 142). Ainsi, ceci explique pourquoi ces organisations internationales mettent en place à l’échelle locale les mêmes stratégies et concepts, en reproduisant ce que nous avons appelé la « recette de la conservation ». Cette recette implique que ces organisations appliquent simultanément une rhétorique et des activités très similaires sur un même territoire. La rhétorique diffusée par ces organisations à travers ces projets est omniprésente, certains auteurs évoquent qu’il existe ainsi une intégration horizontale des organisations travaillant dans ce secteur, ce qui entraîne une mise en commun des méthodologies, du vocabulaire et des cadres d’actions (Dumoulin & Rodary, 2005, p. 78). La proximité des projets et des stratégies proposés provoque d’un côté une répétition des actions à l’échelle locale et d’un autre côté une concurrence à l’échelle globale entre toutes ces organisations pour capturer les fonds internationaux. 2. Il est important aussi de souligner qu’après l’examen des projets analysés, la nature est présentée de façon générale comme un « bien commun universel » que la communauté 252 http://www.iucnredlist.org/ 391 internationale est responsable de protéger. Les ONG et les OIG se révèlent être « les représentants auto-proclamés de l’improbable société civile globale » (Kazancigil, 2005, p. 31). Ainsi, on peut citer les slogans de l’ONG internationale The Nature Conservancy qui font preuve de cette mission auto-proclamée de défenseurs de la nature globale : « Notre mission : conserver les terres et les eaux dont toute vie dépend », ou encore « Nous travaillons pour protéger une myriade d'habitats afin que nous puissions préserver la diversité de la vie 253 sur Terre » . L’UICN évoque de même dans son discours son rôle de garante de cette nature globale et introduit son programme global 2013-2016 avec cette phrase : « Travailler pour les personnes et la nature : Le Programme de l'UICN 2013-2016 vise à mobiliser les communautés pour la conservation de la biodiversité, le développement durable et la réduction de la pauvreté dans des efforts communs visant à enrayer la perte de biodiversité et appliquer des solutions basées sur la nature pour préserver la biodiversité, améliorer la résilience, renforcer l'équité, réduire la pauvreté et améliorer ainsi le bien-être de personnes 254 sur toute cette planète » . Dans ce contexte, les communautés épistémiques ont une influence croissante à l’échelle locale, nationale et régionale. A l’échelle globale, elles produisent des connaissances et des recommandations qui se veulent des réponses à des problématiques partagées par tous. Nationalement et localement, ces communautés ont joué le rôle de diffuseur et traducteur des recommandations et accords internationaux (Initiative Eau et Nature, Liste d’espèces en danger, Conventions sur le Changement Climatique,…). A l’échelle régionale de l’Amérique Centrale, ces organisations internationales sont devenues les conseillères du Système d’Intégration (SICA) et des gouvernements nationaux. C’est le cas de l’UICN et de TNC dans des thèmes comme le Changement Climatique, les Aires protégées et la Gestion Intégrée de la Ressource Hydrique (GIRH). Dans le cadre du SICA par exemple, l’UICN a participé de façon très active à l’élaboration de la Stratégie Centraméricaine pour la Gestion Intégrée des Ressources Hydriques (ECAGIRH). A l’échelle locale, les régions frontalières où ont été mis en place ces projets, sont devenues de vrais laboratoires de cette coopération, où sont testés ces savoirs, ces méthodologies et ces concepts. 253 http://www.nature.org 254 http://www.iucn.org/what/global_programme/ 392 3. Le discours de la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) et du bassin versant transfrontalier au centre de la conservation des régions frontalières d’Amérique Centrale L’examen de l’ensemble des projets mis en place sur le bassin du fleuve Sixaola (Costa Rica- Panamá) et sur le bassin du fleuve San Juan (Costa Rica-Nicaragua), nous a permis de déterminer un certain nombre de concepts, méthodologies et instruments d’actions, qui ont été diffusés et appliqués par différentes organisations à travers les projets de coopération que celles-ci mettaient en place. Parmi eux, les plus évoqués ont été d’abord la question de l’adaptation au changement climatique, la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) et la question de la gouvernance. L’adaptation au changement climatique est une thématique centrale et chaque fois plus évoquée, dans ces deux bassins. Deux des projets identifiés sont 255 exclusivement dédiés à cette thématique . De plus, les concepts de GIRE et de bassins transfrontaliers sont utilisés dans tous les projets étudiés, ainsi que la question de la gouvernance. La majorité des projets reconnaissent en effet le bassin versant comme échelle et unité de gestion. C’est pourquoi nous allons concentrer notre analyse autour des concepts et méthodologies liées à la GIRE, à la gestion intégrée des bassins transfrontaliers et à la gouvernance. Le choix s’est porté, tout d’abord sur le concept de gestion intégrée des ressources en eau (GIRE), puisque nous estimons que son introduction dans ces bassins a impliqué un changement dans les rapports de force qui sont mis en place dans ces régions de frontière. Il faut la relier ici à l’introduction de la notion de bassin qui est rentré en confrontation avec d’autres types de territoires qui coexistent sur cette frontière. Nous partons de l’hypothèse que la GIRE est majoritairement portée par les organisations et ONG internationales, reléguant un peu les Etats dans un rôle subalterne. L’étude de ces aspects nous paraît importante pour comprendre l’impact que ces organisations ont dans la gestion du territoire et de l’environnement. Nous avons également porté notre intérêt sur l’analyse de la question de gouvernance, puisque cette notion est présente dans tous les projets identifiés sur ces deux régions frontières. Son analyse nous paraît pertinente notamment parce que ces acteurs exogènes, à travers leurs projets, encouragent la mise en place de dispositifs de normalisation (Codes de conduite) et de délibération (Comités) que nous estimons avoir un impact dans les relations de pouvoirs et dans les processus décisionnels à l’échelle locale. 255 Adaptation au changement climatique de l’UICN et Manos a la costa de la FUNPADEM 393 Nous analyserons donc comment les acteurs exogènes exportent leurs concepts et comment ils les « traduisent » (matériaux, documents des projets, propagande, ateliers) avant de les mettre en place localement. Nous porterons un regard particulier sur la manière dont ces notions rentrent en confrontation avec des pratiques locales et nous essayerons de déterminer si elles peuvent être caractérisées d’hégémoniques? Les dispositifs de normalisation et de délibération proposés par ces projets sont-ils représentatifs et légitimes ? Enfin, nous analyserons le rôle qu’ont les élites locales dans ces espaces de délibération et nous nous interrogerons sur le caractère démocratique de ces dispositifs. 3.1. L’émergence et l’internationalisation des concepts de GIRE et de bassin versant Depuis la fin du XIXème siècle jusqu’aux les années 1990, la recherche de solutions aux problématiques de la ressource en eau a été dominée par des approches « donnant la priorité à l’ingénierie et aux grandes infrastructures hydrauliques ». Dans cette perspective, les Etat ont été les principaux responsables de l’application de ce que F. Molle appelle « la mission hydraulique », héritière des grands aménagements hydrauliques coloniaux (Molle, 2012, p. 23). Ce modèle que S. Ghiotti appelle le triptyque Frontière/Etat/Navigation, perçoit les cours d’eau d’une part comme des enjeux politiques qui sont propriétés des Etats, lesquels affirment leur souveraineté sur eux, et d’une autre part comme des enjeux économiques à cause de leur rôle dans la circulation d’hommes et des marchandises (Ghiotti, 2014, pp. 19– 256 20). Il convient de préciser que ce modèle développementaliste qui a eu un profond impact dans l’aménagement des bassins versants pendant les décennies de 1970-1980, a été fortement impulsé et financé par la Banque Mondiale (Ghiotti, 2014, p. 18) Cependant à partir de la fin des années 1980, nous pouvons apercevoir un changement de paradigme dans « les réseaux internationaux et dans les communautés épistémiques de 257 l’eau » (Julien, 2012, p. 2). Ce changement de paradigme est la conséquence d’une prise de conscience à l’échelle planétaire du caractère non renouvelable de certaines ressources naturelles (en particulier de l’eau), de la réduction de la biodiversité et du changement 256 Les premiers aménagements hydrauliques ont été réalisés par les Etats-Unis en 1930 comme c’est le cas de tout le système de barrages du fleuve Tennessee, géré par la Tennessee Valley Autority (TVA). 257 Terme « communauté épistémique de l’eau » est utilisé par F. Molle, S. Ghiotti, et F. Julien (S. Ghiotti, 2014; Julien, 2012; François Molle, 2012) 394 258 climatique. La communauté épistémique de l’eau arrive à la conclusion que cette ressource est confrontée aujourd’hui à une surexploitation à cause de la croissance économique et démographique, situation qui entraine des pénuries qui peuvent déboucher sur des conflits ou « guerre de l’eau ». (Ghiotti, 2014 ; Julien, 2012). S. Ghiotti démontre que suite à « l’arme » suscitée par le discours des guerres de l’eau, à partir des années 1990 il y a eu une importante production d’études et d’évaluations par rapport à l’état des ressources en eau et des bassins, qui a été suivie dans les années 2000 par la « recrudescence de publications » sur ces thématiques (Ghiotti, 2014, p. 17). C’est ainsi que entre la fin des années 1980 et les années 1990, à l’échelle mondiale, il y a eu un progressif changement de paradigme dans la perception de la nature et de la gestion de l’eau qui a été confirmée dans les réseaux internationaux de professionnels de l’eau (Julien, 2012, p. 4), et concrétisé par le rapport Brundtland connu aussi sous le titre « Notre avenir à tous ». Ce rapport apparu en 1987 met en cause le modèle aménagiste et développementaliste et introduit la rhétorique du développement durable (Ghiotti, 2014; François Molle, 2012). Le développement durable encourage des revendications environnementales et sociales, et cherche à réconcilier le développement économique et la durabilité sociale et environnementale pour les nouvelles générations (CMED, 1987). C’est dans ce contexte où émerge le concept de Gestion Intégrée des Ressources en Eau 259 (GIRE), suite à la Conférence internationale sur l’eau et l’environnement de Dublin de janvier 1992, que la GIRE fut promue comme la principale réponse aux défis d’un secteur de l’eau chaotique à cause d’une gestion historiquement fragmentée des ressources en eau par divers secteurs et ministères (Julien, 2012, p. 5; François Molle, 2012, p. 21). Cette conférence suscitera la rédaction de la Déclaration de Dublin, laquelle établira quatre principes qui vont guider la « gouvernance de l’eau et l’opérationnalisation de la GIRE » (Julien, 2012, p. 5). 258 La communauté épistémique de l’eau est formée par une grande diversité d’acteurs : fonctionnaires internationaux ou nationaux, industriels, experts, scientifiques ONG, OIG, entre autres (Ghiotti, 2014, p. 21) 259 Cette conférence réunissait plus de 500 experts désignés par les gouvernements d’une centaine de pays et de représentants de 80 organisations internationales, intergouvernementales et non gouvernementales (ICWE, 1992; Julien, 2012, p. 5) 395 Encadré 7 Les Principes de Dublin Principe No. 1 
 L’eau douce - ressource fragile et non renouvelable - est indispensable à la vie, au développement et à l’environnement Comme l’eau est indispensable à la vie, la bonne gestion des ressources exige une approche globale qui concilie développement socio-économique et protection des écosystèmes naturels. Une gestion efficace intégrera l’utilisation du sol et de l’eau pour la totalité d’un bassin versant ou d’un aquifère. Principe No. 2 
 La gestion et la mise en valeur des ressources en eau doivent associer usagers, planificateurs et décideurs à tous les échelons Pour ce faire, il faut que les décideurs, comme l’ensemble de la population, soient bien conscients de l’importance des ressources en eau. Les décisions seraient donc prises à l’échelon compétent le plus bas en accord avec l’opinion publique et en associant les usagers à la planification et à l’exécution des projets relatifs à l’eau. Principe No 3 
 Les femmes jouent un rôle essentiel dans l’approvisionnement, la gestion et la préservation de l’eau Les arrangements institutionnels relatifs à la mise en valeur et à la gestion des ressources en eau tiennent rarement compte du rôle primordial des femmes comme utilisatrices d’eau et gardiennes du milieu vivant. L’adoption et l’application de ce principe exigent que l’on s’intéresse aux besoins particuliers des femmes et qu’on leur donne les moyens et le pouvoir de participer, à tous les niveaux, aux programmes conduits dans le domaine de l’eau, y compris la prise de décisions et la mise en oeuvre, selon les modalités qu’elles définiront elles-mêmes. Principe No. 4 
 L’eau, utilisée à de multiples fins, a une valeur économique et devrait donc être reconnue comme bien économique En vertu de ce principe il est primordial de reconnaître le droit fondamental de l’homme à une eau salubre et une hygiène adéquate pour un prix abordable. La valeur économique de l’eau a été longtemps méconnue, ce qui a conduit à gaspiller la ressource et à l’exploiter au mépris de l’environnement. Considérer l’eau comme un bien économique et la gérer en conséquence, c’est ouvrir la voie à une utilisation efficace et à une répartition équitable de cette ressource, à sa préservation et à sa protection. (ICWE, 1992) 260 Cette conférence d’experts a influencé le développement et la pratique de la GIRE et a introduit de façon très générale la notion de bassin versant et insiste sur l’importance de la participation des usagers, des planificateurs et des décideurs dans les processus de prise de décisions. Il inclut aussi une approche de genre dans la gestion de l’eau et met en avant la dimension économique de l’eau. Ce dernier aspect a été très discuté, puisque cette déclaration fait « basculer l’eau dans la catégorie des produits marchands » reprenant ainsi les principes du consensus de Washington qui « prône la rentabilité des investissements publics, ce qui impose la règle de ce qui a un coût, doit avoir un prix » (Bouquet, 2012, p. 63). De cette façon à l’échelle internationale il y a une prise de position idéologique renonçant au principe de déclarer l’eau comme un bien public et universel. 260 Il faut cependant signaler que même si la Conférence de Dublin a souvent été évoquée comme la première conférence faisant référence à la GIRE, M. Rahaman et O. Varis évoquent la Conférence de l’Eau de 1977 à Mar del Plata comme une des premières réunions internationales à mettre en place un plan d’action sur la GIRE, lequel reprenait une grande diversité d’aspects comme l’usage et l’efficience de l’eau, l’environnement, la santé, 260 la pollution, la planification politique et la coopération internationale (Rahaman & Varis, 2005, p. 16). 396 La référence aux principes de la Déclaration de Dublin est ainsi nécessaire parce qu’elle nous permet de comprendre sous quelle influence idéologique a été conçue la GIRE et par la suite comment ces principes influencent le discours et le contenu des projets qui aspirent à mettre en place des actions de GIRE sur les deux bassins d’étude. La plus importante critique de la Conférence de Dublin a été le manque de participation active 261 d’experts et de représentants des pays en développement (Rahaman & Varis, 2005, p. 16). Cet élément a été profondément critiqué par plusieurs professionnels de l’eau et décideurs politiques du Sud, ainsi que le principe numéro 4 de la Déclaration qui définissait l’eau comme un bien économique. Suite à la Déclaration de Dublin, lors du Sommet de la Terre de Rio en juin 1992, la GIRE est définie comme : « Un processus qui favorise le développement et la gestion coordonnée de l’eau, des terres et des ressources connexes, en vue de maximiser de manière équitable le bien-être économique et social, sans pour autant compromettre la pérennité d’écosystèmes vitaux » (GWP, 2000, p. 24). Ce sommet mettra en place aussi un plan d’action appelé Agenda 21 qui consacrera son chapitre 18 à l’eau, en déterminant que la GIRE « est fondée sur l’idée que l’eau fait partie intégrante de l’écosystème et constitue une ressource naturelle, un bien social et économique dont la quantité et la quantité déterminent l’affectation » (ONU, 1992). Le concept de GIRE selon F. Molle englobe les trois principes du développement durable qu’il appelle les « trois E » c’est-à-dire l’efficience (rationalité économique), l’équité et l’environnement ( Molle, 2012, p. 25). La figure 23 présente ainsi les « trois piliers » de la GIRE ainsi que les principales actions proposées pour accomplir chacun de ces piliers. 261 “The major limitations of the Dublin conference were that it was, for the most part, a meeting of experts rather than an intergovernmental meeting, and that it did not consider the outcomes of Mar del Plata. Unlike Mar del Plata, there was a lack of active participation from the developing world, which was later heavily criticized. Many water professionals and decisionmakers from the developing world not only criticized the Dublin principles, especially the fourth, but also criticized the failure of the participants to indicate how the principles could be implemented in the context of complex water management scenarios in the developing countries” (Rahaman & Varis, 2005). 397 Figure 23 Les trois E de la GIRE Privatisation Marchés de l’eau Efficience économique Optimisation de l’allocation Recouvrement du coût total Produits à haute valeur ajoutée Efficience GIRE Equité Environne- ment Droit à l’eau Hydro-solidarité Débits environnementaux Ethique de l’eau Empreinte écologique Rôle des femmes Principe pollueur-payeur Partage des bénéfices Approche éco-systémique Réduction de la pauvreté Services Environnementaux Source : Molle François, Figure 1.1. La Gire et ses trois « E » In La Gire : anatomie d’un concept, La gestion intégrée des ressources en eau en Afrique Subsaharienne, Presses Universitaires de Québec, 2012 pag. . L’examen des composantes de la GIRE nous permet de constater que ce modèle met en valeur les notions d’efficience, marchés verts, privatisation des services, entre autres. Pour comprendre cette influence néolibérale, il faut contextualiser l’émergence de la GIRE dans la période de l’apogée des programmes d’ajustements structurels (PAS), lesquels encourageaient la réduction systématique du rôle des Etats notamment dans les secteurs de la santé, de l’éducation et des services publics. La justification de la mise en place de ces mesures était que les Etats avaient été jugés inefficaces et responsables de la mauvaise gestion des ressources en eau, ce qui avait entraîné les crises de l’eau. Face à l’inefficacité des Etats dans la gestion de l’eau, la GIRE proposait une plus grande participation du secteur privé et le transfert de responsabilités aux usagers ( Molle, 2012, p. 26). La GIRE est ainsi très influencée par les idéologies néolibérales. Elle introduit dans les processus de gestion de l’eau des intérêts privés. 398 L’un des aspects les plus importants est que la GIRE introduit le « bassin versant » comme « l’unité de gestion la plus pertinente pour intégrer à la fois les conditions naturelles et les systèmes mis en place par les sociétés locales » (Bouquet, 2012, p. 65). Il convient de remarquer que la notion de bassin est ancienne, puisqu’elle a été formalisée par le géographe Philippe Buache (1700-1773). Celui-ci definit le bassin hydrographique, en reliant le réseau hydrographique et l’orographie, comme une portion du territoire delimité par des lignes de crêtes, dont les eaux coulent dans la mer ou dans un autre cours d’eau (S. Ghiotti, 2007, p. 6). La GIRE reprend ce concept et le présente comme une ressource globale qui intègre le sol, la végétation et l’eau (Descroix, 2012, p. 77). S. Ghiotti a identifié un processus d’internationalisation de la gestion de l’eau autour de l’approche par bassin internationaux transfrontaliers à partir des années 1990, qui se met en place grâce aux scientifiques, aux techniciens et aux gestionnaires qui diffuseront à travers 262 leur production scientifique et leurs projets les principes de la GIRE . Dans cette internationalisation de la GIRE, les organisations internationales et les bailleurs de fonds joueront un rôle très important. La participation, tardive pour certains (1997) ( Molle, 2012, p. 27), de la Banque Mondiale a été décisive pour le maintien de la question de l’eau et des bassins dans l’agenda international (Ghiotti, 2014, p. 21). En 1993, la Banque Mondiale avec le document de politique générale sur l’eau, définit des orientations en matière d’eau et bassins. Cette politique établit que les Etats en voie de développement voulant avoir accès à ces prêts pour développer des projets hydriques, devaient adopter ce paradigme et suivre une “bonne législation en matière d’eau” (Trottier, 2012, p. 191) en insistant sur l’importance de la participation. C’est ainsi qu’à partir de la fin des années 1990, la notion de GIRE a été progressivement incorporée dans les législations nationales liées à la gestion de l’eau dans le monde. Cependant, certains auteurs affirment que cette incorporation a été réalisée de manière superficielle. A son tour, la BID a repris aussi la rhétorique de la GIRE. La diffusion de la GIRE à l’échelle mondiale va être portée par le Global WaterPartnership 263 (GWP) institution fondée en 1996 par la Banque Mondiale (BM), le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), la Swedish International Development Agency (SIDA) et le WorldWater Council. Au début la GWP a été créée comme un think tank, un groupe de réflexion international pour traiter les problématiques de l’eau. 262 La thématique de l’eau devient ainsi prioritaire durant la Conférence Internationale de Paris sur l’Eau et le développement durable (1998) et lors du Second forum mondial de l’eau à la Haye (2000). 399 Actuellement, elle fonctionne comme un réseau qui regroupe une multiplicité d’ONG, des agences des Nations Unies, des institutions financières, des entreprises et des organisations de bassin (Trottier, 2012, p. 180). Parallèlement aux OIG et aux banques de développements, des organisations et des ONG internationales du secteur de l’environnement ont recouru à la GIRE pour promouvoir la conservation de l’environnement. Dans leurs plans d’actions, ces organisations ont articulé l’approche écosystémique (que nous avons étudié dans le chapitre 5) et la GIRE, laquelle fait aussi appel à la conservation des écosystèmes. L’UICN est peut-être le meilleur exemple ( Molle, 2012, p. 35). Cette organisation est une des plus assidues défenseuses de l’approche écosystémique, ainsi que de la GIRE et de l’approche par bassin, notamment à travers son initiative WANI et le projet BRIDGE qui encouragent la GIRE et la gouvernance des bassins transfrontaliers (cf chapitre 5). Son Programme Mondial de l’Eau a énormément contribué à la diffusion de la GIRE dans le monde grâce à sa structure décentralisée (antennes) et ses nombreuses alliances multiscalaires. Il convient de remarquer que les bailleurs de fonds se sont progressivement adressés à ces organisations et ONG pour faire d’elles les opératrices de ces actions (Bouquet, 2012, p. 68), contribuant ainsi à un dépassement des Etats. Sur un autre plan, l’Assemblée Générale de l’ONU adopta en mai 1997 la Convention sur l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation. Nous avons évoqué cette convention dans notre première partie, mais il convient de l’évoquer à nouveau parce qu’elle a été fondamentale dans le processus d’internationalisation, notamment en encourageant une approche à partir des cours d’eau et non plus à partir de la notion de bassin versant. Ceci est le résultat « d’un compromis » entre le besoin de fournir un nouveau cadre juridique sans qu’il soit contraignant pour les Etats (Ghiotti, 2014, p. 21), lesquels percevaient la notion de bassin transfrontaliers comme un danger pour la souveraineté et l’autonomie des Etats. Ces déclarations et conventions introduisent un nouveau système qui articule cours d’eau/gouvernance supra-étatique/multi usages (Ghiotti, 2007, p. 22). Ce qui met en évidence que autour de la gestion des bassins versants les usages se sont diversifiés, ainsi que les acteurs (les usagers et les gestionnaires). L’Etat, en définitive, n’a plus le monopole de la GIRE et partage cette tâche avec une grande diversité d’acteurs. Face à la complexité de ce rapport de force, « l’approche par bassin transfrontalier apparaît comme une catégorie en construction entre l’unilatéralisme et la coopération internationale » (Ghiotti, 2014, p. 22). Après l’examen des projets appliqués sur nos deux terrains d’étude, nous avons pu constater que si le terme « transfrontalier » est employé de façon courante par les organisations internationales et les organisations de base, il est cependant 400 systématiquement évité par les fonctionnaires des ministères et des autres institutions étatiques. 3.2. La GIRE, une réponse occidentale et un discours hégémonique Le discours de la GIRE est devenu progressivement un « discours hégémonique » presque irréfutable (Trottier, 2012, p. 119) qui introduit le bassin hydrographique comme l’unité idéale pour la gestion de l’eau et du territoire (Ulate et al., 2009, p. 16). En effet, dans les projets étudiés il y a une acceptation presque généralisée de l’applicabilité de la GIRE et du fait la gestion du territoire doit être faite par bassin. Sa pertinence n’est pas mise en question et les seuls débats sont ceux liés à sa mise en œuvre. C’est pour cette raison que dans le cas de la frontière entre le Costa Rica et le Panamá, tous les projets étudiés définissent le bassin comme unité d’opération. En revanche, dans le cas du fleuve San Juan, à cause du contexte diplomatique tendu, la notion de gestion par bassin n’est pas évoquée et le terme « transfrontalier » a été supprimé des projets des organisations et des ONG internationales qui agissent dans ce bassin. A l’échelle internationale, la GIRE émerge comme la solution incontestée (Julien, 2012 ; Trottier, 2012) que la communauté épistémique de l’eau a accepté à l’unanimité comme le mot d’ordre pour faire face à la crise de l’eau (Julien, 2012, p. 8). Comme affirme F. Julien « la GIRE a atteint le statut de discours hégémonique c’est-à-dire que ces principes constitutifs forment désormais une sorte de sens commun ou d’évidence sans solution de rechange pour la communauté épistémique de l’eau » (Ibid., p. 7). La prépondérance des groupes d’experts et des OIG du nord dans les processus de conception de ce discours, met en évidence aussi la « domination de la communauté épistémique de l’eau par l’occident » (Ibid., p. 8). Mais qu’implique une relation hégémonique ? Tout d’abord, il convient d’éclaircir la notion d’hégémonie qui se met en place autour des politiques de l’eau. M. Zitoun et J. Warner différencient l’hégémonie de la domination, et affirment que l’hégémonie peut-être considérée comme un leadership qui est renforcé par l'autorité. En revanche, la domination 264 est définie plutôt comme un imposition coercitive (Zeitoum & Warner, 2006, p. 438). Selon 264 “Hegemony can be considered as leadership buttressed by authority. In contrast dominance is defined as leadership buttressed by coercion” (Zeitoum & Warner, 2006, p. 438). 401 265 ces auteurs, dans le monde des politiques de l'eau la violence est rarement invoquée (Ibid., p. 438). Les manifestations de pouvoir dans le secteur de l’eau sont qualifiées par ces auteurs d’« hydro-hégémonie », notion par laquelle ils évoquent non seulement les relations de pouvoir qui se mettent en place entre les communautés épistémiques occidentales et les sociétés du Sud au moment où ces communautés transfèrent la notion de GIRE et de bassin, mais aussi les relations de pouvoir qui se mettent en place dans un bassin entre un Etat localisé à l’amont du cours d’eau et l’Etat qui est à l’aval. Dans le cadre de cette recherche nous nous intéresserons aux relations hégémoniques qui se créent lors du processus de transfert réalisé par les organisations et les ONG internationales sur les deux régions frontalières étudiées. Bien que ce soit la communauté épistémique occidentale de l’eau qui est responsable de la création de ce discours hégémonique décrétant la GIRE comme la meilleure réponse aux problèmes liés à l’eau (parmi d’autres formes de gestion de l’eau existantes), la diffusion de ce discours a bien été portée par des organisations internationales. Les ONG, OIG et organisations internationales comme l’UICN, TNC, GWP ou les Banques de développement (BM et BID) ont été les principales responsables de la diffusion de la formule de la GIRE. Ces organisations ont mis en place différentes activités qui avaient pour objectif de motiver une opinion favorable par rapport à la GIRE. Les projets étudiés à l’échelle locale et nationale ont entrepris des actions de lobbying (à l’échelle régionale et locale) et des ateliers de formation à différentes échelles (régionale, nationale et locale) pour présenter ces notions avec des décideurs, des organisations de base et des ONG locales. Dans ce sens Marvin Ruiz 266 de la coopérative costaricienne productrice de banane plantain Asoplatupa , affirme avoir participé avec d’autres organisations locales à des ateliers, organisés par l’UICN et la BID qui avaient pour but diffuser et sensibiliser sur l’importance de la GIRE. Des nombreux matériaux de diffusion et sensibilisation ont été développés comme les brochures, les vidéos, les spots 267 dans les radios communautaires et les « boîtes à outils » (toolkits) . Les boîtes à outils sont des documents explicatifs des méthodologies employées, des concepts et des « bonnes pratiques ». Des exemples de ces toolkits sont les huit guides élaborées par l’Initiative Eau et 265 “The theories of hegemony, then attempt to explain how groups with power (hegemons) can maintain their pole position (control), other than through mere repression. As we shall see, and particularity in the world of water politics, violence is actually rarely resorted to.” (Zeitoum & Warner, 2006, p. 438) 266 Entretien réalisé le 10 juillet 2012 à Paraíso de Sixaola, Costa Rica 267 Entretien réalisés avec Grettel Montero, chargée de communication du Projet Alianzas de l’UICN, le 12 septembre 2011 aux bureaux de l’UICN à Los Yoses, San Pedro, Costa Rica 402 Nature de l’UICN. Chacun de ces guides distribués par les antennes de l’UICN traite un 268 élément clé de la GIRE . Toutefois, l’UICN est peut-être l’organisation internationale qui a le plus contribué à la diffusion de ces notions. Le rôle des organisations internationales est déterminant dans l’application de la GIRE à l’échelle mondiale, il convient de remarquer que les actions de la GIRE dépendent aujourd’hui majoritairement des financements internationaux (Ghiotti, 2014, p. 22). En Amérique centrale, comme nous l’avons développé dans la première partie, le SICA, l’OEA et l’UICN ont joué un rôle très important dans la diffusion de la GIRE, ils ont produit de nombreuses recherches sur l’état des ressources en eau, en particulier sur l’état des nappes phréatiques et des bassins transfrontaliers, ils ont participé à la rédaction de la Stratégie Centraméricaine pour la Gestion des Ressources en Eau (ECAGIRH) dont le plan d’action n’a pas encore été reconnu par les Etats. La communauté épistémique de l’eau des pays du Nord a profondément influencé les débats régionaux, notamment par le biais de la participation protagoniste de l’OEA. Le Programme Mondial de l’Eau de l’UICN est le cadre institutionnel qui englobe les projets étudiés dans les bassins des fleuves Sixaola et San Juan: l’Initiative Eau et Nature (WANI), le Projet BRIDGE et le Projet Bonne Gestion de l’Eau pour l’Adaptation au Changement Climatique. Dans les documents institutionnels que ce Programme distribue lors des ateliers et des réunions organisés par cette organisation, l’UICN déclare son adhésion à la GIRE et son engagement à la diffuser dans le monde: « La gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) est une technique pratique et applicable. L’UICN encourage l’approche par 269 écosystème et la GIRE » (Programme Mondial de l’Eau de l’UICN, 2012) . Les matériaux diffusés par le bureau de l’UICN, notamment les brochures du projet d’Adaptation au Changement Climatique (UICN, 2012b), présentent la GIRE, ainsi que l’approche par écosystèmes, comme des instruments nécessaires pour l’adaptation au changement climatique. Dans leur discours, ces organisations internationales encouragent la mise en place d’instruments légaux et de gouvernance pour améliorer la gestion de l’eau. La question de la gouvernance se présente ainsi comme un sujet omniprésent, puisque non seulement tous les projets étudiés font référence à la gouvernance, mais aussi parce que celle-ci est présentée 268 Sept guides élaborés par l’UICN pour diffuser la GIRE : 1. Changement- Adaptation de la gestion des ressources en eau au changement climatique 2. Débit, l’essentiel des débits d’eaux 3. Négocier – arriver à des accords sur l'eau 4.Payer- Établir des paiements pour les services des bassins versants, 5. Règle - Réformer la gouvernance de l'eau 6. Partager - Gestion des eaux à travers les frontières 7. Valeur - Compter les écosystèmes comme les infrastructures de l'eau : http://www.waterandnature.org/en/resources/toolkits 269 Brochure du Programme Mondial de l’Eau de l’UICN : http://cmsdata.iucn.org/downloads/water_brochure_spanish_1.pdf 403 comme un des éléments indispensables de la GIRE. D’ailleurs, son énonciation est réitérative; 270 uniquement dans la brochure du projet BRIDGE de l’UICN (UICN, 2012d), qui est un document de deux pages, le mot gouvernance est utilisé à douze reprises. Le slogan du projet d’Adaptation porté par l’UICN est celui-ci : « De l’eau pour les gens et la nature, libérer le potentiel des bassins hydrographiques sains pour construire la résilience face au climat et pour soutenir les écosystèmes et les moyens de subsistance ». Ce projet affirme que la GIRE et l’adaptation au changement climatique exigent l’application efficace pour assurer les services environnementaux et renforcer les capacités institutionnelles et les cadres réglementaires (UICN, 2012b, p. 2). A l’échelle mondiale, l’UICN a encouragé des expériences de gestion par bassin qui sont devenues emblématiques comme le Projet d’Amélioration de la Gouvernance de l’eau de fleuve Volta (PAGEV) en Afrique. L’objectif de ce dernier est de « construire un consensus sur les modes de gestion des ressources en eau et des mécanismes harmonieux de 271 coordination institutionnelle à l’échelle du bassin fluvial » (Site web de l’UICN, 2014) . De plus, ce projet encourage l’installation de l’Autorité du Bassin de la Volta (ABV). Si nous comparons ces initiatives portées en Afrique et celles que nous avons étudiées sur les bassins des fleuves Sixaola et San Juan, par rapport aux objectifs et modèles d’application, la ressemblance est frappante. Après l’examen des projets mis en place par l’UICN dans les bassins des fleuves Sixaola et San Juan, nous pouvons affirmer que les projets portés par l’UICN, qui encouragent la GIRE comme modèle de gestion dans le monde ont tous les mêmes composantes: 1. L’établissement du bassin versant comme unité opératoire. 2. La mise en place d’activités productives « propres et justes » pour lutter contre la pauvreté. 3. L’encouragement à la gouvernance de l’eau à travers la promotion de la création de dispositifs normatifs (codes de conduite) et délibératifs (comités, plateformes multi-acteurs ou autorités de bassin). 4. La formation et la sensibilisation à la GIRE, à l’adaptation au changement climatique et à la gouvernance. Le transfert de ce discours hégémonique se met en place à travers différentes méthodes : pression, lobbying, projets de coopération, entre autres. Pour M. Zeitoum et J. Warner, l’effectivité des méthodes de l’acteur hégémonique dépend de sa capacité de persuader les 270 https://portals.iucn.org/2012forum/sites/2012forum/files/brochure-bridge-espa-ol.pdf 271 http://www.iucn.org/fr/propos/union/secretariat/bureaux/paco/programmes/prezoh/premi/premi_projets/premi _pagev/ 404 acteurs subordonnés et de leur faire non seulement accepter son autorité, mais aussi de leur faire adopter et intérioriser les valeurs et les normes qui visent à imposer une solution parmi les autres (dans ce cas la GIRE). L'acteur hégémonique définit les règles, en établissant ce que sont les enjeux et les non- enjeux. Pour ces auteurs, « une situation d'hégémonie peut donc être perçue comme positive 272 ou négative » (Zeitoum & Warner, 2006, p. 438). Cette définition ainsi que l’examen des projets de coopérations binationales et de coopérations transfrontalières que nous avons réalisé, nous permettent d’identifier deux acteurs exogènes qui assument très clairement ce rôle d’acteurs hégémoniques : l’UICN et la BID. Ces acteurs comme nous l’avons observé précédemment, ont également non seulement réussi à transférer tout un vocabulaire de la coopération, mais ils ont réussi à définir les enjeux locaux et à imposer la GIRE comme solution ainsi que le bassin versant comme échelle d’action. En effet, ces communautés épistémiques du Nord ont une relation hégémonique à travers laquelle ils ont réussi à transférer « en douceur » le discours de la GIRE dans les pays du Sud. Ces pays du Sud, dont le Costa Rica, le Nicaragua et le Panamá se sont approprié ce discours et l’ont traduit en législation (stratégies régionales ou lois d’eaux nationales). Cette législation en matière d’eau a souvent été rédigée par « un petit nombre de consultants internationaux » notamment ceux issus du Service de droit et développement (LEGN) de l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), de fonctionnaires de l’OEA, du SICA (pour le cas de l’Amérique centrale), lesquels ont contribué à la rédaction du droit national de l’eau de la plupart des pays en développement. Ce processus a généré un droit national de l’eau plutôt uniforme en Amérique Latine, en Afrique et en Asie, en intégrant tous les concepts de GIRE, de bassin et de gouvernance (Trottier, 2012, p. 191). Il convient de souligner que la GIRE est un paradigme occidental qui a été exporté du Nord vers le Sud (Ghiotti, 2007; Ghiotti, 2006; Julien, 2012). Certains auteurs perçoivent la GIRE comme une nouvelle forme de colonialisme (Trottier, 2012, p. 191) « à saveur néolibérale » (Julien, 2012, p. 10). L’aide internationale (prêts, donations, projets de coopération…) pour les Etats du Sud a été conditionnée à l’acceptation de la GIRE et la gestion par bassin versant 272 “The methods of hegemony employed depend on the capacity of the hegemon's to persuade subordinate actors to accept not just the hegemon's authority, but to adopt and internalize its values and norms intended to impose one solution over others. The hegemon defines the rules of the game, establishing what are non-issues. A situation of hegemony can therefore be (perceived as) either positive or negative, though as we shall see this is not a straightforward evaluation” (Zeitoum & Warner, 2006, p. 438). 405 comme des formules incontestables, ainsi qu’à la souscription de politiques économiques néolibérales (Programmes d’Ajustements Structurels) (Descroix, 2012, p. 98). Dans notre chapitre 7, nous tenterons de démontrer que l’agenda des projets de coopération étudiés ne correspond pas aux problématiques et conflits locaux. Nous partons de l’hypothèse que ce manque de coïncidence est un choix politique qui tente à désidéologiser les débats autour de la conservation de l’environnement. 3.3. Le bassin versant, la volonté de créer un territoire de gestion 3.3.1. Le bassin versant, une construction sociale et politique Comme nous l’avons déjà évoqué, la GIRE propose le bassin versant en tant qu’échelle opératoire. Pour L. Descroix, le bassin est une unité hydrographique cohérente qui intègre tous les éléments du cycle de l’eau (sol, couverture végétale, régime d’eau, entre autres) (Descroix, 2012, p. 78) ainsi que les activités humaines. Ce modèle de gestion par bassin a été promu au niveau international « afin de dépasser les conflits entre usages et usagers des ressources de l’eau » (Ghiotti, 2014). J. Trottier rappelle que la GIRE et le modèle de bassin versant supposent un « ordre naturel objectivé », qui trouve ses bases dans la science (hydrologie), lequel devrait créer toute une ingénierie sociale autour de lui, ce que cet auteur nomme « l’ordre social » (Trottier, 2012, p. 183), en laissant de côté le caractère divers et changeant de cet ordre social. Pour S. Ghiotti, l’internationalisation de la gestion de l’eau autour de l’approche des bassins internationaux n’est pas un hasard (Ghiotti, 2007; Ghiotti, 2014). Une conjonction de facteurs comme, par exemple, le maintien de l’eau comme une priorité sur l’agenda global ainsi que la modification des modes de gestion des cours d’eau, ont créé les conditions adéquates pour que le modèle de gestion par bassin versant s’internationalise et devienne à son tour hégémonique. Il convient de souligner que parmi les bassins identifiés à l’échelle mondiale, les plus importants en taille et en débit ont la particularité d’être partagés entre un et plusieurs 273 Etats. L’Université de l’Etat d’Oregon a identifié 263 bassins transfrontaliers dans le monde, dont 40 en Amérique du Nord et Centrale. Parmi ceux-là, 24 sont localisés dans l’isthme centraméricain. Comme nous l’avons évoqué dans notre première partie, la majorité de ces bassins sont partagés parce que les puissances coloniales d’alors ont dessiné les 273 http://www.transboundarywaters.orst.edu/database/ 406 frontières des empires, dans la plupart des cas, en prenant comme repères les cours d’eau, 274 sans tenir compte de l’intégrité hydrologique des bassins (Descroix, 2012, p. 92). En tant que modèle, la gestion par bassin versant joue un rôle articulateur qui permet de considérer aujourd’hui les frontières comme des régions intégrées. Cette notion permet ainsi de dépasser la discontinuité imposée par la fragmentation politique pour avoir une approche de l’espace dans sa continuité. Malgré cela, le caractère transfrontalier de ces bassins est source aussi de tensions entre les Etats, qui voient en ce modèle le risque de perdre leur souveraineté soit face aux Etats voisins, soit face à la coopération internationale. Ainsi, si le bassin versant apporte une réponse « d’ordre naturel » qui peut sembler porter une certaine neutralité, son application en Amérique centrale n’a pas été facile et de nombreuses résistances se sont manifestées, et ce à différentes échelles. Excepté l’expérience menée dans le bassin du río Lempa, localisée à la triple frontière du Trifinio (entre Salvador, Guatemala et Honduras), qui dépend majoritairement de la coopération internationale, aucune autre expérience n’a été identifiée dans l’isthme nous paraissant mettre en œuvre une véritable gestion intégrée de ressources en eau dans des bassins transfrontaliers. Cependant, dans le discours des projets étudiés, notamment ceux de l’UICN et de la BID, est établi un lien entre le « bassin transfrontalier » et la « coopération transfrontalière ». Le bassin versant est présenté comme le scénario idéal pour la mise en place d’actions de coopérations, puisqu’il territorialise cette coopération et articule autour d’un système hydrologique intégré des usagers et des intérêts, ce qui peut en effet encourager la coopération. Le lexique employé notamment par l’UICN met en évidence ce lien : « gouvernance des bassins transfrontaliers », « gouvernance d’eaux partagées », « coopération dans les bassins transfrontaliers », « construire le dialogue autour des bassins transfrontaliers », entre autres (Aguilar & Iza, 2009 ; UICN, 2006, 2012a, 2012d). Coopération et bassin transfrontalier figurent ainsi en bonne place dans les discours de ces organisations internationales. Si la gestion par bassin possède selon les scientifiques « d’indéniables qualités », autour d’elle s’est développé tout un débat du point de vue idéologique. Certains auteurs évoquent la « dictature de la GIRE » et « l’obligation du bassin versant » et estiment que ces deux modèles ne devraient être présentés que comme des modèles parmi d’autres. L. Descroix affirme que la gestion par bassin n’est que l’une des échelles possibles de gestion (Descroix, 2012, p. 98) et elle devrait être présentée uniquement comme un ensemble de recommandations adaptables à chaque pays tout « en respectant la diversité culturelle et 274 Nous avons traité de l’horogènese des frontières centraméricaines dans notre première partie, en portant une attention particulière sur la question des bassins transfrontaliers. 407 naturelle de chaque société », une diversité qui selon l’auteur peut donner lieu à des améliorations dans la gestion de l’eau pour les générations futures (Ibid., p. 97). Le choix porté sur le bassin versant comme unité de gestion est en réalité un choix politique, mais qui dépolitise la gestion de l’eau en la présentant comme « intangible et inévitable, car naturelle » (Ibid., p. 98) et par conséquent incontestable. Le bassin est ainsi « une construction sociale et politique résultat d’une confrontation d’intérêts et d’un rapport de force entre acteurs » (Ghiotti, 2014, p. 23). 3.3.2. Le bassin versant face aux “autres” territoires, l’impossible coexistence? Le modèle de gestion par bassin versant est ainsi une construction sociale et politique qui a pour objectif de créer un territoire, c’est-à-dire un périmètre délimité selon des critères hydrologiques (ordre naturel), mais qui, dans le même temps, doit être porteur de sens (ordre social) pour les Etats, pour les autorités locales et pour les acteurs locaux. C’est-à-dire une unité spatiale qui soit reconnue et appropriée par une grande diversité d’acteurs, lesquels acceptent de gérer l’eau, la nature et les activités sociales autour du bassin. Cette volonté de créer un territoire autour du bassin versant implique majoritairement « le passage de territoires à matrice étatique en direction de territoires hydrologiques» (Ghiotti, 2014, p. 22). Le bassin se présente comme une évidence « technique et hydraulique ainsi que pour sa neutralité » et il paraît détaché des découpages politico-administratifs (Ibid., p. 18) c’est-à- dire des municipes, des cantons et des provinces. De plus, il faut avoir à l’esprit qu’à côté de des découpages politiques établis par les Etats, coexistent dans les pays étudiés d’autres expressions de territoires comme c’est le cas des territoires indigènes. Le modèle de bassin se confronte ainsi avec une première difficulté, comment coexister avec ces découpages préexistants qui imposent des discontinuités ne correspondant pas aux limites établies par le bassin versant ? Il convient de préciser que de nos deux terrains d’études, seul le bassin du fleuve Sixaola, à cheval entre le Costa Rica et le Panamá, regroupe des territoires indigènes. Dans le cas du bassin du fleuve San Juan, entre le Costa Rica et le Nicaragua, même s’il y a des populations Malekus à proximité du bassin, ces dernières se considèrent majoritairement paysannes et non indigènes. 408 Les entretiens réalisés auprès des acteurs locaux (autorités indigènes Bribri et représentants 275 des coopératives productrices de banane plantain du bassin du Sixaola) , ainsi que les entretiens plus informels réalisés auprès des habitants résidant sur les berges du fleuve San 276 Juan, nous ont permis de constater que bien que ces acteurs participent à des activités de GIRE portées par des organisations internationales comme l’UICN, consistant essentiellement en des campagnes de reboisement du bassin et à des formations en GIRE, il n’existe pas de véritable appropriation du concept du bassin. En effet, ces acteurs locaux continuent de penser le territoire en fonction des limites nationales et administratives, ou encore des limites de leurs fermes et de leurs territoires indigènes. A ce propos, A. Brum affirme que « le bassin versant constitue certes un cadre opérationnel pour les institutions techniques et financières spécifiques et généralement très récentes, mais on peut se demander si l’organisation très complexe qui se met en place ne va pas contribuer à écarter les groupes sociaux susceptibles de s’approprier cet espace pour en faire leur territoire » (Brun & Lasserre, 2006, p. 9). Concernant les territoires indigènes, il convient de rappeler rapidement qu’il existe des dispositions particulières dans les trois pays concernés par notre étude. Ces territoires ont été reconnus très tardivement par les Etats pendant les années 1990, dans un contexte particulier correspondant à une période de « resurgissement de la question indigène » dans tout le continent américain (Bengoa, 2007, p. 78). C. Gros évoque l’existence durant les années 1990 d’un processus de « ré-indigénisation ou d’ethnogenèse » (Gros, 1998, p. 190). Ce processus de « ré-indigénisation » est le résultat d’une valorisation à l’échelle internationale des populations indigènes, qui a permis la génération de politiques de « discrimination positive » qui ont par la suite, donné lieu à la production de législations nationales et internationales pour protéger les droits des populations indigènes (Bengoa, 2007, p. 79). C’est dans ce contexte que des territoires indigènes ont été reconnus et formalisés par les constitutions 277 nationales . 275 Entretiens réalisés auprès des représentants du Conseil de l’Association de Développement du Territoire BriBri, en 15 septembre 2012 à Suretka (Costa Rica) et auprès de Marvin Ruiz d’ASOPLATUPA réalisé le 10 juillet 2012 à Paraiso, Talamanca (Costa Rica).. 276 Entretiens réalisés en août 2012 à México d’Upala au Costa Rica (frontière Costa Rica-Nicaragua). 277 Au Panamá, où les peuples indigènes représentent 10 % de la population (recensement de 2000), les territoires indigènes panaméens sont organisés en cinq comarcas indigènes qui représentent 20 % du territoire 277 national (OIT, 2014) . Au Costa Rica, où seulement 2,4 % de la population se déclare indigène (recensement 2011), les territoires indigènes sont au nombre de 23 (Borge, 2012). Sur le bassin du fleuve Sixaola entre les deux pays, se trouvent les groupes Bribris, Cabécares et Ngöbes. Quant au Nicaragua, les territoires indigènes sont sont au nombre de deux, localisés sur le versant Caraïbe : la Région Autonome de l’Atlantique Sud (RAAS) et la Région Autonome de l’Atlantique Nord (RAAN), peuplés au total par 473 109 personnes (MAGFOR, 2009, p. 20). 409 Ces territoires sont régis par deux principes fondamentaux : l’autonomie et l’autogouvernement (Bengoa, 2007, p. 76). L’auto-organisation ou auto-gouvernement implique que ces populations indigènes au sein de leur territoire peuvent choisir les formes de gouvernement qui leurs conviennent ainsi que leurs dirigeants. Généralement ces formes combinent des formes de gouvernement traditionnels avec des formes de gouvernement modernes (Bengoa, 2007, p. 76), comme par exemple des « assemblées indigènes» ou des « associations de développement indigènes », lesquelles fonctionnent comme les autorités de ces territoires. En outre, par rapport à la propriété de la terre, ces territoires, fidèles au mode de vie indigène, établissent des systèmes de propriété collective, lesquels mettent en place des logiques largement différentes du binôme occidental privé-public (Trottier, 2012, p. 188). Il est intéressant de constater que dans le cas du bassin du fleuve Sixaola, la partie amont du bassin gérée majoritairement par des autorités indigènes correspond à la partie du bassin qui est la mieux conservée. Ceci peut s’expliquer par le fait que ces populations indigènes mettent en place des activités productives liées à la production de cacao issu de l’agriculture biologique dans des fermes intégrales (cf. chapitre 5), qui sont des formes de production durable qui apportent de nombreux services environnementaux au bassin (reboisement d’espèces endémiques, production sans produits chimiques, etc.). Ce système est ainsi un système de gestion de l’eau qui ne s’inspire pas de la GIRE et qui se déploie dans une zone beaucoup plus petite que celle d’un bassin versant. Cela nous conduit à faire référence aux théories liées à la gouvernance des biens communs proposés par le prix Nobel d’économie Elinor Ostrom, laquelle observe des systèmes de gestion de biens communs employant des stratégies d’autogestion et reprenant souvent les traditions et les savoirs locaux. Suite à l’examen de nombreuses expériences d’autogestion, elle arrive à la conclusion qu’à l’échelle la plus locale, la gestion participative par les usagers directs de la ressource, ce que Ostrom catégorise comme des « petits groupes », peut-être effective (Ostrom, 2010). L’approche d’Ostrom nous invite à mettre en avant la capacité des communautés les plus locales « à résoudre des problèmes d’action collective, en construisant de manière relativement autonome des systèmes de règles, des « modes de gouvernance » adaptés aux problèmes précis auxquels ils sont confrontés » (Weinstein, 2013). Ce qui nous paraît particulièrement intéressant pour comprendre le cas de ces territoires indigènes, est que cette approche soutient que ces systèmes sont généralement gérés par des normes qui « ne relèvent pas nécessairement du marché ni de l’Etat », mais des traditions et 410 de l’action collective, laquelle s’organise à travers des processus d’autogouvernement entrepris par des communautés locales dans des périmètres très restreints (Ostrom, 2010 ; Weinstein, 2013). Or, malgré la reconnaissance scientifique de ces systèmes communautaires, les législations de l’eau qui font référence à la GIRE ont eu tendance à ignorer l’existence de ces régimes de propriété communautaire qui avaient déjà entrepris des actions de gestion de l’eau (Trottier, 2012, p. 188). Par ailleurs, la façon dont ces populations indigènes sont inclues dans les processus de la GIRE, et notamment dans les législations en matière d’eau, ne correspond pas généralement à la perception que ces populations ont de la nature et de la propriété. Même si les groupes indigènes sont invités à participer aux structures de gouvernance du bassin (comités de bassin), elles doivent le faire selon les règles et les logiques que les organisations internationales imposent (Ibid., p. 188). Il convient de remarquer que tous les projets étudiés sur le bassin du fleuve Sixaola, ont choisi le bassin comme unité d’opération, même si lors de l’examen des documents institutionnels des projets, la délimitation du bassin est rarement explicitée et, quand bien même elle est explicitée, elle reste floue. En principe, malgré ce manque de précision, les limites du bassin sont définies selon des critères « naturels » et scientifiques, ce qui octroie au bassin une apparente neutralité et une légitimité. Comme affirme J. Trottier : « Le choix du niveau du bassin comme unité naturelle pour gérer l’eau est fait par les sciences naturelles, mais pas en fonction de l’ordre naturel qu’elles produisent. Ce choix est fait par les sciences naturelles en fonction de l’ordre social voulu par les sciences naturelles pour gérer l’eau. Il correspond à la structure de pouvoir que les scientifiques des sciences naturelles considèrent comme légitime. Il se présente comme le résultat inéluctable d’un ordre naturel établi de façon objective et neutre par les sciences naturelles » (Trottier, 2012, p. 187). L’examen des projets nous conduit à affirmer que que la GIRE encouragée par les organisations et ONG internationales sur cette région frontalière, cherche à créer un territoire ayant comme unité spatiale le bassin. Bien que les projets étudiés affirment souvent avoir pris en compte les populations indigènes 278 (Projet BID-FEM et Alianzas de l’UICN) résidentes sur ce bassin , en les incluant dans les activités portées par ces projets (formations, campagnes de reboisement, comités de bassin, entre autres), la volonté de ces scientifiques et de la coopération internationale de créer un 278 Entretiens réalisés auprès de Marietta Fonseca du Projet BID-FEM le 4 juillet 2012 à Changuinola, Panamá, et auprès de Rocio Cordoba de l’UICN le 28 juin 2012 aux bureaux de l’UICN à los Yoses, San José du Costa Rica. 411 territoire autour du bassin versant ne coïncide pas avec les principes et les valeurs traditionnelles des territoires indigènes. Les notions d’autonomie, d’autogouvernement et de propriété collective notamment, ne trouvent pas leur place au sein de la GIRE. La GIRE installe des plateformes multi-acteurs pour l’ensemble du bassin, ce qui implique que les populations indigènes doivent céder une partie de leur autonomie en faveur de la « gouvernance » de l’ensemble du bassin. C’est ainsi que dans le cadre de ces projets, les autorités indigènes se retrouvent face à la contrainte de devoir négocier avec d’autres acteurs publics et privés des questions qui auront un impact sur leur territoire, territoire qu’à la base elles géraient de façon autonome. Il faut aussi rappeler que la GIRE reconnaît la valeur économique de l’eau, introduisant ainsi des débats liés à la privatisation de la ressource et du service, ce qui diverge diamétralement avec la notion de territoire communautaire qui est un des principes fondateurs de ces territoires indigènes. Il faut noter que cette question soulève d’importants enjeux, notamment parce que la GIRE encourage également la participation d’acteurs privés qui portent des intérêts qui peuvent représenter un risque pour les territoires indigènes. En effet, même s’ils sont protégés par des législations nationales, ils peuvent se voir confronter aux intérêts d’entreprises privées comme les entreprises bananières ou les entreprises extractives (minières, pétrolières, entre autres) qui cherchent à trouver des nouvelles zones d’exploration et exploitation. Nous sommes ici face à la dichotomie entre bien naturel commun et bien marchant. Sur un autre plan, il faut préciser que les populations indigènes ont des temporalités différentes par rapport aux acteurs qui sont convoqués à participer dans les processus de GIRE. La temporalité fait référence aux différentes perceptions et représentations du temps. Nous entendons par « temporalité » l’ensemble des usages, expressions et l’appropriation culturelle du temps. Les temporalités sont ainsi multiples et varient selon les cultures et les vécus (Picouet & Renard, 2007, p. 115). Les traditions et les savoirs indigènes correspondent à des processus de temps long qui peuvent durer des siècles et les projets portés par ces organisations correspondent plutôt à des processus de temps plus courts et conjoncturels. Ces derniers ont une durée de 4 à 7 ans, qui impliquent des processus dynamiques où les critères d’efficience sont centraux. Lors des entretiens, les professionnels des projets de coopérations évoquaient fréquemment la difficulté de travailler avec les autorités indigènes, lesquelles sont 279 perçues souvent comme « peu engagées dans les projets ». Alfonso Sanabria du Projet 279 Entretien réalisé le 22 septembre 2011 aux bureaux du Projet BID-FEM à Changuinola, Panamá. 412 Binational BID-FEM (Costa Rica-Panamá) a exposé lors de notre entrevue la difficulté qu’ils éprouvaient à travailler avec l’autorité indigène ADITIBRI. Pour lui la principale difficulté est le manque de continuité dans la participation des représentants indigènes aux projets et plus particulièrement aux travaux du Comité du Bassin du fleuve Sixaola. Ceci est dû au changement périodique des représentants des conseils indigènes, ce qui implique renégocier chaque fois que le conseil change, avec les nouveaux dirigeants, les accords qui avaient déjà été définis avec les anciens dirigeants. Le manque de coïncidence entre les rythmes des populations indigènes et ceux les projets dans le bassin du fleuve Sixaola s’est traduit par des tensions entre les autorités indigènes et les Projets BID-MAG et BID-GEF. Il a été demandé aux autorités indigènes d’écrire des propositions de projets selon les formats et formulaires préétablis par la BID, ce qui a représenté un important investissement de la part des groupes indigènes qui ont dû embaucher des consultants, sans que cela n’aboutisse à l’acceptation des projets de la part de la BID. Ce processus a généré une perte de légitimité des organisations internationales face à ces populations indigènes. Dans le cas de ce bassin, même s’il existe des tensions entre ces deux systèmes, les relations n’ont pas débouché sur des conflits. Cependant ce manque de coïncidence peut entrainer une concurrence entre ces acteurs pour le contrôle du territoire, provoquant le renforcement de certaines territorialités dites hégémoniques (Gumuchian, 2003, p. 92). Les projets à travers l’application de la GIRE essayent ainsi d’établir un territoire qui est délimité par le bassin. Cependant nous estimons que cet espace délimité par ces organisations internationales ne constitue pas à proprement parler un territoire de gestion puisqu’il n’est pas reconnu par les acteurs locaux. 3.4. La GIRE et le bassin versant : entre le discours et la pratique 3.4.1. Les limites de la GIRE La GIRE est invoquée comme ce que F. Molle appelle « un concept nirvana », c’est-à-dire un concept qui promet d’être « la résolution des problèmes actuels » en matière d’eau (Molle, 2012, p. 30). Cependant la GIRE a montré ses importantes difficultés à passer de la théorie à la pratique. Tout d’abord, il convient de préciser que la GIRE est critiquée pour être un ensemble de principes flous et irréalistes (Ibid., p. 29). Elle se présente ainsi comme un dogme plus qu’un modèle opératoire. 413 Un des principaux reproches qui lui sont adressé concerne son inapplicabilité (Julien, 2012, p. 7). Certains auteurs comme A. Biswas sont particulièrement critiques et signalent la difficulté de mesurer les impacts que peut avoir la GIRE. A. Biswas affirme qu’il n’existe pas de paramètres permettant de mesurer le degré d’intégration d’un bassin. Pour cet auteur, la GIRE est devenue un « slogan dominant » diffusé globalement de façon intensive par les organismes internationaux au cours des quinze dernières années, sans que ces derniers ne fassent une véritable évaluation de son applicabilité. Actuellement, toujours pour cet auteur, il est impossible d’identifier un processus de gestion de l’eau qui soit « intrinsèquement intégré », cet auteur arrive ainsi à la conclusion que la GIRE n’a pas eu jusqu’à présent de véritables effets sur le terrain (Biswas, 2008, p. 13). Une autre critique importante faite à la GIRE est son idéalisme (rigidité dans l’application des principes) et sa prétention d’universalisme puisqu’elle a été conçue pour être applicable dans tous les contextes (Julien, 2012, p. 7), sans prendre en compte leurs particularités. A. Biswas note que selon les analyses approfondies menées par le Centre du Tiers Monde pour la Gestion de l’Eau (dont il est l’un des fondateurs), sur une échelle de 1 à 100 (1 étant les cas de GIRE les moins intégrées et 100 étant les cas avec une intégration complète) il est difficile de trouver ne serait-ce qu’une seule expérience (politique, programme ou projet) de GIRE à l’échelle macro ou méso à laquelle il soit possible d’attribuer la note de 30. A. Biswas le considère comme « un bilan assez triste pour un modèle qui est implémenté depuis presque deux générations » (Biswas, 2008, p. 21). A son tour, F. Molle identifie quatre faiblesses de la GIRE : 1. La dépolitisation de l’Eau 280 qu’elle entraine ; 2. Sa propension à être détournée par des groupes d’intérêts cherchant à légitimer leurs pratiques ; 3. L’imposition de politiques standardisées (recettes) et de « bonnes pratiques » prédéfinies sans tenir compte du contexte ; 4. La grande difficulté rencontrée à la mise en place spécialement au Sud à cause d’importantes incompatibilités (Molle, 2012, p. 36). Les concepts et méthodologies proposés par la GIRE sont ainsi difficilement appliqués dans la pratique. Il est difficile de trouver des expériences qui peuvent être considérées comme « exemplaires ». A l’échelle locale, nous avons pu constater que la GIRE est loin d’être appropriée par les autorités nationales et locales. Il est de même pour les organisations de base qui identifient essentiellement la GIRE à des actions de reboisement. Quand nous les avons 280 Nous traiterons ce point plus en profondeur dans la sous-partie 4 dédiée à la question de la gouvernance 414 interrogé entre 2011 et 2012, par rapport aux limites du bassin, 70% des acteurs ont dit qu’ils ne connaissaient pas ces limites. Le manque d’appropriation de cette notion n’est pas exclusif au bassin du fleuve Sixaola ou au bassin du fleuve San Juan, des études réalisées en Afrique Subsaharienne par C. Bouquet arrivent à la même conclusion : « Le bassin versant ? Voilà un concept que les habitants des campagnes africaines manient à leur manière, selon une représentation de l’espace vécu qui n’est guère englobante (…). Il est rare, sinon impossible qu’ils soient en mesure de tracer sur une carte mentale, le bassin versant qui concerne la communauté intéressée » (Bouquet, 2012, p. 65). Cependant, le manque de clarté de ce concept et de la délimitation du bassin n’est pas exclusif des acteurs locaux mais elle atteint aussi les professionnels des organisations internationales (Biswas, 2008). Après les entretiens réalisés, il est clair que l’appropriation de ce concept est très limitée et que les acteurs locaux le conçoivent comme un concept « qui vient 281 d’ailleurs », qu’ils peuvent instrumentaliser pour avoir accès aux fonds internationaux. En effet, ce modèle de gestion par bassin reste très théorique et il est encore loin d’être approprié par les gouvernements et les populations résidentes. La GIRE est appliquée comme une « recette » sur des territoires très différents, sans prendre vraiment en compte les besoins des acteurs locaux (cf. chapitre 7). En outre, nous estimons après l’examen des projets et des activités mises en place à l’échelle locale par ces acteurs exogènes (notamment des organisations internationales et des banques de développement), qu’il n’existe pas d’expériences de GIRE dans les bassins étudiés, mais des activités très ponctuelles faisant référence à de bonnes pratiques proposées par la GIRE comme les campagnes de reboisement et les ateliers de formation en GIRE. Ces actions dépendent majoritairement du financement de la coopération internationale et elles ne sont pas durables, puisqu’une fois les projets terminés, les activités sont interrompues. 3.4.2. Les formules de la GIRE et de bassin versant, un discours institutionnel autorisé Il est nécessaire, pour comprendre comment les projets de coopération ont un impact sur ces régions frontalières, de faire une analyse plus en profondeur du discours des ONG et des organisations internationales comme l’UICN et la BID qui portent les projets de GIRE. Nous essayerons ainsi de déterminer les composantes centrales de ce discours et de montrer 281 Entretiens réalisés auprès de Pablo Rayo, Coopérative de producteurs de banane CACSA, à Changuinola (Panamá), et auprès de Marvin Ruiz de ASOPLATUPA, le 10 juillet 2012 à Sixaola (Costa Rica). 415 comment ce discours institutionnel cherche à effacer la conflictualité autour de la gestion de l’eau, ce qui implique aussi sa dépolitisation. Le discours des communautés épistémiques en eau appartient à la catégorie du « discours institutionnel » et il forme ainsi « un quasi idéal type du discours politique » (Gobin & Deroubaix, 2011, p. 107). Ces discours sont définis par A. Krieg-Plaque et C. Oger comme des discours autorisés (Krieg-Planque & Oger, 2010, p. 92) c’est-à-dire ceux qui cherchent à créer de la légitimité. L’étude des discours institutionnels nous permet d’analyser comment les priorités des agendas politiques évoluent à travers le temps et de façon plus générale « ce qu’est gouverner » (Gobin & Deroubaix, 2011, p. 107). Pour cela nous avons étudié les textes rendus publics à travers des brochures et documents des projets de coopération qui sont mis en place sur les bassins transfrontaliers des fleuves San Juan et Sixaola. Un premier constat est que le nombre de productions est important et nous avons pu constater que les produits de communication qui émanent de ces organisations sont de nature très diverse : nous avons identifié des brochures, des documents qui systématisent des expériences, des rapports, des notes de presse et des vidéos institutionnelles. Deux vidéos ont été développées et diffusées pour présenter les différents processus de coopération qui se mettent en place sur ces deux bassins. La première, financée par l’UICN, synthétise les processus de coopération transfrontalière dans le bassin du fleuve Sixaola et notamment l’histoire de la Convention Binationale souscrite entre le 282 Costa Rica et le Panamá et s’intitule « Intégrant des frontières » . La deuxième a été financée par la coopération espagnole, notamment à travers FUNDEMUCA et le Fonds de Population des Nations Unies (FPNU), et récupère l’expérience de la Mairie d’Upala et de l’ONG Cenderos dans la réalisation des foires de la santé mises en place sur la frontière Costa Rica-Nicaragua. L’analyse du discours proposée par A. Krieg-Planque se centre sur « l’angle formulaire ». La formule est définie par cette auteure comme « un ensemble de formulations qui, du fait de leur emploi à un moment donné et dans un espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces formulations contribuent en même temps à construire » (Krieg- Planque, 2010, p. 6). Ses études se sont consacrées à l’analyse du discours institutionnel et elles se sont porté notamment sur l’analyse du discours lié au développement durable. L’analyse qu’elle fait de la formule du développement durable (Krieg-Planque, 2010, p. 6) 282 “Integrando fronteras” https://www.iucn.org/fr/nouvelles_homepage/nouvelles_par_theme/droit_environnemental_news/?11783/Integra ndo-Fronteras-Video-informativo-sobre-el-trabajo-binacional-entre-Costa-Rica-y-Panamá 416 nous paraît apporter un éclairage important dans l’analyse de la formule de la GIRE. C’est ainsi que nous avons mis en parallèle l’analyse qu’elle fait du développement durable avec l’analyse que nous faisons de la GIRE. A. Krieg-Planque affirme qu’une formule se caractérise par le fait qu’elle est devenue un référent social, c’est-à-dire « qu’elle signifie quelque chose pour tous » (Krieg-Planque, 2010, p. 7), ceci est le cas par exemple des formules de développement durable et de GIRE. S. Ghiotti a démontré que l’utilisation croissante de la formule de la GIRE dans l’agenda mondial et dans les productions scientifiques pendant les années 1990-2000 répond à un apparent consensus global sur le fait que la GIRE apporte « la réponse » par rapport aux problématiques liées à la ressource eau (Ghiotti, 2014). L’internationalisation de cette formule comme l’explique A. Krieg-Planque pour le développement durable, réside sur le fait que quand « une formule circule c’est parce que l’usage de l’expression constitue lui même un enjeu » et ceci manifeste un succès du terme (Krieg-Planque, 2010, p. 7). C’est ainsi qu’entre les années 1990 et 2000, la formule de la GIRE est devenue un enjeu global notamment parce qu’elle a constitué un mot d’ordre qui a conditionné « l’existence de structures, de projets ou d’actions et de crédits ou parce qu’elle légitime des pratiques » (Krieg-Planque, 2010, p. 8). Pour la légitimation du discours de la GIRE, à l’échelle internationale, les organisations font appel à une rhétorique particulière, celle de la crise de l’environnement. Il est particulièrement intéressant de voir comment ces organisations internationales recourent à ce discours de la crise (Gobin & Deroubaix, 2011, p. 110). Des formules comme « pour faire face à la dégradation des ressources en eau» (UICN, 2012a) sont très courantes comme les affirmations suivantes: « Nous avons utilisé au maximum cette précieuse ressource. Le monde est confronté à des défis importants pour gérer équitablement l'eau douce disponible pour une population en croissance, tout en essayant de stopper la perte de la biodiversité et de faire face aux impacts du changement climatique » (UICN, 2012c). En outre, ces organisations utilisent systématiquement des images des impacts potentiels que la non application de la GIRE peut avoir dans les villages. Images de crues, de personnes déplacées par des évènements naturels extrêmes, illustrent les documents descriptifs des projets dans les brochures mais aussi dans les présentations utilisées par ces organisations lors des nombreuses formations. Les photographies 33 et 34 présentent deux exemples de brochures analysées. La première fait partie d’un document de divulgation réalisé par l’UICN (UICN, 2012a). et montre des enfants qui partent à la recherche de l’eau au Guatemala ; cette photo fait référence à la difficulté que ces villages ont pour avoir accès à l’eau. La deuxième est une brochure élaborée 417 par FUNPADEM et l’INBIO (FUNPADEM, 2012) dans le cadre du projet de Manos a la Costa, mis en place particulièrement sur le bassin du fleuve San Juan entre le Costa Rica et le Nicaragua. Elle présente un monde malade face au changement climatique. Ces deux exemples sont intéressants parce qu’ils illustrent l’utilisation que ces organisations font de la crise de l’environnement et aussi parce qu’ils ont été élaborés pour qu’ils restent suffisamment généraux et flous afin de pouvoir être utilisés en différents terrains sans évoquer les particularités de chaque contexte. La GIRE, comme le développement durable, apparaît en théorie comme un « fait objectivable, quantifiable, mesurable, cartographiable » (Krieg-Planque, 2010, p. 6) que des organisations comme GWP ou l’UICN contribuent à diffuser dans les nombreux rapports sur l’état des ressources en eau dans le monde. Autour de la diffusion de la GIRE s’est créé un système de professionnels liés aux métiers de la gestion de l’eau. Cette idée de neutralité et d’objectivité est renforcée par la circulation d’un langage qui se veut expert et qui relativise le contenu des concepts comme l’approche par écosystèmes, gouvernance, adaptation au changement climatique, bassin transfrontaliers, entre autres. Ces concepts font partie de ce discours institutionnel et se caractérisent par leur manque de précision (Gobin & Deroubaix, 2011). Plus ils circulent, plus ces concepts perdent leurs sens. Par exemple, l’analyse du discours de l’UICN à travers les projets Alianzas, BRIDGE et Adaptation au Changement Climatique, nous permet de constater que c’est un discours circulaire (Gobin & Deroubaix, 2011, p. 111) qui se nourrit de trois sources argumentatives : plus de participation locale, plus de dispositifs de régulation légaux et plus de formation- sensibilisation. Cette rhétorique développée par cette organisation est creuse, puisqu’elle utilise des formules toutes faites et qu’elle base son argumentation dans la répétition de mots clés, comme changement climatique, participation des femmes et des indigènes, GIRE et gouvernance environnementale. Ces formules sont perçues positivement et créent de l’adhésion et de la légitimité (Gobin & Deroubaix, 2011, p. 109). Ceci est particulièrement visible dans les stratégies d’actions des projets lesquels reprennent le même vocabulaire et proposent les mêmes actions (cf. Chapitre 5). 418 Photographie 33. Brochure de l’UICN « Bonne gestion de l’eau pour l’adaptation au changement climatique » Photographie 34. Brochure du Projet Manos a la Costa de la FUNPADEM Aliments et changement climatique 419 3.4.2.1. La stabilisation des données Pour A. Krieg-Planque et C. Oger, deux aspects semblent essentiels pour la compréhension du discours institutionnel. Le premier est « la stabilisation des données et le second l’effacement de la conflictualité » (Krieg-Planque & Oger, 2010, p. 92). Par rapport à la stabilisation des données, ces auteurs ont observé que la production et la circulation des discours institutionnels « obéissent à des régularités qui réduisent la diversité des énoncés possibles » et ceci se matérialise par des « phénomènes de formulations conventionnelles, de sloganisation, de figement, de collocation de concurrence, dont les formules fournissent des illustrations privilégiées » (Krieg-Planque & Oger, 2010, p. 92). Des expressions comme développement durable, mondialisation, approche par écosystèmes et GIRE « combinent figement formel et indétermination du réfèrent » (Krieg-Planque & Oger, 2010, p. 92). C’est ainsi que le discours de ces organisations internationales (ONU, UICN, TNC, WWF) présente des « formes « routinisées » de l’écriture en contexte contraint et portent la trace des enjeux sociopolitiques et institutionnels qu’ils engagent » (Krieg-Planque & Oger, 2010, p. 93). Le discours de la GIRE, comme celui du développement durable, est le produit d’institutions politiques et publiques, lesquels se caractérisent par leur dimension internationale et 283 supranationale. Ces institutions sont marquées d’un colingüisme et déterminées par les transferts et la traductions des concepts (Krieg-Planque, 2010, p. 9). Même si ces discours se veulent universels, les processus de traduction génèrent des variantes qui affectent la cohérence linguistique et la communication, ce qui peut engendrer aussi des incompréhensions (Ibid., p. 9). Le discours de la GIRE, comme celui du développement durable ou du changement climatique, fait appel à des noms propres d’évènements (par exemple, Sommet de la Terre, Rio+ 10, COP 15), pour montrer la trajectoire d’un concept (Krieg-Planque, 2010, p. 10). L’évocation de sommets ou de réunions comme les lieux de production de ces concepts, leur octroie de la légitimation notamment de la part la communauté internationale. Dans le cas du développement durable, par exemple le « Rapport Brundtland » issu du Sommet Mondial de la Terre en 1992 est souvent cité pour déterminer l’origine du concept. Pour la GIRE, les 283 Association et juxtaposition de diverses langues. Selon R. Balibar, le colingüisme est l’association à travers l’éducation et la politique de langues écrites, à travers laquelle une langue légitimée de façon normative domine d’autres langues(Balibar, 1991, p. 199). 420 projets font souvent référence à la Conférence Internationale sur l’Eau de Dublin de 1992 où ont été développés les « Quatre Principes de Dublin » qui sont devenus sa base. La formule de la GIRE a été constituée par des textes clés, qui sont en réalité des récits, des déclarations et des documents, où les porteurs de ces projets croient pouvoir identifier les intentions initiales et les fondements de la formule (Krieg-Planque, 2010, p. 9). C’est ainsi que les textes sont souvent utilisés pour faire autorité en la matière, étant présentés comme source légitime de la définition. A. Krieg-Planque affirme que ces textes « fondateurs » donnent de la consistance à la formule et acquièrent un quasi statut de mythe ou de légende (Krieg-Planque, 2010, p. 10) qui devient presque incontestable. C’est ainsi que ces discours institutionnels ont tendance à utiliser des termes flous avec un certain degré d’indétermination et des citations d’autorité pour construire une rhétorique creuse qui cherche à encourager l’adhésion à la formule diffusée. 3.4.2.2. L’effacement de la conflictualité, un récit sans adversaires Le deuxième élément clé présenté par A. Krieg-Panque et C. Orger pour comprendre les particularités des discours institutionnels, est l’effacement de la conflictualité. Les organisations et institutions responsables de diffuser ces formules doivent répondre à des exigences qui sont souvent contradictoires : maintenir la croissance économique et conserver la nature. Face à cette situation, ces organisations ont tendance à « organiser la polyphonie, réduire la dissonance, produire la cohérence (…) elles tendent à effacer les traces de conflictualité et tensions internes. C’est ainsi qu’elles peuvent opérer la neutralisation de l’opposition entre posture d’experts et positionnement politique, la conciliation des intérêts entre partenaires publics et privés, la dénégation des divergences d’opinions ou encore la légitimation du discours savant » (Krieg-Planque & Oger, 2010, p. 93). Le caractère hégémonique de la formule de la GIRE n’implique pas son homogénéité (Krieg- Planque, 2010, p. 7). Même s’il y a un consensus général à l’échelle internationale, F. Molle affirme qu’il y a une vision « douce » et une vision « dure » de la gouvernance proposée par la GIRE. La « douce » est plus managériale, plus centrée sur l’Etat et considère que le changement institutionnel est principalement induit par les décideurs avec une participation des parties prenantes. La « dure » est plus centrée sur la société civile, encourage la création de plateformes multi-acteurs et cherche l’émancipation des parties prenantes ( Molle, 2012, p. 32). Les différents acteurs s’approprient l’approche qui leur convient le mieux, tout en disant qu’ils mettent en place des actions de type GIRE. 421 D’ailleurs, la définition de la GIRE comme nous l’avons déjà évoqué, repose sur trois piliers, Efficience, Equité et Environnement (Molle, 2012, p. 26), lesquels sont entre eux assez distants et inspirent une grande diversité d’actions qui pourraient paraître contradictoires. Par exemple, dans le cadre de l’efficience économique, des actions de privatisation sont encouragées, tandis que en relation avec le principe d’équité, des actions plutôt liées au droit à l’eau et à l’hydro-solidarité sont stimulées. Ces actions sont souvent présentées dans le discours comme des actions complémentaires, cachant ainsi la contradiction qu’elles révèlent. Or celles-ci soulèvent un important débat qui est généralement effacé dans les textes des projets et qui réside sur le fait que l’eau est définie selon les « Principes de Dublin » comme un droit, une ressource commune et vulnérable, et dans le même temps comme un bien économique. Cet aspect de valeur économique est d’autant plus important que ceci peut entraîner des processus de privatisation, processus pouvant limiter l’accès à l’eau de certaines personnes. Dans ce sens, A. Krieg-Planque évoque comme exemple la contradiction existante au sein de la définition de « développement durable », laquelle encourage à la fois la croissance et la conservation, ce qui peut-être assimilé à un oxymore utilisé souvent de façon manipulatrice dans les discours politiques pour « réconcilier l’irréconciliable » (Krieg-Planque, 2010, p. 8). Les acteurs profitent de ces contradictions et de cette grande diversité d’acceptions qui se posent entre les « trois E » (Equité, Efficience et Environnement) de la GIRE pour se rapprocher du pilier qui puisse au mieux servir leurs intérêts Cette importante contradiction est considérablement minimisée grâce au « style formulaire » qui la présente comme un consensus et qui appelle à l’assentiment pour ainsi encourager l’adhésion et inhiber les contre-discours (Krieg-Planque & Oger, 2010, p. 94). Il convient de remarquer que ceci révèle un processus de dépolitisation qui est autant plus renforcé par la prolifération d’un « discours expert » au détriment d’un discours politique, qui se diffuse universellement « occultant les tensions et les conflits inhérents à la vie politique »(Gobin & Deroubaix, 2011, p. 114). C’est ainsi que le discours de la GIRE mais aussi de la coopération en matière de conservation de l’environnement établissent des concepts suffisamment flous pour ainsi rendre possible l’inclusion d’acteurs et créer des compromis (Krieg-Planque, 2010, p. 11). Il convient de remarquer que le discours du changement climatique, du développement durable et de la GIRE n’est plus de lutter contre le réchauffement climatique ou la dégradation environnementale résultante des activités productives, mais plutôt d’apprendre à vivre avec 422 (Gobin & Deroubaix, 2011, p. 113). Cette marge d’action limitée décourage le débat et le désidéologise. Même s’il existe cette hétérogénéité, la formule de la GIRE essaye d’effacer la diversité de catégories et les contradictions évidentes. Ces formules dénient les conflits d’intérêts et neutralisent la conflictualité au profit d’une gouvernance multi-acteur. L’importance donnée à la « démocratie participative », au rôle des parties prenantes et aux plateformes multi-acteurs s’inscrit dans ce mouvement de dépolitisation. La « gouvernance de l’eau » dans le discours institutionnel fournit une « légitimité nouvelle », puisqu’elle représente « la célébration de l’intérêt général » et renforce la rhétorique de l’universalisme (Krieg-Planque & Oger, 2010, p. 93). Les formules de GIRE et gouvernance découragent ainsi la contradiction et valorisent les consensus résultant des processus de gouvernance. L’effacement de la conflictualité est une caractéristique les « discours autorisés » (Krieg-Planque & Oger, 2010, p. 94). Il est intéressant de constater que la neutralisation des concepts a permis la création de formules comme « responsabilité sociale de l’entreprise » ou les « partenariats public-privé » ce qui a permis de « brouiller » la frontière entre le public et le privé. Nous sommes face à ce que A. Krieg-Planque appelle des « discours sans adversaires » permettant le transfert en douceur de ces formules : « le discours programmatique international devient discours national légitime et légitimant » (Gobin & Deroubaix, 2011, p. 109). 4. La gouvernance environnementale, normaliser la nature sans l’Etat ? 4.1. La gouvernance de l’eau, un élément central de la GIRE La GIRE comme nous l’avons montré est un processus éminemment politique (Molle, 2012, p. 31) qui reconnaît un changement dans les relations de pouvoir et l’émergence de nouveaux acteurs dans la scène de la gestion de l’eau. Il convient de souligner que la GIRE est conçue dans un contexte néolibéral qui remet en cause le rôle de l’Etat-providence et de l’Etat social, qu’ils jugent « inefficaces, corrompus et un obstacle pour le développement » (Molle, 2012, p. 25). C’est ainsi que des programmes d’ajustement structurels qui avaient pour but la réduction des dépenses publiques notamment en santé et éducation, ainsi que des processus de 423 déréglementation, de libéralisation des marchés, de flexibilisation du travail se mettent en place (Alphandery et al., 2012, p. 9). Plus particulièrement, dans le secteur de l’eau, ces réformes ont consisté en une plus grande participation du secteur privé (notamment dans le 284 secteur des services de l’eau ) et dans le transfert de responsabilités aux usagers (Molle, 2012, p. 25). Dans ce sens, il convient de préciser que nous étudions l’eau en tant que ressource et non en tant que service. Cette différenciation est fondamentale puisque chacune de ces deux acceptions mobilise des enjeux et des réseaux d’acteurs très différents. Le concept de participation devient central dans la GIRE, laquelle encourage la participation « authentique » ou « effective » de toutes les parties prenantes ainsi que la mise en place d’un système de gouvernance « efficient et réactif » (Molle, 2012, p. 37). L’importance donnée à la participation dans la GIRE trouve ses sources dans le deuxième principe de Dublin, lequel définit que « La gestion et la mise en valeur des ressources en eau doivent associer usagers, planificateurs et décideurs à tous les échelons. (…) Les décisions seraient donc prises à l’échelon compétent le plus bas en accord avec l’opinion publique et en associant les usagers à la planification et à l’exécution des projets relatifs à l’eau » (ICWE, 1992). C’est ainsi que la participation est présentée comme un élément essentiel qui légitime les processus de prise de décision dans la GIRE. Sur un autre plan, le choix fait par la GIRE de gérer l’eau par bassin versant est déterminant dans la diffusion des notions de participation et de gouvernance. Dans ce sens, S. Ghiotti soutient que la mise en place de la gestion par bassin est « le résultat d’une confrontation d’intérêts et des rapports de force entre acteurs », ce qui a eu comme conséquence un changement profond des circuits de décision et donc de pouvoir (Ghiotti, 2014, p. 23). La gestion par bassin transfrontalier a montré la nécessité de repenser les bases et les cadres en cours, jusqu’alors centrées autour de l’Etat (Ibid., p. 22). De plus, les nouveaux usages et usagers attribués au bassin ont rendu nécessaire la coordination et la coopération entre ces multiples acteurs intervenant à différentes échelles (Ibid., p. 22). Progressivement les institutions et organisations chargées de diffuser la GIRE dans le monde ont stimulé la mise en place des processus de gouvernance multi-acteurs, notamment ceux autour des bassins transfrontaliers. Elles ont également incité la création de dispositifs de normalisation (codes, label, entre autres) et de délibérations (organismes de bassin, plateformes multi-acteurs). Les 284 Traitement des eaux usées, distribution, entre autres. 424 organismes de bassin par exemple sont considérés comme « un moyen scientifique/rationnel d’administration de l’eau » ( Molle, 2012, p. 37) Suite à l’analyse de la formule de la GIRE, il convient de porter notre regard vers deux de ces principes, la participation et plus particulièrement la gouvernance. Il nous paraît important non seulement d’éclaircir ces notions, mais aussi d’analyser comment celles-ci se concrétisent à l’échelle locale à travers l’utilisation de dispositifs normatifs et délibératifs qui ont pour objectif la gestion des ressources en eau. Une de nos principales interrogations est de déterminer si ces processus de gouvernance encouragés par ces organisations internationales à travers ces projets de coopération, encouragent la démocratie locale ou au contraire la limitent en mettant en place un pluralisme limité ? 4.2. Gouvernance, un concept valise ? L’émergence à l’échelle globale de la notion de gouvernance et de ses dispositifs se situent selon P. Alphandéry au croisement de trois processus : 1. L’essor d’acteurs non étatiques comme les firmes transnationales et les ONG qui agissent dans les processus de gouvernance globale, et nous ajoutons aussi dans le processus de gouvernance locale. 2. La diffusion d’une rationalité gouvernementale d’inspiration néolibérale qui renvoie au déclin relatif du poids politique des Etats nations. 3. La valorisation de mécanismes de prise de décision présentés comme participatifs et délibératifs, ce qui revient à valoriser la démocratie délibérative plus que la démocratie représentative (Alphandery et al., 2012, p. 11). A l’échelle locale, la multiplicité des enjeux et des acteurs autour des deux bassins frontaliers étudiés, fait de ces bassins des systèmes complexes où les échelles s’emboitent (locale- globale). Les temporalités (représentations, territoires et identités), les intérêts d’acteurs privés (entreprises bananières), ceux des autorités indigènes et ceux des paysans et des ONG internationales ou locales entrent souvent en conflit. En outre, la présence des Etats a été fortement mise en doute, d’abord par leur abandon et leur manque d’intérêt, puis par de nombreuses accusations de corruption faites par des acteurs locaux (notamment des ONG locales comme le Corridor Biologique ou des organisations indigènes) aux autorités locales. 425 Le « désenchantement de la politique » et le besoin de développer et de conserver ces régions de frontières, ont créé l’environnement adéquat pour justifier le besoin de faire appel à des processus nouveaux de gouvernance. En outre, l’émergence et l’internationalisation de la GIRE ont facilité aussi l’introduction dans le vocabulaire de la coopération, des principes de participation et de “bonne gouvernance”. La gouvernance environnementale a été très diffusée par des organisations et des ONG internationales comme la BID et l’UICN comme la « recette » pouvant améliorer la gestion de des régions frontalières. Ces organisations exogènes affirmaient dans leurs projets qu’il était nécessaire de faire appel à des formes de gouvernance « horizontale », puisque ces régions représentaient des régions multiculturelles, marginales et fragmentées (Rodriguez, 2009; UICN, 2006), c’est-à-dire des régions « complexes », subissant le manque d’autorité effective des Etats. Dans des sociétés hétérogènes et fragmentées, où il y a une crise de la représentation de l’Etat, la gouvernance collaborative se présente comme une réponse aux contraintes fonctionnelles posées par la complexité de ces sociétés (Papadopoulos, 2012, p. 285 2) . Suite à l’examen des différents projets mis en place sur ces deux bassins, un premier constat révèle que le concept de gouvernance comme celui de GIRE est une formule floue et imprécise, mais aussi qu’il existe une grande diversité de définitions issues d’institutions et organisations internationales. En effet, la notion de gouvernance a connu d’importantes évolutions à travers le temps, et les débats autour de sa définition sont nombreux. Guy Hermet affirme que ce mot est devenu un « mot valise » qui a été utilisé pour décrire des phénomènes très divers. D’abord il convient de préciser que le concept de gouvernance a été popularisé par la Banque Mondiale en 1989, qui le présente comme un mécanisme de gestion plus efficace, une nouvelle forme d’exercice du pouvoir reposant sur la participation horizontale (ou non hiérarchique) d’une multiplicité d’acteurs publics et privés, organisés en réseaux. Une des définitions les plus répandues est celle de la Commission des Nations Unies sur la Gouvernance globale qui la définit comme « la somme des différentes façons dont les individus et les institutions publiques et privées, gèrent leur affaire commune. C’est un processus continu de coopération et d’accommodement entre des intérêts divers et conflictuels. Elle inclut les institutions officielles et les régimes dotés de pouvoirs exécutoires tout aussi bien que les arrangements informels sur lesquels les peuples et les institutions sont 285 « Collaborative gouvernance can be seen as a response to functional constraints poser by complex- by that higly differentiated-societies » (Papadopoulos, 2012, p. 2) 426 tombés d’accord ou qu’ils perçoivent être de leurs intérêts » (UNCGG, 2005; voir le Chapitre 1). 4.3. La gouvernance un nouveau modèle d’exercice du pouvoir? La gouvernance propose un nouveau modèle d’exercice du pouvoir en société, qui implique la gestion des affaires publiques sur le modèle de celles du privé et de la participation publique. Elle a ainsi une vision décentralisée du pouvoir : le pouvoir et l’information sont en réseaux et ne sont plus le monopole de l’Etat (Létourneau, 2011, p. 3). Il convient de remarquer que l’Etat perd ainsi le monopole de la régulation et se mue en un autre acteur participant « à côté » d’autres acteurs (G. Hermet et al., 2005, p. 9). La gouvernance repose sur la mise en doute de la capacité de gestion des Etats, lesquels sont perçus comme des acteurs bureaucratiques, qui manquent de ressources et de capacités pour faire face à un société changeante, complexe et fragmentée (Papadopoulos, 2012, p. 3). C’est pourquoi, la gouvernance a une nature « polycentrique » et pour certains 286 « apolitique » (Kazancigil, 2005, p. 54). Les décisions doivent être construites collectivement pour qu’elles puissent être formulées et mises en œuvre tant par des acteurs publics que par des acteurs privés (des groupes d’intérêt, des ONG, des experts ou des firmes privées) (Papadopoulos, 2012, p. 2). Il faut souligner que la définition d’acteurs privés reste elle aussi très floue dans les discours de ces organisations, l’individu et la société civile sont considérés par certains auteurs comme des acteurs privés à côté des entreprises (Amilhat- Szary, 2009). Dans le cadre de cette recherche nous entendons par acteur privé les acteurs collectifs « dont la rationalité est déterminée par des intérêts privés, c’est-à-dire des firmes et des entreprises locales, nationales et celles qui sont dotées de « mobilité transnationale extrême » (Ibid., p. 8). Ces acteurs privés, même s’ils sont transnationaux, sont souvent territorialisés, comme c’est le cas des entreprises bananières sur nos terrains d’études. Celles-ci ont eu un rôle déterminant non seulement dans l’aménagement de ces régions frontalières, mais ont 287 actuellement un pouvoir très important . Un autre exemple d’intervention d’acteurs privés dans la gestion d’un territoire constitue les partenariats public-privé, notamment dans les systèmes de concession et de service public qui s’inspirent du principe de subsidiarité 286 « La gouvernance est née apolitique » comme affirme Kazancigil (2005, p. 54) 287 Notamment les entreprises agroalimentaires comme les grandes entreprises bananières et d’ananas, lesquels sont les propriétaires de grandes plantations et mettent souvent la pression sur les gouvernements locaux pour avoir des permis et des avantages. 427 préconisant le partage des pouvoirs et de ne laisser à « l’Etat de possibilité d’intervention que dans les secteurs ou le privé ne serait pas plus efficace » (Ibid., p. 8). Plus généralement, la gouvernance a été popularisée comme un processus qui pouvait « augmenter la démocratie », c’est-à-dire une manifestation « pratique de démocratie délibérative ou participative » (Papadopoulos, 2012, p. 3). C’est-à-dire un gouvernement au- delà de l’Etat qui implique une recomposition majeure des formes d’autorités politiques rendant caduques les approches par les régimes interétatiques (Alphandery et al., 2012, p. 12). D’un point de vue géographique, la gouvernance implique « ne plus considérer l’Etat et ses sous-ensembles territorialisés comme les seuls agents de pouvoir sur l’espace » (Amilhat- Szary, 2009, p. 7). En d’autres termes, la gouvernance propose l’abandon de la hiérarchie public-privé, : « un gouvernement, par les organisations et pour les organisations » que celles-ci soient publiques ou privées, ce qui pour Hermet bouleverse la relation avec l’autorité (G. Hermet, 2005, p. 35). Comme affirme Amilhat-Szary, la gouvernance « désidéologise » cette séparation traditionnelle et « désacralise le pouvoir » (Amilhat-Szary, 2009 ; G. Hermet, 2005). 4. 4. Les organisations et ONG internationales dans les processus de gouvernance locale Il convient ici de changer d’échelle et de passer de l’analyse de la gouvernance globale où interviennent « au côté et par dessus de l’Etat, les grandes institutions et les acteurs privés transnationaux », vers l’analyse de la gouvernance locale où participent des acteurs de la société civile à côté des autorités locales et des institutions décentralisées de l’Etat (Amilhat- Szary, 2009, p. 7). De ce fait, nous allons nous concentrer sur l’analyse des actions de gouvernance qui sont appliquées à l’échelle locale sur les deux régions frontalières étudiées et qui ont été encouragées par ces organisations et ONG internationales autour de la gestion de l’environnement et la GIRE. Tout d’abord, il convient de préciser que la totalité des projets étudiés évoque le besoin de mettre en place des processus de « gouvernance environnementale » ou de « gouvernance de l’eau», c’est-à-dire des processus délibératifs, cherchant la participation d’acteurs locaux de la société civile dans la gestion de la nature, et plus spécifiquement, de l’eau. La gouvernance de l’eau peut-être comprise selon J. Dore, L. Lebel et F. Molle comme un processus social de 428 dialogue, de négociation et de prise de décision, instrumentalisés comme des moyens pour atteindre des objectifs prédéterminés ( Dore et al., 2012, p. 23). Dans le discours de ces organisations, la nature dans son ensemble est présentée comme un bien « universel ». Cette universalité est un argument central qui sert à justifier la présence de ces organisations internationales et des acteurs privés dans la gestion des bassins versants transfrontaliers, lesquels sont localisés sous l’autorité de plusieurs Etats. Ces organisations et ONG internationales se présentent comme des acteurs « neutres », indépendants des Etats et même des acteurs privés (en entendant par privés, les entreprises). Elles se révèlent comme « les représentants auto-proclamés de l’improbable société civile globale » (Kazancigil, 2005, 288 p. 31). Par ailleurs, lors des entretiens réalisés avec Rocio Cordoba Coordinatrice de l’Unité de Moyens de Subsistance (moyens d’existence) et Changement Climatique de l’UICN et 289 avec Marietta Fonseca , Experte en Ressources Naturelles du Projet BID-FEM, il a été évident que ses organisations se perçoivent comme les « instances idéales » pour mettre en place des projets de façon transfrontalière, puisqu’elles n’ont pas les restrictions bureaucratiques et territoriales (frontières) qu’ont les Etats et peuvent ainsi agir sur différents pays. Comme affirme S. Ghiotti, « cette approche par bassin versant est ainsi appropriée par certains acteurs dont la logique d’action et/ou discours se situe à l’échelle internationale, légitimant leur intervention (bailleurs de fonds, ONG, entreprises privées) » (Ghiotti, 2014, p. 23). La notion de gouvernance est fortement appropriée par ces acteurs exogènes. Par exemple, 290 l’UICN dans son projet BRIDGE , déclare que « la gouvernance de l’eau (water gouvernance) « fixe les règles du jeu » et détermine comment la société va gérer l’eau de façon effective, transparente, cohérente et en s’appuyant sur des politiques, des lois et des institutions cost-efficient » (UICN, 2012d). Pour l’UICN la gouvernance est plus effective quand les stakeholders (parties concernés par l’enjeu) participent et quand les actions sont coordonnées à différentes échelles (locale, nationale et transfrontalière) (UICN, 2012d). Nous pouvons dégager de ce discours l’utilisation de mots clés comme « efficience » ou cost- efficent, mots qui évoquent des critères plutôt liés au marché qu’à la politique. Par ailleurs la notion de transparence évoque la publicité des processus de décisions, notamment à travers l’échange d’informations et de connaissances entre les preneurs de décisions et les stakeholders, raison pour laquelle ils développent des actions de formation en empowerment 288 Entretien réalisé le 28 juin 2012 aux bureaux de l’UICN à los Yoses, San Pedro, Costa Rica. 289 Entretien réalisé le 4 juillet 2012 aux bureaux du Projet Binational BID-FEM à Changuinola, Panamá. 290 IUCN, BRIDGE : Building River Dialogue and Gouvernance, Projet brief, https://cmsdata.iucn.org/downloads/project_brief_bridge.pdf 429 mais aussi plaidoyer pour que les acteurs de la société civile puissent devenir l’interlocuteur des autorités locales et demander des comptes. Toutefois, le discours de la gouvernance pour le projet binational BID-FEM porté par la BID et pour les projets de l’UICN évoque la nécessité de construire un dialogue (dans des forums, réunions, etc.) avec une multiplicité de parties prenantes pour ainsi créer du consensus. Aussi ces organisations insistent sur l’importance de la coordination avec les institutions publiques et assument très souvent un rôle d’intermédiaire en finançant des rencontres et des ateliers multi-acteurs (Skaaland, Vega, & Brenes Castillo, 2008). Il nous semble important d’insister sur le fait que ces projets répondent aux principes soutenus par la formule GIRE qui placent les acteurs de la société civile « au centre de l’action publique en encourageant la création d’organismes ad hoc (Brun & Lasserre, 2006, p. 6), c’est-à-dire des instances qui les réunissent pour délibérer autour d’enjeux partagés. 4.4.1. Dispositifs délibératifs et normatifs de gouvernance La gouvernance reconnaît l’existence de pouvoirs multiples et la complexité des problèmes environnementaux actuels, raison pour laquelle des actions de coordination et de coopération sont encouragées à différentes échelles. Les institutions et ONG internationales mettent en avant des formes horizontales d’interaction entre les acteurs tout en cherchant à promouvoir la négociation et la coopération, termes qui deviennent centraux dans les débats liés à la gouvernance (Chevallier, 2003, p. 109). A ce propos, dans le cadre de la GIRE, des instruments ont été conçus pour concrétiser sur le terrain les processus de gouvernance. Ces instruments que nous appellerons dispositifs de gouvernance ont été majoritairement conçus et diffusés par ces OIG et ONG internationales (Banque Mondiale, UICN, entre autres) à travers des projets de coopération. Leur création s’inscrit dans un changement idéologique qui repose sur une valorisation de la démocratie délibérative (Alphandery et al., 2012, p. 14). Par exemple, l’UICN développe, dans le cadre 291 de l’Initiative Eau et Nature, des manuels dédiés à l’importance de la négociation et établit comme « bonne pratique » la mise en place de Plateformes Multisectorielles comme les espace de décision idéale pour la gestion de l’eau ( Dore et al., 2011, p. 41). Par ailleurs, J. Dore, L. Rebel et F. Molle analysent les processus de gouvernance qui sont mis en place autour du bassin du Mékong.. Ces auteurs identifient trois types d’instruments qui 291 Le manuel dédié à la négociation a été conçu par le Programme Mondial de l’Eau en 2011 et s’appelle « Négocier : Atteindre des accords autour de l’eau » et a été diffusé par toutes les antennes de l’UICN dans le monde. 430 sont employés sur ce bassin, et que nous avons aussi identifiés dans les bassins des fleuves San Juan et Sixaola: 1. Les instruments délibératifs comme des plateformes multi-acteurs (PMA), qui doivent servir à définir les options et l’examen des résultats. 2. Les instruments techniques, lesquels ramènent des connaissances scientifiques dans les processus de décision politique. 3. Les instruments d’advocacy ou de plaidoyer, c’est-à-dire les actions qui cherchent à influencer l’opinion publique ou les preneurs de décisions comme des campagnes de soutien ou d’opposition ( Dore et al., 2012, p. 29). Ces instruments dans la pratique ne se mettent pas en place de façon isolée, au contraire ils sont complémentaires et se mettent en place de façon simultanée. Notamment dans les plateformes délibératives, il est courant que des représentants d’organisations internationales participent en donnant de l’assistance technique aux acteurs de base, tout en organisant et facilitant les réunions. Dans ce sens, les décisions issues des PMA souvent sont rendues publiques à travers des campagnes de diffusion. De cette façon, ces dispositifs sont avant tout des instruments destinés à promouvoir les « bonnes pratiques » qui ont été définies par l’oligopole de la conservation. Ils impliquent une diversité d’acteurs au-delà de ceux qui sont habilités à décider (Alphandery et al., 2012, p. 14), c’est-à-dire ils rassemblent des acteurs étatiques et non étatiques. Cette condition leur octroie une nature hybride parce qu’ils intègrent des acteurs très divers comme des techniciens, des décideurs politiques (notamment des autorités locales), des représentants des ONG locales, des producteurs, des représentants indigènes, entre autres. De plus, ils ont aussi la particularité de bouger entre l’informalité et la formalité (Ibid., p. 14). Dans le cadre de cette recherche nous nous intéresserons particulièrement aux instruments délibératifs qui ont été créés autour de ces bassins. Les instruments délibératifs dans la gestion de l’eau sont nombreux et ils incluent des plateformes multi-acteurs, des ateliers participatifs 292 pour mesurer les E-flows ou flux environnementaux , des codes de conduite, etc. Suite à l’examen des projets et des dynamiques de coopération pour la conservation de l’environnement appliqués sur ces deux bassins, nous avons pu identifier deux types de dispositifs délibératifs qui ont été mis en place, d’abord la création de plateformes multi- acteurs (comités de bassin et commissions transfrontalières) et ensuite des dispositifs plus 292 Selon la Banque Mondiale, le flux environnemental correspond à la quantité et la quantité d’eau nécessaire pour préserver les valeurs écologiques d’un cours d’eau, c’est-à-dire ses habitats, ses fonctions, les modes de vie des habitants, http://water.worldbank.org/topics/environmental-services/environmental-flows 431 normatifs comme les codes de conduite. Ces deux types de dispositifs ont recours à des espaces de participation et mettent en place des processus de dialogue et de négociation. Il convient de préciser qu’il est fréquent que ces dispositifs soient informels et qu’ils soient séparés des processus et des institutions régis par l’Etat. 4.4.2. Les plateformes multi-acteurs, le cas de la Commission Binationale du Bassin du fleuve Sixaola et des commissions transfrontalières. Dans le cadre de la gestion et conservation des bassins transfrontaliers des fleuves Sixaola (Costa Rica-Panamá) et San Juan (Nicaragua-Costa Rica), les Projets BID-FEM et l’UICN à travers le Projet Alianzas, le projet BRIDGE et les initiatives WANI (cf. Chapitre 5), ont encouragé le développement de deux types de Plateformes Multi-acteurs (PMA), lesquelles avaient pour objectif non seulement de promouvoir la conservation de ces bassins mais aussi d’inciter la coopération et la gouvernance transfrontalière. Ceci est particulièrement observable dans le document du Projet BRIDGE, lequel déclare : « le projet cherche à développer la coopération transfrontalière pour ainsi encourager le bonne gouvernance» (UICN, 2012d, p. 2). A cet effet, l’UICN propose la création de PMA conçues comme des espaces de négociation et ayant pour objectif d’aboutir à des consensus en matière d’eau. Les PMA que nous nous apprêtons à analyser sont les Commissions Transfrontalières du Projet Alianzas et la Commission Binationale pour la Gestion du bassin Sixaola du Projet BID-FEM. Il convient tout d’abord de définir ce que nous comprenons par PMA. Les plateformes multi- acteurs (PMA) sont définies comme une institution (volontaire ou statutaire) de négociation ou de prise de décisions, comprenant différentes parties prenantes qui rencontrent le même problème de gestion de ressources, qui réalisent leur interdépendance dans sa résolution, et qui se rassemblent pour se mettre d’accord sur les stratégies d’action visant à résoudre le problème (Steins & Edwards, 1999, p. 244). Les PMA peuvent être des forums de bassin, des commissions et même de comités de bassin qui sont formels ou informels. Elles sont perçues très positivement par les bailleurs de fonds et les ONG et elles représentent un élément clé de la GIRE (Warner & Simpungwe, 2012, p. 108). L’existence d’actions dirigées à la création de PMA dans les projets de conservation est souvent même une condition pour le soutien des bailleurs de fonds (Ibid., p. 108) . Pour le Programme Mondial de l’Eau de l’UICN, par exemple, la négociation multisectorielle est un élément central pour « une gestion de l’eau 432 juste, effective et durable » et pour cela, l’UICN conseille dans ses manuels de faire appel aux PMA comme des espaces non seulement de décision, « mais de formation, de construction collective et d’apprentissage » (Dore et al., 2012, p. 7). Pour cette organisation, le bon fonctionnement des PMA dépend de l’identification de leaders locaux (élites locales) et de la quête permanente de légitimation (Ibid., p. 7). Nous avons identifié ce mode de fonctionnement dans les PMA encouragées par l’UICN dans les deux bassins étudiés. Nous avons pu constater que cette organisation fait appel à des élites locales, lesquelles sont les participantes privilégiées dans ces PMA. En effet, les PMA sont des dispositifs délibératifs qui impliquent une pluralité d’acteurs du secteur public, du secteur privé ainsi que de la société civile. Dans le cadre de la gestion par bassin transfrontalier il y a une tendance à faire appel à la figure de comité ou commission de bassin. Initialement, les premières commissions de bassin qui avaient été créées, articulaient majoritairement des représentants des gouvernements des pays qui partageaient le bassin. La Commission du Rhin (1831), la Commission du Danube (1948), la Commission du Nil (1959), la Commission de l’Indus (1960), la Commission du Mékong (1957) et la Commission du Rio de la Plata (1969), sont des exemples de commissions qui étaient principalement interétatiques. Ces Commissions représentaient d’importantes tentatives de coopération binationale autour des bassins qui étaient davantage perçus comme des cours d’eau internationaux que comme des bassins transfrontaliers, notamment pour éviter toute tension sur la question de la souveraineté des Etats. Dans la région centraméricaine, la Commission Tri-nationale du Plan Trifinio est souvent évoquée comme une des expériences les plus abouties de coopération binationale de l’Isthme. Cette Commission est l’entité chargée de garantir l’application du Plan Trifinio établi entre le Guatemala, le Salvador et le Honduras. Elle est composée par les vice-présidents
 du Salvador et du Guatemala et d’une personne désigné par le Présidence du Honduras. Cette Commission est une autorité régionale 293 formelle et autonome du point de vue administratif, financier, et technique (SICA, 2012) . Avec l’émergence de la GIRE, le déclin de la gestion verticale des Etats et plus particulièrement avec l’essor de la gouvernance délibérative comme discours, des plateformes avec une participation multisectorielle (décideurs, mais aussi acteurs privés et acteurs de la société civile) ont été encouragées, ce qui a donné lieu à de nouvelles formes d’organisation comme le sont les PMA. 293 http://www.sica.int/trifinio/ctpt/org_consul.aspx?IdEnt=140 433 Ces plateformes se sont présentées comme un possible outil pour la résolution des conflits dans la gestion de diverses ressources communes (Warner & Simpungwe, 2012, p. 109). Idéalement, les PMA permettent à des acteurs qui ont des intérêts différents de participer à des processus de négociations où la majorité l’emporte, permettant ainsi d’aboutir à des résultats équitables et représentatifs (Warner & Simpungwe, 2012, p. 109). Les PMA peuvent ainsi « routiniser » la négociation et organiser les processus de délibération permettant qu’autour de la « complexe gestion de l’eau », les négociations soient plus rigoureuses et informées (Dore et al., 2012, p. 30). Ces plateformes permettent également à des populations locales « de revendiquer à travers leur participation, plus de pouvoir et de reconnaissance » (Ghiotti, 2014, p. 17). Elles articulent aussi le local avec des acteurs qui agissent à l’échelle globale, et ce «passage à l’international donne ainsi l’opportunité au « local » de court-circuiter l’échelle nationale qui les a souvent ignorés et marginalisés » (Ghiotti, 2014, p. 17) notamment à cause de leur position périphérique. Il convient de souligner que nous nous sommes intéressés plus particulièrement à l’analyse de ces PMA articulant des acteurs de part et d’autre de la frontière, c’est-à-dire les Commissions Transfrontalières du projet Alianzas de l’UICN, localisées sur les bassins des fleuves Sixaola et San Juan, et la Commission Binationale pour la Gestion du bassin transfrontalier du fleuve Sixaola (conçue par le Projet BID-FEM et soutenue par l’UICN). Nous avons analysé ces PMA autour de deux variables 1. L’architecture du dispositif (structuration, convocation et financement), 2. Leur représentativité et légitimité. 4.4.2.1. Architecture des plateformes multi-acteurs Dans un premier temps, nous nous sommes interrogés sur l’architecture de ces PMA, c’est-à- dire plus particulièrement sur leur structure, leur formation et leur fonctionnement. Nous voulions ainsi établir quels acteurs participaient à ces plateformes, comment elles étaient financées et comment elles fonctionnaient. Un premier constat sur cette architecture est que ces PMA ont été conçues avec l’intervention d’acteurs exogènes et que aucune n’a été conçue par des acteurs locaux. Les Commissions Transfrontalières (CT), par exemple, ont été conçues par des experts internationaux et des professionnels de l’UICN dans le cadre du Projet Alianzas en 2006 (cf. Chapitre 5). Dans le cadre du Projet Alianzas les CT étaient présentées comme une forme de PMA ascendante 434 (bottom-up) c’est-à-dire une plateforme majoritairement formée par la société civile et une initiative des communautés locales. En réalité, le processus n’a pas été du tout celui-ci. De son côté, la Commission Binationale pour la Gestion du bassin Sixaola, créée en 2009 dans le cadre du Projet BID-FEM, s’apparentait à une PMA descendante (top-down) puisqu’elle avait été conçue par les secrétaires de la Convention Binationale Costa Rica- Panamá, avec l’assistance des experts de la BID et du FEM, mais aussi avec des fonctionnaires des gouvernements panaméens et costariciens, comme les secrétaires de la Convention Binationale Costa Rica- Panamá. Ainsi, la Commission Binationale articule des acteurs étatiques, tels que les représentants des ministères de l’environnement, de la santé ou de l’agriculture, avec des coopératives, des associations de femmes, des associations de paysans, des organisations indigènes et des ONG locales environnementalistes. L’architecture de ces commissions est exposée de façon plus détaillée dans le tableau 24, lequel résume les principales caractéristiques de ces deux types de PMA et présente les acteurs collectifs qui les composent. Tableau 24 Architecture des Commissions Transfrontalières (bassins San Juan et Sixaola) et de la Commission Binationale du bassin du fleuve Sixaola PMA Conception Acteurs qui participent Financement Durabilité Pays Commission Projet Au Costa Rica UICN Elle a cessé Costa Rica Transfrontal Alianzas Ministère de l’Environnement et ces activités à –Panamá ière Bocas UICN l’Energie (MINAE) la fin du Talamanca Coopération Association de Petits Producteurs Projet Norvégienne de Talamanca (APPTA) Alianzas en Association de Femmes Bribris de 2011 Talamanca (ACOMUITA) Corridor Biologique Talamanca- Caribe. Au Panamá Coopérative de Cacao de Bocas del Toro (COCABO), Fondation Alliance Naso Comité de femmes Ngöbe Association Solary Alliance pour le Développement de l’Archipel de Bocas del Toro (ADESBO) Association Amis et Voisins de la Côte et de la Nature (AMMVECONA). Commission Projet Au Costa Rica UICN Elle a cessé Costa Rica- Transfrontal Alianzas Union de Petits Producteurs de Los ces activités à Nicaragua ière UICN Chiles la fin du Rio San Coopération Organisations de femmes Projet Juan Norvégienne productrices comme l’Association Alianzas en de Femmes de Santa Fé 2011 435 PMA Conception Acteurs qui participent Financement Durabilité Pays L’Association de Femmes du Valle La Coopérative Llano Azul Au Nicaragua Unité Environnementale de la Mairie de San Carlos Union de pêcheurs et Artisans de San Carlos (UDEPESCA) Institut Nicaraguayen de Pêche et Aquaculture (INPESCA) ONG DUNDEVERDE Fondation du Fleuve Ministère de l’Environnement et des Ressources Naturelles (MARENA) Organisation de Jeunes ECOJuventud Conseils de Jeunes de la Mairie Commission Projet BID- Les deux secrétaires de la BID Elle continue Costa Rica Binationale FEM Commission Binationale du UICN à fonctionner Sixaola pour la MIDEPLAN au Costa Rica et el même si le Gestion du Secrétariats MINFE au Panamá. Projet BID- bassin exécuteurs de Au Panamá: FEM a fini Sixaola la Convention Autorité Nationale de ces activités Binationale l’Environnement (ANAM) sur cette Costa Rica- Ministère de la Santé (MINSA) frontière, Panamá Ministère du Développement grâce aux Agraire (MIDA) , financement Système National de Protection de l’UICN Civile (SINATROC). Mairie de Changuinola Un représentant du Conseil des Aqueducs Ruraux294. Au Costa Rica MINAET Ministère de la Santé Ministère de l’Agriculture (MAG) Commission d’Urgence Mairie de Talamanca La société civile des deux pays est représentée par des délégués de a) associations de producteurs, b) des associations de développement communal et c) associations d’entrepreneurs. Les gouvernements indigènes résidents dans le bassin localisés en chaque pays. Au Costa Rica un représentant des associations indigènes : ADITIBRI, ADITICA et la réserve indigène KeköIdi 294 Le Conseil des aqueducs ruraux est au Panamá un des acteurs les plus actifs et plus légitimes. Il a été renforcé avec le Programme de Développement Durable de Bocas del Toro. 436 PMA Conception Acteurs qui participent Financement Durabilité Pays Au Panamá: un représentant des groupes indigènes Ngäbe, Naso y Bribri. Le représentant des projets et des programmes localisées dans le bassin du fleuve Sixaola développés dans le cadre de la Convention Binationale Source : Documents des projets et systématisation de l’expérience des Commissions Transfrontalières du Projet Alianzas : (Rodriguez, 2009). Le deuxième constat qui peut être fait est que ces PMA ont des objectifs et des actions différents. Tout d’abord, les commissions transfrontalières ne suivent pas une approche de GIRE, leur agenda politique intègre des actions de conservation, mais aussi des actions liées au développement de la région frontalière comme l’amélioration de l’infrastructure migratoire (postes frontaliers) et frontalière (pont du fleuve Sixaola). La Commission Binationale pour la gestion du bassin Sixaola (CBGBS) était, comme son nom l’indique, plus centrée sur la gestion du bassin et suivait une approche de GIRE (amont-aval), en s’intéressant plus particulièrement à des questions liées à la gestion du risque. Concernant la structuration de ces PMA, les commissions transfrontalières (CT) se basaient sur une participation plus élargie, mais elles étaient plus flexibles et informelles que la Commission Binationale du bassin. Ces CT n’ont jamais eu un règlement, et n’ont jamais défini non plus un chronogramme de réunions, elles étaient plus spontanées et agissent de façon plutôt réactive. En outre, elles n’ont jamais été reconnues par les Etats. Les CT sont plutôt « un espace de dialogue, d’échange et de plaidoyer, formé par des organisations de base de part et d’autre de la frontière » (Rodriguez, 2009, p. 21). Elles ont comme objectif de positionner des agendas politiques socio-environnementaux locaux et transfrontaliers dans des espaces décisionnels nationaux et internationaux (Ibid., p. 22). Selon l’UICN, les CT permettent aux acteurs locaux d’avoir un « support transfrontalier au moment de participer à des espaces binationaux (comme les réunions de conventions et de la Commission Binationale Permanente). En plus, le fait de se présenter comme rassemblant des acteurs des deux côtés de la frontière, permet à ces CT de représenter des demandes transfrontalières avec une plus importante légitimité » (Ibid., p. 22). Cependant, un des impacts de ces CT le plus évoqué lors des entretiens, n’a pas été celui de leur capacité de plaidoyer, mais le rôle qu’elles ont eu dans la formation politique d’acteurs locaux, lesquels ont reçu dans le cadre des réunions de la CT des formations dans une diversité de thématiques comme l’adaptation au Changement 437 Climatique, le Genre, l’Approche par Ecosystèmes, le biomonitoring, la gestion du risque, etc. Par exemple, les organisations indigènes Nasö ont utilisé les connaissances en biomonitoring de poisson qu’elles ont acquises lors des formations, pour montrer la réduction des populations de poissons sur le fleuve Telire. Ceci a permis de présenter une requête auprès de l’UNESCO, pour dénoncer l’impact que les produits chimiques issus des champs de monocultures ont sur les cours d’eau du Parc International La Amistad. La Commission Binationale pour la Gestion du bassin Sixaola (CBGBS) a été mise en place dans le cadre du Projet de gestion intégrée des écosystèmes du bassin binational du fleuve Sixaola (Projet BID-FEM) pour devenir l’organe souverain du projet. De plus, elle a été aussi conçue pour qu’elle devienne progressivement une instance de « gestion territoriale » (Wong & Porras, 2013, p. 2). Dans ce sens, l’UICN, dans le cadre du projet BRIDGE, a décidé de renforcer la Commission pour qu’elle devienne à long terme « une entité indépendante du projet et potentiellement une unité de planification territoriale et de gestion du développement du bassin », c’est-à-dire une autorité pour le bassin du fleuve Sixaola (Wong & Porras, 2013, p. 3). C’est dans ce sens que l’UICN, et plus particulièrement le Centre de Droit Environnemental de l’UICN localisé à Bonn et l’Unité de Gestion de l’Eau du Bureau Mésoaméricain de l’UICN à San José, a décidé de souscrire une alliance stratégique avec le BID et les gouvernements du Costa Rica et du Panamá pour contribuer à la consolidation de cette Commission. C’est ainsi que l’UICN s’est engagé à renforcer les compétences des membres de la Commission (cf. Tableau 22) et à aider à l’élaboration d’un règlement interne de la Commission pour ainsi avancer vers sa formalisation. Ce règlement a abouti en 2013, rédigé par des experts de l’UICN avec les contributions des membres de la CBGBS. Le processus de rédaction et de consultation de ce règlement a été aussi un espace d’échange, de construction collective de connaissances et de formation perçu de façon positive par les acteurs participants, lesquels considéraient très utiles les formations en GIRE qu’ils avaient reçu de la 295 part de l’UICN . Il est intéressant de constater que ce règlement reprend les principes de la Convention de l’ONU de 1997 portant sur le droit de l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, et définit les objectifs et les responsabilités de la Commission. Le règlement détermine la nature de la Commission dans son article 3 de la manière suivante : 295 Entretiens auprès de Marvin Murillo de ASOPLATUPA en juillet 2012. 438 « La Commission est une instance binationale et transfrontalière de gouvernance pour la gestion intégrée du bassin binational du fleuve Sixaola » (Wong & Porras, 2013, p. 9). Cependant il convient de signaler que ce Règlement n’est pas reconnu par les gouvernements du Costa Rica ni du Panamá, demeurant un accord extra-officiel souscrit par les membres de la Commission. Il est également intéressant de remarquer que le règlement de la CBGBS évoque dans son introduction la coïncidence des principes de la Commission avec ceux de la Stratégie Centraméricaine des Ressources en Eau du SICA (Wong & Porras, 2013, p. 5). L’UICN qui a participé à la rédaction de cette stratégie, a insisté pour l’inclure dans le texte du règlement, même si les Etats nations centraméricains ne l’ont pas encore reconnue. Ceci nous amène à constater comment l’UICN joue également un rôle d’intermédiaire entre l’échelle régionale et l’échelle locale, sans passer par les Etats centraux. L’étude de ces deux PMA montre aussi que ces plateformes sont très dépendantes de l’UICN du point de vue technique et financier. Il convient de signaler que les régions frontalières concernées ont d’importantes contraintes du point de vue de l’infrastructure routière ainsi que des services de transports publics qui sont soit inefficients soit inexistants. Les coûts des déplacements des participants sont très hauts, ceci est le cas des habitants de villages localisés dans la partie amont du bassin du Sixaola, majoritairement indigènes, lesquels pour se rendre aux réunions doivent réaliser une partie importante du trajet à pied, pour ainsi avoir accès à des transports privés (taxis) très chers. Il faut aussi prendre en compte que ces PMA se voulant transfrontalières, les réunions doivent logiquement se réaliser en alternance dans les deux pays qui se partagent chaque bassin. Ce qui implique aussi de prendre en compte les frais liées au passage de la frontière (transports, taxe douanière, etc.). Ce qui représente une contrainte réelle à la participation. 296 297 Lors des entretiens avec les professionnels de l’UICN, Pedro Cordero et Nazareth Porras , (tous les deux chargés de projets) il a été clair que c’est l’UICN qui dynamisait et finançait les réunions de ces PMA. L’UICN convoquait les réunions, faisait les comptes rendus, tout en finançant ces rencontres et les déplacements des membres. Sans cela, les réunions auraient difficilement eu lieu. De son côté, Pedro Cordero assure que : « c’est une personne de l’UICN qui assume le rôle de secrétaire de la Commission, il faut toujours insister et les  les 296 Entretien réalisé le 2 juillet 2012 à l’antenne de l’UICN dans les bureaux du Corridor Biologique, à Hone Creek, Costa Rica. 297 Entretien réalisé le 31 juillet 2012 aux bureaux de l’UICN à los Yoses, San Pedro, Costa Rica. 439 membres de la Commission bouger, ainsi que leur expliquer ce qui doit se faire, si l’UICN 298 ne leur met pas de pression, ils ne bougent pas ». Juan Carlos Mendez , de la Commission Nationale d’Urgences et représentant dans la CBGBS, déclarait aussi lors de notre entretien : « ils  les membres de la Commission sont très dépendants de l’ONG (UICN), c’est elle qui 299 nous fait bouger ». Mauricio Santos , représentant de la Mairie de Changuinola à la CBGBS, va dans le même sens en affirmant que « si on participe, c’est parce qu’on nous a 300 convoqué ». Rodrigo Coloane , fonctionnaire de la BID, met en doute la durabilité de la Commission en affirmant: « Je doute que la Commission continue à exister une fois le projet terminé, parce que la Commission n’a pas de ressources propres, et qu’il faut toujours insister auprès des membres pour qu’ils se réunissent ». De leur côté, pendant les entretiens, plusieurs acteurs locaux interrogés, notamment, ceux des 301 coopératives de producteurs et des autorités indigènes, ont fait référence à ce comité comme la « Commission de l’UICN » ou du « BID-FEM». Ceci démontre un manque d’appropriation de la part de ses membres puisqu’ils la perçoivent comme une structure de 302 participation « importée » et voire « forcée » . Cette situation compromet d’autant plus la durabilité de la commission. Cependant, selon le règlement, l’UICN est en train d’encourager la création de groupes de travail au sein de la CBGBS, pour la rédaction de projets qui seront postérieurement présentés à des bailleurs de fonds. Pourtant, l’expérience antérieure des Commissions Transfrontalières n’est pas prometteuse. En effet, même si ces CT ont réussi à mettre en place des actions de plaidoyer à l’échelle nationale, notamment face aux Assemblées Législatives du Costa Rica et Panamá, une fois que le Projet Alianzas a conclu ses activités, les Commissions ont arrêté de se réunir. Dans le cas de la Commission Transfrontalière du fleuve San Juan, il faut remarquer qu’elle a encouragé le rapprochement entre les autorités locales des deux pays pour ainsi faire du lobbying et promouvoir des actions de conservation et de développement durable. Mais tous ces efforts ont été anéantis par le conflit binational qui s’est imposé sur cette frontière à partir des années 2005. 298 Entretien réalisé le 7 septembre 2012 aux bureaux de la Commission Nationale d’Urgence à Pavas, San José, Costa Rica. 299 Entretien réalisé le 11 juillet 2012 à la Mairie de Changuinola, Panamá. 300 Entretien réalisé le 25 juillet 2012 aux bureaux de la BID à la Ville de Panamá. 301 Entretiens auprès de Marvin Ruiz d’ASOPLATUPA, réalisé le 10 juillet 2010 à Margarita à Talamanca Costa Rica, auprès de Cristian Aspitia de la coopérative Cooperio, réalisé le 12 juillet 2012 à Olivia, Talamanca, Costa Rica et auprès de Pablo Rayo, réalisé le 11 juillet 2012 à Guabito, Panamá. 302 Entretiens auprès de Marvin Ruiz d’ASOPLATUPA, réalisé le 10 juillet 2010 à Margarita à Talamanca Costa Rica 440 D’un autre côté, une autre contrainte qui a été souvent évoquée lors des entretiens sur le fonctionnement de ces PMA, est le manque de diffusion des accords et de l’information 303 produite par ces organisations internationales (UICN, TNC, BID). Mitzela Davila , de l’ONG Panamá Verde, affirme dans ce sens que « les institutions et les ONG gardent 304 l’information clé et les gens n’y ont pas accès ». A son tour, Marcelo Pacheco du MINAET affirme aussi que « la Commission n’a pas de stratégie de communication ou de diffusion, donc personne ne sait ce qu’elle fait ». En outre, selon ces acteurs, le peu d’information qui circule est écrit dans un « langage expert » qui rend très difficile sa compréhension et son utilisation pour les acteurs de base. 4.4.2.2. Représentativité et légitimité Selon la GIRE, tout usager de l’eau peu être considéré comme partie prenante et participe aux processus de négociation. Cependant dans la pratique, certains auteurs affirment que cet objectif est impossible (Warner & Simpungwe, 2012, p. 112). Face à ce constat, comment pouvoir garantir la représentativité de la grande diversité de secteurs et d’identités coexistant sur un bassin ? La question de la représentation est sans doute l’enjeu central dans les reproches qui sont fait aux PMA. Qui a le droit de participer ? Et qui décide de qui a le droit de participer, et selon quels critères ? Il apparaît que les membres des Commissions Transfrontalières ont été sélectionnés par l’UICN, et ce selon deux critères : ils doivent être d’une part des organisations de base et d’une autre part majoritairement des organisations membres de l’UICN. Ils ont l’obligation de faire partie du réseau d’organisations qui participent à l’Assemblée des Membres de l’UICN. L’impératif de travailler prioritairement avec des membres a été défini par le siège de l’organisation pour toutes les antennes régionales dans le monde. Il convient de souligner que les organisations membres de l’UICN passent par un processus de sélection au sein de l’UICN. L’UICN déclare sur son site officiel que « les membres proviennent de secteurs très divers. Couvrant une large gamme d’approches et travaillent en une grande variété de projets et d’initiatives. Cependant, ils adhérent à l’UICN parce qu’ils partagent et soutiennent les objectifs de l’UICN, tels qu’ils ont été définis dans les Statuts et Règlement » (UICN, 305 2014) . Ainsi, les membres sont des organisations proches idéologiquement de l’UICN. 303 Entretien réalisé le 5 juillet 2012 à Changuinola, Panamá. 304 Entretien réalisé le 10 juillet 2012 à Bribri, Talamanca, Costa Rica. 305 http://www.uicn.org/es/sobre/union/miembros_es/_quienes_son_los_miembros_de_la_uicn_/ 441 Dans le cas de la CBGBS, les membres ont été sélectionnés par les secrétaires de la Convention Binationale Costa Rica-Panamá (qui sont des fonctionnaires du Ministère de la Planification pour le Costa Rica et du Ministère de l’Economie et des Finances pour le Panamá). Postérieurement, la formation de la CBGBS a été redéfinie dans le règlement interne de la Commission, lequel a été élaboré avec l’assistance technique de la UICN. En effet, l’organisation de la CBGBS est plus formalisée et la participation à cette instance plus restreinte, car cette commission aspire à devenir une autorité de bassin., Par conséquent, les acteurs qui y participent doivent être reconnus comme des représentants d’institutions et des organisations de base (autorités indigènes, syndicats, etc.). Malgré les efforts pour présenter ces deux PMA comme des instances participatives et représentatives, de nombreuses critiques ont été soulevées lors des entretiens, notamment sur leur représentativité. Ainsi que l’exprime Juan Carlos Méndez, autour de la CBGBS les participants sont « les même cinq personnes de toujours ». A travers ce commentaire, il est fait référence au fait que le plus souvent ce sont les mêmes personnes qui assistent à la Commission et qui participent à tous les projets. Marcelo Pacheco souligne également qu’au sein de la CBGBS il est fréquent qu’«une seule personne représente la société civile », en posant la question « Mais qui l’a choisi pour les représenter ?.. ». 306 De son côté, Julian Llaguno , responsable du Projet Kiosque Environnementaux de l’Université du Costa Rica (UCR) à Talamanca affirme que le projet Kiosques n’a jamais été invité à participer dans ces plateformes, parce qu’ils sont souvent considérés comme « radicaux ». Cela ne semble pas lui importer : « La Commission personne ne la connaît ». Il ajoute que les organisations les plus locales, indigènes comme paysannes, ne connaissent pas 307 l’existence de la CBGBS. A son tour, Edwin Britton , du centre de recherche CATIE 308 soutient que « la Commission est un espace très fermé et très hiérarchique ». Pablo Rayo syndicaliste bananier affirme à son tour, que la CBGBS « n’a pas d’activités concrètes et la participation est fermée », pour lui c’est un espace de débat mais très imprécis, où rien de concret ne se passe. 306 Entretien réalisé le 21 juin 2012 à l’Université du Costa Rica à San Pedro. 307 Entretien réalisé le 26 juillet 2012, dans les bureaux du CATIE à la Ville de Panamá. 308 Entretien réalisé le 11 juillet 2012 à Guabito, Panamá. 442 309 Par ailleurs, Juan Carlos Barrantes représentant du Corridor Biologique Talamanca Caribe qui a participé à la Commission Transfrontalière Talamanca-Bocas et à la CBGBS, affirme que « ces commissions à la fin se réunissent en fonction des besoins des projets », c’est-à-dire qu’elles abordent les sujets qui intéressent les projets, par exemple le besoin de trouver les autorisations nécessaires pour la mise en place d’activités de reboisement portées et financées par l’UICN. Elles peinent donc à sortir du cadre strict des projets et à devenir une instance de discussion locale à visée plus ample. 310 Guillermo Chacón consultant externe du l’Alliance Public-Privé, soutient que les acteurs locaux « s’adaptent à qui les soutient » c’est-à-dire que ces organisations de base accordent une attention particulière à l'apprentissage des codes et des procédures des ONG afin d'attirer vers elles un maximum de financement. Elles acceptent ainsi de suivre les agendas proposés 311 par les projets de coopération et de participer à ces PMA. Carlos Cascante , représentant indigène au Conseil de la Mairie de Talamanca, est très clair sur ce point : « Toute la coopération passe par ces ONG non par l’Etat, et si une ONG s’engage avec une communauté, c’est eux qui auront l’argent ». En somme, suite à l’examen de ces PMA, on peut voir que malgré leur objectif affiché d’encourager une participation plus active et plus directe, la participation en réalité est réduite à un groupe limité d’acteurs, qui sont généralement proches idéologiquement à l’UICN où à la BID. Ceci réduit les possibilités de mettre en place un véritable débat. Les acteurs qui participent sont perçus comme des « référents » et des « alliés » par la coopération internationale. Ils ont une relation historique avec les organisations, par exemple Antonio Ruiz le président de l’ONG locale Fondation du Fleuve localisée à San Carlos de Nicaragua, travaille avec l’UICN depuis plus de 20 ans. Actuellement, cette ONG locale participe dans tous les projets de l’UICN mis en place sur cette région de frontière. En outre, elle participe aussi aux projets encouragés par l’Agence Espagnole de Coopération Internationale (AECI) et au Projet Manos a la Costa porté par FUNPADEM. Un autre exemple est celui de Juan Carlos Barrantes du Corridor Biologique qui a une participation centrale dans les projets BRIDGE et Adaptation au Changement Climatique de l’UICN, mais aussi aux projets de l’Alliance Public-Privé et de la BID. 309 Entretien réalisé le 3 juillet 2012 aux bureaux du Corridor Biologique Talamanca Caribe à Hone Creek Talamanca, Costa Rica. 310 Entretien réalisé le 3 juillet 2012 aux bureaux de l’Alliance Public-Privé à la Mairie de Talamanca, Bribri Talamanca, Costa Rica. 311 Entretient réalisé le 12 juillet 2013 à la Mairie de Talamanca, à Bribri, Talamanca, Costa Rica. 443 Si nous réalisons un tour des projets en analysant les listes des participants aux réunions, ateliers et formations, nous pouvons constater que ce sont les mêmes organisations et les mêmes acteurs qui interviennent dans presque tous les projets. Ces organisations se sont ainsi constituées en importantes alliées des projets par leur proximité idéologique. En outre, elles font partie aussi des élites locales éduquées qui disposent des connaissances nécessaires et de l’expérience pour devenir les interlocuteurs des projets (cf. Chapitre 5). En examinant les « ordres du jour » des réunions de la CBGBS, nous pouvons également conclure que cette PMA est particulièrement au service du projet BID-FEM, puisque les débats et les délibérations se font autour de la validation des actions entreprises par ce projet. Et le Projet BID-FEM trouve sa légitimité face aux bailleurs de fonds grâce à cette Commission. En outre, ces PMA, non reconnues par les Etats et à la durabilité limitée, n’engendrent que des décisions provisoires et révocables. En effet, ces espaces n’étant pas encore reconnus comme légitimes, les décisions ne sont pas le résultat d’un processus fondé sur des débats représentatifs. Les décisions qui résultent de ces plateformes, à la différence des lois, qui elles sont votées en vertu du principe de majorité, sont négociées par des minorités (Hermet et al., 2005, p. 10). Ainsi, si l’on regarde l’effectivité des PMA, les résultats tangibles sont très réduits, les décisions qu’elles génèrent ne peuvant pas être imposées juridiquement. Les résolutions « ne sont que des recommandations, légalement non contraignantes, formulées à l’intention d’agences gouvernementales» (Warner & Simpungwe, 2012, p. 127), des agences de coopération ou des organisations internationales. C’est ainsi que malgré l’important investissement qu’elles demandent, au final, « l’application de ces recommandations repose donc sur la bonne volonté des acteurs concernés » (Ibid., p. 127). Cette faible autorité conjuguée au manque de ressources et au coût important que représente le fait de faire participer les acteurs locaux (déplacements, logement…), fait de ces PMA des organismes inefficients. En effet, les PMA étudiées résolvent rarement des conflits et ont un niveau d’influence très faible. Malgré tout, un résultat concret qui a été identifié par les acteurs interrogés est qu’elles représentent un espace de formation politique pour les acteurs locaux. Ils apprennent le fonctionnement des instances institutionnelles, à qui s’adresser, comment présenter un projet, etc. Un exemple illustratif est le cas de Xinia Montero, femme au foyer et membre d’une association de femmes appelée « Mujeres de Santa Clara » qui s’occupe de la production d’arbres pour le reboisement du bassin du fleuve Sixaola. Suite à son intervention à la CT du fleuve San Juan, elle a été identifiée par la mairie et a été 444 embauchée dans l’Unité de Gestion Environnementale locale. Les PMA ont permis dans ce cas là de développer du capital social à l’échelle locale en révélant une personnalité compétente. 4.5. Dispositifs normatifs, les codes de bonne gouvernance A côté des dispositifs de délibération des dispositifs de normalisation comme des Codes de Conduite se sont développés comme une voie pour améliorer la gouvernance de l’eau à travers la création de « normes ». La Banque Mondiale ainsi que des organisations comme l’UICN apparaissent comme les principales promotrices de ces instruments. Ces codes sont mis en place sur une diversité de terrains. Certains des cas très étudiés à l’échelle internationale sont les codes du bassin versant du fleuve Volta en Afrique Occidentale ou du bassin du fleuve Mékong, ce dernier ayant bénéficié d’une importante aide de la part de la Banque Asiatique de Développement (Molle et al., 2009, p. 400). Ces cas représentent les premiers codes qui se sont développés avec le support d’organisations internationales et sont souvent cités comme des exemples à suivre par l’UICN et la GWP. En Amérique centrale, dans le cadre du Projet BRIDGE, de l’Initiative Eau et Nature (WANI) et du « Projet Gouvernance et changement climatique dans des bassins transfrontaliers », l’UICN propose chaque fois l’utilisation de « Codes de Conduite ». Ces codes connus aussi comme les « Codes d’Ethique » ont été conçus dans le monde des entreprises et diffusés par la Banque Mondiale durant les années 1990. Ils émergent dans « un contexte international où les régulations traditionnelles, tout spécialement le droit étatique, semblent inopérantes et où ils sont présentés comme une réponse à ce déficit régulateur, réponse qui choisirait la voie de l’éthique et de la conscience plutôt que celle de la norme et de l’obligation davantage rattachée au système juridique » (Gendron, 2006, p. 55). Ces codes qui encouragent ainsi une adhésion volontaire sont souvent catégorisés comme des instruments de « soft law » (ou droit 312 mou ou doux) par certaines organisations comme l’OCDE et l’Organisation internationale du travail (OIT) (Ibid., p. 56), notamment parce qu’ils n’ont pas le statut d’une loi. Progressivement, ces instruments ont été appropriés par d’autres secteurs et à présent la 312 Par soft law F. Chatzistavrou comprend « les actes à faible caractère contraignant, à savoir les déclarations protocolaires, les résolutions, les communications, les recommandations, les chartes, les programmes, les déclarations d’intention, les guidelines, les principes et autres positions prises en commun ou encore, des accords adoptés par les États. Cette liste peut aussi être étendue aux communiqués, aux déclarations, aux conclusions, aux accords informels, aux opinions, aux actes, aux accords inter-institutionnels, aux concertations et aux accords de nature purement politique (gentlemen’s agreements) » (Chatzistavrou, 2005). 445 313 protection de l’environnement figure en deuxième place parmi les thèmes les plus fréquemment abordés par ces codes. Selon l’OCDE, 55 % des codes produits actuellement sont environnementaux « qu’il s’agisse de la préservation de la biosphère, de l’utilisation durable des ressources, de la réduction ou de l’élimination des déchets, ou encore des économies d’énergie, de la réduction des risques et de la remise en état de l’environnement » (Ibid., p. 57). Les codes impulsés par l’UICN sont appelés « Cartas del Río » ou « Chartes du Fleuve ». Ces chartes se présentent comme des accords inspirés par des principes du droit international notamment de bonne gouvernance et par la convention de l’ONU de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation. Ces chartes reprennent les principes généraux de cette Convention, comme l’utilisation équitable et raisonnable, l’obligation de ne pas causer de dommages significatifs, l’obligation générale de coopérer ou l’échange régulier de données et d’informations. Elles sont rédigées par des experts de l’UICN, et sont par la suite présentées aux acteurs locaux dans des ateliers. Les acteurs locaux qui participent aux discussions pour l’élaboration de ces chartes sont choisis par l’équipe technique de l’UICN à travers des critères plutôt subjectifs et pas vraiment liés à des critères de représentation. Les personnes choisies sont issues généralement des organisations de base comme des coopératives, des ONG locales, des associations de producteurs, des autorités indigènes, etc. Il convient de souligner que ces organisations sont souvent des alliées de longue date de l’organisation qui ont participé auparavant à d’autres projets. Ils représentent en effet certains secteurs, mais pas tous. Les gouvernements locaux sont aussi invités, plus particulièrement le maire ou ses adjoints, la police, les fonctionnaires de douanes, etc. Le contenu de la charte est discuté par les acteurs présents. Une fois que toutes les recommandations sont recueillies, les experts de l’UICN procèdent à leur intégration dans une nouvelle charte qui inclut les recommandations et l’agenda politique des acteurs interrogés. Ils présentent ensuite un nouveau document remanié, lors d’un deuxième atelier, à l’occasion duquel l’ensemble des acteurs impliqués signent la charte. Jusqu’à présent, l’UICN a réalisé deux chartes en Amérique Centrale dans le cadre du Projet Alianzas avec la collaboration du Centre de Droit International de Bonn : La Charte du fleuve Paz entre le Salvador et le Guatemala en mai 2008 et la Charte du fleuve San Juan entre le Costa Rica et le Nicaragua en avril 2008. Ces deux chartes dénoncent la situation de 313 Le premier thème traité par les codes est les pratiques commerciales loyales. 446 dégradation de ces deux bassins transfrontaliers, notamment à cause des activités agricoles extensives et des activités extractives (mines d’or et pétrole) qui s’y développent. Elles présentent une variété de demandes liées à des questions de conservation du bassin et des nappes phréatiques. En outre, elles font appel aux Etats pour qu’ils prennent en charge la conservation de l’environnement de ces régions de frontière. Elles incluent aussi des questions limitrophes, plus particulièrement liées au besoin de préciser les tracés à l’échelle locale. Il est intéressant de constater que, alors même qu’il s’agit de régions frontalières très différentes, les deux chartes présentent des réalités et des demandes très similaires. Il convient ainsi de nous interroger sur la représentativité des demandes exposées dans ces Chartes. Plus récemment, dans le cadre du projet BRIDGE, l’UICN a encouragé la création d’un règlement pour la Commission Binationale pour la Gestion du Bassin du Sixaola (CBGBS) qui est en réalité une Charte du fleuve. En effet, ce règlement a été construit en suivant les même méthodologies et en reprenant la même structure et les mêmes principes que les autres chartes. Le changement de nom est advenu pour ne pas générer des tensions avec les gouvernements qui voyaient dans cette Charte une tentative de ces organisations d’assumer des compétences qui relèvent des Etats, comme normaliser la gestion des bassins. La « Charte du fleuve» devient ainsi un accord qui traduit les compromis auxquels se sont engagés les acteurs qui la signent. Elle est diffusée par les réseaux sociaux et elle est affichée dans des endroits publics (postes de douanes, mairie, supermarchés…). Elle peut être ensuite utilisée comme un moyen de pression si un des acteurs ne respecte pas les accords signés. Cependant cette charte n’est pas reconnue par les institutions des Etats, c’est un accord informel qui n’a pas le statut de loi. Même si certains maires y souscrivent, ils le font parfois à titre personnel, parce que ces chartes ne sont pas le résultat d’un accord au sein de la mairie, et leur successeur n’est pas obligé d’assurer la continuité de cette charte. Il nous semble important de signaler que ces Chartes sont volontaires et généralement aucun dispositif de contrôle n’est prévu (Gendron, 2006, p. 58) ; elles ne sont donc pas contraignantes. Ces Chartes sont par conséquent informelles, sectorielles et provisoires. Informelles parce qu’elles n’ont pas valeur juridique et ne sont pas votées selon le principe de majorité. De plus, elles sont sectorielles parce qu’elles n’abordent que des thématiques très ponctuelles, avec des participants qui ne représentent que certains secteurs d’une communauté locale, et provisoires parce qu’elles dépendent pour leur suivi des agents de l’UICN, lesquels interviennent dans le cadre d’un projet qui a une durée limitée. 447 4.6. Dispositifs délibératifs et normatifs : plus de démocratie ou plutôt un pluralisme limité? Bien que les organismes comme la Banque Mondiale présentent la gouvernance comme une forme avancée de démocratie, de participation, de proximité avec les citoyens, de l’efficience et de l’autogouvernement (self rule) (Kazancigil, 2005, p. 54), dans la pratique le rapport que cette notion entretient avec l’Etat et avec la démocratie est beaucoup plus complexe. Ceci apparaît clairement lorsque l’on se penche sur les Plateformes Multi-acteurs qui se mettent en place sur les régions frontalières étudiées. Théoriquement, les PMA et les « Codes de Conduite » promettent une démocratie délibérative. Selon J. Warner et E. Simpungwe, « les PMA invitent les représentants de divers intérêts non pas sur une base proportionnelle, mais plutôt en allouant les sièges disponibles sur une base identitaire. Les plateformes délibératives sont donc vues comme une manière d’approfondir la démocratie » (Warner & Simpungwe, 2012, p. 112). Néanmoins, la démocratie a comme fondement la souveraineté du peuple qui a délégué à l’Etat l’autorité de gestion de son territoire et de ses ressources selon l’intérêt général. L’Etat a donc l’autorité d’agir au nom de tous. Deux questions se posent : les PMA sont-elles des dispositifs démocratiques dans leur fonctionnement interne ? Et de façon plus générale les PMA renforcent-elles la démocratie ? Il convient donc, de nous interroger d’abord sur leur représentativité (qui sont ceux qui décident au sein de ces PMA), puis sur l’impact qu’ont les résolutions issues de ces PMA : ont-elles véritablement un impact dans l’action publique? Ont-elles un impact dans la sphère politique ? Selon Robert Dahl (Dahl, 1973), deux variables déterminent le niveau de démocratisation des régimes politiques : la représentation et le débat public. Dans le cas des PMA étudiées, du point de vue de la représentation, de nombreuses critiques sont posées, d’abord parce que ces PMA sont constituées par des acteurs choisis par les experts de projets de coopération selon leur proximité idéologique. G. Hermet observe que dans les processus de gouvernance, il y a une absence de « participation élargie », les acteurs qui participent sont souvent des acteurs de la société civile ou des acteurs privés qui ne représentent pas une masse suffisante de citoyens. G. Hermet soutient qu’il existe une tendance dans les mécanismes de gouvernance à limiter la participation « aux acteurs et aux agents directement associés à leur processus » et qu’il est courant aussi d’exclure les groupes les plus « radicaux » pour esquiver les conflits. Il affirme que dans ce sens la gouvernance s’assimile au « suffrage censitaire » puisque les acteurs qui participent non pas été élus démocratiquement (G. Hermet et al., 2005, p. 11). En 448 outre, les recherches sur les PMA en matière de gestion de l’eau constatent sur d’autres terrains l’absence « de gens les plus démunis » et la « monopolisation du pouvoir par des élites locales » et administratives (fonctionnaires des institutions décentralisées de l’Etat) au sein des PMA (Warner & Simpungwe, 2012, p. 113). Il faut remarquer qu’à l’intérieur des PMA, il y a d’importantes rapports de forces entre des groupes qui disposent de conditions inégales par rapport à leur richesse et à leur éducation. Ces inégalités déterminent la capacité qu’a un acteur pour influencer un processus de négociation. Il est fréquent que les élites participent plus et qu’elles aient tendance à coopter ces mécanismes (Ibid., p. 114). Toutefois, il existe des cas, où malgré les évidentes inégalités, les acteurs non dominants arrivent à exercer une certaine influence. Selon J. Warner et E. Simpungwe, « les PMA ont montré qu’elles peuvent donner la voix à ceux qui n’en ont pas et de grands espoirs ont été placés en elles » (Warner & Simpungwe, 2012, p. 114). Dans le cas des CT et de la CBGBS étudiées, il est clair que les acteurs qui commandent ces PMA sont les acteurs qui ont davantage d’expérience dans le monde de la coopération en matière d’environnement, comme les représentants des ONG locales, les entrepreneurs touristiques ou les représentants des ministères. Ceux-ci ont un niveau éducatif supérieur et sont souvent soutenus par une structure organisationnelle finançant leurs déplacements et autorisant et encourageant même leur participation à ces PMA. Les organisations paysannes et indigènes ont plus de difficultés à participer à ces instances, notamment parce que consacrer une journée à une réunion implique à leur représentant de perdre une journée de travail, ce qui représente une journée sans revenus. Nous avons aussi constaté que dans ces plateformes, notamment dans la Commission Transfrontalière du fleuve San Juan (Costa Rica-Nicaragua), la participation de femmes est beaucoup moins importante, et que lorsqu’elles participent, elles prennent rarement la parole. Ceci peut s’expliquer par le fait que dans ces sociétés rurales, la garde des enfants est la responsabilité des femmes, et s’absenter une journée est souvent très difficile et représente donc une importante contrainte pour la participation des associations de femmes à ces processus. Dans le cas de la CT Talamanca-Bocas (Costa Rica-Panamá) la participation d’organisations de femmes majoritairement indigènes est plus importante, et ceci s’explique parce que dans la cosmogonie indigène, notamment dans la société Bribri, les femmes ont un rôle plus protagoniste et influant à jouer hors de la sphère domestique. Toujours en termes de représentation, nous avons pu identifier à l’intérieur des PMA la tendance à choisir des organisations idéologiquement proches, ce qui limite la possibilité de mettre en place un véritable débat et un processus de négociation représentant les différentes postures présentes sur ces frontières. A. Krieg-Planque, dans son analyse du discours des 449 communautés épistémiques, soutient que « la sphère politique elle même tend aujourd’hui à effacer la diversité des catégories d’acteurs et à réduire le caractère disparate de leurs mobiles et de leurs valeurs, au profit de la promotion de la « gouvernance », à l’instar des organisations internationales qui ont contribué à légitimer ce mot d’ordre. La faveur que connaît la démocratie participative ou le rôle croissant auquel est conviée la société civile s’inscrivent dans ce mouvement » (Krieg-Planque & Oger, 2010, p. 93). Ce phénomène est particulièrement observable à travers les cas des CT et des CBGBS. Des acteurs comme le Programme Kiosques Environnementaux de l’Université du Costa Rica aux positions très contestataires n’ont jamais été invités à participer à ces PMA. Ceci est aussi le cas des organisations indigènes contestataires qui ont une position très critique par rapport au travail réalisé par ADITIBRI et à ADITICA (autorités indigènes). Ces dernières, qui sont les seules reconnues par l’Etat costaricien et qui sont les organisations indigènes invitées à participé dans les PMA, ne représentent pas tous les groupes indigènes qui résident sur le bassin du fleuve Sixaola. En outre, pendant les cinq dernières années, elles ont été mises en doute par ces groupes indigènes dissidents, notamment par leur à la gestion et la distribution qu’elles ont fait des fonds du Programme de Paiements de Services Environnementaux qu’elles ont mis en place avec le Ministère de l’Environnement costaricien. De cette façon, les PMA étudiés encouragent ainsi l’occultation des conflits en excluant les acteurs dissidents, ce qui entraîne la dépolitisation et la désidéologisation des processus de négociations mis en place par ces PMA, ainsi que l’a déjà souligné A. Krieg-Planque (2010, p. 93). En somme, ces dispositifs de normalisation et de délibération « destinés à promouvoir des « bonnes pratiques » sont des archétypes d’une gouvernementalité néolibérale » (Alphandery et al., 2012, p. 13) qui transfèrent des concepts et des stratégies, mais aussi une idéologie néolibérale. 314 315 Les défenseurs de ces PMA comme Pedro Cordero et Rocio Cordoba de l’UICN allèguent qu’il est impossible, pour des raisons de logistique, d’assurer la participation directe de tous à la gestion de l’eau et que ces plateformes sont démocratiques parce que les décisions y sont prises à travers un suffrage interne direct, où chaque organisation dispose d’un vote (Warner & Simpungwe, 2012, p. 112). Cependant, il est clair que la prétention démocratique 314 Entretien auprès de Pedro Cordero, Chargé de Projet de l’Unité de Moyens d’Existence de l’UICN réalisé le le 2 juillet 2012 aux bureaux du Corridor Biologique Talamanca Caribe, à Hone Creek, Talamanca, Costa Rica. 315 Entretien auprès de Rocio Cordoba, Coordinatrice de l’Unité de Moyens d’Existence de l’UICN réalisé le 28 juin 2012 aux bureaux de l’UICN à Los Yoses, San José, Costa Rica. 450 de ces PMA n’existe que dans le discours car ce sont des groupes « fermés », où la participation est déséquilibrée et la représentation limitée à quelques secteurs soigneusement sélectionnés car idéologiquement compatibles. De plus, la question de la place donnée aux Etats dans ces PMA est centrale puisque ces dispositifs remettent en cause la capacité de gestion de l’Etat. La conception de participation que ces PMA encouragent est néolibérale, dans le sens où elle conteste le rôle hégémonique de l’Etat. Ce dernier est perçu comme un frein, à cause de son inefficacité, et ces dispositifs délibératifs sont présentés comme la solution mais aussi « comme des ressorts d’une efficacité accrue des institutions et comme des vecteurs d’intégration des groupes cibles dans les processus de développement » (Jaglin, 2007, p. 275). Nous sommes ainsi en présence d’une « banalisation de l’Etat », lequel est présenté dans ces plateformes comme « un acteur parmi les autres » qui doit accepter de négocier « sur un pied d’égalité » avec des acteurs de la société civile et des acteurs privés autour des PMA (Chevallier, 2003, p. 207). Ceci a été relevé par Marcelo Pacheco du MINAE du Costa Rica, lorsqu’il a évoqué comment dans le Projet BID-FEM, les ministères de l’environnement panaméen et costaricien ont dû assumer une position de subordination face à la BID dans l’application du projet. En effet dans le cas des CT et de la CBGBS les ministères et les institutions décentralisées des Etats ont été invité à participer à ces PMA par les organisations internationales.. Or ceci révèle que la conservation et la gestion d’une partie du territoire national n’est plus la responsabilité exclusive de l’Etat mais implique la participation d’acteurs qui représentent différents secteurs et agissent à différentes échelles. Un des risques qu’il est important de signaler est que si ces PMA sont renforcées, elles peuvent être instrumentalisées et devenir dans ce contexte des instruments au service des acteurs « dominants » et plus influents (Warner & Simpungwe, 2012, p. 114). Ces acteurs peuvent instrumentaliser ces plateformes pour faire accepter aux autres des résolutions qui cherchent à leur bénéficier. L’incursion d’acteurs privés (entreprises) dans la gestion des PMA liés à la gestion d’un bassin versant peut entraîner la dénationalisation d’un segment du territoire de l’Etat (Sassen, 2007). 316 Pour certains , comme le Programme Kiosques Environnementaux de l’UCR, la présence des acteurs privés et des ONG internationales encourageant des PMA a affaibli l’autorité des gouvernements locaux et nationaux, notamment en introduisant des acteurs privés dans des arènes très sensibles comme le secteur de la conservation de l’environnement, un domaine 316 Entretien réalisé auprès de Julian Llaguno de Kiosques Environnementaux le 18 juin 2012 à l’Université du Costa Rica 451 317 que avait été jusqu’à présent réservé à l’Etat. D’autres comme Rocio Cordoba de l’UICN et 318 Ana Lucía Moreno de l’organisation RUTA, affirment que ces acteurs exogènes répondent à un besoin réel, à un vide historique laissé par les Etats sur ces régions frontalières. Cependant il convient de s’interroger, sur le plan politique, sur la légitimité de ces acteurs exogènes. Quels sont les acteurs légitimes pour gérer et conserver des biens communs ? Ces organisations internationales parlent au nom de groupes qui ne leur ont pas donné l’autorité pour les représenter (Papadopoulos, 2012, p. 6). Même si dans ces plateformes, des acteurs élus et des acteurs non élus négocient au même niveau, ces acteurs non élus ne peuvent pas remplacer les Etats. La démocratie représentative a comme fondement la souveraineté du peuple qui a délégué à l’Etat l’autorité pour gérer son territoire et ses ressources selon l’intérêt général. L’Etat a donc l’autorité d’agir au nom de tous, ce qui n’est pas le cas des organisations internationales ou des acteurs privés, lesquels représentent des secteurs (secteur écologiste, secteur bananier, secteur de producteurs d’ananas, etc.). Ce qui nous amène à considérer que ces PMA encouragent la gestion de biens communs de façon sectorielle et leur manque de représentativité met en place un pluralisme limité. Le rôle de l’Etat nous semble, dans ce contexte, tout à fait indispensable, parce que les PMA prétendent agir sur des régions frontalières dont l’enjeu est stratégique et dans lesquelles la présence de l’Etat est encore très faible. Les frontières centraméricaines sont actuellement de plus en plus considérées comme des lieux clés du point de vue de la sécurisation de l’Isthme, notamment dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic, fortement soutenue par les Etats- Unis. En outre, les conflits limitrophes et diplomatiques qui persistent et qui ne font que s’aggraver entre le Costa Rica et le Nicaragua rendent impossible actuellement la mise en place de projets de coopération de conservation de l’environnement sur cette frontière. Tous ces aspects mettent en évidence que les frontières étatiques restent des éléments très difficiles à contourner en raison de la sensibilité de la souveraineté étatique (Ghiotti, 2014). Nous sommes actuellement dans une conjoncture où on observe effectivement un renforcement de la présence des Etats sur ces frontières, particulièrement autour des questions de sécurité et de migration, comme au Panamá et au Nicaragua, mais qui ne se traduit pas dans un investissement gouvernemental dans le développement ou dans la conservation de l’environnement. Il nous semble aussi important de souligner que les Etats ont de fortes 317 Entretien réalisé le 28 juin 2012 aux bureaux de l’UICN à Los Yoses, San José, Costa Rica. 318 Entretien réalisé le 8 septembre 2011 aux bureaux de RUTA à Barrio Escalante, San José, Costa Rica. 452 contraintes à agir de façon transfrontalière, notamment parce que leur souveraineté est strictement limitée par la ligne frontière et la présence d’un autre Etat souverain. Malgré les faiblesses de ces PMA et des projets, il est important de reconnaître que le rôle de ces organismes et de ces ONG internationales ont apportés quelques bénéfices à ces zones frontalières, puisqu’elles proposent, face à la faiblesse des Etats centraméricains, des sources de financement et des équipes de chercheurs et de techniciens disposant des connaissances nécessaires pour réaliser des projets et assumer les « vides » institutionnels. Les faiblesses des PMA étudiées sont évidentes. Elles sont peu représentatives, elles esquivent les acteurs radicaux et les conflits, elles manquent de résultats concrets, elles sont souvent perçues comme « imposées par le haut » et elles introduisent des acteurs privés dans des processus de négociations liés à la gestion de biens communs, ce qui fait débat en raison des intérêts que ces acteurs privés peuvent défendre. Toutefois, ces faiblesses pourraient être surmontées, selon Y. Papadoupoulos, à travers une réflexion sur le périmètre de ces PMA qui puisse garantir leur représentativité, une participation équitable, la transparence et la reddition de comptes (accountability), afin qu’elles puissent collaborer avec des institutions démocratiques. Avec cette nouvelle configuration, les PMA pourraient renforcer les circuits décisionnels en garantissant la représentativité des acteurs concernés par la gestion du bassin. A cet égard, les processus de gouvernance pourraient être complémentaires de la démocratie représentative au niveau des sphères locales et transfrontalières s’ils respectent la primauté des institutions. Conclusions sixième chapitre Ce chapitre s’est proposé d’explorer les liens et les transferts existant entre la gouvernance globale et la gouvernance locale en matière de conservation de l’environnement. L’analyse de ces deux échelles de gouvernance avait pour objectif de comprendre comment et par qui sont conçus les concepts et le vocabulaire de la conservation de l’environnement. Nous voulions ainsi déterminer comment ces concepts circulaient du global au local et d’un pays à l’autre. Le monde de la conservation de l’environnement est en réalité un système fortement hiérarchisé, c’est-à-dire un « oligopole de la conservation », expression employée par D. Dumoulin et E. Rodary (2005) pour faire référence à un système gouverné par quelques OIG et ONG internationales. Les concepts et méthodologies qui sont employés en matière de conservation environnementale dans le monde (développement durable, changement climatique, GIRE, gouvernance…) ont été conçus par des communautés épistémiques qui se 453 structurent en réseaux regroupant des scientifiques et des experts internationaux reconnus par leur compétence dans le domaine en question, compétence mise au service de décideurs (Haas, 2013, p. 351). Nous nous sommes intéressés en particulier à l’analyse de la formule la Gestion Intégrée des Ressources en Eau qui a été produite par la communauté épistémique de l’eau. La GIRE est une réponse occidentale aux problèmes liés à la crise de l’eau. Cette formule transférée depuis le nord à travers des projets de coopération vers l’Afrique, l’Asie et l’Amérique Latine, est devenue un mot d’ordre et son application une condition d’accès aux aides financières proposées par la Banque Mondiale. Certains auteurs font aujourd’hui référence à la GIRE comme un concept hégémonique (Trottier, 2012; Zeitoum & Warner, 2006) imposant comme unité de gestion du territoire le bassin versant. La volonté de créer un territoire du bassin est cependant une tâche qui s’avère très difficile, notamment par la difficulté des acteurs locaux de se l’approprier. L’introduction de la gestion par bassin a rencontré aussi des opposants 319 parmi les maires qui refusent « de gérer des territoires qui dépassent leur circonscription » , et les autorités indigènes qui voient les territoires indigènes affaiblis par la notion de bassin. Le discours qui s’est développé autour de la GIRE est un discours institutionnel et autorisé qui se veut neutre, scientifique, un « fait objectif » et apolitique. Cependant, les principes de la GIRE nous revoient à des enjeux éminemment politiques, puisqu’ils remettent en cause la capacité de l’Etat à gérer efficacement cette ressource. De plus, ils octroient à l’eau une valeur économique, ce qui introduit la possibilité de donner un prix à l’eau et de potentiellement la privatiser. L’analyse autour des projets de coopération qui mettent en place la GIRE sur les bassins du fleuve Sixaola (Costa Rica-Panamá) et du fleuve San Juan (Nicaragua-Costa Rica), montre que le discours de la GIRE est creux et répétitif, indéterminé et « routinisé » tout en cherchant à effacer la conflictualité pour ainsi réduire les possibilités de la réfuter. Elle devient « un discours sans adversaires » (Krieg-Planque, 2010, p. 7). La GIRE se propose de mettre en exergue la démocratie participative et délibérative et, dans ce sens, elle encourage la mise en place de processus de gouvernance qui cherchent à faire participer au même titre des acteurs de la société civile, des acteurs privés et des acteurs publics autour de la gestion des ressources en eau. L’analyse de cette « gouvernance » ainsi proposée, à travers des dispositifs délibératifs (plateformes multi-acteurs) et normatifs (codes de conduite), montre que la gouvernance est un concept polysémique omniprésent dans les 319 Entretien auprès de Carlos Cascante, Unité Environnementale de la Mairie de Changuinola Panamá 454 discours de la coopération et qui a été aussi utilisé comme un argument d’autorité. On constate aussi que ces dispositifs sont perçus comme des instruments imposés « par le haut », puisqu’ils ont été encouragés par la BID et l’UICN, et peu représentatifs, composés par des acteurs idéologiquement très proches, ce qui permet à ces organisations exogènes d’esquiver les conflits et les débats idéologiques. Dans la pratique, les résultats tangibles de ces Plateformes multi-acteurs (PMA) sont cependant très restreints. Leurs résolutions sont en réalité des recommandations non contraignantes dont l’application dépend de la bonne volonté des acteurs concernés. Les décisions qui résultent de ces plateformes sont de plus révocables et provisoires, et négociées par des minorités (Code de Conduites et Chartes du Fleuve). Ces dispositifs, tels qu’ils sont, ne renforcent pas la démocratie comme les organisations internationales l’affirment dans leurs discours. Bien au contraire, ils mettent en place un pluralisme limité, estompent les positions contraires, et limitent ainsi l’ouverture d’un véritable débat public. Malgré les faiblesses des PMA étudiées, ces instances peuvent devenir des dispositifs qui peuvent être complémentaires à la démocratie représentative, si elles arrivent à garantir la représentativité, la participation équitable à l’interne, la transparence et la reddition de comptes (accountability). Il nous semble cependant impératif qu’elles reconnaissent la primauté des pouvoirs publics. Ces changements détermineront assurément la capacité de ces dispositifs de gouvernance à renforcer de manière effective les circuits décisionnels en garantissant la représentativité des acteurs concernés par la gestion du bassin. 455 456 Chapitre 7 : Conflits et problématiques socio- environnementales autour de la gestion des bassins des fleuves San Juan et Sixaola Introduction L’examen des dynamiques de coopération binationale et transfrontalière en matière de conservation de l’environnement mises en place sur les bassins du fleuve San Juan (Nicaragua-Costa Rica) et du fleuve Sixaola (Costa Rica-Panamá) nous a permis d’identifier l’existence d’une diversité de conflits, certains interétatiques et d’autres d’échelle locale, qui impactent le développement des régions frontalières et représentent une importante contrainte pour le bon déroulement des projets et des actions de coopération. Il convient tout d’abord de souligner que les effets de continuité et discontinuité que provoquent les frontières (distance-proximité) font d’elles des espaces uniques où se mettent en place simultanément des dynamiques de coopération et de conflit. Nous estimons aussi que la particularité des régions frontalières consiste dans le fait que s’y jouent des conflits particuliers, différents de ceux localisés dans d’autres zones, fruits de la contiguïté de deux souverainetés et de deux modèles de gestion du territoire. Cette juxtaposition complexifie les rapports et les dynamiques qui se mettent en place autour de ces frontières. Les deux cas de bassins transfrontaliers étudiés illustrent cette complexité des conflits que l’on peut observer dans les régions frontalières. Pour autant justement, chacun permet de mettre en lumière une relation entre conflit et environnement et des catégories de conflits différents. Nous nous arrêterons d’abord sur le cas du bassin du fleuve San Juan entre le Costa Rica et le Nicaragua, où le principal facteur de tension concerne la frontière elle-même et l’aspect limitrophe. Ici, on peut observer comment l’environnement est devenu lui-même argument de conflit et fait l’objet d’une instrumentalisation dans la « guerre des requêtes » que se livrent les deux Etats, en effaçant par là-même les véritables problématiques socio- environnementales qui se posent dans le bassin. 457 Nous verrons ensuite que, dans le cas du bassin du fleuve Sixaola entre Costa Rica et Panamá, les conflits socio-environnementaux liés à la gestion du bassin et à l’usage de l’eau sont les plus prégnants et renvoient davantage à une échelle locale de conflit. L’objectif tranversal de ce chapitre est de montrer qu’il existe au final dans tous les cas un décalage entre les problématiques locales existant sur ces bassins et les solutions proposées par les Etats et les organisations internationales dont les stratégies d’intervention ne semblent pas répondre aux véritables problématiques identifiées par les acteurs locaux. La confrontation des entretiens réalisés auprès des acteurs locaux et des agendas des projets de coopération permet d’estimer le degré de coïncidence entre les solutions proposées par la coopération internationale dans ces projets de conservation (adaptation au changement climatique, GIRE, gouvernance entre autres) et les problématiques et conflits locaux. Nous souhaitons donc approfondir ce qui est été évoqué dans le chapitre 6, à savoir comment les projets mis en œuvre par ces organisations et ONG internationales esquivent le traitement des problématiques et effacent la conflictualité. Nous partons ainsi de l’hypothèse que ces projets répondent en réalité à un agenda conçu « ailleurs », à l’échelle globale, et qu’ils esquivent, et ce de façon volontaire, la prise en charge de « véritables » enjeux existant à l’échelle locale. 1. Les frontières comme espaces privilégiés de conflits Un des objectifs de cette thèse est d’analyser les conflits interétatiques et transfrontaliers qui se mettent en place sur ces régions frontalières autour de la gestion de l’environnement et notamment des bassins versants. Nous nous intéresserons à l’analyse de la nature des conflits identifiés sur ces régions de frontière, en portant notre attention sur les acteurs impliqués ainsi que sur leurs motivations (identitaires, économiques, stratégiques, sociales et politiques). 1.1. Les conflits dans une perpective géographique Frank Tétard, dans son ouvrage sur la « Géographie des conflits », analyse le terme « conflit » comme avant tout un terme « polymorphe et polysémique ». L’auteur souligne l’étymologie du mot qui vient du latin « conflictus », qui signifie « choc », mot qui à son tour est formé à partir du verbe « confligere », « s’entrechoquer », ce qui signifie que « deux objets ne peuvent pas occuper le même espace » (Tétard, 2011, p. 8). Dans une perspective géographique, les conflits sont donc « avant tout l’expression d’une rivalité sur un territoire » (Ibid., p. 12). C’est ainsi que la dimension spatiale est essentielle, puisque l’enjeu principal de nombreux 458 conflits interétatiques est l’appropriation et le contrôle du territoire. Cette relation entre conflit et territoire fait des conflits des objets géographiques. Ce qui nous paraît pertinent notamment dans l’analyse des conflits en zone frontalière. Un conflit est à la fois une forme de compétition et une rivalité, autour « d’un espace ou d’un objet que chacun revendique comme sien » (Ibid., p. 8). Le concept de rivalité devient pertinent pour comprendre les conflits qui se développent dans des régions frontalières parce que la « rivalité implique un espace en commun, en partage. Des rivaux sont des personnes qui cherchent à accéder ou obtenir quelque chose qu’ils considèrent comme leur revenant » (Ibid., p. 8). Le « conflit » met en jeu les sentiments d’appartenance à un territoire, à une communauté (nation), à une idéologie ou à une religion, et cette appartenance met en place une différenciation entre le « nous » et les « autres », ce qui entraine l’affrontement entre groupes qui s’excluent mutuellement. Pour les politologues et sociologues étasuniens, S. Tarrow et C. Tilly, la définition la plus simple du conflit implique « qu’une partie réclame quelque chose d’une autre. Les parties sont souvent des individus, mais l’une ou l’autre, ou les deux, peuvent aussi être des groupes ou même des institutions » (Tilly & Tarrow, 2008, p. 21). Dans ce sens, le « conflit implique qu’on pose une exigence portant atteinte aux intérêts de quelqu’un d’autre » Ibid., p. 21). Les conflits que nous étudions peuvent ainsi se dérouler dans la « sphère politique » ou se déployer dans « la vie de tous les jours ». Une vision restrictive des conflits politiques, les perçoit comme strictement ceux où interviennent les représentants de l’Etat « soit directement, soit en lançant dans une activité qui touche aux droits de l’Etat, à ses règlements ou à ses intérêts » (Ibid., p. 22). Cependant, nous estimons que les acteurs exogènes, notamment les OIG, les organisations et ONG internationales, ainsi que des acteurs privés, ont un rôle déterminant et qu’ils interviennent de façon protagoniste dans les processus de politiques publiques de ces frontières et plus particulièrement dans la gestion de ces bassins à travers l’introduction de dispositifs de gouvernance (cf. Chapitre 6). Si, dans ces conflits, l’Etat n’est pas toujours l’instigateur ou le destinataire, S. Tilly et C. Tarrow affirment qu’une majorité des conflits dans le monde entrainent au final les Etats (Ibid., p. 24). Cette approche nous invite à porter notre attention à l’action, c’est-à-dire aux revendications (objectif de l’action) et aux répertoires d’action (types d’actions employées par les acteurs pour conquérir leurs objectifs), ainsi qu’à la nature des acteurs, à savoir si ceux-ci sont de nature publique (Etat, institutions gouvernementales) ou privée (entreprises, société civile) (Ibid., p. 21). 459 Les conflits impliquent souvent l’impossibilité de régler les différences et les tensions par des voies plus diplomatiques. Ceci est parfois la conséquence d’un manque de volonté politique et de l’incapacité à communiquer entre les parties impliquées. A.-L. Amilhat-Szary voit les conflits comme un affrontement, mais incorpore d’autres facteurs comme l’incapacité de communiquer et de comprendre la position de l’autre : « les conflits sont le résultat de la non acceptation, par l’un, de la position de l’autre, accompagnée de l’impossibilité de trouver un moyen de communication pour régler ce désaccord, qui peut ou pas déboucher sur l’affrontement » (Amilhat-Szary, 2011, p. 48). Dans le cas de cette recherche, nous nous intéresserons aux conflits non armés qui ont un rapport à la gestion de l’environnement. Même si historiquement sur les régions de frontières les conflits interétatiques ont été prédominants, nous nous intéresserons donc ici aussi à d’autres types de rivalités qui se jouent entre des acteurs privés et des acteurs de la société civile, notamment autour des ressources et la conservation de l’environnement. Ces conflits peuvent être transfrontaliers ou avoir des impacts transfrontaliers. 1.2 Un climat frontalier conflictuel de l’échelle nationale à l’échelle locale La phrase de C. Arbaret-Schulz qui avance que « la frontière est une construction territoriale qui met de la distance dans la proximité » (Arbaret-Schulz, 2002) est constamment évoquée dans les recherches et articles sur les frontières, notamment parce qu’elle décrit en quelques mots la double dimension de la frontière, qui d’un côté sépare et donc éloigne deux espaces contigus, mais en même temps, articule une continuité, qui peut être environnementale et/ou culturelle. C’est cette particularité qui fait que dans ces espaces en particulier peuvent se développer simultanément des dynamiques de coopération et de conflit. On peut rappeler ici que le terme frontière, dès son origine, a été lié au conflit, le premier sens donné à la frontière étant militaire et renvoyant à l’idée d’aller au front, c’est-à-dire à un espace dédié à la défense et à la guerre (Foucher, 1991, p. 38). Progressivement, le sens donné à la frontière a évolué et les frontières sont devenues des espaces moins conflictuels et conduisant plutôt à la coopération (à quelques exceptions près) grâce à une amélioration notable dans la précision des tracés, même s’il existe encore des disputes autour d’un nombre important de frontières internationales (Prescott, 2001, p. 81). Les conflits frontaliers constituent ainsi une représentation dominante des confits territoriaux. Les négociations et les 460 traités qui ont donné lieu aux tracés des frontières avaient pour objectif le marquage de la ligne limitrophe, mais aussi la contention des conflits et l’instauration de la paix. Cependant, ce dernier objectif n’a pas toujours été atteint et, souvent, les fixations des tracés ont attisé les conflits. « Si les frontières sont des conventions censées délimiter l’ordre et la paix des nations, dans bien des cas leur tracé ne suffit pas à supprimer le conflit, mais l’attise au contraire. La séparation témoigne des heurts passés et nourrit les incompréhensions » (Amilhat-Szary, 2011, p. 57). Les régions de frontière sont ainsi héritières d’un passé, d’une histoire de rupture et de conflit qui peut continuer à provoquer des frictions. Ainsi, les frontières sont parfois assimilées à des « cicatrices » de l’histoire qui peuvent déterminer les représentations et dynamiques locales. La nature des conflits dans le monde a cependant évolué. Nous sommes passés de conflits majoritairement interétatiques à des conflits locaux et des guerres civiles. A.-L. Amilhat Szary soutient ainsi que les Etats « ne sont pas les seuls détenteurs de la violence aux frontières, bien au contraire. (…) la violence interétatique est globalement en régression (…), les guerres civiles ont pris le pas sur les conflits internationaux » (Amilhat-Szary, 2011, p. 49). Bien que les études récentes s’accordent pour affirmer que les frontières sont devenues des espaces moins marqués par le conflit et davantage par la coopération, il existe encore des disputes autour des frontières internationales et les conflits frontaliers interétatiques sont ainsi fréquents. Dans ce chapitre, nous approfondissons l’analyse des plus récents conflits entre le Costa Rica et le Nicaragua, conflits que nous étudions grâce à la typologie proposée par V. 320 Prescott . Parallèlement aux conflits frontaliers alimentés entre les Etats, il existe au niveau local des conflits locaux qui impliquent une grande diversité d’acteurs collectifs et pas seulement les Etats. Selon les études réalisées par l’Unité de Frontières de l’Université du Costa Rica au début des années 2000, les frontières centraméricaines sont des régions violentes structurellement et symboliquement. Autour d’elles se mettent en place des contrôles de personnes et de marchandises qui sont souvent marqués par des pratiques de corruption et la sélectivité migratoire des populations, ce qui provoque d’importantes inégalités et crée un climat d’insécurité qui touche en premier lieu les migrants et les individus les plus vulnérables. Cette violence formelle a comme support la structure étatique, c’est-à-dire les 320 La typologie proposée par V. Prescott a été présentée dans l’Encadré théorique n. 1 de notre première partie (Prescott, 2001, p. 82). 461 postes migratoires, les douanes et la police frontalière, institutions qui fonctionnent avec une certaine autonomie des pouvoirs centraux, à cause de leur distance et isolement (Granados, 2000 ; Unidad de Fronteras, 2002). La violence structurelle n’est qu’une forme de violence présente dans ces régions de frontière. Violences symbolique (xénophobie), sociale et matérielle sont également présentes. Ces deux derniers types de violence sont très liées à la pauvreté, au manque d’emploi et à l’exploitation du travail (travailleurs irréguliers), mais aussi aux activités illicites comme la traite de femmes, le narcotrafic et la contrebande (Amilhat-Szary, 2011). Parallèlement à la violence et à l’insécurité qui affectent de cette façon ces régions de frontière et qui représentent en soi une importante limitation pour la mise en place de projets de coopération, nous pouvons aussi identifier des conflits frontaliers à échelle locale qui impliquent une grande diversité d’acteurs et plus liées à la gestion des ressources naturelles. 1.3. Des Conflits socio-environnementaux croissants, notamment aux frontières Il convient tout d’abord de préciser ce que nous comprenons par « conflits socio- environnementaux ». L’emploi de cette expression renvoie au fait que nous estimons que les conflits liés à l’environnement ont toujours une dimension sociale qui en est inséparable et qu’il faut prendre en compte (Fontaine, 2003, p. 27). Nous emprunterons la définition de « conflits socio-environnementaux » utilisée par G. Fontaine, professeur à la FLACSO- Equateur et spécialiste des conflits liés à l’exploitation pétrolière en Amérique du Sud. La particularité de son analyse est qu’elle prend en compte les questions identitaires et ethniques, dimension nécessaire pour comprendre les conflits et d’autres formes d’action collective en Amérique Latine. Les conflits socio-environnementaux sont définis par cet auteur comme une forme d’action collective qui implique l’opposition d’intérêts, de droits, de perspectives, de rationalités ou de logiques. Ces conflits proviennent des désaccords entre des acteurs collectifs ou individuels autour de leur perception et compréhension de la réalité (Fontaine, 2003, p. 27) et plus particulièrement par rapport à « l’incompatibilité d’objectifs au moment d’utiliser les ressources du sol, de l’eau, et de la forêt » (Fontaine, 2003, p. 28). Ces conflits s’inscrivent dans un conflit structurel plus important qui implique une confrontation entre « différentes conceptions de développement et de modes de vie d’une hétérogénéité d’acteurs » (Fontaine, 2003, p. 28). 462 Les conflits socio-environnementaux articulent des acteurs qui agissent à des échelles différentes qu’il convient de différencier, acteurs déjà identifiés comme exogènes et acteurs endogènes ou locaux. Cette différenciation entre acteurs endogènes et exogènes sera très utile au moment d’analyser les dynamiques de conflits qui se mettent en place dans ces deux régions de frontières ainsi que les échelles qui sont impliquées. Le rôle de l’État dans ce type de conflit est ambigu dans ce type de conflit. Il est d’abord le responsable de la protection des intérêts des populations affectées et du développement d’un cadre légal qui garantirait la protection de l’environnement ainsi que la participation de ces groupes à la prise de décision (Rodriguez, 2004). Mais il est fréquent que l’État soit « pris en otage » par les élites politiques et les compagnies transnationales (Fontaine, 2003, p. 23). Les conflits que nous nous apprêtons à analyser sont de nature multiple, ils peuvent relever de disputes interétatiques pour le contrôle des ressources (notamment dans le cas de la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua), de désaccords au niveau de l’aménagement du territoire (gestion du risque), de conflits fonciers (cas de populations paysannes dans le bassin du Sixaola) ou encore de conflits socio-environnementaux (comme les mouvements de résistance à l’extraction minière). L’environnement semble être devenu une importante source de conflit. L’Institut de Recherche Internationale sur les Conflits de Heidelberg (HIIK), affirme que, en 2014 dans les 321 Amériques, 49 % des conflits sont liés à l’accès et à la gestion des ressources naturelles. Ceci fait des conflits socio-environnementaux la première source de conflits sur ce continent (HIIK, 2014, p. 72). Dans ce sens, C. Granados, responsable de l’Unité d’Etudes sur les Frontières de l’Université du Costa Rica, soutient aussi qu’à l’échelle centraméricaine, depuis le début des années 2000, la dégradation environnementale est devenue une des principales causes de conflits à l’intérieur des États et entre les États, notamment parce la majorité des frontières centraméricaines concentrent les plus importantes ressources naturelles et réserves d’eau douce de l’Isthme (bassins versants et nappes phréatiques transfrontalières) (Granados et al., 2000 ; Granados & Jiménez, 2002 ; Granados, 2000). Selon C. Granados, le développement croissant d’industries agroalimentaires qui suivent le modèle de la monoculture (plantations) et de l’élevage, et la menace permanente de la mise en place d’activités extractives comme l’exploitation minière ou même pétrolière, mettent la pression 321 Les conflits répertoriés sont des disputes, des crises non violentes, des crises violentes, des “guerres limitées” et des guerres (dispute, non-violent crises, violent crises, limited war and war) chttp://www.hiik.de/en/methodik/index.html 463 sur ces ressources naturelles stratégiques et occasionnent l’apparition d’importants conflits territoriaux (Granados et al., 2000). Les préoccupations liées à la « nature » et à sa conservation sont ainsi très présentes dans les zones frontalières centroaméricaines depuis la fin du processus de paix. Depuis vingt ans, la quantité et la diversité des activités extractives et productives dans ces zones ont augmenté considérablement. Les vastes champs d’ananas, de bananes et d’agrumes, ainsi que l’élevage, ont eu un impact destructif sur les écosystèmes frontaliers (forêts, fleuves, marécages, récifs de coraux, nappes phréatiques) et sur la qualité de vie des habitants de ces zones (santé, travail, etc.). La multiplication d’activités et de projets d’exploitation minière et pétrolière a provoqué une grande quantité de conflits et des mouvements de résistance. Dans le bassin du fleuve Sixaola, une importante mobilisation de résistance contre l’exploitation pétrolière s’est mise en place. Sur le bassin du fleuve San Juan, des mouvements contre l’extraction aurifère à ciel ouvert se sont développés. Ces deux mobilisations, initialement locales, ont connu un important succès à échelle nationale, conduisant l’État costaricien à déclarer un moratoire sur ces deux activités. L’enjeu crucial que représente la question environnementale dans ces régions frontalières est la raison pour laquelle ce chapitre est consacré à l’analyse des conflits socio- environnementaux sur les bassins transfrontaliers du fleuve San Juan (Costa Rica-Nicaragua) et du fleuve Sixaola (Costa Rica-Panamá). 2. L’environnement instrumentalisé dans le conflit limitrophe entre le Costa Rica et le Nicaragua Au cours des dernières années, il y a eu une importante réactivation des conflits interétatiques sur la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua. Nous pouvons même affirmer que les relations entre ces deux pays sont aujourd’hui les plus conflictuelles de l’Isthme puisque ces deux États sont à l’origine de trois requêtes présentées à la Cour Internationale de Justice (CIJ). Ce conflit a dépassé le simple niveau diplomatique et a entrainé la mobilisation à plusieurs reprises de l’Armée nicaraguayenne et de la Garde Civile costaricienne sur la frontière. Dans ce conflit, on observe une montée de l’argumentaire environnementaliste de la part des deux Etats, qui tend à masquer à la fois la nature limitrophe de la dispute et les véritables problématiques environnementales de cette région frontalière 464 Lors de notre analyse des relations diplomatiques et de l’horogénèse de la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua, nous avons constaté que pendant les XIXe et XXe siècles, les nombreux conflits frontaliers et diplomatiques entre ces deux pays ont été portés par les Etats centraux. Malgré cela, l’impact de ces conflits à l’échelle locale est resté très faible, puisque localement les relations de voisinage et les échanges commerciaux se sont toujours déroulés de façon très dynamique et pacifique, sur la base d’une importante proximité culturelle et familiale. Nous avons évoqué aussi la Fédération des municipes frontaliers qui s’était constituée et des échanges culturels comme le Concert de l’Orchestre du « Rio Infinito » organisé en 2007 (cf chapitre 5). Cependant, nous avons pu constater lors de notre dernier terrain réalisé en 2012 que les derniers conflits qui se sont développés sur le bassin du fleuve San Juan ont eu un impact à l’échelle locale et qu’ils ont bouleversé les dynamiques frontalières qui jusqu’à présent n’avaient pas été atteintes par les conflits binationaux. Pourtant, lors des entretiens, une grande majorité des acteurs interrogés ont constaté un changement dans l’échelle d’impact des conflits binationaux. Pour eux, les conflits qui auparavant opposaient les centres de pouvoir et demeuraient circonscrits à l’échelle internationale, commencent à avoir un impact à l’échelle locale, notamment dans les relations entre les autorités locales de part et d’autre de la frontière. Les conflits qu’ils ont identifiés comme étant à l’origine de ce changement étaient : 1. Le conflit autour du dragage du fleuve à proximité de l’île Calero et 2. La construction de « La trocha » ou la route « 1856-Juan Rafael Mora Porras ». 2.1 Depuis 2005, la récupération d’un argumentaire environnemental dans le conflit interétatique 2.1.1. La question du dragage du fleuve San Juan C’est à partir de 2005 que se réactive le conflit pour la navigation du fleuve San Juan, qui motive la première requête du Costa Rica devant la Cour Internationale de Justice de la Haye (CIJ) (cf Chapitre 3). On peut observer qu’une partie de la plainte du Costa Rica devant cette haute autorité concerne la dénonciation du dragage illégal du fleuve. En octobre 2010 cependant, le Nicaragua commence à réaliser le dragage de la partie aval du fleuve San Juan malgré l’avis défavorable porté de nombreux universitaires costariciens. 465 Ceux-ci avaient mis en garde les autorités des deux pays quant aux impacts environnementaux que ce dragage pouvait entrainer sur le fleuve, notamment par rapport à l’érosion et la sédimentation, mais aussi sur l’équilibre écologique de l’ensemble de la région, notamment de la côte Caraïbe (Editorial de La Nación, Costa Rica, 14 novembre 2010). Initialement, le projet nicaraguayen consistait en la réalisation d’un canal artificiel de 1 km de long, à la hauteur de Aragón, autour de la petite île Calero dans le delta du fleuve, pour dévier les eaux du fleuve vers la lagune de « Los Portillos » au Nicaragua. Les autorités costariciennes avaient été informées initialement de la construction de ce canal, mais elles ignoraient que le canal allait se construire sur le territoire que le Costa Rica estime lui appartenir autour de l’île Calero. Il convient de préciser que le delta mouvant de ce fleuve a été historiquement objet de conflit chacun des pays voulant s’en approprier. Le traité limitrophe de 1858 reste ambigu par rapport à ce segment de la frontière, le Nicaragua a la souveraineté sur le delta, mais le Costa Rica a toujours exercé sa souveraineté sur cette île (Medina & Rodriguez, 2014, p. 8). Quand les autorités costariciennes ont été informées de la présence de troupes et de techniciens nicaraguayens par des habitants de cette région frontalière, elles l’ont dénoncé avec force. Pour leur défense, les Nicaraguayens ont alors 322 allégué à travers le responsable du Projet, le commandant Eden Pastora , s’être reposés sur le tracé frontalier apparaissant sur le site Google Maps pour conduire les opérations. Il s’avère que Google Maps avait effectivement identifié l’île Calero comme nicaraguayenne. Subitement, le service de cartographie de Google Maps s’est trouvé au centre d’un conflit diplomatique. Très rapidement, en novembre 2010, l’entreprise Google a corrigé le tracé, mais le gouvernement nicaraguayen a maintenu sa position. Il s’agit donc du premier cas dans l’histoire où un conflit diplomatique trouve sa source dans une erreur cartographique d’un site web (Boeglin-Naumovic, 2013, p. 38). La photographie 35 présente la rectification réalisée de la ligne frontière par Google. 322 Eden Pastora, connu aussi comme « Comandante Zero » a été un officier de l’Armée Sandiniste de Libération Nationale et un personnage très important lors du processus révolutionnaire de la fin des années 1970. 466 Photographie 35 Rectification de l’image de Google Maps, avant et après le conflit apparue dans le journal en ligne espagnol El Mundo Source : Quotidien espagnol El Mundo, 18/04/2011 http://www.elmundo.es/america/2011/04/19/noticias/1303174548.html Cette dispute est donc d’abord positionnelle parce qu’elle a comme origine le manque de précision dans le tracé de la frontière, mais elle est aussi territoriale parce que les deux Etats réclament la souveraineté sur l’île Calero (Prescott, 2001). Mais dans la deuxième requête que le Costa Rica a déposé en novembre 2010 suite à l’incident sur l’île Calero, l’argumentaire environnemental est à nouveau mis en avant. Le Costa Rica demande que la CIJ établisse de façon « urgente » des « mesures provisionnelles » pour mettre un terme au conflit, et accuse le Nicaragua de réaliser un dragage sur le territoire costaricien en détournant le cours du fleuve et en mettant ainsi en péril l’équilibre environnemental des écosystèmes localisés sur cette zone (marécages, delta du fleuve). Par le verdict du 8 mars 2011, les juges de la CIJ ont unanimement décidé que les deux parties devaient se retirer de la zone en conflit et ils ont interdit aux deux pays de mettre en place des actions pouvant aggraver la situation. En outre, ils ont autorisé les autorités du Costa Rica à entrer dans la zone conflictuelle, avec du personnel civil et technique 467 uniquement, afin d’évaluer l’impact environnemental du dragage (Boeglin-Naumovic, 2013, p. 39). Suite à cette résolution, des représentants de ces deux gouvernements se sont réunis le 12 avril 2011. Ils ont essayé de se réunir dans le village de Peñas Blancas, sur la frontière, avec les chanceliers du Mexique et du Guatemala comme médiateurs. Chaque délégation est cependant restée de son côté de la frontière, mettant en évidence un environnement de méfiance et de tension entre les parties (Boeglin-Naumovic, 2013, p. 40). Les résultats de cette réunion ont été très limités puisque la discussion a tourné autour des thématiques de sécurité et de narcotrafic, laissant de côté le problème limitrophe et la situation marginale de la frontière. C. Sandoval, chercheur de l’Institut de Recherches Sociales de l’Université du Costa Rica souligne l’absence du mot « développement » dans cette réunion (Sandoval, 2012, p. 186). A la suite de cela, la tension entre ces deux pays n’a fait qu’augmenter. De son côté, le gouvernement nicaraguayen a présenté trois projets de lois devant l’Assemblée Nationale : la Loi de Défense de la République de Nicaragua, la Loi de Sécurité Nationale de la République de Nicaragua et la Loi sur le Régime Politique des Frontières. Essentiellement, ces trois lois avaient pour objectif de donner plus de latitude au pouvoir exécutif pour subordonner l’armée dans certaines circonstances où la sécurité nationale serait menacée. Quant au Costa Rica, le ministre de la Sécurité, José Maria Tijerino, a déclaré ce conflit « affaire de sécurité nationale », mobilisant des policiers armés de la Garde Civile dans la zone frontalière (Ibid., p. 181). Le 7 mars 2011, les autorités costariciennes ont adopté un décret exécutif qui déclare que le Costa Rica a subi « une invasion et occupation militaire » qui a été perpétrée par le Nicaragua, « violant ainsi sa souveraineté, son intégrité territoriale et sa dignité nationale » (Boeglin-Naumovic, 2013, p. 41). Le décret déclare également que le dragage a produit d’importants dommages environnementaux et que les habitants des villages frontaliers ont vu leur mode de vie altéré, notamment à cause de l’isolement auquel le conflit les a soumis, puisqu’ils ne pouvaient plus emprunter le fleuve San Juan, unique voie d’accès à ces villages (Boeglin-Naumovic, 2013, p. 41). Ce décret exécutif a servi de base légale pour mettre en place des projets pour améliorer les chemins de campagne qui permettaient aux habitants de ces régions de frontière d’accéder au fleuve San Juan et aux centres de population. Dans cette perspective, le gouvernement du Costa Rica a développé un projet d’une route frontalière d’une longueur de 160 kilomètres longeant le fleuve San Juan. La 468 construction de cette route est alors devenue à son tour objet de conflit, son impact environnemental potentiel constituant un des arguments principaux de ses détracteurs. 2.1.2. La construction d’une route frontalière par le Costa Rica et son impact environnemental La construction d’une route le long de la rive sud du fleuve San Juan a été justifiée par le Ministre de la Sécurité costaricien José Maria Tijerino par des questions de sécurité et de facilitation des déplacements de la police costaricienne, plus autorisée à naviguer sur le fleuve, mais aussi comme un instrument au service de la liaison et de l’intégration des villages frontaliers au reste du pays (cf photographie 36). Ce projet a été déclaré prioritaire par la présidente d’alors du Costa Rica, Laura Chinchilla (Ibid., p. 41). Le Costa Rica a ainsi engagé en mars 2011 la construction de cette route frontalière nommée 323 « Route 1856, Juan Rafael Mora Porras » , communément appelée la « Trocha ». Avec un investissement initial de 40 milliards de dollars, celle-ci représente l’infrastructure la plus coûteuse construite sous l’administration de Laura Chinchilla. Qui plus est, ce budget initial ne comprenait pas la construction des ponts, nombreux et nécessaires pour traverser les divers affluents du San Juan en rive droite, ce qui a représenté un acte de négligence de la part gouvernement costaricien (Sandoval, 2012, p. 187). La photographie 37 permet d’observer un segment de la « trocha » localisé à proximité des marécages de Medio Queso. Elle permet de constater l’absence jusqu’alors de pont à cet endroit, rendant impossible l’emprunt de cette route. Dès le début de sa construction, la Route 1856 a suscité de nombreuses critiques émanant à la fois du gouvernement du Nicaragua et des groupes environnementalistes. 323 Président costaricien qui commanda les troupes costariciennes durant l’invasion perpétrée par les mercenaires étasuniens commandés par William Walker en 1856. 469 Photographie 36 Panneau de propagande du gouvernement costaricien « La frontière a besoin d’une route », municipe de Los Chiles. Photographie 37. Segment de « la Trocha » à Los Chiles, Costa Rica Août 2012 470 La voix des défenseurs de l’environnement s’est faite entendre des deux côtés de la frontière. La principale critique a porté sur le fait que le décret d’urgence autorisant la construction n’a été précédé d’aucune Etude d’Impact Environnemental (EIA). Une autre critique est relative à sa localisation dans la bande frontalière inaliénable qui appartient à l’Etat et dans laquelle il est interdit de construire (Sandoval, 2012, p. 187). Les constructions ne sont autorisées qu’à plus de 200 mètres de la frontière, notamment parce que construire sur la bande frontalière peut entrainer des impacts environnementaux sur le pays voisin, ce qui implique selon le droit international l’obligation de consulter celui-ci. La critique la plus importante porte sur le fait est que les personnes chargées de la construction de cette route ont mal apprécié les conditions climatiques et hydriques de cette région. Il s’agit en effet d’une zone susceptible de crues du fleuve San Juan, ce qui rend peu stratégique la construction d’une route précisément en bordure du fleuve (Boeglin-Naumovic, 2013, p. 45; Sandoval, 2012, p. 187). Sur un autre plan, d’importants questionnements par rapport au manque de contrôle et fiscalisation lors de la construction de cette route ont été réalisés par l’Assemblée Nationale et le Procureur et Contrôleur de la République du Costa Rica. En outre, actuellement plusieurs enquêtes judiciaires sont en cours par rapport à de possibles actes de corruption de vingt-et-un hauts fonctionnaires du gouvernement costaricien. L’Organisme de Recherche Judiciaire costaricien a réalisé des nombreuses perquisitions au sein de six entreprises privées qui sont intervenues dans la construction de cette route (Boeglin-Naumovic, 2013, p. 41). A son tour, le 22 décembre 2011, le Nicaragua a présenté ce qui constitue la troisième requête déposée en moins de sept ans à la CIJ par ces deux pays. Et à nouveau, l’argument de la menace environnementale a été brandi. Le Nicaragua a allégué dans cette requête que le Costa Rica produisait d’importants dommages environnementaux avec la construction de cette route. De son côté, le Costa Rica s’est défendu en soulignant que la route cherchait à intégrer des villages historiquement isolés du centre du pays et qui dépendent du fleuve San Juan comme voie de transport. Le Nicaragua, dans sa requête présentée à la CIJ, a affirmé que le Costa Rica avait abattu des arbres et enlevé des couches de terre et de végétation de la rive du fleuve, entrainant une importante érosion et d’importants dommages à la qualité de l’eau et de 324 la vie aquatique du fleuve (Medina & Rodriguez, 2014, p. 10) 324 Site des Nations Unies, rubrique Actualités (www.un.org) 471 Cependant en décembre 2013, la CIJ a rejeté la requête du Nicaragua qui exigeait l’arrêt immédiat de la construction de la route. La CIJ a argumenté que le Nicaragua n’avait pas réussi à démontrer que la construction de la route représentait un risque réel et imminent pour 325 la conservation des écosystèmes et marécages de la région . Dans une perspective plus large, cette route parallèle à la frontière est une œuvre sans précédent en Amérique Latine, puisque c’est une solution qui n’a été utilisée que par des pays très militarisés, notamment parce que le dessin d’une route longeant la frontière correspond généralement à des frontières fermées. Selon N. Boeglin, les seuls cas connus de ce type de routes sont localisés sur des frontières conflictuelles et frontières « murs », comme par exemple entre les deux Corées (route de 238 km de long), ou encore la route construite par Israël sur sa frontière avec l’Egypte, la Syrie et la Jordanie. Dans le continent américain, cet auteur évoque comme seul autre exemple le cas de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, où une route a été construite sur un grand nombre de segments frontaliers localisés depuis la Californie, l’Arizona et le Nouveau Mexique jusqu’au Texas. L’extension totale de cette route est de 3326 km (Boeglin-Naumovic, 2013, p. 46). 325 Communiqué de l’arrêt de la Cour : http://www.icj-cij.org/docket/fi les/152/17837.pdf 472 Figure 24 Frise chronologique L’itinéraire d’un conflit, le dragage du fleuve, l’île Calero et la Trocha Septembre 2005 Décembre 2011 ème ere 1 requête du Costa Rica contre le 3 requête présentée par le Novembre 2010 Nicaragua contre le Costa Rica Nicaragua ème 2 requête du Costa Rica Nicaragua porte plainte à cause de contre le Nicaragua la construction d’une route Le Costa Rica accuse le Nicaragua Le Costa Rica dénonce le longeant la frontière appelée « La de violer le traité frontalier et dragage réalisé sur le territoire Trocha ». A cause des dommages d’imposer des restrictions à la costaricien (île Calero) par le environnementaux que cette navigation des bateaux costariciens Nicaragua construction a entrainé au fleuve San Juan. Conflits dragage du fleuve San Juan et construction route « La Trocha » Décembre 2013 Juillet 2009 Arrêt de la CIJ Arrêt la CIJ CIJ rejette la requête Réaffirme les droits de nicaraguayenne exigeant l’arrêt navigation du Costa Rica ainsi de la construction de « La que le pouvoir de régulation du Trocha », parce que le Nicaragua Nicaragua n’a pas réussi à démontrer les dommages environnementaux Requêtes des Etats Arrêts de la CIJ 473 2.1.3. Discours et imaginaires nationaux326 : défense de la souveraineté et de l’environnement au service des intérêts nationaux Face à ces conflits, des discours divergents émanent de ces deux pays. Pendant ces six dernières années (2008-2014), nous avons pu observer un point commun : une résurgence d’un discours nationaliste dans les deux pays notamment dans les discours des gouvernements et des médias. Les quotidiens les plus lus comme La Nación au Costa Rica ou El Nuevo Diario au Nicaragua, ainsi que les chaînes de télévision, ont joué un rôle très important dans la production de ces discours mais aussi dans sa diffusion et ils ont eu un impact très important dans l’opinion publique. Pendant ces conflits, le gouvernement costaricien a acheté des espaces de presse pour diffuser ses prises de position dans les principaux journaux, présentant le Nicaragua comme un pays militarisé agressif et prêt à envahir le Costa Rica. En novembre 2011, La Nación publie un espace de presse payé par le gouvernement, intitulé « La position du gouvernement de la République en relation à la route 1856 », dans lequel le gouvernement costaricien affirme que : « Le Costa Rica a assumé la défense de la souveraineté nationale et de l’intégrité du territoire national face aux actes commis par le 327 Nicaragua » et que « La route 1856 est d’importance stratégique pour le Costa Rica face à l’invasion militaire du Nicaragua » (Gobierno de Costa Rica, 2011). Cette affirmation est renforcée par la publication en première page du journal La Nación des photos de l’armée nicaraguayenne en zone frontalière laissant sous-entendre que l’armée nicaraguayenne est sur la frontière et qu’elle est prête à avancer (Medina & Rodriguez, 2014, p. 12). Selon Alberto Cortés, professeur en Sciences Politiques à l’Université du Costa Rica, la façon dont ont été traités les conflits a exalté des stéréotypes selon lesquels « les Nicaraguayens sont conflictuels et violents » (Cortes, 2011, p. 168). C’est la raison pour laquelle, lors de l’entretien réalisé auprès du représentant de la Chambre du Tourisme de San Carlos de 328 Nicaragua (CANTUR), Henry Sandino , celui-ci a souhaité insister sur le caractère non violent des habitants frontaliers nicaraguayens : « Regardez, on n’est pas comme les Costariciens disent qu’on est, l’armée n’est pas là ! Nous ne sommes pas violents ». 326 L’analyse développée dans cette sous-partie a fait objet d’une communication présentée avec Lucile Medina, lors du IIème Colloque International « Les cicatrices dans l’Histoire : frontières, migrations et déplacements » Institut des Langues et des Cultures d’Europe et d’Amérique (ILCEA EA 613), Université Stendhal Grenoble 3, 27-29 mars 2013. Publication à paraître. 327 Le gouvernement du Costa Rica fait référence au dragage du fleuve San Juan et de l’île Calero réalisé par le Nicaragua. 328 Entretien réalisé le 23 août 2012 aux bureaux de CANTUR à San Carlos de Nicaragua. 474 Le traitement du conflit dans les réseaux sociaux notamment sur Facebook, Twitter et dans les débats à la télévision, pendant la période plus intense du conflit (2010-2011), a fait ressortir un discours nationaliste et xénophobe. Selon C. Sandoval, les réseaux sociaux ont joué également un rôle très important puisqu’ils ont intensifié la diffusion du discours nationaliste. Ceci marque une nette différence par rapport aux conflits précédents où ces réseaux n’existaient pas ou n’étaient pas encore si répandus. Les réseaux sociaux, notamment Facebook, ont permis la circulation rapide des informations et des images mettant en scène l’omniprésence des conflits. De plus, ces réseaux sont devenus un espace d’expression où les gens ont pu exprimer de façon décomplexée leurs xénophobie et patriotisme (Cortes, 2011). Aussi, même si ces discours nationalistes existaient déjà, ils ont éclaté au grand jour pendant le début du conflit autour de l’île Calero et de la route 1856. Des informations mettant en évidence l’important caractère nationaliste de ces conflits ont été très fréquentes (cf. photographie 38) Le discours nicaraguayen est divergent par rapport à celui du Costa Rica. Il convient d’abord de préciser que le fleuve ne représente pas la même chose pour le Costa Rica et pour le Nicaragua. Le gouvernement nicaraguayen évoque davantage l’importance géopolitique du fleuve. Dans la construction de la nation nicaraguayenne en effet, ce fleuve a historiquement été présenté comme un potentiel canal interocéanique pouvant amener progrès et développement à l’ensemble du pays. Il symbolise souvent dans le discours national et dans la 329 production culturelle notamment dans la littérature nicaraguayenne un élément fondateur de l’identité nationale (Cortes, 2011, p. 169). 329 Notamment dans le livre de Gioconda Belli Waslala où elle évoque l’existence d’un lieu mythique et pour se rendre dans ce lieu mythique il faut le faire par le fleuve, une claire allusion selon Alberto Cortés au fleuve San Juan (Cortes, 2011, p. 179). 475 Photographie 38: « Le nom de la route frontalière fait renaître l’esprit nationaliste » Journal La Nación, novembre 2011 Photographie 39. Affiche touristique localisée à l’entrée du poste migratoire à San Carlos de Nicaragua, août 2012. 476 Pour le gouvernement nicaraguayen, le conflit tourne autour du dragage du fleuve, et la question de l’invasion ne constitue qu’une exagération et une manipulation costaricienne, puisque le Nicaragua ne peut pas envahir quelque chose qui lui appartient déjà… le fleuve San Juan. On observe que le gouvernement nicaraguayen prend soin de justifier ses actions à travers l’argumentaire de la conservation de l’environnement. C’est ainsi que la question de la pollution par sédimentation du fleuve est présentée par le gouvernement nicaraguayen comme une des principales causes du conflit. Pour le Nicaragua, le fleuve est en danger notamment à cause de la pollution produite par des activités productives réalisées du côté costaricien, particulièrement la production d’ananas, de riz et d’agrumes, ainsi que l’élevage. Ces activités agricoles sont souvent la source d’une importante déforestation et utilisent d’importants produits agrochimiques très polluants dans le bassin hydrographique du fleuve San Juan (fleuve San Juan, Grand Lac du Nicaragua et nappes phréatiques). Le gouvernement nicaraguayen et plusieurs institutions nationales ont également mis en place toute une campagne nationaliste autour du fleuve San Juan. De nombreuses affiches financées par l’Institut Nicaraguayen du Tourisme (INTUR) et par le Ministère des Ressources Naturelles (MARENA) ainsi que par certaines universités, encouragent les Nicaraguayens à venir connaître ce fleuve parce « qu’il leur appartient » (« Ven, conócelo, es nuestro »). Ces affiches sont visibles à de nombreux endroits stratégiques dans les villes frontalières, comme dans les postes migratoire, les douanes, les banques et les stations de bus (cf. photographie 39). Tout un lexique se met en place rappelant toujours la possession nicaraguayenne, « Souveraineté absolue sur le fleuve San Juan », « Rio San Juan de Nicaragua », « Rio San Juan 100 % nicaraguayen », entre autres (Medina & Rodriguez, 2014). Progressivement, le discours du gouvernement nicaraguayen a évolué et est devenu plus agressif. Le président nicaraguayen Danilo Ortega a affirmé ainsi en septembre 2013 que le Costa Rica est « un pays ingrat, arrogant et xénophobe qui veut prendre possession du fleuve comme il l’a fait avec la province de Guanacaste » et que « le Nicaragua a été victime de la dépossession d’une partie de son territoire par les politiques expansionnistes de nations comme le Costa Rica » (La Nación, 2 septembre 2013). L’évocation récurrente de l’annexion du Guanacaste permet de constater qu’elle est restée dans l’imaginaire national comme un sujet sensible soulevant encore des passions (cf. Chapitre 2). 477 330 Suite à l’analyse des requêtes présentées à la CIJ par le Costa Rica et par le Nicaragua par rapport au dragage de l’île Calero et de la construction de « La Trocha », on peut conclure que les gouvernements justifient leurs actions essentiellement à travers deux arguments: 1. La sauvegarde du territoire national et notamment de leur souveraineté et 2. La protection de l’environnement. Les gouvernement se sont appropriés le discours de l’environnement d’une façon ambivalente pour justifier requêtes et conflits. L’environnement instrumentalisé il y a peu pour encourager le processus de paix, la démocratisation et l’intégration régionale, notamment à travers des projets comme Pro Cuenca ou le Système des Aires Protégées pour la Paix (SIAPAZ), constitue aujourd’hui le ressort argumentaire qui permet de justifier les conflits diplomatiques entre le Costa Rica et le Nicaragua. Dans cette conjoncture, le discours de la conservation de l’environnement est employé par les deux gouvernements comme un argument porteur qui mobilise des secteurs autrefois antagonistes. Même le mouvement environnementaliste a établi des alliances avec le gouvernement au Costa Rica et au Nicaragua, situation sans précédent (entretien avec Alberto Cortés, 2011). L’instrumentalisation de l’environnement est stratégique notamment dans un contexte international qui revalorise l’environnement en le présentant comme un « espace public immatériel » (Fourny, 2005, p. 109), qui est universel et qui doit être protégé. Cette valeur « globalisée » de l’environnement justifie l’intervention des Etats et sollicite ainsi un avis favorable de la communauté internationale (et de la CIJ) vis-à-vis de l’Etat qui le protège. Le discours sur la conservation de l’environnement est ainsi mis au service des intérêts nationaux pour promouvoir la cohésion interne mais aussi le soutien de la communauté internationale dans un conflit qui est surtout à la base une dispute de position et de ressources (Prescott, 2001). Il faut souligner que le discours du Costa Rica et du Nicaragua présente d’importantes contradictions. D’un côté, ces deux gouvernements instrumentalisent la protection de l’environnement comme argumentaire pour justifier leurs requêtes et leurs actions et, dans le même temps, ils mettent en place des œuvres d’infrastructures extrêmement polluantes comme le dragage du fleuve (Nicaragua) et la construction de la route 1856 (Costa Rica). En 330 Le Nicaragua accuse le Costa Rica et le présente comme le responsable de la pollution et sédimentation du fleuve et le Costa Rica à son tour affirme que Nicaragua est le responsable de la destruction du marécage de l’île Calero. 478 outre, ils autorisent dans ce bassin la mise en place d’activités agroalimentaires et 331 extractives très polluantes, particulièrement pour les nappes phréatiques transfrontalières et le fleuve San Juan. Ces contradictions renvoient l’image d’un discours sur la protection de l’environnement, employé par ces deux gouvernements dans le cadre des conflits, creux, contradictoire, et surtout utilitariste. 332 Pour A. Morales , spécialiste des migrations nicaraguayennes à la Faculté Latino- Américaine de Sciences Sociales (FLACSO), au Costa Rica « dans le conflit entre le Costa Rica et le Nicaragua, l’environnement est un prétexte pour attiser le conflit, puisque l’environnement en réalité n’est pas une véritable préoccupation pour ces gouvernements 333 (dragage, mines et route) ». De leur côté, M. Chamorro de la Fondation des Amis du Fleuve 334 (FUNDAR) et D. Saravia de la Commission Centraméricaine d’Environnement et Développement (CCAD) ont soutenu lors de leurs entretiens que les conflits frontaliers liés à l’environnement et encouragés par ces gouvernements cherchent en réalité à cacher les vraies problématiques environnementales de la région frontalière, alors que ces vraies problématiques sont l’augmentation des monocultures d’ananas et d’agrumes. Les conflits binationaux et leur « San Juanisation » détournent ainsi l’attention et rendent invisibles les vraies problématiques socio-environnementales, lesquelles ne sont prises en charge ni par l’Etat ni par les organisations internationales qui mettent en place des projets sur cette frontière. Les maires même affirment « être dépassés par l’expansion des monocultures » (Aravena, 2005, p. 66). L’étude des projets de coopération mis en place dans ce bassin, comme le Projet Alianzas de l’UICN ou le Projet Mains sur la Côte de la FUNPADEM, nous a permis également de constater que les actions proposées sont formulées de façon très générales. Elles cherchent essentiellement à renforcer les capacités de gestion des maires, à former les acteurs locaux en GIRE et en adaptation aux changements climatiques, à faire des diagnostics, ou à créer des fonds d’investissement pour financer des projets productifs. Mais dans aucun des projets identifiés, il existe des actions destinées à réduire/contrebalancer l’impact des monocultures ou à mettre en place des actions de plaidoyer pour réduire la croissance de ces activités. Il y a 331 Déclaration d’intérêt nationale dans le gouvernement de Oscar Arias du projet de la Mine Crucitas pour l’extraction d’or à ciel ouvert. 332 Entretien réalisé 19 septembre 2011 à la FLACSO, Curridabat, Costa Rica. 333 Entretien réalisé le 23 août aux bureaux de FUNDAR à San Carlos de Nicaragua. 334 Entretien réalisé le 30 août 2012 à l’Université pour la Coopération Internationale à Barrio Dent. 479 ainsi un manque de coïncidence entre les problématiques réelles et les agendas des Etats et des organisations et ONG internationales. 2.2. L’impact du conflit interétatique sur les acteurs frontaliers 2.2.1. Des relations transfrontalières de proximité affectées Initialement, nous avions défini comme hypothèse que malgré les conflits diplomatiques existant entre le Costa Rica et le Nicaragua, à l’échelle locale les relations frontalières n’étaient pas affectées par ces conflits et restaient pacifiques et que les actions des projets de coopération transfrontalière en matière de conservation de l’environnement continuaient à fonctionner en dépit des tensions binationales. Cependant nous avons pu constater que les conflits liés au dragage du fleuve, les disputes autour de la souveraineté sur l’île Calero et de 335 construction de « la Trocha », ont impacté les dynamiques locales. Leonel Ubau de l’ONG locale FUNDEVERDE à San Carlos de Nicaragua a évoqué, lors de notre entretien en 2012, « une tension conjoncturelle qui n’existait pas il y a deux ans » et qui s’exprime dans l’interdiction donnée par les gouvernements centraux aux gouvernements locaux de continuer les projets de coopération. Il a ajouté que les réunions entre les maires, si courantes auparavant, ont été annulées et toute communication interdite. Leonel Ubau fait allusion à l’habituelle visite des maires costariciens d’Upala et de Los Chiles (cantons frontaliers costariciens) à San Carlos de Nicaragua lors des Festivals Internationaux de Lapas. Il mentionne qu’au cours du dernier festival qui a eu lieu en mai 2012, les maires nicaraguayens 336 ont refusé de se réunir avec les maires costariciens. Wilson Campos , adjoint du Maire de Guatuso (autre canton frontalier costaricien) est allé dans le même sens, qualifiant aujourd’hui de « distantes » « les relations qui auparavant étaient proches avec les mairies et institutions nicaraguayennes ». Antonio Ruiz, directeur de la Fondation du Fleuve, a affirmé également en 2012 qu’« il y a zéro coopération entre ces deux gouvernements depuis deux ans » et que 337 la coopération internationale face au conflit s’éloigne progressivement de cette frontière . Daniel Matul, de la Fondation pour la Paix et la Démocratie (FUNPADEM), a confirmé en 2012 que les mairies ne communiquaient plus, sur ordre des gouvernements centraux, et que cet éloignement rendait très difficile la mise en place d’actions de coopération d’ampleur transfrontalière. C’est pourquoi le Projet Manos a la Costa que la FUNPADEM met en place 335 Entretien réalisé le 23 août 2012 à San Carlos de Nicaragua 336 Entretien réalisé le 20 septembre 2012 à Moravia, Costa Rica 337 Entretien réalisé le 23 août 2012 aux bureaux de la Fondation du Fleuve à San Carlos de Nicaragua. 480 avec l’institut INBIO a été réorganisé en raison des conflits. Conçu initialement pour être transfrontalier, il a été remplacé par deux projets nationaux mis en place de façon parallèle et qui entretiennent des collaborations très ponctuelles. De son côté, l’UICN qui autrefois avait eu des projets sur cette frontière, notamment le Projet Alianzas (cf. Chapitre 5), a pris la décision de ne pas mettre en place des projets liés à la gouvernance de bassins transfrontaliers autour du bassin du fleuve San Juan. En outre, la Fondation pour le Développement Municipal (FUNDEMUCA), même si elle maintient des activités sur cette frontière, ne conçoit plus des projets binationaux et travaille de façon séparée avec les mairies. 2.2.2. Une visibilisation des conflits à l’échelle locale Ces conflits ont aussi eu un impact dans les activités de la zone puisque les projets de circuits touristiques transfrontaliers encouragés par la Chambre de Tourisme du fleuve de San Carlos de Nicaragua (CANTUR) en collaboration avec certaines organisations locales costariciennes comme les Jeunes Agro-écologistes de la Zone Nord (JAZON) ont été progressivement 338 abandonnés à cause de la recrudescence du conflit à l’échelle locale . Toutefois, on peut trouver aussi à ces conflits des impacts positifs. Nous avons constaté ainsi que l’importance attribuée à ces conflits a attiré l’attention des gouvernements sur cette région frontalière. Natalia Camacho, de la Fondation pour le Développement Municipal (FUNDEMUCA), affirme que les habitants de ces régions perçoivent ces conflits en partie de façon positive parce qu’ils ont incité au rapprochement avec les gouvernements centraux respectifs : « Ils se montrent heureux que le conflit autour de Calero ait eu lieu. Ils affirment que c’est la seule façon pour que les députés et la présidente viennent et investissent sur ces 339 régions » . Sur un autre plan, il est aussi intéressant d’interroger la particularité de ces conflits. En quoi sont-ils différents des conflits qui existaient auparavant ? Nous avons pu constater qu’une des principales caractéristiques de ces conflits a été leur concrétisation à l’échelle locale. Même si ces conflits comme les précédents ont été encouragés par les gouvernements, ils ont été visibles cette fois à l’échelle locale. Par exemple, le dragage du fleuve qui a été à l’origine du conflit de l’île Calero et par la suite la construction de la route 1856 sont des œuvres d’infrastructure qui sont visibles à l’échelle locale et qui ont un impact dans le paysage et 338 Entretien avec Henry Sandino réalisé le 23 août 2012 aux bureaux de CANTUR à San Carlos de Nicaragua. 339 Entretien réalisé le 3 septembre 2012 aux bureaux de FUNDEMUCA à San Pedro, Costa Rica. 481 dans le quotidien des habitants. De plus, la mobilisation de troupes nicaraguayennes et de policiers costariciens a créé un climat de tension importante dans les villages riverains. La construction de la route frontalière a aussi été déterminante dans cette localisation du conflit, puisqu’elle concrétise la menace de « l’invasion nicaraguayenne » qui auparavant était restée « immatérielle », provoquant à l’échelle locale une grande anxiété. Ceci nous amène à considérer que les habitants des territoires frontaliers ont été témoins des manifestations du conflit. A la différence des conflits antérieurs qui étaient gérés par des équipes de diplomates dans des tribunaux internationaux, ils ont pu percevoir comment les arbres localisés sur la bande frontalière ont été coupés, ils ont aussi observé comment les contrôles sont devenus plus restrictifs et comment les actions de la coopération internationale sont devenues plus rares. Il faut aussi souligner que ce conflit diffère aussi des précédents qui ont eu lieu lors de la révolution nicaraguayenne puis lors des actions des contrerévolutionnaires durant les années 1980. En effet, même si ces conflits ont aussi eu un impact local, ils n’ont pas été aussi médiatisés et ils n’ont pas mobilisé de la même manière le sentiment nationaliste que lors de ces dernières disputes. Le recours au nationalisme qui avait toujours été un recours presque exclusif des « centres », a été rapporté à la frontière et nous avons pu observer la présence de davantage de drapeaux dans les postes de migrations et dans les villages frontaliers, phénomène qui n’avait pas été observé lors de nos terrains antérieurs. 2.3. Des problématiques environnementales bien réelles mais invisibilisées par les discours nationaux 2.3.1. La « San Juanisation » de la frontière L’examen du discours des gouvernements et des médias montre qu’il y a une « San Juanisation » de la frontière (Cortés, 2011), ce qui signifie une réduction des problématiques frontalières aux seuls conflits liés au fleuve. Or, le San Juan ne marque qu’une partie de la frontière et il y a un vaste territoire transfrontalier qui n’est pas concerné par les conflits liés au fleuve. De plus, nous avons aussi observé dans les discours un effacement de problématiques sociales et environnementales plus polémiques et qui ont suscité d’importants questionnements par rapport au traitement fait par les Etats, lesquels se sont montrés 340 permissifs et souvent complices des grandes entreprises transnationales . C’est ainsi que les 340 Un cas qu’il convient de présenter est celui des projets d’extraction minière de l’entreprise canadienne 482 questions liées à l’expansion des monocultures et à l’extraction minière sont systématiquement ignorées par les gouvernements et par les organisations internationales dans leurs discours et dans leurs stratégies d’intervention. Plusieurs analystes politiques nicaraguayens et costariciens comme Alberto Cortés de l’Université du Costa Rica (Cortes, 2011) et Carlos Torres de la Fondation pour la Paix et la Démocratie (La Nación, 2011) affirment que les élites politiques utilisent ce conflit externe pour dévier l’attention des problématiques nationales, notamment liées à des affaires de corruption et pour générer un avis favorable par rapport à la gestion de l’exécutif. Dans le cas du Nicaragua, le conflit a eu son moment de plus grande intensité durant la période pré- électorale. Des enquêtes réalisées avant les élections révélaient que les Nicaraguayens soutenaient majoritairement la gestion faite du conflit par le président Ortega. Suite au conflit, Ortega a gagné les élections en novembre 2011 avec 62,46 % des suffrages, alors qu’il n’avait gagné en 2006 qu’avec 38 % des voix. Même si cette réussite ne peut être expliquée par la seule instrumentalisation politique du conflit faite par ce candidat, C. Sandoval affirme que la manipulation réalisée par Ortega et le discours qu’il a développé en défense de la souveraineté ont contribué à légitimer sa gestion et ont effectivement eu un impact favorable sur l’électorat (Sandoval, 2012, p. 183). Les deux gouvernements ont fait appel à l’unité nationale pour faire face à la menace externe. 341 Ceci a été le cas, selon A. Cortés , du mouvement environnementaliste qui a adhéré au discours du gouvernement et a mis de côté les questionnements de façon temporaire lors des conflits diplomatiques. Nous estimons ainsi qu’il existe une importante médiatisation et instrumentalisation des ces conflits binationaux autour de la gestion et la navigation du fleuve San Juan, qui fait un écran de fumée sur les autres problématiques. A. Cortés affirme aussi que les gouvernements attisent les tensions frontalières pour dévier l’attention des vraies problématiques nationales (corruption, pauvreté, entre autres) et locales comme sont le manque d’opportunités de travail, la pauvreté, l’extension des monocultures, la pollution des marécages, la déforestation, entre Infinito Gold, laquelle a mis en place une mine pour l’extraction d’or à ciel ouvert à Crucitas, village frontalier costaricien localisé à 10 km de du fleuve San Juan. Il convient de préciser que le Costa Rica a autorisé le projet, sous la présidence de Oscar Arias Sanchéz, en le déclarant d’intérêt national, ce qui rentre en contradiction avec l’image de pays écologique que le Costa Rica a historiquement essayé de diffuser. Ce projet a soulevé d’importantes mobilisations sociales au Costa Rica, qui ont réussi à faire déclarer inconstitutionnel le projet et à l’arrêter. 341 Entretien réalisé le 17 août 2011 à l’Université du Costa Rica, San Pedro Montes de Oca, Costa Rica. 483 autres. La « San Juanisation » de la frontière est donc ici considérée comme encouragée par les deux gouvernements de façon volontaire. Dans ce sens, Wilson Campos, adjoint au maire de Guatuso, affirme que la « San Juanisation » du conflit et la priorisation du conflit diplomatique par les Etats, entend cacher en réalité les conflits environnementaux liés l’impact des monocultures sur le bassin du fleuve San Juan. En somme, nous pouvons conclure en affirmant que le conflit interétatique autour du dragage du fleuve et de la construction de la route 1856 représente un obstacle pour la mise en place de processus de coopération et gouvernance transfrontalière. Ce conflit rend impossible la coordination entre les autorités locales et la mise en place de projets de coopération environnementale, ainsi que le développement de Plateformes Multi-acteurs. L’environnement est ainsi une source de conflit et non un élément articulateur qui puisse faciliter la coopération. La protection de l’environnement est l’argumentaire qui justifie en partie ce conflit binational, mais ce ne sont pas les vraies préoccupations environnementales qui sont mises en avant. Il convient désormais de présenter ces conflits socio- environnementaux qui ont été identifiés sur ce bassin transfrontalier. 2.3.2. Les conflits socio-environnementaux pourtant bien présents dans le bassin du fleuve San Juan Les conflits socio-environnementaux sur le bassin du fleuve Sixaola et sur le bassin du fleuve San Juan sont nombreux. Au cours de 2011 et 2012, nous avons interrogé de nombreux acteurs locaux (cf. Annexe 8 et 9, listes d’acteurs interrogés) sur les conflits socio- environnementaux qu’ils considéraient comme les plus importants dans les bassins des fleuves San Juan et Sixaola. Un premier constat est que dans ces deux bassins les conflits socio-environnementaux ont une place centrale dans les agendas politiques locaux et qu’ils sont souvent perçus, avec les questions foncières, comme les conflits les plus importants. Il convient de préciser que lors des entretiens, les acteurs ont identifié comme des conflits socio-environnementaux de nombreux problèmes d’ordre public qui ont cours sur ces 342 frontières, comme la migration, la pauvreté, le narcotrafic , la contrebande et l’insécurité. Ils ne peuvent évidemment pas rentrer dans l’analyse comme des conflits socio- environnementaux. 342 Le narcotrafic est peu évoqué car il constitue un sujet tabou. S’il est évoqué souvent par les acteurs nationaux, en revanche les acteurs locaux évitent le plus souvent ce sujet, parce qu’en parler les expose. 484 Nous essayerons de montrer comment les conflits qui sont souvent perçus comme polémiques et qui impliquent la participation d’acteurs considérés comme plus « radicaux » sont esquivés par les Etats et les ONG internationales. Nous essayerons ainsi de mettre en évidence comment ces conflits sont effacés dans les discours étatiques et dans les projets de la coopération internationale. Nous partons de l’hypothèse que les problématiques identifiées et les stratégies d’intervention proposées par les Etats et par les organisations et ONG internationales ne correspondent pas aux conflits et problématiques que les acteurs locaux considèrent comme prioritaires. Nous allons démontrer qu’il existe un processus d’effacement volontaire de la conflictualité par les Etats et les ONG internationales qui cherche à dépolitiser la sauvegarde de l’environnement sur ces frontières. Nous avons demandé à plus de 60 acteurs (représentants d’ONG locales, d’associations de développement producteurs, de coopératives, d’autorités locales, entre autres) quels étaient, selon eux, les conflits socio-environnementaux les plus significatifs et importants sur le bassin du fleuve San Juan durant les années 2011 et 2012. Le graphique 1 présente les différents conflits identifiés comme les plus importants, en fonction du nombre de fois qu’ils ont été évoqués par les acteurs lors des entretiens. Figure 25 Graphique conflits socio-environnementaux dans le bassin du fleuve San Juan 2011-2012 (Par nombre de fois qu'ils ont été évoqués dans les entretiens) Source : Entretiens réalisés entre 2011 et 2012. 485 Les résultats obtenus nous permettent d’observer que les conflits socio-environnementaux sont effectivement considérés par les acteurs interrogés comme les types de conflits les plus importants sur ce bassin du fleuve San Juan. La pollution produite par l’expansion des monocultures (ananas et agrumes) apparaît comme la principale source de conflit identifiée. En effet, lors de nos terrains nous avons pu observer que les champs d’ananas et d’agrumes dominent désormais le paysage de cette région de frontière. « Ce qui était auparavant des forêts où des marécages sont aujourd’hui des champs d’ananas ou d’agrumes » (Maglianesi-Sandoz, 2013, p. 66). La production d’ananas notamment est fortement polluante. D’abord, elle exige de grandes extensions de terres ce qui implique un important déboisement et le dragage des zones humides. En outre, les plantations d’ananas utilisent des grandes quantités de pesticides et d’herbicides, ainsi que des produits chimiques qui accélèrent la maturation du fruit, ce qui génère un impact très négatif sur les cours d’eau et les nappes phréatiques dont dépendent les populations locales (Aravena, 2005, p. 28). On peut voir sur la photographie 38 une machine d’épandage de produits agro- chimiques sur un champ d’ananas dans le canton frontalier d’Upala, côté costaricien. Selon des études de l’Institut Régional d’Etudes sur les Substances Toxiques (IRET) de l’Université Nationale du Costa Rica, l’eau localisée à proximité de ces monocultures est de très mauvaise qualité à cause de la présence du produit chimique Bromacil (herbicide) (Maglianesi-Sandoz, 2013, p. 66). C’est pourquoi il n’est pas anodin que la qualité des ressources en eau arrive en quatrième position parmi les conflits environnementaux importants sur cette frontière. On observe que sur les cinq conflits identifiés comme les plus importants par les acteurs interrogés, quatre sont liés à l’expansion de ces monocultures (la sédimentation et la pollution du fleuve San Juan et la pollution des ressources en eau ). En outre, selon le Tribunal Environnemental Administratif du Costa Rica et les Kiosques 343 Environnementaux de l’Université du Costa Rica , la croissante expansion des champs d’ananas dans la zone Nord, notamment dans les cantons d’Upala (528 hectares cultivés) et de Guatuso (431,3 hectares cultivés), a représenté aussi une invasion sur les périmètres protégés, comme le Refuge de Vie Sauvage Caño Negro. Le Tribunal a dénoncé les mauvaises pratiques des entreprises d’ananas, notamment par rapport à l’impact des produits chimiques et du déboisement. L’étude réalisée par le Tribunal déclare que certains impacts sont déjà irréparables et affirme que cette activité productive nuit gravement la santé des habitants de ces villages qui consomment de l’eau polluée. Le Tribunal affirme qu’il est urgent de mettre 343 http://kioscosambientales.ucr.ac.cr/index.php?option=com_content&view=article&id=863:pineras-amenazan- existencia-del-humedal-de-cano-negro&catid=40:noticias-ambientales&Itemid=60 486 en place un plan de régulation de la part des mairies d’Upala, Guatuso et Los Chiles et que celui-ci doit inclure des actions de protection et conservation des ressources naturelles, du marécage, et rétablir les corridors biologiques qui ont été interrompus par les champs 344 d’ananas (quotidien en ligne CRHoy, 10 mars 2013) . Les zones humides (marécages) de Papaturro ont été dans les quinze dernières années drainées et asséchées. Les marécages et les 345 cours d’eau transfrontaliers ont été fortement pollués par cette culture et les produits chimiques qu’elle utilise, ce qui fait de ces conflits socio-environnementaux, des conflits transfrontaliers (Carlos Granados & Jiménez, 2002, p. 25). Les entreprises responsables de ces monocultures sont des entreprises de grande taille, 346 majoritairement transnationales et d’exportation comme Ticofrut et Dole, lesquelles ont eu un rôle déterminant dans la modification du paysage. Ces entreprises sont devenues les principales propriétaires de terres sur cette frontière, puisque les paysans ont souvent vendu leurs terres à des prix dérisoires, notamment parce qu’ils considéraient qu’il était plus rentable de les vendre que de continuer à cultiver des produits traditionnels dont les prix avaient chuté (Aravena, 2005, p. 21). Il faut noter que la croissance de la production des monocultures est un phénomène national. Le Costa Rica en 2011 est devenu le premier pays producteur d’ananas dans le monde. L’IRET estime qu’aujourd’hui environ 45 000 ha sont destinées à cette activité (Maglianesi-Sandoz, 2013, p. 62), et que plus de la moitié de cette superficie est localisée sur cette région frontalière (Aravena, 2005, p. 14). La plantation d’ananas et d’agrumes dans la zone nord n’a jamais été planifiée ni par le gouvernement du Costa Rica ni par celui du Nicaragua. Elle s’est développée de façon spontanée en fonction de la demande des marchés internationaux (Maglianesi-Sandoz, 2013, p. 66), sans que les mairies ni le Ministère d’Agriculture ne connaissent avec exactitude l’extension des champs dédiés à cette activité. Les mouvements de résistance contre l’expansion de cette activité sont peu nombreux sur cette région de frontière, mais ils existent. A l’échelle nationale, des actions de protestation sont organisées autour du Front National des Secteurs Affectés contre la Production d’Ananas, qui regroupe plusieurs organisations de base, notamment de la zone Caraïbe, et des ONG nationales comme le Centre de Droit Environnemental et de Ressources Naturelles (CEDARENA). 344 http://www.crhoy.com/minae-defiende-intervencion-de-cano-negro-a-pesar-de-anos-con-problematica- ambiental/ 345 Cours d’eau pollués: Papaturro, La Palma et La Cucaracha qui naissent au Costa Rica et s’écoulent vers le 2 Nicaragua en traversant le Refuge de Vie Sauvage Los Guatusos (237, km ) déclaré site RAMSAR. 346 75 % de la production d’ananas est exportée (Aravena, 2005, p. 21). 487 La production d’ananas et d’agrumes a été évoquée dans les entretiens comme une activité très conflictuelle du point de vue de l’environnement mais aussi du point de vue social. Les conditions de travail dans ces plantations sont très difficiles. La main d’œuvre, dont un pourcentage important au Costa Rica est composée de migrants, est d’origine majoritairement nicaraguayenne. Les conditions de travail sont très similaires à celles que l’on peut observer dans les plantations bananières : les contrats de travail sont temporaires, allant le plus souvent de 2 à 3 mois, pour éviter de payer des charges sociales. L’heure de travail est payée 500 347 colones , ce qui correspond à moins d’un euro l’heure (Aravena, 2005, p. 30). En deuxième place parmi les conflits socio-environnementaux les plus évoqués, vient le conflit binational lié au dragage du fleuve et de la construction de « la Trocha ». Ceci peut s’expliquer par la médiatisation que ce conflit a eu, mais aussi, comme nous l’avons évoqué, par la concrétisation de ces conflits à l’échelle locale (œuvres d’infrastructures, déboisement, glissement de terrains sur les berges du fleuve, changement du cours de celui-ci…). Ce résultat valide la conclusion à laquelle nous sommes arrivés lors de cette recherche et qui est que ces derniers conflits ont eu un impact à l’échelle locale que les précédents n’avaient pas eu, puisqu’ils ont modifié les représentations locales et les relations transfrontalières entre les autorités locales . La carte 20 localise ces conflits et problématiques socio-environnementaux dans ce bassin du fleuve San Juan. Elle permet en outre d’observer que ceux-ci coïncident avec les aires protégées et les zones humides. Cette carte est une actualisation de cartes qui avaient été réalisées par l’Unité de Recherche sur les Frontières Centraméricaines de l’Université du Costa Rica dans le cadre du projet « Approche Territoriale du Développement Rural Durable dans la Zone Nord du Costa Rica », porté par le Programme de Développement Rural du Ministère d’Agriculture et d’Elevage, avec le soutien de l’Institut Interaméricain de Coopération pour l’Agriculture (IICA Costa Rica). Cette actualisation a été réalisée sur la base de nos observations de terrain. 347 Monnaie nationale du Costa Rica. 488 Photographie 40. Champs d’ananas, Upala, Costa Rica, août 2012 Carte 20. Carte de localisation des conflits socio-environnementaux sur le bassin du fleuve San Juan 489 En ce qui concerne les acteurs collectifs impliqués autour de ces conflits, les graphiques réalisés (figures 26 et 27) à partir des entretiens permettent d’illustrer les relations de conflit qui peuvent exister entre les acteurs interrogés. Ces graphiques ont été construits à partir de deux questions des entretiens : « Avec qui avez-vous des difficultés pour travailler? » et « Est-ce que vous définiriez votre rapport avec cet acteur comme conflictuel ? ». La taille des cercles est proportionnelle au nombre de fois qu’un acteur a été évoqué comme conflictuel lors des entretiens. Les couleurs de la figure 26 donnent à voir les types d’acteurs, tandis que celles de la figure 27 correspondent au pays d’origine de ces acteurs. L’analyse de relations montre tout d’abord que les acteurs considérés comme les plus conflictuels sont les entreprises transnationales DOLE et TICOFRUT, qui sont les principales responsables dans ce bassin de la production d’ananas et d’agrumes. Ceci nous amène à considérer qu’il existe effectivement bien une corrélation entre les conflits identifiés comme les plus importants (pollution des monocultures) et les acteurs définis comme les plus conflictuels (entreprises agroalimentaires transnationales). Les graphiques mettent également en évidence que les ONG locales et nationales comme FUNPADEM, INBIO, FUNDEVERDE, Fondation du fleuve et FUNDAR ont indiqué avoir des relations conflictuelles avec les Conseils du Pouvoir Citoyen (cf. Chapitre 5). Ceci peut s’expliquer notamment parce que ces Conseils sont des plateformes de contrôle politique créées par le gouvernement nicaraguayen. Ces Conseils surveillent les acteurs privés et de la société civile et ils définissent quelles sont les actions qui peuvent ou non se mettre en place. Pour les ONG, ces Conseils représentent un véritable obstacle à la mise en place d’actions de coopération, notamment transfrontalières, en matière environnementale (cf. Chapitre 5). 490 Figure 26 Graphe des relations conflictuelles entre acteurs autour de la gestion de l’environnement sur le fleuve San Juan, par types d’organisations 491 Figure 27 Graphe de relations conflictuelles autour de la gestion de l’environnement sur le fleuve San Juan par pays d’origine 492 En outre, ces graphes font ressortir l’importance des mairies de part et d’autre de cette frontière. Elles constituent des acteurs très dynamiques qui ont historiquement participé dans la mise en place de projets de conservation et de coopération. Même si aujourd’hui le conflit binational les a éloignées, elles restent à l’échelle locale des acteurs clés. Cependant la Mairie de Los Chiles est une mairie particulière : à la différence d’Upala et de Guatuso qui ont des maires plutôt engagés dans la conservation de ces régions frontalières, Los Chiles soutient 348 l’installation d’entreprises agroalimentaires (ananas et agrumes). Selon Natalia Camacho de FUNDEMUCA, le maire de Los Chiles est très favorable à l’expansion de monocultures et, dans le même temps, il n’est pas très collaboratif dans la mise en place des actions de conservation. Ce graphique met en évidence les tensions qui existent entre ces organisations (FUNDEMUCA et FUNDAR) et cette mairie. Il faut aussi noter que ces graphes nous permettent également d’apercevoir les répercussions qu’ont eu les conflits binationaux dans les relations entre les mairies de San Carlos et Cardenas au Nicaragua et celles d’Upala et Guatuso au Costa Rica, qui entretenaient des relations très proches par le passé et aujourd’hui affirment ne plus travailler ensemble. Le conflit binational est aussi visible à l’échelle nationale entre les Ministères costariciens de l’environnement et de la planification et le gouvernement du Nicaragua, lesquels évoquent avoir soit des relations tendues ou de ne plus avoir de relations du tout. Ces graphiques mettent ainsi en évidence les deux conflits considérés par les acteurs locaux comme les plus importants durant les années 2011-2012 : d’une part les conflits liés à l’expansion des monocultures où les entreprises DOLE et TICOFRUT ont un rôle déterminant ; d’autre part les impacts du point de vue environnemental et politique des conflits binationaux résultant du dragage du fleuve et de la construction de la route 1856. De plus, ces graphes permettent aussi d’apercevoir l’emprise croissante du pouvoir central à l’échelle locale notamment avec la présence des Conseils du Pouvoir Citoyen dans les municipes frontaliers nicaraguayens, lesquels sont perçus comme source de conflits notamment par les ONG locales. 348 Entretien réalisé le 3 septembre 2012 aux bureaux de FUNDEMUCA à Barrio Dent, San José, Costa Rica. 493 3. Conflits socio-environnementaux sur le bassin du fleuve Sixaola : lutte pour la terre et frontière agricole Les conflits interétatiques sont devenus moins fréquents dans l’Isthme centraméricain et, dans le cas du Costa Rica et du Panamá, nous pouvons même affirmer l’inexistence de ce type de conflits. Cette frontière est considérée comme l’une des frontières les plus pacifiques et propices à la coopération. Les conflits qui se mettent en place sur ce bassin impliquent encore les institutions étatiques, mais aussi d’autres acteurs privés (entreprises) et la société civile. Les nouveaux conflits introduits sont davantage liés à la gestion de l’environnement et à la propriété de la terre. A différence du cas du bassin du fleuve San Juan, dans le bassin du fleuve Sixaola nous n’avons pas pu identifier des conflits interétatiques. Ceci peut s’expliquer par les relations binationales plutôt pacifiques et coopératives qui existent entre le Costa Rica et le Panamá. Ces deux pays ont développé un cadre légal pour la coopération binationale qui est considéré comme l’un des plus aboutis de la région centraméricaine. La proximité entre les deux pays, ainsi que ce cadre institutionnel de coopération, ont rendu possible la mise en place de nombreux projets de coopération binationale et l’application de projets de conservation soutenus par des organisations et ONG internationales. De plus, ce contexte a permis la constitution d’une Commission Binationale en charge d’encadrer ces stratégies et ces projets de coopération sur cette région frontalière. Il faut cependant signaler que malgré ce cadre porteur et les nombreux projets de conservation de l’environnement mis en œuvre sur ce bassin, on observe malgré tout dans la région frontalière de nombreux conflits liés à l’environnement. Les confits identifiés impliquent une grande diversité d’acteurs et ont la particularité de se jouer à l’échelle locale même si, dans certains cas, ils impliquent des acteurs qui agissent à l’échelle nationale. Les principaux protagonistes de ces conflits sont les Etats, les organisations de base, les coopératives de producteurs, les autorités indigènes et les entreprises transnationales agro-alimentaires (PINDECO et Chiquita) (cf. figure 2). Nous suivons Juan Carlos Méndez de la Commission Nationale d’Urgences du Costa Rica dans son analyse, lorsqu’il affirme que « les conflits que 494 nous pouvons trouver sur le bassin du fleuve Sixaola ne sont pas perçus comme binationaux 349 ni transfrontaliers, mais plutôt comme locaux et nationaux » . Pour identifier et saisir les ressorts de ces conflits socio-environnementaux, nous avons interrogé des acteurs locaux nationaux et internationaux (campagnes d’entretiens 2011 et 2012). La figure 28 présente les principaux conflits socio-environnementaux en fonction du nombre de fois qu’ils ont été évoqués lors des entretiens par ces acteurs. Figure 28 Graphique Conflits socio-environnementaux dans le bassin du fleuve Sixaola (2011-2012) (Par nombre de fois qu'ils ont été évoqués dans les entretiens) Projets d'exploitation pétrolière Elevage Constructions sur la zone côtière Projets d'exploitation minière Narcotrafic Conflits liés à la qualité de l'eau Gestion de déchets Projets hydroélectriques Gestion des aires protégées Conflit autour l'autonomie des terirtoires indigènes Inondation (gestion du risque) Variation du cours d'eau du fleuve Sixaola Pollution des monocultures (banane et ananas) Propriété de la terre sur la bande frontalière 0 5 10 15 20 25 Source : Entretiens réalisés entre 2011 et 2012 Un premier constat est (comme dans le cas du bassin du fleuve San Juan) que ces acteurs assimilent un certain nombre de problèmes publics à des conflits : narcotrafic, gestion de déchets, difficultés de coordination dans la gestion des aires protégées, inondations et élevage sont ainsi cités, ce qui montre les tensions latentes autour de beaucoup de ces aspects. 349 Entretien réalisé le 7 septembre 2012 aux bureaux de Commission Nationale d’Urgences à Pavas, San José, Costa Rica. 495 Nous allons nous intéresser surtout à l’analyse des deux conflits les plus fréquemment évoqués : la question foncière et la pollution des monocultures. Nous évoquerons également, mais plus brièvement, le conflit lié à la variation du cours du fleuve Sixaola, parce que nous estimons qu’il est connecté à la question foncière. 3.1. La lutte pour la terre sur la bande frontalière 3.1.1. Une insécurité foncière du côté costaricien Le conflit le plus évoqué par les acteurs est un conflit qui se joue autour de la propriété de la terre sur la bande frontalière du fleuve Sixaola du côté costaricien. De nombreux interviewés du côté panaméen ont également cité ce conflit dont ils ont parfaitement connaissance et qui les affecte indirectement. Le conflit oppose des petits agriculteurs producteurs de bananes plantains qui sont organisés en plusieurs coopératives (les deux plus importantes sont CoopeRio et ASOPLATUPA) et l’Institut de Développement Agraire (IDA) du gouvernement du Costa Rica. Ces petits agriculteurs de bananes plantains sont localisés dans les villages de Paraíso, de Celia, d’Ania, de Sixaola, de Catarina, de Olivia, de San Rafael et de Margarita, tous à proximité de la frontière avec le Panamá. Cette bande frontalière a été considérée dans les années 1980 par l’IDA comme un front pionnier et les agriculteurs qui ont peuplé ces villages sont venus d’autres villages du Costa Rica, notamment d’Upala, de San Carlos, de Puriscal et de Guanacaste, avec la promesse d’avoir des terres pour produire spécifiquement de la banane plantain pour l’exportation (Pinto-Valencia, 2012, p. 23). L’IDA avait donné des titres de propriété à ces agriculteurs sur des terres qui avaient été propriété de l’entreprise bananière United Fruit Company (UFCO), partie de la zone en raison de la maladie de Panamá (champignon attaquant les bananiers). Chaque agriculteur s’était vu attribué en moyenne de 3 hectares, raison pour laquelle se sont constituées des coopératives pour faire face à la demande internationale (Pinto-Valencia, 2012, p. 23). Plus tard, l’IDA a prétendu avoir octroyé ces terres « par erreur » à ces producteurs, puisque ce sont des terres localisées sur la bande frontalière définie par la Loi de Colonisation et Terres de la Bande Frontalière de 1961 à moins de 2 km de la ligne de frontière. Cette loi définit en effet que les territoires localisés dans ces deux kilomètres après la ligne de frontière sont propriété de l’Etat et sont inaliénables (Semanario Universidad, 2011).A la fin des 496 années 2000, l’IDA a ainsi annulé les titres de propriété qui avaient été octroyés depuis plus de quinze ans et a proposé en échange de les substituer par des baux valables pendant cinq ans et renouvelables indéfiniment. En outre, il a été expliqué aux paysans qu’ils devraient payer 1 % de la valeur estimée du terrain et 15 000 colones annuels (ce qui représente 21 euros par an), exceptées les familles en situation de pauvreté qui seraient exonérées de ce paiement. Face à cette proposition, les paysans ont considéré que le système de bail les privait de la propriété de leur terre et ils ont formé un Front de Lutte pour la Défense du Territoire. Melvin 350 Murillo , président de ASOPLATUPA et membre de ce front, affirme que « l’IDA nous laisse sans terres, sans patrimoine, si on meurt nos enfants ne peuvent pas en hériter ». Selon lui, tout le village de Paraiso est actuellement concerné puisque pour l’IDA l’ensemble du village se trouve dans les 2 km de la bande frontalière. En d’autres termes, le village et les maisons seraient propriété de l’Etat. Pour lui ce conflit est particulièrement injuste puisque le gouvernement poursuit « les petits producteurs comme (eux) » mais pas les grandes compagnies bananières qui ont des champs sur cette bande et sont les responsables majeurs de la pollution du fleuve. Il convient aussi de remarquer que l’IDA a changé de nom en 2012 suite à la loi 9036 qui le transforme en Institut de Développement Rural (INDER), ce qui a rendu aussi le suivi de ce cas encore plus complexe (Obando, 2013), notamment parce que certaines compétences de l’IDA sont passées au Ministère de la Planification (MIDEPLAN). En outre, Melvin Murillo affirme qu’à cette situation s’ajoute la variation du cours du fleuve Sixaola à cause des crues importantes. Le fleuve s’est déplacé de quelques kilomètres provoquant le « passage » de 400 hectares des fincas (fermes) des Costariciens de l’autre côté du fleuve et donc, selon lui, de la frontière. Aujourd’hui, les parcelles se retrouveraient ainsi du côté panaméen selon Murillo. Lors des entretiens nous avons en effet pu constater que le fleuve constitue pour eux la ligne de frontière. Cependant, selon le traité limitrophe, la ligne 351 de frontière a été définie selon des coordonnées géographiques. Mitzela Dávila de l’ONG locale Panamá Verde, déclare lors de notre entretien que ce conflit doit être pris en charge par les Etats parce qu’il peut devenir de plus en plus important. Pour elle, « même si le fleuve bouge la frontière reste la même puisqu’elle a été définie par des coordonnées géographiques fixes, mais les gens ne le savent pas et ils pensent que si le fleuve bouge, la frontière bouge». 350 Entretien réalisé le 10 juillet 2012 aux bureaux d’ASOPLATUPA à Paraiso de Talamanca, Costa Rica. 351 Entretien réalisé le 5 juillet 2012 à Guabito, Panamá. 497 352 Pedro Cordero , de l’UICN, affirme que ce conflit peut se régler très facilement si les Etats investissent dans des bornes frontières et dans une campagne d’information pour informer la population sur la localisation précise de la frontière. Donc, même si le fleuve bouge, la frontière n’est pas altérée, mais le manque de clarté par rapport à la délimitation de la frontière génère localement un conflit de position (Prescott, 2001) qui pourrait progressivement rendre plus tendues les relations transfrontalières, aujourd’hui encore pacifiques. En effet, le conflit lié au changement du cours du fleuve Sixaola et l’importante insécurité par rapport à la propriété de la terre qu’il génère ne doivent pas être négligés sur ce bassin. 3.1.2. Un impact socio-environnemental indirect sur la région frontalière La situation foncière présente du côté costaricien rend tout d’abord difficile l’investissement 353 des agriculteurs. Rocio Fallas , coordinatrice de l’Unité de Gestion Environnementale de la Mairie de Talamanca, souligne que l’incertitude en ce qui concerne la propriété de la terre fait que les banques ne veulent pas octroyer des prêts à ces agriculteurs. Il est ainsi très difficile pour les coopératives de faire face aux impacts que les crues ont sur leur production et rend impossible leur investissement pour améliorer leur production (achat de nouvelles machines, industrialisation…). Nous estimons également que ce conflit foncier a un impact socio-environnemental puisque le manque de sécurité vis-à-vis de la propriété de la terre est un obstacle à l’engagement que ces acteurs peuvent avoir dans les projets de conservation de l’environnement et de gestion du 354 bassin. Grace Carmiol , du Projet BID-MAG, affirme que « les gens vivent dans l’instabilité, parce qu’ils ne savent pas s’ils sont les propriétaires de ces terres, donc ils ne veulent pas s’engager dans des projets de conservation parce qu’ils ne savent pas s’ils 355 garderont leurs terres après ». Juan Carlos Barrantes , de l’ONG locale Corridor Biologique Talamanca Caribe, va dans le même sens, affirmant que la question de la propriété de la terre a un impact sur la gestion du bassin, puisque même si ces agriculteurs sont les plus 352 Entretien réalisé le 2 juillet 2012 aux bureaux du Corridor Biologique Talamanca Caribe à Hone Creek, Costa Rica. 353 Entretien réalisé le 10 juillet 2012 à la Mairie de Talamanca, Bribri, Talamanca, Costa Rica. 354 Entretien réalisé le 9 août 2012 aux bureaux du Projet BID-MAG à Cahuita, Limon Costa Rica. 355 Entretien réalisé le 3 juillet 2012 aux bureaux du Corridor Biologique Talamanca Caribe à Hone Creek, Talamanca, Costa Rica. 498 touchés par les évènements naturels extrêmes (crues et inondations), l’incertitude par rapport à la propriété de la terre limite leur engagement dans les projets de GIRE, « ils ne voient pas l’intérêt à participer à des journées de reboisement tant que l’IDA n’a pas éclairci la situation ». 356 Dans ce sens, Guillermo Chacón consultant de l’Alliance Public-Privé, affirme que le travail avec les habitants de ces villages est rendu très difficile puisque « le conflit foncier a absorbé toute l’attention des acteurs locaux. Ce conflit a détourné l’attention des problématiques socio-environnementales liées aux monocultures, lesquelles ne sont pas prises en charge tant que ce conflit n’est pas réglé ». Nous pouvons ainsi affirmer que ce conflit représente une limite pour les projets d’adaptation au changement climatique et de GIRE que nous avons étudiés. En outre, dans le cadre des projets de coopération, ces agriculteurs ne peuvent pas soumettre des projets aux fonds d’investissement proposés par la coopération internationale. Dans ce 357 sens, Marietta Fonseca du Projet BID-FEM nous a expliqué que « comme les agriculteurs n’ont pas de titres de propriété, ces coopératives ne peuvent pas avoir accès à des crédits ni aux fonds proposés par le projet». Or, ces coopératives et ces associations sont des acteurs clés pour ces projets, puisque du point de vue environnemental elles sont localisées sur la partie moyenne et aval du bassin qui est la partie la plus vulnérable en ce qui concerne la pollution, le déboisement et les crues et la sédimentation. Le fait de ne pas pouvoir travailler avec eux pour des questions foncières limite considérablement la capacité d’action de ces projets de coopération, notamment vis-à-vis des actions qui cherchent à mettre en place une gestion intégrée des ressources en eau (GIRE). Ce conflit foncier rend encore plus vulnérables ces acteurs frontaliers. A cet égard, Cristian 358 Aspítia , agriculteur membre de la coopérative Cooperío, dénonce que le fait de ne pas avoir des titres de propriété interdit l’accès aux aides données par l’Etat lors des inondations qui ont lieu pendant la saison pluvieuse. A la fin de notre entretien, il déclare : « On nous parle de conserver le bassin, mais quand ta priorité est la terre qui te donne à manger, aucun processus de coopération ou participation est important ». Cette phrase nous paraît résumer en quelques mots l’enjeu qu’implique ce conflit foncier pour les projets de coopération pour l’environnement. 356 Entretien réalisé le 3 juillet 2012 aux bureaux de l’Alliance Publique-Privée dans la Mairie de Talamancz, Bribri, Talamanca Costa Rica. 357 Entretien réalisé le 4 juillet 2012 aux bureaux du Projet Binational BID FEM à Changuinola, Panamá. 358 Entretien réalisé le 12 juillet 2012 aux bureaux de Cooperio à Olivia, Talamanca, Costa Rica 499 Ce conflit foncier a créé une importante perte de confiance des acteurs locaux vis-à-vis de l’Etat (Ministères de l’Environnement et de l’Agriculture) et de ses institutions décentralisées (IDA, aujourd’hui INDER). Dans le même temps, il représente une importante contrainte qui limite la possibilité de mettre en place de processus de coopération et gouvernance locale ou transfrontalière en matière de conservation de l’environnement. 3.2. Les monocultures : éternel enjeu du bassin du fleuve Sixaola 3.2.1. Des monocultures anciennement et fortement présentes Les deuxième type de conflits socio-environnementaux identifié dans le bassin du fleuve Sixaola par les acteurs interrogés correspond aux conflits liés à l’usage des ressources naturelles localisées sur ce bassin pour l’agriculture. Il s’agit notamment de l’avancement de la frontière agricole à cause de l’expansion des monocultures, ici notamment de banane, de banane plantain et progressivement d’ananas. Ces activités, comme dans le cas du bassin du fleuve San Juan, génèrent une importante pollution (produits chimiques) et une non moins importante déforestation. Il convient de préciser que la présence des grandes entreprises transnationales sur cette frontière est ancienne et date de la fin du XIXe. Comme nous l’avons déjà évoqué, les entreprises transnationales bananières, notamment la United Fruit Company, ont eu un rôle déterminant dans l’aménagement de cette région de frontière. Ces entreprises ont participé à définir la ligne de frontière selon leurs propres intérêts, elles ont aménagé tous les villages frontaliers en fonction des différentes activités propres au système de plantation de banane et elles ont contribué à l’isolement de ces régions frontalières avec l’installation d’un système d’enclave. Aujourd’hui, même si les Etats ont récupéré leur souveraineté sur cette région de frontière, ces entreprises restent des acteurs très importants et leur présence est visible et imposante. Des champs de banane entourent la route qui relie le village de Bribri jusqu’à la frontière à Sixaola sans interruption. Les mêmes champs s’étendent de l’autre côté de la frontière et continuent à s’imposer dans le paysage jusqu’au village de Changuinola. Les maisons construites selon les codes de l’entreprise bananière sont toutes les mêmes, en taille et en couleur (cf. Photographie 41), et les villages gardent encore aujourd’hui les noms assignés initialement par la compagnie bananière (Finca 90, Finca 60, ou encore Muelle). 500 Photographie 41 Maison construite par l’entreprise bananière, entourée de champs de banane, Sixaola juillet 2012 Carte 21 Conflits socio-environnementaux dans le bassin du fleuve Sixaola 501 La Carte 21 permet de localiser les principaux conflits socio-environnementaux identifiés par les acteurs. Les recherches récentes menées par le Projet Binational BID-GEF et l’association de recherche sur l’environnement ANAI (Proyecto Binacional Sixaola & Asociación ANAI, 2012, p. 4) affirment que la pollution sur ce bassin n’est pas aussi sévère que sur d’autres bassin du Panamá et du Costa Rica. Cela peut s’expliquer notamment par l’existence d’importantes aires de conservation sur ce bassin. 80 % de l’aire du bassin rentre en effet dans une catégorie de conservation (dont le Parc International La Amistad) ou fait partie de territoires indigènes. Nous pouvons cependant observer sur la carte que les conflits liés aux monocultures de banane et banane plantain se développent dans la partie moyenne et aval du bassin. Cette carte permet aussi d’observer que la partie amont, peuplée par des groupes indigènes, est la partie le mieux conservée. Cette partie est couverte à 75% par des forêts (primaire et secondaire) et les activités agricoles y sont traditionnelles, rudimentaires et petites. L’agriculture dans ce segment est dédié essentiellement à la production de banane plantain et cacao (MAG, 2010) avec une participation importante des populations indigènes Bribri et Cabécars. La partie aval est en revanche celle qui subit l’impact des activités agricoles localisées au centre du bassin. Il s’agit de la partie la plus polluée, celle dans laquelle on retrouve la présence de grandes plantations de bananes, banane plantains et de ananas (cf. Carte 21). La banane reste la monoculture la plus importante malgré une baisse considérable du nombre d’hectares cultivés depuis la fin des années 2000 (cf. Tableau 25). Tableau 25 Hectares de banane cultivés dans le canton de Talamanca, Costa Rica Canton de Talamanca 2000 2005 2009 2012 Hectares 2808 1919 1547 1922 Source : Chambre Nationale de Producteurs de Banane, Costa Rica. http://www.canabacr.com Il faut cependant signaler que les données existantes par rapport aux hectares de bananes et d’ananas varient selon les institutions costariciennes consultées et il est très difficile de trouver cette information articulée pour le Panamá. Selon le XIX Rapport de l’Etat de la Nation (2013), produit par le Programme Etat de la Nation du Costa Rica avec le support du Conseil National de Recteurs (CONARE) et les trois universités publiques du Costa Rica - Université du Costa Rica, Université Nationale et Université Technologique du Costa Rica), les données sur l’aire de production de ces monocultures manquent d’exactitude puisqu’elles sont des estimations et qu’elles ne proviennent pas des registres officiels (journal en ligne 502 País CR, 07-08-2013 ; Proyecto Estado de la Nación, 2013). Les organisations interrogées, notamment le Corridor Biologique, ont évoqué être dans l’attente du recensement agraire qui a été mis en place pendant l’année 2014 par l’Institut National de Statistiques et Recensement (INEC). Les résultats qui devraient être publiés en 2015 apporteront plus de précision par rapport à l’extension et à l’impact de ces monocultures. Selon la Chambre Nationale de Producteurs de Banane, les entreprises de la zone qui produisent le plus sont la Chiriqui Land Company, Del MONTE, Dole et Chiquita. Ces entreprises transnationales sont la source d’emploi la plus importante dans cette région frontalière, bien qu’il existe aussi des entreprises nationales qui produisent de la banane, mais à plus petite échelle. 3.2.2. Avec comme conséquence une pollution et un déboisement importants Ces plantations sont modernes et se caractérisent par l’utilisation de produits agrochimiques, pesticides et herbicides qui ont des impacts très négatifs pour la santé des habitants du bassin, particulièrement dans les villages localisés à proximité des champs. Il est fréquent d’y apercevoir des avions qui réalisent des épandages sur les champs de banane et par la même occasion sur les maisons, les écoles, les routes et les chemins qui se trouvent entre les champs. Des bio-monitoring menés par ANAI ont montré la présence de produits agro- chimiques, de pesticides et d’herbicides dans le fleuve Coclés, le marécage transfrontalier San San Pond Sack, le delta du fleuve Yorkin, les villages côtiers de Manzanillo et Gandoca, les zones urbaines de Guabito au Panamá, ainsi que Sixaola et Bribri au Costa Rica (Proyecto Binacional Sixaola & Asociación ANAI, 2012). Le Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage (MAG) à travers son Projet BID MAG a alerté sur l’importante présence de ces produits agro- chimiques et affirme que les ressources en eau ont été fortement dégradées et qu’il convient de faire davantage de recherche pour réaliser des analyses précises (MAG, 2010). Ajouté à la pollution, le déboisement résultant de la production de banane et banane plantain à proximité du fleuve a contribué à vulnérabiliser davantage encore cette zone, laquelle pendant la saison pluvieuse est constamment frappée par de fortes inondations. En effet, tous les ans, le village de Sixaola est inondé et reste souvent isolé pendant plusieurs semaines à cause des 503 359 fortes crues du fleuve Sixaola. Ana Lucia Moreno , du projet Alliance Public-Privé, affirme que cette situation « rend l’investissement dans des projets d’infrastructure sur ce village (Sixaola) frustrant puisque tous les ans le village s’inonde et beaucoup de producteurs perdent leur production ». Ces problématiques sont à l’esprit de tous les acteurs du bassin. Pour autant, elles ne semblent pas engendrer de conflit véritable. Peut-être peut-on faire penser que cela est dû à l’emprise ancienne et énorme des compagnies bananières sur cette région frontalière. On a pu identifier des dénonciations, faites par les populations indigènes ou encore par l’ONG Corridor Biologique, mais si cela traduit des tensions réelles, il serait abusif de parler de conflit. Toutefois, le rapport entre acteurs peut évoluer et se détériorer, et il n’est pas exclu que dans les prochaines années, des conflits surgissent sur ces questions environnementales. 3.3. Tensions entre acteurs du bassin du fleuve Sixaola Si les tensions liées aux monocultures ont effectivement des impacts transfrontaliers, on peut affirmer après les entretiens réalisés qu’elles sont perçues essentiellement comme locales ou 360 nationales. Ce phénomène est observable dans le graphique (figure 29) qui schématise les relations conflictuelles entre les acteurs du bassin du fleuve Sixaola, selon le pays d’origine des acteurs (couleur). La taille des cercles représente la quantité de fois qu’un acteur a été mentionné lors des entretiens comme conflictuel. Les relations d’acteurs que présente ce graphique met en évidence l’absence de conflits transfrontaliers et binationaux. En effet, aucun acteur interrogé n’a évoqué des conflits entre le Costa Rica et le Panamá, excepté les représentants du Ministère de l’Environnement et de l’Energie (MINAE) du Costa Rica qui ont fait allusion à des problèmes de coordination par rapport à la gestion du Parc International La Amistad avec l’Autorité Nationale de l’Environnement (ANAM) du Panamá. Mais ces problèmes sont de l’ordre de la coordination et ne relèvent pas réellement de conflits (cf. Figure 25). 359 Entretien réalisé le 8 septembre 2011 aux bureaux de l’organisation RUTA à Barrio Escalante, San José, Costa Rica. 360 Ces graphes ont été conçus à partir des questions : Quels sont les acteurs avec qui vous ne travaillez pas ? Est que vous définiriez votre relation avec cet acteur comme conflictuelle ? 504 La figure 30 présente le graphe des relations de conflits entre les acteurs qui agissent sur ce bassin en matière d’environnement, cette fois selon les types d’organisations (couleur). On observe que les acteurs les plus évoqués comme conflictuels sont les entreprises bananières DOLE et Chiquita, l’Institut de Développement Agraire (IDA), les entreprises minières et les autorités indigènes ADITICA et ADITIBRI. L’importance donnée aux entreprises bananières et à l’IDA est en coïncidence avec les conflits qui ont été identifiés par les acteurs comme les plus importants, ce qui valide notre constat selon lequel les principaux conflits sur ce bassin sont la question foncière sur la bande frontalière et l’expansion des monocultures de bananes et bananes plantain. L’IDA et les entreprises bananières sont perçues ainsi comme des acteurs qui provoquent de la méfiance et avec qui les acteurs ne veulent pas travailler. La degré de conflictualité des autorités indigènes, perçu à travers le fait qu’elles soient plusieurs fois citées, nous semble pouvoir s’expliquer de deux manières. Tout d’abord, entre en jeu une question de réputation/représentation : les populations indigènes, notamment les groupes bribris, sont perçues comme des groupes contestataires, notamment en raison de l’importante participation qu’ils ont eu dans différentes mobilisations sociales comme la défense de l’autonomie des territoires indigènes vis-à-vis l’Etat costaricien, demandant l’approbation de la Loi sur le Développement de l’Autonomie Indigène. Ils ont aussi participé de façon très active au mouvement d’Action de Lutte contre l’Exploitation Pétrolière (ADELA) entre 1999 et 2002. Ce mouvement avait pour but d’arrêter le projet d’exploitation pétrolière de l’entreprise étasunienne MKJ Explorations dans les territoires indigènes et sur la côte caraïbe costaricienne (Rodriguez, 2004). Ce mouvement a réussi à faire déclarer inconstitutionnels ce projet et les concessions octroyées par le gouvernement costaricien à cette entreprise. Plus récemment, le gouvernement a déclaré un moratoire sur l’exploitation pétrolière. En outre, ces groupes indigènes se sont opposés de façon très active à la signature par le Costa Rica de l’Accord de Libre Echange entre l’Amérique Centrale et les Etats-Unis (CAFTA-DR). L’importante mobilisation sur ce bassin a contribué, lors du référendum, à la victoire de l’opposition à cet accord dans le canton de Talamanca. 505 Figure 29. Graphe des relations conflictuelles entre acteurs dans le bassin du fleuve Sixaola, par nationalité 506 Figure 30. Graphe des relations conflictuelles entre acteurs dans le bassin du fleuve Sixaola, par type d’organisation 507 Un deuxième facteur peut également contribuer à la représentation des groupes indigènes comme conflictuels, notamment de la part des organisations de coopération internationale. Dans le cas du Projet binational BID-FEM par exemple, il y a eu des tensions entre les équipes techniques des projets et les représentants indigènes en raison d’un manque de coïncidence entre les rythmes et les temporalités des deux parties. Lors des entretiens, le 361 responsable du projet BID-FEM, Alfonso Sanabria , s’est plaint de la difficulté à travailler avec ces groupes indigènes, notamment parce qu’ils ne venaient pas aux réunions, arrivaient en retard et ils ne participaient pas de façon continue dans les projets. Sans doute, comme nous l’avons dit, car ceux-ci ne se sont pas appropriés le projet. Un autre conflit socio-environnemental perceptible dans ce graphique et qu’il convient d’approfondir renvoie à la question minière. Les nombreuses tentatives d’installation de mines dans la partie amont du bassin ont été historiquement dénoncées majoritairement par l’association indigène ADITIBRI et par le programme Kiosques Environnementaux de l’Université du Costa Rica. Ces activités minières, pourtant illégales, sont réalisées par une société anonyme appelée Grupo Sureño S.A. dans la partie amont du bassin, notamment dans la vallée de Talamanca à proximité du fleuve Urén qui a été identifié comme une importante zone de recharge de la nappe phréatique transfrontalière du fleuve Sixaola. Cette entreprise a réalisé des explorations en 2008 et par la suite a déposé des demandes pour obtenir des concessions foncières auprès du Ministère de l’Environnement et de l’Energie costaricien (MINAE). Or, les zones qui intéressent cette entreprise sont localisées dans la colline Namasol qui est une colline sacrée pour les population Bribri (Alvarez, 2010). Le peuple Bribri a déclaré son opposition à ces projets miniers en alléguant que ces activités minières mettent en risque leur mode de vie et la biodiversité de cette zone. Cette opposition est importante puisque l’article 6 de la loi indigène déclare que les autorités indigènes sont propriétaires, avec l’Etat, du sol et du sous-sol de ces territoires. C’est pourquoi, pour mettre en place ces activités extractives, les populations autochtones et l’Assemblée Nationale doivent donner leur autorisation à travers la formulation d’une loi spéciale. Or, jusqu’à présent, cette entreprise minière ne l’a pas. Même si les dossiers de ces projets ont été actuellement archivés par l’Etat costaricien et qu’un moratoire a été voté, ces populations indigènes demandent « plus qu’un décret exécutif » et sollicitent de l’Etat qu’il mette en place un projet de loi pour interdire toute activité de minière métallique (or, cuivre et argent) au Costa Rica. 361 Entretien réalisé le 22 septembre 2011 aux bureaux du Projet BID-FEM à Changuinola, Panamá. 508 Conclusion septième chapitre Coopérer sans s’engager? L’effacement de la conflictualité socio- environnementale Après l’examen des conflits identifiés sur ces deux bassins, nous pouvons conclure que tant les Etats comme les ONG et organisations internationales éludent les véritables problématiques et conflits locaux qui sont liés à la propriété de la terre et à l’expansion du modèle de monoculture. Dans le cas du bassin du fleuve San Juan, le Costa Rica et le Nicaragua instrumentalisent la question environnementale pour justifier le conflit binational qui à l’origine était un conflit de position, qui est devenu un conflit interétatique fonctionnel et de ressources (Prescott, 2001). Nous pouvons ainsi en conclure que la défense de l’environnement dans le cadre de ce conflit est un discours creux, plein de contradictions, qui agit comme un écran de fumée et détourne l’attention des vraies problématiques politiques et socio-environnementales de la région frontalière (expansion des champs d’ananas). Les conflits binationaux autour du dragage du fleuve San Juan et de la « Trocha » ont eu un impact local notamment sur les processus de coopération qui existaient entre les mairies frontalières mais aussi dans la mise en place de projets de coopération de conservation de l’environnement portés par les organisations internationales. Ces projets se sont retirés de cette frontière, ou bien ils ont dû être reformulés pour éliminer leur approche transfrontalière et devenir ainsi des projets de dimension uniquement nationale. Ces conflits binationaux se posent ainsi comme un important obstacle à la mise en place de projets de coopération et de gouvernance environnementale. Ceci nous permet d’affirmer que les relations diplomatiques apaisées entre les Etats sont une condition pour la mise en place de processus de coopération en matière environnementale. De cette façon, dans le cas du fleuve San Juan, la défense de l’environnement a cessé d’être l’argumentaire qui encourageait la coopération et le rapprochement entre ces deux pays, pour devenir l’argumentaire qui semble justifier les conflits interétatiques actuels. La prédominance de ces conflits binationaux et la « San Juanisation » de la frontière a effacé les véritables enjeux environnementaux qui affectent cette frontière, particulièrement l’expansion des monocultures, lesquelles ont été identifiées comme le conflit le plus important. Dans le cas du bassin du fleuve Sixaola, comme nous l’avons déjà évoqué, il y a une grande quantité de projets de coopération pour l’environnement, cependant les actions qu’ils proposent (cf. Chapitre 5) ne répondent pas aux problématiques et aux conflits identifiés 509 comme prioritaires par les acteurs. Ces projets proposent des actions de reboisement, de formation en GIRE, d’adaptation au changement climatique, de mise en place de plateformes multi-acteurs, mais ils ne proposent pas des actions spécifiques pour faire face à l’expansion des monocultures, conflit considéré comme le plus important sur cette frontière. Aucune action n’a été ni proposée ni mise en place pour faire face à leur expansion ou à leur impact en termes de pollution des sols et des eaux, ni dans le bassin du fleuve San Juan ni dans celui du fleuve Sixaola. Il y a ainsi une décalage patent entre les conflits locaux et les stratégies d’intervention proposées par l’Etat et les organisations internationales. Nous estimons que cette non prise en considération de ces conflits ainsi que leur effacement dans les projets et dans les politiques gouvernementales est volontaire. En ce qui concerne le rôle de Etats, il convient de souligner que la méconnaissance du véritable impact des monocultures (absence d’indicateurs actualisés des hectares cultivées d’ananas, par exemple), la dérégulation des activités agricoles et le manque de contrôle et de coordination entre l’Etat central et les autorités locales au moment d’octroyer les permis d’exploitation, démontrent une négligence étatique qui en réalité met en évidence une « permissivité » et une complicité vis-à-vis de ces entreprises transnationales. Quant à la prise de distance des organisations internationales vis-à-vis des conflits socio- environnementaux locaux, il convient de la considérer au regard de la nature de ces organisations et l’origine des sources de financement pour comprendre leurs logiques d’action. Tout d’abord, il faut ne faut pas oublier que ces organisations internationales ont leurs propres agendas, qu’elles se doivent de mettre en place à l’échelle locale. Ces agendas conçus par un système international fortement hiérarchisé prennent rarement en compte les particularités des différents terrains où ils sont ensuite appliqués et représentent les intérêts des bailleurs des fonds. W. Robinson rappelle que « la principale raison du boom des ONG est que les Etats occidentaux les financent » (Robinson, 2003, p. 227). Les ressources de ces organisations viennent majoritairement des gouvernements du Nord, des institutions financières et des entreprises du Nord, et ceci détermine un transfert vertical d’agendas et de méthodologies du Nord vers le Sud. La proximité de ces organisations internationales par rapport aux gouvernements et aux entreprises qui souvent les financent à travers des fondations met en place un « chevauchement organisationnel » qui rend souvent très difficile de déterminer « qui est qui ». L’échange de personnel et les liens financiers rendent en effet « très difficile de distinguer la ligne de division entre le privé et le public » (Robinson, 2003, 510 p. 227), comme nous avons pu l’observer dans le cas des partenariats publics et privés et des plateformes multi-acteurs. Pour W. Robinson, l'aide au développement a toujours été un instrument des pouvoirs hégémoniques qui cherchent à ouvrir de nouveaux marchés, à faciliter l'accès aux ressources naturelles et à intégrer les régions postcoloniales à l'économie capitaliste mondiale (Ibid., p. 227). Pour cet auteur, ceci n’est pas une question de charité ni de philanthropie mais plutôt un processus de privatisation : les fonds ne sont plus donnés aux Etats mais à des groupes « non gouvernementaux » qui sont « embauchés » pour mettre en place des fonctions qui sont propres aux Etats. Les ONG internationales sur les deux bassins étudiés se maintiennent ainsi à distance des mouvements qu’elles considèrent radicaux. Elles ne défendent pas les secteurs populaires et représentent plutôt les intérêts de ces élites locales-transnationales qui fixent les agendas. Les projets que nous avons étudiés répondent ainsi aux intérêts et aux discours de ceux qui contrôlent les ressources et à ces élites. Comment affirment D. Chartier et S. Ollitrault, « ces organisations sont déterminées par le partenariat dans lequel elles sont engagées. Leur financement dépend de leur crédibilité et de leur profil (neutralité, intérêt général, respect aux principes démocratiques). Il serait donc autodestructeur pour elles de s’éloigner trop radicalement de ces registres d’action dominants auxquels elles adhèrent par conviction » (Chartier & Ollitrault, 2005, p. 36). En effet, les organisations internationales ne sont pas autonomes, elles sont déterminées par les intérêts des gouvernements internationaux, élites politiques nationales-locales et des entreprises, ce qui peut expliquer l’effacement de la conflictualité et leur manque de positionnement vis-à-vis de l’expansion des monocultures ou des luttes contre l’exploitation minière ou pétrolière. Lors du mouvement social qui se mit en place contre le projet de mine à Crucitas en rive droite du fleuve San Juan, les organisations locales ont demandé à l’UICN de prendre position et de s’expliquer sur ce qu’elle n’avait pas fait, notamment par sa proximité avec le gouvernement du Costa Rica qui avait encouragé le projet et l’avait déclaré « projet 362 d’intérêt national » . Il faut noter en revanche que cette position n’a pas été partagée par les ONG locales, comme le Corridor Biologique et la Fondation du Fleuve, lesquelles ont joué un rôle central dans les mouvements de résistance contre l’exploitation pétrolière (le Corridor Biologique) et minière (la Fondation du Fleuve). 362 Il convient de remarquer que la directrice de l’UICN au moment du conflit lié à la Mine Crucitas, était la belle sœur du Ministre de l’Environnement, raison aussi qui pourrait expliquer la distance prise par cette organisation lors de ce conflit. 511 Les organisations internationales adhérent aux problématiques moins politiques, moins idéologiques et par conséquence moins conflictuelles. Elles ont ainsi tendance comme affirme W. Robinson à « dépolitiser la société » puisqu’elles extraient des débats le caractère « idéologique » et démobilisent l’organisation sociale. La question de l’expansion des monocultures permet d’observer ainsi ce processus de désidéologisation, puisque les monocultures constituent un enjeu qui renvoie à une position idéologique par rapport aux modes de production capitalistes et notamment vis-à-vis de la propriété de la terre et de la distribution de la richesse, que les ONG internationales ne sont pas prêtes à soutenir. En ignorant la question des monocultures, elles acceptent le modèle de développement capitaliste et la logique d’accumulation par dépossession (Harvey, 2004) que ce type d’agriculture encourage. L’accumulation par dépossession selon le géographe David Harvey est mise en place à travers une grande diversité de processus économiques qui consistent dans la dépossession par le transfert d’actifs de propriétaires « domestiques vers les autres qui sont généralement exogènes et qui les accumulent (Harvey, 2004, p. 114). La marchandisation et la privatisation de la terre, la suppression du droit aux biens communs, l’expulsion de populations paysannes ou indigènes par la force, les processus coloniaux, postcoloniaux et impérialistes d’appropriation d’actifs, ne sont que des exemples (Ibid., p. 113). Pour D. Harvey un exemple de ces processus est « la récente déprédation environnementale des biens environnementaux globaux (terre, eau, aire) et la récente prolifération de la dégradation environnementale » qui encourage des « modes de capital intensifs » de production agricole qui transforment la nature en une marchandise (Ibid., p. 114). L’Etat, selon son approche, avec son monopole de la violence et sa définition de légalité, soutient généralement ces processus (Ibid, p. 113). Même si ces organisations sont parfois critiques vis-à-vis des politiques portées par les Etats et même si elles encouragent parfois des demandes qui peuvent être bénéfiques pour les groupes populaires, elles ne s'attaquent pas aux problèmes structurels de fond, comme le sont les modèles d’exploitation agricole. Ces organisations se contentent de négocier de meilleures conditions sans mettre en cause l’ordre établi (Robinson, 2003, p. 228). En effet, ces organisations internationales ne sont pas des mouvements sociaux, mais des alternatives aux mouvements sociaux (Ibid., p. 228) conçues par un oligopole de la conservation au service du maintien du système capitaliste. 512 Conclusion troisième partie « NGO’s are not a social mouvements but alternative to them » W. Robinson Les projets de coopération pour l’environnement qui sont mis en place dans les bassin des fleuves San Juan et Sixaola s’inscrivent dans un système pyramidal fortement hiérarchisé qui est régi par un oligopole formé par de grandes organisations internationales (UICN, WWF, TNC, CI, entre autres) et par des communautés épistémiques (scientifiques et experts). Cet oligopole est chargé de produire les concepts et stratégies d’intervention qui seront négociés et avalisés lors de forums et conférences mondiales. La diffusion et le transfert de ces concepts et stratégies sont mis en place par ces organisations internationales qui appliquent ensuite ces concepts et méthodologies à l’échelle locale dans différents pays du monde, grâce à leurs antennes nationales et locales. Il est intéressant de constater le rôle que les organisations locales, notamment les ONG nationales et locales (Corridor Biologique, Fondation de Fleuve, entre autres) ont dans ce processus de transfert. Elles sont perçues comme les structures les plus efficaces grâce à leur légitimité pour implémenter ces projets et ainsi servir d’intermédiaire entre le global et le local (organisations de base, autorités indigènes, coopératives, entre autres). Suite à l’examen des projets, on observe que la majorité de ceux-ci proposent de mettre en place des actions dans le cadre de la Gestion Intégrée de Ressources en Eau (GIRE), dont le discours apparaît flou, creux et ne prenant pas en compte les particularités de chaque terrain. Un des apports de la GIRE est que cette formule propose comme unité idéale d’exécution le bassin versant. Les organisations internationales justifient le choix du bassin versant par des argumentaires autorisés et des critères scientifiques qui présentent cette unité comme naturelle et, partant, comme un fait objectif et consensuel, quand bien même le bassin versant est une construction sociale et politique, un choix qui implique l’intégration dans les processus décisionnels d’autres acteurs qui agissent dans la gestion de cet espace. Le bassin versant cherche à créer un territoire de gestion qui rentre en confrontation avec d’autres territoires préexistants comme les divisions administratives et les territoires indigènes, qui voient dans le bassin et dans l’intervention de ces organisations internationales un risque pour leur autonomie et souveraineté. 513 La question de la participation est également centrale, elle est présente dans tous les projets, notamment par le biais du discours de la gouvernance. Les projets reprennent notamment le principe 2 de Dublin qui évoque la nécessité de mettre en place des processus de participation dans la GIRE. Ce discours, qui se présente aussi flou que celui de la GIRE, propose des relations de pouvoirs plus horizontales et une désacralisation de la division entre le public et le privé. L’Etat perd ainsi, dans cette perspective, sa centralité et partage les espaces décisionnels avec d’autres acteurs issus de la société civile et privés (entreprises) (Hermet et al., 2005). Les projets étudiés encouragent la mise en place de dispositifs de gouvernance délibératifs et normatifs (Alphandery et al., 2012). Dans la gestion de l’environnement, nous avons identifié des plateformes multi-acteurs (PMA) et des instruments comme des Codes de conduite (chartes), qui sont conçus et encouragés par ces organisations internationales. L’analyse a permis de constater que les PMA (Commissions Transfrontalières et Comités de bassin), présentées comme des espaces de participation qui renforcent les processus démocratiques de délibération, sont fortement dépendantes vis-à-vis des projets de coopération qui les financent, les convoquent et fixent leurs agendas. Aussi, les décisions et accords issus de ces dispositifs ne sont pas ni représentatifs ni légitimes, principalement parce que les acteurs qui participent sont choisis par ces organisations selon des critères de proximité idéologique et représentent généralement les élites locales et techniques existantes sur ces bassins, lesquelles sont fondamentalement les alliées de ces projets. Le débat à l’intérieur de ces PMA et des Codes de conduite est très limité car les acteurs considérés comme « radicaux » (Kiosques environnementaux, les fronts de résistance aux monocultures et aux exploitations minières) sont souvent exclus. De cette façon, les décisions résultantes de ces dispositifs sont sectorielles parce qu’elle ne sont prises que par les secteurs dominants, peu représentatifs et manquent de légitimité. En outre, les agendas ne répondent pas aux véritables problématiques locales. Les conflits considérés comme prioritaires par les acteurs locaux, comme l’expansion des monocultures et la propriété de la terre, ne sont pas pris en compte par ces projets ni par ces dispositifs. Il y a effectivement un effacement de la conflictualité dans ces projets, ce qui dépolitise ces processus de participation et la conservation de l’environnement. En réalité, le discours officiel porté par ces organisations, d’empowerment et de gouvernance, est fondamentalement lié à la formation technique lors d’ateliers et de conférences et à l’advocacy (plaidoyer) dans le cadre des actions des projets. Ceci n’implique en aucun cas le renforcement de l’organisation locale pour faire face au modèle agricole par monocultures qui 514 dégrade l’environnement sur ces régions de frontières. Les acteurs privés participent de plus aux côtés des Etats dans ces PMA, ce qui est particulièrement dangereux, dans le sens où ces entreprises fonctionnent selon la logique du marché et du profit et ces PMA sont mises en place pour gérer et conserver l’environnement (le bassin), lequel ne peut pas être géré comme un bien privé mais en prenant en compte le bien commun qui est en principe la responsabilité de l’Etat. Nous avons pu aussi constater que les organisations locales sont connectées grâce à ces projets avec le global, et en particulier avec l’oligopole de la conservation. Les acteurs participent à des forums et des conférences mondiales où ils présentent leurs expériences. Dans ces réunions internationales, des textes clés sont souscrits lesquels servent a posteriori comme des citations d’autorité pour légitimer les stratégies d’intervention. Sur un autre plan, les projets de ces organisations internationales sont limités à l’échelle locale, ce qui supprime la dimension nationale et la possibilité de mettre en place des revendications plus globales qui pourraient mettre en question le système et le modèle de développement. Ces projets et les organisations internationales que les encouragent, rendent techniques des débats qui sont de l’ordre du politique et démobilisent d’autres formes d’actions collectives, puisque ces organisations deviennent souvent les seules interlocutrices des Etats et des OIG. En confrontant les projets étudiés avec les conflits identifiés, il est clair que ces organisations éludent les problèmes qui impliquent une prise de position idéologique et elles manquent souvent de sens critique par rapport au système de production capitaliste. Cette évasion des conflits est volontaire et peut s’expliquer par le fait que ces organisations ne sont pas autonomes et dépendent des bailleurs de fond qui sont souvent des organismes financiers internationaux (Banque Mondiale et BID) et les Etats du Nord. Ces organisations ne s’attaquent pas aux problèmes structurels (modèle de production et propriété de la terre) et elles encouragent plutôt l’adaptation et la résilience face aux problèmes sans aspirer à révolutionner le système ni à reformuler les modes de production. Elles encouragent ainsi la permanence des structures et des relations de pouvoir. Dans le discours dominant, les ONG internationales sont vues comme une contribution positive à la démocratie et au développement (Robinson, 2003, p. 226). Toutefois, après l’analyse de ces projets, il est difficile de conclure qu’elles renforcent la démocratie et le pluralisme puisqu’elles trouvent leurs alliés dans les élites locales et nationales tout en excluant les potentiels opposants. 515 Au final, les projets ne répondent pas aux principales problématiques locales. Nous pouvons affirmer qu’ils proposent des solutions qui se veulent consensuelles et scientifiques, mais qui en réalité cherchent surtout à dépolitiser la conservation de l’environnement. Lors des entretiens, un membre du front contre l’expansion des ananas employa une comparaison qui nous a paru résumer en quelques mots cet enjeu : « Les ONG sont aux mouvement sociaux ce qu’est le solidarisme au syndicalisme, elles démobilisent ». 516 Conclusion générale Nous arrivons ainsi au terme de cette thèse et il convient de revenir à notre objectif initial qui était d’explorer de nouvelles dynamiques des régions frontalières centraméricaines. Nous nous sommes ainsi attaché à analyser les jeux d’acteurs établis autour des dynamiques de coopération et de conflit dans le cadre de processus de conservation de l’environnement dans deux régions frontalières : le bassin du fleuve San Juan (Costa Rica-Nicaragua) et le bassin du fleuve Sixaola (Costa Rica-Panama). Ces deux bassins, sont devenus nos espaces d’observation privilégiés puisqu’ils représentent deux régions périphériques marquées à la fois par des logiques de marginalisation, mais aussi par des initiatives d’intégration et de développement, lesquelles sont véhiculées majoritairement par des projets de conservation de l’environnement portés par des acteurs exogènes (organisations internationales, ONG, banque de développement ou partenariats publics-privés). Tout au long de ce travail doctoral, c’est l’analyse des acteurs collectifs qui agissent dans le domaine de l’environnement sur les frontières qui a constitué notre fil directeur. Nous nous sommes ainsi intéressée aux discours et aux perceptions de ces acteurs à l’égard des enjeux environnementaux mais aussi aux projets qui sont développés dans ces régions. Trois aspects nous semblent émerger et constituer des conclusions clés de cette thèse : 1. le discours de la conservation de l’environnement a été le vecteur d’une requalification des frontières centraméricaines. L’instrumentalisation de ce discours par différents types d’acteurs a permis de faire valoir, à des moments différents et selon des intérêts propres, des conceptions et des modes de gestion des territoires frontaliers 2. les espaces frontaliers constituent des scènes sociopolitiques dans lesquelles des réseaux d’acteurs très dynamiques se mettent en place sous des formes hiérarchisées et multi- scalaires, produisant une nouvelle distribution des compétences et un repositionnement relatif de chaque acteur 3. Dans la mise en œuvre d’un discours et de pratiques de gouvernance où prédominent un perspective technique et professionnalisée, les organisations internationales et les Etats. effacent volontairement les véritables conflits socio-environnementaux, limitent le débat public et dépolitisent la gestion de l’environnement 517 Saisir les frontières de l’Amérique centrale à travers la question environnementale Initialement, nous nous sommes interrogés sur l’impact que pouvait avoir la présence d’importantes ressources naturelles sur la perception de ces frontières et sur les actions qui se mettaient en place autour d’elles. Après le processus de paix du début des années 1990, la conservation de l’environnement frontalier a été définie comme un sujet porteur pouvant mobiliser les Etats et la Coopération Internationale pour consolider la paix, développer les régions frontalières et dans le même temps conserver leur biodiversité. De nombreux projets interétatiques avec le soutien de la coopération internationale, comme le Système des Aires Protégées pour la Paix, ou le Projet Pro-Cuenca dans le cas du bassin du fleuve San Juan, se sont mis en place dans le but d’encourager les Etats à prendre en charge des frontières qui avait été particulièrement affectées par les conflits civils. Dans cette perspective, les frontières sont appréhendées comme des régions naturelles à aborder de façon transfrontalière, permettant de dépasser la fragmentation politique imposée par ces frontières. La condition transfrontalière de la nature a été mise en avant. La nature devient ainsi un patrimoine universel devant être conserver non seulement pas les Etats mais aussi par des acteurs internationaux et transnationaux dont l’intervention est par là même justifiée. Ainsi les frontières sont requalifiées par le biais de l’environnement, abandonnant leur connotation négative (fronts de guerres, périphéries marginales, etc.) et sont désormais présentées comme des sanctuaires naturels. La conservation de l’environnement localisée sur des frontières a été un des éléments qui a influencé le processus de conception de nombreuses initiatives globales et régionales, lesquelles ont adopté cette approche transfrontalière. L’environnement joue un rôle central dans les processus de coopération binationale et transfrontalière, notamment dans le bassin du fleuve Sixaola. Ce bassin est un véritable laboratoire de la coopération pour la conservation de l’environnement. Les relations pacifiques entre ces deux pays ont facilité le développement de tout un cadre légal et institutionnel pour la coopération. L’environnement, dans le cas de ce bassin, est central, puisqu’il représente un sujet qui mobilise et articule une grande diversité d’acteurs. 518 En revanche, le cas du bassin du fleuve San Juan est plus complexe, puisqu’il est déterminé par des conflits interétatiques récurrents. Les tentatives de coopération ont eu lieu dans des périodes d’apaisement des relations binationales et le cadre légal pour coopérer existe mais il est en suspens, notamment depuis 2005 avec l’intensification des conflits. Ces derniers sont arrivé à affecter les dynamiques transfrontalières quotidiennes et les relations de coopérations locales entre les mairies de part et d’autre de la frontière jusque là très fluides. Sur le plan de la coopération pour la conservation de l’environnement, ces conflits ont éloigné les organisations internationales qui portaient des projets transfrontaliers dans cette zone. De plus, ces conflits ont impliqué une reformulation des projets, qui devaient s’appliquer sur ce bassin et qui prévoyaient des actions transfrontalières, vers une approche strictement nationale de part et d’autre de la frontière. Lors de ces disputes, l’environnement, qui antérieurement avait été source de coopération, a été instrumentalisé au service des conflits. Il a servi d’argumentaire aux gouvernements du Costa Rica et du Nicaragua, justifiant les requêtes présentées à la Cour Internationale de Justice (CIJ) et détournant l’attention des vraies problématiques politiques et socio-environnementales sur cette frontière. L’environnement est ainsi un sujet porteur, qui est systématiquement utilisé par les gouvernements et les organisations internationales, pour créer du soutien social vis-à-vis de leurs actions et de leurs discours. Néanmoins, ces derniers révèlent d’importantes contradictions. Ils prônent la conservation de l’environnement et simultanément permettent des actions fortement polluantes (déforestation, dragage, concessions agricoles, etc). L’instrumentalisation de l’environnement a cependant contribué à percevoir la frontière non comme une ligne mais comme une région naturelle dépassant la limite politique et introduisant ainsi le besoin de la saisir en suivant une approche transfrontalière. La question environnementale donne un nouveau sens à ces régions frontalières et invite à appliquer des nouvelles méthodologies de gestion comme c’est le cas de la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE), qui appelle à conserver l’eau et l’environnement à travers l’unité de gestion du bassin hydrographique. Depuis les vingt dernières années, sur ces frontières, la figure du bassin transfrontalier a été très utilisée notamment par les projets de coopération. La gestion par bassin versant propose une reconfiguration du territoire frontalier en introduisant une unité d’organisation territoriale qui se guide par une logique amont- avant. Cependant, une autre conclusion de cette recherche est que si la nature traverse effectivement les frontières, ces régions sont loin d’être des « régions transfrontalières » du point de vue des 519 processus d’intégration. En effet, ces régions ne sont pas intégrées et la coopération transfrontalière n’est que partiellement institutionnalisée. Il convient ainsi de préciser que les deux régions de frontières étudiées ont un degré d’intégration très faible et qu’elles sont gérées de façon séparée par les Etats. A cet égard, nous ne pouvons pas faire référence à des régions transfrontalières dans le sens des Eurorégions, lesquelles sont des organisations européennes plus ou moins structurées de part et d’autre d’une frontière, entre des collectivités territoriales associées autour de projets de coopération (Perrin, 2011). Les régions frontalières centraméricaines sont quant à elles encore marquées par la discontinuité politique, et les notions de région naturelle ou de bassin transfrontalier sont peu appropriés par les autorités locales et les acteurs locaux. C’est ainsi que ces régions ne sont pas transfrontalières du point de vue des processus d’intégration, mais il existe des dynamiques formelles (projets de coopération) et informelles (commerce, trafic, etc.) ponctuelles qui elles sont transfrontalières. Comprendre les dynamiques de coopération binationales et transfrontalières par le regard des acteurs collectifs Les bassins du fleuve San Juan et du fleuve Sixaola sont de systèmes frontaliers dynamiques sur lesquels on observe plusieurs réseaux d’acteurs s’articulant majoritairement autour de la conservation de l’environnement. La nature diverse des acteurs et à la multiplicité d’échelles qui entrent en jeu rendent les relations complexes. Nous nous sommes interrogés sur la nature de ces réseaux d’acteurs collectifs et sur le rôle que chacun de ces acteurs avait dans les dynamiques de coopération et de conflits environnementaux. La démarche réflexive et méthodologique s’est vue ainsi orientée par la volonté de prêter une attention particulière aux actions et aux perceptions associées des acteurs collectifs, mais aussi aux rapports qui s’établissaient entre eux. Notre dispositif d’enquête cherchait non seulement à définir quels étaient les acteurs qui intervenaient, mais aussi leur rôle, leurs agendas politiques, leurs projets et leurs relations. Nous voulions ainsi cerner les jeux de pouvoir qui s’organisaient autour de la gestion de l’environnement sur ces frontières. Les deux bassins transfrontaliers étudiés montrent que la prise en considération des particularités des contextes politiques est nécessaire pour comprendre les dynamiques de coopération. En effet, les systèmes de coopération où ces acteurs se déploient sont diamétralement différents dans les deux cas. Le bassin du fleuve Sixaola présente un cadre 520 légal très développé ainsi qu’un climat politique calme, ce qui a permis sur ce bassin l’établissement d’une grande diversité de projets de coopération environnementale formels et informels. Ces caractéristiques ont attiré l’attention de nombreuses organisations internationales qui aujourd’hui réalisent des projets dans le bassin. En revanche, le bassin du fleuve San Juan est déterminé par le conflit binational qui a limité les processus de coopération. C’est ainsi que dans ce bassin, les projets sont moins nombreux, avec des budgets plus restreints et évitent l’approche transfrontalière pour ne pas rentrer en confrontation avec les gouvernements. Nous nous sommes ainsi consacrée à l’analyse des jeux d’acteurs qui se mettent en place dans ces deux contextes très différents autour de la coopération pour la conservation de l’environnement. Deux types de dynamiques de coopération ont été identifiés. D’un côté, la coopération binationale ; elle est formelle, portée par les acteurs étatiques, et se concrétise au travers de traités et de structures comme des commissions binationales. D’un autre côté, une coopération plus localisée et spontanée, qui se veut transfrontalière et qui implique une grande diversité d’acteurs collectifs, mairies, associations de développement, autorités indigènes, coopératives, ONG locales, ONG internationales ou encore Universités. Un des grands enseignements de cette recherche est que la présence d’acteurs exogènes comme les organisations internationales (OIG et ONG) et les Banques de Développement (BID) est très importante dans les deux types de coopération, et nous pouvons même dire qu’ils ont un rôle protagoniste. Initialement, nous estimions que la présence d’acteurs exogènes comme les organisations internationales et les banques de développement se faisait de façon verticale et sans une véritable participation des Etats, mais l’analyse des projets de coopération nous a montré que les rapports Etats / acteurs exogènes sont plus complexes. Les Etats conscients de leurs limites budgétaires et juridiques, font appel volontairement à la BID et lui cèdent des compétences et des responsabilités, même si cela ne se fait pas sans tensions. Pour certains acteurs locaux (coopératives, autorités indigènes et producteurs) ces agendas ne représentent ni les problématiques ni les besoins locaux. Ce constat, nous a invité à nous interroger sur l’identité des acteurs qui prennent en charge réellement la gestion de l’environnement sur ces frontières. Pour répondre à ces questionnements et comprendre les dynamiques de coopération transfrontalières, nous avons fait appel à l’analyse des réseaux d’acteurs, laquelle nous a permis de saisir les relations de 521 proximité, de confiance, d’influence et de conflits. Les graphes réalisés montrent bien que sur le bassin du fleuve San Juan autour de la conservation de l’environnement il n’existe pas actuellement de relations transfrontalières de coopération. Dans ce bassin, les acteurs les plus influents sont les mairies et les ONG locales. Ceci s’explique par la progressive réduction de projets de coopération. Par contre, dans le bassin du Sixaola, on peut observer des relations multiples et parfois réciproques entre un grand nombre d’acteurs en matière d’environnement, des relations de coopération entre les organisations costariciennes et panaméennes, caractérisées par leur proximité et leur dynamisme. Mais les acteurs perçus comme les plus influents c’est-à-dire ce qui détiennent le plus de pouvoir sont bien les organisations internationales. Cependant, de façon générale, dans ces deux bassins, même si les organisations internationales (l’UICN, la BID, TNC, FUNDEMUCA, entre autres) sont celles qui détiennent les fonds et les projets, ce sont les organisations locales, notamment les ONG locales environnementalistes (Corridor Biologique Talamanca Caribe et Fondation du Fleuve) qui évoquent le plus de confiance. Les ONG locales jouent un rôle très important d’intermédiaires (brokers) entre les projets portés par les organisations internationales et les organisations de bases (les coopératives, autorités indigènes). Elles sont perçues comme légitimes, justement en raison de leur ancrage local et parce qu’elles agissent sur le terrain de façon continue. Les professionnels qui travaillent dans ces ONG locales sont généralement originaires de ces régions de frontières et font partie des élites locales. Ils connaissent très bien ces territoires et leurs enjeux. En outre, ces ONG fonctionnent souvent comme « traductrices » des termes techniques et des méthodologies apportés par les projets, facilitant ainsi leur compréhension par les acteurs locaux, car elles connaissent les codes et le mode de fonctionnement des organisations internationales. Par ailleurs, l’examen des discours des projets étudiés montre que la majorité des projets mis en place sur ces frontières par des organisations internationales comme l’UICN, la BID ou des ONG internationales comme TNC, FUNPADEM, INBIO, RUTA répondent à une même « recette de la coopération ». Non seulement leurs logiques de fonctionnement sont semblables (conception, recherche de fonds, diagnostics pour élaborer les plans d’actions, application par l’intermédiaire d’antennes locales ou d’ONG locales et évaluation par des équipes formées par les bailleurs de fonds) mais également les actions proposées sont similaires. 522 L’analyse détaillée que nous avons réalisé des projets nous a permis de constater que les impacts concrets sont peu nombreux. En effet, la durabilité des activités productives financées par ces organisations internationales et appliquées par les organisations de base est très faible. Deux ans après la fin du Projet Alianzas il a été possible d’observer que aucun projet ne s’est maintenu. Il est de toute façon très difficile d’estimer les résultats des projets, car les seuls documents qui les évaluent sont les comptes-rendus et les systématisations élaborés par ces mêmes organisations internationales pour se justifier auprès des bailleurs de fonds. Même si sur les terrains, nous avons pu apercevoir par exemple des véhicules achetés par les projets, un nouveau pont frontalier construit entre Guabito (Panamá) et Sixaola (Costa Rica), ou encore des pépinières construites avec des organisations locales pour le reboisement des bassins, ces activités ont un impact assez ponctuel et rendent compte du caractère éphémère des projets. Un constat important a été que la majorité des actions exécutées sont des activités de formation dont l’évaluation est difficile puisque les indicateurs de réussite reposent seulement sur la quantité de personnes participant aux formations. Une fois les projets terminés, les réunions s’arrêtent et les activités suspendues. Ces projets ont ainsi une durée réduite (trois à sept ans le plus souvent), or les acteurs locaux sont extrêmement dépendants des fonds (financements des déplacements, des réunions et des activités) et de l’assistance technique apportée par les équipes de professionnels des projets. Cette dépendance a été même qualifiée de « clientéliste » par certains acteurs interrogés. Dans une perspective plus large, nous estimons qu’une des faiblesses les plus importantes de ces projets est le manque d’appropriation par les acteurs locaux. Ceci peut s’expliquer en analysant les processus à travers lesquels ces projets sont conçus. Effectivement, lors de la conception de ces projets, la participation des organisations locales est très réduite, raison pour laquelle, pour les acteurs locaux, ces projets ont été conçus « ailleurs », répondant aux agendas des organisations internationales plus qu’aux problématiques locales. Des périphéries connectées avec le global Le manque d’appropriation des projets de conservation de l’environnement a été un important constat de cette recherche, puisqu’il nous a mené à nous questionner par rapport à l’origine des concepts et des méthodologies que ces organisations internationales voulaient appliquer à travers leurs projets sur ces régions de frontières. 523 Il convient de signaler que la majorité de ces projets s’inscrivent dans des initiatives globales liées soit à la gestion de l’eau (Water and Nature Initiative), soit à la gouvernance des bassins transfrontaliers (BRIDGE), soit à l’adaptation au changement climatique. Ce qui implique que ces mêmes projets sont mis en place de la même façon dans d’autres pays, généralement localisés dans le Sud (Afrique, Asie et Amérique du Sud). Cette internationalisation est possible grâce à la structure pyramidale décentralisée des organisations internationales. En effet à l’échelle régionale et nationale, celles-ci ont des « antennes » qui appliquent les projets souvent par l’intermédiation d’ONG locales. Ces régions périphériques sont ainsi connectées par le biais de ces projets avec tout un système global, pour lequel nous reprenons l’expression d’« oligopole de la conservation » (Dumoulin & Rodary, 2005), c’est-à-dire un système qui est gouverné par quelques grandes organisations internationales (UICN, TNC, PNUE, WWF, etc.) et par des communautés épistémiques, groupes d’experts reconnus par leurs compétences vis-à-vis d’un sujet en particulier (Haas, 1992). Les concepts appliqués à l’échelle locale sont conçus par cet oligopole lors de réunions, de forums et de conférences internationales. La participation d’acteurs locaux demeure réduite, et se limite à la phase d’application des projets et non aux processus de conceptions. C’est pour cette raison que ces concepts et méthodologies sont perçus comme « artificiels » et « étrangers » par ces acteurs locaux. De nombreuses activités sont orientées par la méthodologie de Gestion Intégrée des Ressources en Eaux (GIRE). Cette méthodologie qui propose comme unité de gestion idéale le bassin versant, a été créée par les pays du Nord et importée vers le Sud. Nous avons décidé d’analyser les discours des organisations internationales par rapport à la GIRE. D’abord, il convient de remarquer que la GIRE est avant tout une formule c’est-à-dire un ensemble de formulations qui cristallisent des enjeux politiques et sociaux. Cette formule est présentée comme la seule solution possible, devenant ainsi un discours institutionnel hégémonique qui se prétant consensuel (Trottier, 2012 ; Zeitoum & Warner, 2006).En outre, elle ne prend pas en compte d’autres formes de gestion existantes sur ces bassins comme la gestion faite par les populations indigènes. L’étude des projets nous permet de rendre compte que la GIRE est un mot d’ordre qui rencontre une application très difficile à l’échelle locale. L’approche par bassin n’est pas réellement appliquée par les projets, car le discours de la GIRE est flou, creux et ne prend pas en compte les particularités de chaque terrain (Biswas, 2008; Bouquet, 2012; Molle, 2012). 524 La volonté de créer un territoire autour du bassin est une tâche difficile, notamment par la difficulté des acteurs locaux à se l’approprier. Elle rencontre même d’importants opposants parmi les maires et les autorités indigènes qui voient les territoires indigènes affaiblis par la notion de bassin. Le bassin versant est présenté comme une unité naturelle, un fait objectif et consensuel, mais en réalité il est une construction sociale et politique, c’est-à-dire un choix de gestion parmi d’autres (Ghiotti, 2014). Même si ces concepts se présentent comme « neutres » et apolitiques, les principes de la GIRE et la gestion par bassin, nous renvoient à des enjeux éminemment politiques. En effet, ils remettent en cause la capacité de l’Etat à gérer efficacement cette ressource et introduisent des acteurs privés dans la gestion environnementale d’une région frontalière. Il est important de souligner que l’importante présence d’acteurs exogènes dans la gestion de l’environnement n’est pas exclusive de l’Isthme centraméricain. C’est un phénomène qui peut être observé dans d’autres régions du monde, notamment en Afrique. Des chercheurs comme E. Rodary, D. Dumoulin et C. Bouquet, ou encore S. Jaglin (Bouquet, 2012; Dumoulin & Rodary, 2005; Jaglin, 2007) se sont intéressés au rôle des ONG internationales et aux transferts de concepts et méthodologies dans ce continent. Malgré la différence de contextes entre l’Afrique et l’Amérique centrale, ces auteurs arrivent à des conclusions très similaires, notamment par rapports aux faibles impacts des projets, au manque d’appropriation locale et à l’imposition de méthodologies du Nord qui parfois ne correspondent pas aux besoins des localités. Coopérer sans se positionner ? L’effacement de la conflictualité socio-environnementale L’analyse des discours des organisations internationales et de leurs projets nous a permis de constater qu’elles proposent de gérer de façon technique des enjeux socio-environnementaux qui impliquent un débat politique. Cette dépolitisation de la question environnementale a été observée dans ces projets à travers deux processus. Le premier, concerne les processus de participation que ces organisations encouragent à travers des dispositifs de gouvernance où ils excluent les acteurs ayant des positions divergentes. Le deuxième, se rapporte au processus d’effacement, réalisé par les stratégies d’intervention proposées par les organisations internationales et les Etats, des conflits socio-environnementaux identifiés comme prioritaires par les acteurs locaux. 525 Tour d’abord, il convient de remarquer que la question de la participation est centrale dans tous les projets étudiés et elle est présentée autour du discours de la gouvernance. Les organisations internationales dans leurs discours mettent en valeur la gouvernance comme un moyen de renforcer la démocratie participative. La gouvernance, en tant que concept polysémique omniprésent dans les discours de la coopération internationale, se présente en théorie comme non hiérarchique. Elle encourage la participation au même titre d’acteurs publics, privés (entreprises) et de la société civile, désacralisant ainsi la division historique existante entre le privé et le public. Dans les bassins étudiés, nous avons étudié les processus de gouvernance appliqués à travers des dispositifs délibératifs (Plateformes Multi-acteurs) et normatifs (Codes de Conduites) (Alphandery, Djama, Fortier, & Fouilleux, 2012). L’examen de ces dispositifs nous a permis de conclure qu’ils étaient très dépendants des projets de coopération qui les financent, les convoquent et fixent leurs agendas. En réalité, ces PMA et ces Codes ont une capacité d’action très restreinte, puisque les décisions qu’ils génèrent ne sont ni représentatifs ni légitimes, principalement parce que les acteurs qui y participent sont choisis par ces mêmes organisations selon des critères de proximité idéologique. En effet, ils représentent généralement les élites locales et techniques existantes sur ces bassins, lesquelles sont fondamentalement les alliées de ces projets. La non inclusion d’acteurs « radicaux », ou qui ont des positions différentes ou adverses, dans ces dispositifs de gouvernance, permet à ces organisations exogènes d’esquiver les conflits et les débats idéologiques. Comme ils ne représentent que les secteurs proches des projets, nous estimons qu’ils aspirent à gérer la nature de façon sectorielle, limitant ainsi la participation d’acteurs considérés comme de possibles adversaires. Ces dispositifs, tels qu’ils sont, ne renforcent pas la démocratie comme les organisations internationales le déclarent dans leurs discours. Bien au contraire, ils mettent en place un pluralisme limité, et aplanissent les conflits, limitant ainsi un véritable débat public. Pour que ces dispositifs deviennent des instruments qui puissent effectivement renforcer la démocratie, leur reformulation est nécessaire. Ils doivent d’abord garantir la représentativité et la participation équitable des acteurs et ensuite, ils doivent assurer en interne, la transparence et la reddition des comptes. Mais aussi, ils doivent s’ouvrir à un véritable débat public sur des thématiques définies par les acteurs locaux comme prioritaires, même si elles sont perçues comme sensibles ou radicales. 526 Cette recherche a contribué également à identifier les conflits socio-environnementaux les plus significatifs pours les acteurs interrogés. Il est intéressant de constater que sur les deux bassins étudiés, malgré leurs différences, les principales problématiques sont les mêmes : la propriété de la terre et l’expansion des monocultures (ananas et banane). Deux problématiques qui sont aujourd’hui à l’origine des principaux conflits socio- environnementaux dans ces deux bassins. Toutefois, l’examen des stratégies d’intervention des Etats et des organisations internationales, nous a permis de déceler que ces conflits ne sont pas considérés comme prioritaires et ils ne sont pas pris en charge ni par l’Etat, ni par les organisations internationales. Dans le cas de la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua, dans les discours gouvernementaux la frontière est réduite aux problématiques liées au fleuve (« San Juanisation » de la frontière) et aux conflits binationaux. Dans ce contexte, ces gouvernements effacent non seulement les débats liés aux dénonciations de corruption et aux problèmes socio-économiques qui existent à l’échelle nationale, mais aussi les enjeux socio- environnementaux identifiés à l’échelle locale. Dans ces deux bassins, il a été intéressant de remarquer comment les projets de coopération ignorent ces problématiques et évitent toute prise de position. Ces projets proposent des actions de reboisement, de formation en GIRE, d’adaptation au changement climatique, de mise en place de plateformes multi-acteurs, mais ils ne proposent pas des actions spécifiques pour faire face à l’expansion des monocultures ou aux problématiques liées à la propriété de la terre. Nous n’avons identifié aucune action qui aille dans ce sens, ce qui soulève une dissociation entre les conflits locaux et les stratégies d’intervention proposées par l’Etat et les organisations internationales. Nous estimons que la « non prise en charge » de ces conflits ainsi que leur effacement dans les projets et dans les politiques gouvernementales est volontaire. Le manque d’intérêt des Etats est particulièrement visible dans l’absence de restrictions et de contrôle à l’égard de l’expansion de ces activités agricoles. Il est clair aussi que les organisations internationales ont leurs propres agendas, liés aux intérêts des bailleurs de fonds et des initiatives globales. Ces bailleurs de fonds sont en général des Etats, des institutions financières et des entreprises du Nord (Robinson, 2003, p. 227). Les projets mettent en évidence que ces organisations ne peuvent pas se détacher des exigences des bailleurs de fonds parce qu’elles dépendent de leurs 527 ressources et de leur soutient pour exister. Les agendas de ces organisations sont ainsi conçus « ailleurs », ce qui souligne un transfert vertical d’agendas et de méthodologies du Nord vers le Sud. Comme l’affirme, W. Robinson, l'aide au développement a toujours été un instrument des pouvoirs hégémoniques qui cherchent à ouvrir de nouveaux marchés, à faciliter l'accès aux ressources naturelles et à intégrer les régions postcoloniales à l'économie capitaliste mondiale (Robinson, 2003, p. 227). Après l’analyse des positions que ces organisations internationales ont assumé lors de conflits liés aux monocultures ou à l’exploitation minière, nous pouvons affirmer qu’elles ne cherchent pas à mettre en cause ces systèmes de production intensifs, ni les modèles de développement, ni les logiques de répartition de la terre. Elles ne proposent pas de véritables changements ; au contraire, elles encouragent une logique d’adaptation au lieu de se confronter aux véritables causes qui génèrent pollution et exclusion. En outre ces organisations se mettent à distance des mouvements sociaux qu’elles considèrent radicaux, représentant ainsi plutôt les intérêts de ces élites locales-transnationales et non ceux des secteurs populaires. En revanche, les organisations locales assument plus de risques en participant aux luttes sociales comme les mouvements contre l’exploitation pétrolière (Sixaola) et minière (San Juan). Toutefois, elles adoptent une position souvent modérée parce qu’elles ne veulent pas paraître radicales, ce qui pourrait les éloigner des projets et de leurs financements, dont elles sont très dépendantes et sans lesquels elles n’existeraient plus. Ainsi nous concluons que ces organisations internationales dépolitisent la société puisqu’elles limitent le débat public en excluant les acteurs considérés comme « contestataires ». En plus, elles extraient de ces débats sur la conservation de l’environnement le caractère « idéologique ». En effet, les conflits liés à l’expansion de monocultures impliquent un débat idéologique. Il convient de préciser que les monocultures sont développées par des grandes entreprises transnationales (Chiquita, PINDECO, DOLE, TICOFRUT, entre autres) qui non seulement polluent les ressources naturelles (la terre, les nappes phréatiques, les marécages) en les épuisant, mais également exploitent la main-d’œuvre locale et migrante. Ces disputes socio-environnementales sont le résultat de l’inégal accès aux ressources naturelles, de la mauvaise répartition de la richesse, ainsi que de la confrontation de territorialités multiples qui proposent différentes conceptions du développement (Guyot & Dellier, 2011, p. 121). Ces territoires qui représentent des modèles de développement différents sont les territoires 528 indigènes, les aires protégées ou les territoires administrés par les entreprises bananières. Nous estimons que prendre position contre ces conflits implique aussi de prendre une position idéologique par rapport aux modes de production capitaliste, qui encouragent selon David Harvey une « logique d’accumulation par dépossession » (Harvey, 2004, p. 114). Cette dépossession se met en place par le transfert d’actifs locaux vers l’extérieur par l’intermédiaire d’acteurs exogènes comme ces entreprises transnationales. Ces dernières accumulent de la richesse en dépit de la pollution et de la dégradation irréversible qu’elles font sur ces territoires frontaliers (Harvey, 2004, p. 114). C’est ainsi que nous soutenons qu’il est impossible de concevoir une véritable gestion intégrée de ces bassins versants en ignorant des problématiques comme l’expansion de ces activités agricoles et extractrices (mines et pétrole), qui sont la principale cause de pollution. Le fait que les organisations internationales et les Etats ignorent ces problématiques, implique ainsi une certaine indulgence. Ces organisations ne veulent pas remettre en cause l’ordre ou les problèmes structurels. Le rôle joué par ces organisations a un effet pervers parce qu’elles démobilisent d’autres formes d’actions collectives qui cherchent à initier de vraies transformations, notamment parce que ces organisations internationales sont devenues dans la plupart des cas les seules interlocutrices des Etats et des OIG. Au début de cette thèse, nous estimions que les Etats avaient été mis sur la touche par ces organisations, puisque dans leurs discours ces organisations les présentaient comme inefficaces, raison pour laquelle elles entendaient stimuler la participation d’acteurs privés dans la gestion de l’environnement. Cependant, nous concluons que les Etats centraux sont bien présents sur ces régions de frontières notamment autour des questions de sécurité et de contrôle. Mais en ce qui concerne les questions liées à la conservation de l’environnement et au développement, ils ont volontairement cédé certaines responsabilités et compétences à ces organisations internationales. Nous estimons donc que les Etats sont souvent complices de ces organisations internationales dans ce processus de dépolitisation de la question environnementale. Au final les Etats, autorisent seuls ce modèle de production prédateur. 529 Nouvelles pistes à creuser… Cette thèse nous a permis une meilleure compréhension des dynamiques de coopération et de conflits qui se mettent en place sur les bassins transfrontaliers des fleuves San Juan et Sixaola. Cette recherche ouvre des pistes sur plusieurs thématiques qui pourront être intéressantes à traiter a posteriori. L’une des thématiques apparues a été la confrontation qui peut surgir entre l’application de la gestion par bassin et les territoires indigènes, brièvement traitée pour le cas du bassin du fleuve Sixaola. Un travail plus approfondi pourrait soulever des nouvelles dimensions non encore étudiées. Des recherches sur l’application de la gestion par bassin en Afrique subsaharienne, portées par L. Descroix (Descroix, 2012), nous apportent la preuve que ces types de confrontation ne sont pas exclusives de ce bassin, mais qu’elles existent dans d’autres territoires où des populations autochtones résistent à l’implantation du bassin versant comme unité de gestion idéale. Par ailleurs, cette recherche s’est centrée dans l’analyse des acteurs collectifs, laissant l’acteur individuel au second plan. Lors des entretiens, nous avons pu percevoir comment une entrée intéressante l’analyse que les trajectoires personnelles des acteurs pourrait apporter, pouvant enrichir la compréhension de la coopération et des conflits transfrontaliers autour de l’environnement. En effet, certaines actions de coopération se maintiennent et ont parfois du succès grâce notamment à l’intérêt et à la volonté politique portée par certains acteurs individuels. L’analyse des mouvements sociaux s’impose également comme un autre volet de recherche qui reste encore à développer. Notre thèse s’est effectivement concentrée sur l’analyse des acteurs collectifs et plus particulièrement, sur le rôle d’organisations internationales (ONG, OIG, BID). Nous avons pu identifier d’importants mouvements sociaux comme le Front contre l’expansion de monocultures, ou les mouvements contre l’extraction minière très actifs sur ces frontières et dont leurs formes d’organisation spatiale, leur fonctionnement et leurs répertoires d’actions nous paraissent conformer un intéressant sujet de recherche qui conviendrait de creuser d’avantage. 530 Bibliographie Akrich, M., Callon, M., & Latour, B. (2006). Sociologie de la traduction: textes fondateurs. Ecole des mines de Paris Allard, P., Smadja, J., & Roué, M. (2006). Rôle du politique, de l’Etat et des groupes sociaux dans le discours sur la crise environnementale. In Temps et espaces des crises de l’environnement (Corinne Beck et all., pp. 301–312). France: Editions Quae. Alphandery, P., Djama, M., Fortier, A., & Fouilleux, E. 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Annexe 4 Accord Opératoire pour le fonctionnement de la Convention entre le Costa Rica et le Panamá sur la coopération pour le développement frontalier Annexe 5 Accord de Coopération ente les gouvernements du Costa Rica et du Nicaragua, janvier 1991 Annexe 6 Accord Compémentaire de Coopération environnementame et de ressources naturels frontaliers entre les gouvernements du Costa Rica et du Niacaragua Annexe 7 Membres de la Commission Binationale du Bassin du fleuve Sixaola Annexe 8 Liste d’acteurs intérrogés lors du premier terrain (juin-octobre 2010) Annexe 9 Liste d’acteurs intérrogés lors du deuxième terrain (juin-octobre 2012) Annexe 10 Guide d’entretien utilisé lors du deuxième terrain au bassin du fleuve Sixaola (Costa Rica-Panamá) Annexe 11 Guide d’entretien utilisé lors du deuxième terrain au bassin du fleuve San Juan (Costa Rica Nicaragua) Annexe 12 Première Rencontre Binationale de Maires, Intitutions Politiques et Société Civile Nicaragua-Costa Rica 2007 555 556 Annexes 363 Annexe 1 Aliance pour le Développement Durable (ALIDES) El Consejo Centroamericano para el Desarrollo Sostenible, instancia de impulso de la Alianza, promoverá y negociará ante países, bloques de países y regiones, así como ante organismos regionales e internacionales de cooperación, de común acuerdo y con el apoyo de las instituciones responsables directas, tanto a nivel nacional como regional, la suscripción de acuerdos dirigidos a complementar el desarrollo sostenible en Centroamérica. Centroamérica definirá derechos y responsabilidades enmarcados en la Agenda 21 de Río de Janeiro, con el objeto de aspirar a transformarse en un modelo de desarrollo sostenible para todo los países en donde el respeto a la vida en todas sus manifestaciones; la mejora permanente de su calidad; el respeto a la vitalidad y diversidad de nuestra tierra; la paz; la democracia participativa; el respeto, promoción y tutela de los derechos humanos, así como el respeto a la pluriculturalidad y diversidad étnica de nuestros pueblos, la integración económica de la región y con el resto del mundo, así como la responsabilidad intergeneracional con el desarrollo sostenido, serán los principios que nos regirán hacia el futuro. CONCEPTO DE DESARROLLO SOSTENIBLE Debido a las peculiaridades y características propias de la región centroamericana, el concepto de desarrollo sostenible que adoptamos es el siguiente: Desarrollo sostenible es un proceso de cambio progresivo en la calidad de vida del ser humano, que lo coloca como centro y sujeto primordial del desarrollo, por medio del crecimiento económico con equidad social y la transformación de los métodos de producción y de los patrones de consumo y que se sustenta en el equilibrio ecológico y el soporte vital de la región. Este proceso implica el respeto a la diversidad étnica y cultural regional, nacional y local, así como el fortalecimiento y la plena participación ciudadana, en convivencia pacífica y en armonía con la naturaleza, sin comprometer y garantizando la calidad de vida de las generaciones futuras. PRINCIPIOS DE LA ALIANZA PARA EL DESARROLLO SOSTENIBLE A continuación, enumeramos los siete principios fundamentales que los centroamericanos adoptamos para lograr el desarrollo sostenible. Estos principios prevalecerán en todas las políticas, programas y actividades promovidas por los Estados, individual y conjuntamente así como por la sociedad civil, en atención a que constituyen la base de los objetivos y compromisos de interés común. 1. EL RESPETO A LA VIDA EN TODAS SUS MANIFESTACIONES El fundamento de la vida es una ética y escala de valores morales basados en el respeto, la responsabilidad personal y la consideración hacia los otros seres vivos y la tierra. El desarrollo sostenible no se logrará a expensas de otros grupos o de las generaciones futuras, ni amenazará la supervivencia de otras especies. 2. EL MEJORAMIENTO DE LA CALIDAD DE LA VIDA HUMANA La finalidad del desarrollo sostenible es mejorar y garantizar la calidad de la vida humana. Esto permitirá que las personas desarrollen sus potencialidades y puedan llevar una vida digna y de realización. Para ello es imperativo brindar seguridad mediante el desarrollo humano, el fomento a la participación social en democracia, el respeto a la pluralidad cultural y la diversidad étnica, el acceso a la educación y el fomento de la formación técnica y profesional que contribuya al crecimiento económico con equidad. 3. EL RESPETO Y APROVECHAMIENTO DE LA VITALIDAD Y DIVERSIDAD DE LA TIERRA DE MANERA SOSTENIBLE El desarrollo local, nacional y regional se basará en el aprovechamiento y manejo sostenible de los recursos de la tierra; la protección de la estructura, funciones y diversidad de los sistemas naturales, de los cuales depende la especie humana y otras especies. Con esta finalidad, se encaminarán las acciones correspondientes para: � _Conservar los sistemas que sustentan la vida y los procesos ecológicos que modelan el clima y la calidad del aire y el agua, regulan el caudal de aguas, reciclan elementos esenciales, crean y generan suelos y permiten a los ecosistemas renovarse a sí mismos; 363 Sigles en Espagnol 557 � _Proteger y conservar la biodiversidad de todas las especies de plantas, animales y otros organismos; de las poblaciones genéticas dentro de cada especie y de la variedad de ecosistemas; � _Velar por la utilización sostenible de los recursos naturales, en particular el suelo, las especies silvestres y domesticadas, los bosques, las tierras cultivadas y los ecosistemas marinos y de agua dulce. 4. LA PROMOCION DE LA PAZ Y LA DEMOCRACIA COMO FORMAS BASICAS DE CONVIVENCIA HUMANA La libertad política; el respeto, tutela y promoción de los derechos humanos; el combate a la violencia, la corrupción Y la impunidad; y el respeto a los tratados internacionales validamente celebrados, son elementos esenciales para la promoción de la paz y la democracia como formas básicas de convivencia humana. La paz y la democracia se fortalecen por medio de la participación ciudadana. En este sentido, el fortalecimiento de las instituciones democráticas, de los mecanismos de participación y del estado de derecho son indispensables para el desarrollo sostenible. 5. EL RESPETO A LA PLURICULTURALIDAD Y DIVERSIDAD ETNICA DE LA REGION. Los países centroamericanos, en distinta medida, son sociedades conformadas por una diversidad étnicas y cultural representa una gran riqueza que debe ser preservada, creando las condiciones para que, en un marco de libertad, todas las expresiones culturales puedan desarrollarse, y en particular las indígenas, en su condición de culturas originarias que han padecido una situación de subordinación a raíz de la conquista y colonización. El derecho a la identidad cultural es un derecho humano fundamental y la base para la coexistencia y la unidad nacional. En las áreas de mayor diversidad biológica en la región están presentes generalmente pueblos indígenas, que en algunos casos practican formas de vida coherentes con la preservación del medio natural. La concepción del mundo indígena es favorable a este objetivo, en la medida en que percibe a la naturaleza como inseparable del ser humano. Por ello, el respeto a la diversidad étnica y el desarrollo de las culturas indígenas, que es un objetivo en sí mismo, coincide con el respeto al medio natural. Sin embargo, para que el respeto al medio ambiente se concrete en una práctica coherente se necesita que, junto con las concepciones, existan opciones de desarrollo autosostenible accesibles a la población. El respeto a la diversidad étnica sólo puede producirse en un marco de paz y de democracia y facilitando el acceso a las oportunidades de desarrollo sostenible. 6. EL LOGRO DE MAYORES GRADOS DE INTEGRACION ECONOMICA ENTRE LOS PAISES DE LA REGION Y DE ESTOS CON EL RESTO DEL MUNDO. Dentro de un marco de globalización es indispensable que los beneficios del libre comercio sean asequibles a toda la región; en particular, mediante la promoción y puesta en ejecución, por parte de los países más desarrollados, de Políticas que permitan construir en el más breve plazo, una gran zona de libre comercio e integración económica a la que tengan acceso los países centroamericanos, en condiciones adecuadas y salvaguardando las especificidades propias de sus niveles de desarrollo. 7. LA RESPONSABILIDAD INTERGENERACIONAL CON EL DESARROLLO SOSTENIBLE. Las estrategias, políticas y programas de los Estados promoverán el desarrollo sostenible y el bienestar de las presentes y futuras generaciones, potenciando el mejoramiento humano en los distintos ámbitos: político, económico, social, cultural y ambiental. BASES DE LA ALIANZA PARA EL DESARROLLO SOSTENIBLE El desarrollo sostenible es un enfoque integral del desarrollo que demanda hacer esfuerzos simultáneos en las cuatro áreas base de esta Alianza y avanzar en éstas de forma equilibrada. La democracia, caracterizada por la participación social en las decisiones que afectan a la sociedad, demanda que las políticas públicas y las formas de producir y convivir de los ciudadanos sean amplias y participativas. Asimismo, para tener éxito en el combate a la pobreza es necesario que haya crecimiento económico, y para que exista, es necesario que mejore la calidad del recurso humano y realizar acciones que mejoren las oportunidades económicas de los más desfavorecidos mediante una política social. La democracia y el desarrollo económico y social, no son sostenibles si no se conserva el medio ambiente y los recursos naturales. Todo lo cual reitera que el aporte de este enfoque del desarrollo sostenible es precisamente el énfasis en la necesidad de hacer esfuerzos simultáneos por lograr democracia, crecimiento 558 económico con equidad, desarrollo social y manejo sostenible de los recursos naturales y el mejoramiento de la calidad ambiental. 1. DEMOCRACIA La democracia como forma básica de convivencia humana y el desarrollo sostenible están íntimamente vinculados. Sólo en una sociedad democrática y participativa y en un estado de derecho se alcanzará el bienestar y la justicia en Centroamérica. El apoyo a la consolidación de la democracia, la tutela y garantía plena a los derechos humanos, son la expresión del respeto a la dignidad humana, por lo que se constituye en uno de los enfoques principales del desarrollo sostenible. La búsqueda de la descentralización y desconcentración de la actividad política, económica y administrativa del Estado son factores para la viabilidad del proceso, así como el fortalecimiento y la consolidación de las . instituciones democráticas, administraciones locales y gobiernos municipales También es importante el fortalecimiento de las organizaciones no gubernamentales y comunitarias. Derivada de esta forma de convivencia humana, la paz firme y duradera permite lograr el desarrollo sostenible, el cual requiere de relaciones armoniosas entre los seres humanos y entre éstos y el medio natural. 2. DESARROLLO SOCIO CULTURAL El reto social prioritario es superar los niveles de pobreza extrema en los países. La pobreza no es sólo prueba de un grave estado de atraso, sino también testimonio de desigualdad, obstáculo a la armoniosa conciliación e integración nacional y amenaza latente a la convivencia democrática y a la paz firme y duradera. El desarrollo social dentro del desarrollo sostenible centroamericano se basa en los criterios de subsidiariedad, solidaridad, corresponsabilidad, auto-gestión y atención a las necesidades básicas de la población; así como en la capacitación y participación de las comunidades. Los responsables principales serán las comunidades y sus organizaciones, las instituciones intermediarias y los gobiernos locales. El éxito del desarrollo sostenible de la región descansa en la formación y fortalecimiento de estructuras municipales responsables de la organización y participación comunitaria, así como de los servicios sociales bajo el principio de la descentralización, con amplia participación de los beneficiarios. Las áreas de atención estarán dirigidas a: a) Invertir en el recurso humano. En este sentido se dará prioridad a la educación básica, la salud preventiva, el saneamiento ambiental y la formación y capacitación; b) Ejecutar programas de apoyo a la familia y grupos vulnerables a fin de posibilitar un desarrollo integral de los menores, adolescentes, ancianos y la mujer; c) Mejorar el acceso de los grupos de menores ingresos a los servicios de prestación social y a la infraestructura social y económica; d) Aumentar las oportunidades de acceso a empleos. Con ello se busca crear condiciones para generar actividades productivas mediante el fortalecimiento del crédito a la micro y pequeña empresa, asistencia técnica y otras acciones que mejoren las oportunidades económicas de los más necesitados. Un elemento fundamental es el desarrollo de la conciencia Publica en relación con la importancia que conlleva la promoción del desarrollo sostenible. El respeto a la vida en todas sus manifestaciones y a su soporte natural -el territorio-, implica un conjunto de valores favorables al desarrollo de la identidad nacional, en el marco de la pluralidad cultural y diversidad étnica. Asimismo, el desarrollo sostenible establece un conjunto de actitudes, hábitos y estilos de vida que fortalecen la solidaridad, y junto con ello la identidad. Se considerará y aprovechará en forma adecuada el patrimonio cultural histórico y el patrimonio natural para la promoción de actividades económicas y sociales sostenibles y se promoverá el desarrollo de la creatividad en el arte, la ciencia y la tecnología. 3. DESARROLLO ECONOMICO SOSTENIBLE El desarrollo económico sostenible del istmo se fundamenta en la libertad, la dignidad, la justicia, la equidad social y la eficiencia económica. La administración racional y eficiente de políticas macroeconómicas y sectoriales, así como el mantenimiento de reglas claras, congruentes y consistentes, son un requisito indispensable para el alcance y permanencia de condiciones de estabilidad económica y social. Nuestro ordenamiento socio-económico futuro conjuga todo aquello que es esencial para la convivencia pacífica de los integrantes de la sociedad y la humanización de la economía, así como la integración de los criterios costo-beneficio en ella, de los aspectos relacionados con el deterioro del ambiente y la utilización racional de los recursos naturales. El mejoramiento a la infraestructura económica, especialmente en las áreas de energía eléctrica, telecomunicaciones y transporte, también es un elemento fundamental, no sólo para el incremento de la 559 productividad de las economías de la región, sino para el desarrollo mismo de la actividad económica en general. La vulnerabilidad de las economías de nuestra región, dependientes de exportaciones de un reducido número de materias primas, se ha reflejado en la persistencia de una considerable brecha externa. En consecuencia es indispensable obtener un mejor acceso de nuestros productos a las economías industrializadas. La carga de la deuda y sus pagos por servicio ha impuesto a nuestros países graves restricciones a su capacidad de acelerar el crecimiento y erradicar la pobreza, por lo que para lograr la reactivación del desarrollo será indispensable que se dé cuanto antes una solución duradera a los problemas de endeudamiento externo. Se contará con las estrategias financieras necesarias que aseguren los recursos para el desarrollo sostenible, tanto de fuentes internas como externas. En este sentido, se podría contemplar la utilización de los mecanismos de condonación, conversión y reprogramación de deudas bilaterales y multilaterales, de acuerdo con las circunstancias de cada país, el establecimiento de fondos rotativos y en fideicomiso, así como la reestructuración y reasignación de los presupuestos nacionales, dándoles su debida prioridad a los objetivos del desarrollo sostenible, y readecuando los gastos de seguridad y defensa en concordancia con la realidad de los países y el clima de paz que avanza en la región. El modelo de desarrollo sostenible de la región estimula la creciente participación del sector privado y el pleno desarrollo de su capacidad creativa. Se dirige hacia la promoción de inversiones directas, entre otras, para la dotación de servicios a los grupos más necesitados por constituir éste un medio para aumentar la productividad y competencia, así como para mitigar la pobreza. Asimismo, se desarrollarán iniciativas para el aprovechamiento racional de las fuentes renovables de energía, el fomento del comercio y la inversión productiva sostenible, el estímulo al ahorro, la desburocratización de la administración pública, el apoyo a la investigación y el desarrollo de tecnologías limpias por medio del establecimiento de centros de investigación que faciliten a nivel centroamericano el desarrollo de estándares técnicos ambientales, la certificación de calidad ambiental de nuestros productos de exportación, que coadyuven al proceso de reconversión industrial que se está llevando a cabo en la región, así como la utilización de procesos de producción sostenible, incorporando medidas preventivas y no reactivas como las evaluaciones permanentes de impacto ambiental. El desarrollo de recursos humanos es al mismo tiempo una condición básica para el incremento de la productividad y un vehículo importante para una mayor equidad social. En este sentido, debe asignarse un énfasis especial a la inversión en educación y salud, especialmente de cara a los grupos más necesitados, como medio para aumentar la productividad, mejorar la competitividad y reducir la pobreza de la región. Debido a las condiciones de la actividad turística en la región, es necesario asegurar un equilibrio dinámico entre la protección y la conservación del ambiente y el desarrollo de esta actividad, con respeto al patrimonio natural y cultural de nuestros pueblos. El fortalecimiento y consolidación de los compromisos centroamericanos de integración, son elementos fundamentales para el mejoramiento de la calidad de vida de la población para incrementar el comercio intrarregional, la apertura de nuevos mercados, y la inserción de Centroamérica en la economía mundial. Esta inserción requiere que todos los países apliquen los compromisos ya asumidos para detener el proteccionismo y ampliar aún más el acceso a los mercados, sobre todo en los sectores que interesan a los países en desarrollo. Por tanto, es urgente conseguir un mejoramiento de las condiciones de acceso de los productos básicos a los mercados, en particular mediante la supresión gradual de las barreras que restringen las importaciones de productos básicos primarios y elaborados de los países centroamericanos, y la reducción considerable y paulatina de los tipos de apoyo que inducen una producción poco competitiva, tales como los subsidios de producción y exportación. 4. MANEJO SOSTENIBLE DE LOS RECURSOS NATURALES Y MEJORA DE LA CALIDAD AMBIENTAL El agotamiento y deterioro de la base renovable de los recursos naturales es un problema para el desarrollo futuro en Centroamérica. La contaminación del agua, el aire y la tierra se ha incrementado rápidamente en la región y probablemente continúe si no se reorientan los procesos actuales de desarrollo e industrialización. La principal amenaza radica en la pérdida de bosques y la disminución y deterioro de los caudales y calidad del agua, lo que a su vez es una de las causas principales de enfermedad y muerte, sobre todo en las poblaciones marginales. El manejo sostenible de los recursos naturales y el mejoramiento de la calidad ambiental constituyen mecanismos de protección a los procesos ecológicos y a la diversidad genética esenciales para el mantenimiento de la vida. Asimismo, contribuyen al esfuerzo permanente de preservar la diversidad biológica, áreas protegidas, control y prevención de la contaminación del agua, el aire y la tierra y permiten el uso sostenido de los ecosistemas y la recuperación de aquellos que se han deteriorado. A fin de garantizar que la conservación del entorno humano sea un instrumento que viabilice y fomente el desarrollo sostenible, los países nos hemos comprometido al diseño de políticas, con base en el marco jurídico interno y externo, en las áreas de ordenamiento territorial, energía, transporte, asentamientos humanos y 560 población, bosques y diversidad biológica, control y prevención de la contaminación del agua, el aire y la tierra, entre otras. Ante la grave situación que atraviesan los países centroamericanos se hace indispensable la formulación de una política y un plan maestro de generación, comercialización Y consumo energético; promoviendo el uso de fuentes de energía renovables y alternas; programas de eficiencia energética y la interconexión eléctrica centroamericana. OBJETIVOS DE LA ALIANZA PARA EL DESARROLLO SOSTENIBLE Generales 1. Hacer del istmo una region de paz, libertad, democracia y desarrollo, a traves de la promocion del cambio de actitudes personales y sociales que aseguren la construccion de un modelo de desarrollo sostenible en lo politico, economico, social, cultural y ambiental, en el marco de la agenda 21. 2. El manejo integral sostenible de los territorios para garantizar la conservacion de la biodiversidad de la region para nuestro beneficio y el de la humanidad. 3. Transmitir a la comunidad internacional los alcances de la alianza asi como la importancia y los beneficios comunes que se derivan del apoyo a este modelo centroamericano sostenible. 4. Fomentar condiciones que fortalezcan permanentemente la capacidad y participacion de la sociedad para mejorar la calidad de vida presente y futura. Estos objetivos se desarrollan en un anexo que forma parte integral e inseparable de esta alianza para el desarrollo sostenible. INSTRUMENTOS DE LA ALIANZA PARA EL DESARROLLO SOSTENIBLE 1. CONSEJO NACIONAL PARA EL DESARROLLO SOSTENIBLE. 2. Los Gobiernos hemos acordado la integración de Consejos nacionales para el Desarrollo Sostenible con representación del Sector Público y de la Sociedad Civil. Las áreas de acción y responsabilidades de los Consejos nacionales para el Desarrollo Sostenible en cada país, mantendrán la coherencia y consistencia de las políticas, Programas y proyectos nacionales con la estrategia del desarrollo sostenible. 2. CONSEJO CENTROAMERICANO PARA EL DESARROLLO SOSTENIBLE. Se crea el Consejo Centroamericano para el Desarrollo Sostenible, el cual estará integrado por los Presidentes Centroamericanos y el Primer Ministro de Belice, quienes podrán delegar su representación. El Consejo adoptará y ejecutará sus decisiones, compromisos y demás acuerdos relacionados con el Desarrollo Sostenible a través de los Organismos e Instituciones centroamericanas. El Consejo de Ministros de Relaciones Exteriores, conjuntamente con el Canciller de Belice, será el órgano coordinador de las decisiones presidenciales y contará para sus trabajos con el apoyo de la Secretaría General del Sistema de la Integración Centroamericana, SG-SICA, la cual actuará en estrecha relación con las Secretarías Técnicas de los Subsistemas y Entidades Regionales. El Consejo Centroamericano para el Desarrollo Sostenible adoptará los mecanismos que aseguren la participación de la Sociedad Civil en todo el proceso del Desarrollo Sostenible. En particular el Comité Consultivo a que se refiere el Protocolo de Tegucigalpa. Adoptamos la presente Alianza para el Desarrollo Sostenible, en la ciudad de Managua, República de Nicaragua, a los doce días del mes de Octubre de mil novecientos noventa y cuatro. Anexo Objetivos especificos de la alianza para el desarrollo sostenible Politicos 1. Apoyar los procesos de paz y reconciliacion de los paises de la region. 2. Promover la vigencia plena de los derechos humanos. 3. Fortalecer el estado de derecho y las instituciones democraticas. 4. Combatir la corrupcion y la impunidad 5. Fortalecer la capacidad administrativa y de gestion municipal, a fin de atender directamente los problemas de cada localidad. 6. Perfeccionar los mecanismos de participacion politica y electoral. 561 7. Apoyar formas diversas de organizacion comunitaria que preserven la identidad nacional en el marco de su pluralidad cultural y diversidad etnica. 8. Combatir las causas que originan la violencia y la criminalidad, entre ellas el narcotrafico. 9. Modernizar las instituciones del estado para que respondan eficientemente a sus funciones. Economicos 1. Promover una estrategia de desarrollo sostenible y de integracion interna y hacia afuera, basada en el incremento del mercado interno y las promociones de las inversiones nacionales y extranjeras. 2. Promover politicas de reduccion de los desequilibrios intrarregionales que afecten el desarrollo sostenible de la region. 3. Elevar las tasas de crecimiento economico que Permitan eliminar los niveles de pobreza y garantizar asi la sostenibilidad social y politica de los procesos de apertura economica y democratizacion de los paises de la region. 4. Buscar soluciones conjuntas al tratamiento de la deuda externa. 5. Armonizar regionalmente las politicas macroeconomicas y sectoriales. 6. Estimular inversiones y procesos productivos sostenibles. 7. Promover un amplio estudio y debate sobre las reformas economicas e institucionales que deben impulsar los paises de centro america para negociar conjuntamente un tratado de libre comercio e inversion con los países del hemisferio. 8. Promover la generacion y transferencia de tecnologias limpias para mejorar la productividad y desarrollo de estandares tecnicos ambientales y estimular la produccion sin deterioro del ambiente. 9. Fomentar y desarrollar el turismo ecologico sostenible. 10. Formular politicas que racionalicen e incentiven las actividades agropecuarias que contribuyan a fomentar el esarrollo rural, consoliden el comercio intrarregional de productos agropecuarios, garanticen la seguridad alimentaria incrementen y diversifiquen las exportaciones, consolidando la articulacion de las cadenas productivas, comerciales y de servicios. 11. Fortalecer la incorporacion de la ciencia y la tecnologia en los procesos productivos mediante el mejoramiento de la capacitacion tecnologica de los recursos humanos; el fortalecimiento y creacion de centros de innovacion tecnologica, el desarrollo de incubadoras de empresas y paquetes tecnologicos. 12. Impulsar la reconstruccion, rehabilitacion y modernizacion de la infraestructura regional, especialmente en materia de transporte, telecomunicaciones y energia, para incrementar La eficiencia y competitividad de los sectores productivos, tanto a nivel nacional, regional como internacional. Sociales 1. Eliminar formas de discriminacion de hecho 0 legal contra la mujer, para mejorar su posicion social y elevar su calidad de vida. 2. Reducir los indices de pobreza extrema, especialmente mediante la creacion de empleos. 3. Reinsertar apropiadamente la poblacion refugiada, desplazada desarraigada en un entorno centroamericano seguro y estable para que puedan disfrutar de todos sus derechos como cudadano y mejorar su calidad de vida en igualdad de oportunidades. 4. Integrar los criterios de subsidiariedad, solidaridad comunitaria, corresponsabilidad y auto-gestion en las politicas de atencion a la pobreza, mediante el desarrollo, la participacion comunitaria y la descentralizacion y desconcentracion economica y administrativa del estado. 5. Fomentar prioritariamente la inversion en la persona humana para su desarrollo integral. Culturales 1. Estimular una etica de vida que promueva y fortalezca el desarrollo sostenible. 2. Fortalecer el desarrollo de la identidad nacional, en el marco de la diversidad cultural y etnica. 3. Promover, proteger y aprovechar en forma adecuada los patrimonios culturales y naturales. 4. Fomentar las expresiones culturales que propicien una relacion adecuada con el medio ambiente. 5. Promover una educacion hacia el cuidado y aprovechamiento sostenible de los recursos naturales. 6. Propiciar la restitucion y retorno de bienes culturales que han sido exportados ilicitamente. Ambientales 1. Armonizar y modernizar los parametros ambientales, la legislacion y las instituciones nacionales encargadas. 562 2. Reducir los niveles de contaminacion de aire, agua y suelo que afectan la calidad de vida. 3. Salvar, conocer y usar la biodiversidad de la region promoviendo entre otras cosas el desarrollo de corredores biologicos y areas protegidas, centros de biodiversidad y jardines biologicos. 4. Fortalecer la capacidad de regulacion, supervision y aplicacion de normas ambientales, asi como la tipificacion de los delitos ambientales. 5. Promover la toma de conciencia y la participacion de la sociedad mediante la incorporacion de los aspectos ambientales en los sistemas educativos formales y no formales. 6. Disminuir consistentemente el ritmo de deforestacion y al mismo tiempo promover la reforestacion y la actividad forestal productiva a nivel regional. 7. Manejar adecuadamente las cuencas hidrograficas para garantizar los diversos usos de los recursos hidricos en calidad y cantidad. 8. Fomentar la discusion regional de politicas comunes sobre nuevos productos ambientalmente compatibles, sellos verdes y estudios de impacto ambiental. 9. Fomentar proyectos de desarrollo sostenible en las zonas fronterizas. Managua, nicaragua, 12 de octubre de 1994. 563 Annexe 2 Convention pour la constitution de la Commission Centraméricane d’Environnement et Développement Convenio Constitutivo de la Comisión Centroamericana de Ambiente y Desarrollo Celebrada en febrero de 1989 (Cumbre Presidencial realizada en San Isidro de Coronado, Costa Rica, los días 10, 11 y 12 de diciembre de 1989). Entra en vigencia el 14 de junio de 1990. Los Presidentes de las Repúblicas de Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras y Nicaragua, conscientes de la necesidad de establecer mecanismos regionales de cooperación para la utilización racional de los recursos naturales, el control de la contaminación y el restablecimiento del equilibrio ecológico; Convencidos que para asegurar una mejor calidad de vida a los pueblos centroamericanos, es preciso propiciar el respeto al medio ambiente en el marco de un modelo de desarrollo sostenible, a fin de evitar los efectos perniciosos que anteriores modelos han tenido sobre los recursos naturales de la región: Conscientes que la cooperación regional debe constituir un instrumento fundamental para la solución de los problemas ecológicos, en razón de la profunda interdependencia entre los países del istmo: Y seguros de que el ordenamiento regional del uso de los recursos naturales y el medio ambiente constituye un factor fundamental para el logro de una paz duradera: Hemos decidido suscribir el presente Convenio que se denominará: Convenio Constitutivo de la Comisión Centroamericana de Ambiente y Desarrollo Capítulo I Artículo I ESTABLECIMIENTO. Por medio del presente Convenio, los Estados Contratantes establecen un régimen regional de cooperación para la utilización óptima y racional de los recursos naturales del área, el control de la contaminación, y el restablecimiento del equilibrio ecológico, para garantizar una mejor calidad de vida a la población del istmo centroamericano. Artículo II OBJETIVOS. El presente régimen persigue los siguientes objetivos: a)Valorizar y proteger el Patrimonio Natural de la Región, caracterizada por su alta diversidad biológica y eco- sistemática; b) Establecer la colaboración entre los países centroamericanos en la búsqueda y adopción de estilos de desarrollo sostenible, con la participación de todas las instancias concernidas por el desarrollo; c) Promover la acción coordinada de las entidades gubernamentales, no gubernamentales e internacionales para la utilización óptima y racional de los recursos naturales del área, el control de la contaminación, y el establecimiento del equilibrio ecológico; d) Gestionar la obtención de los recursos financieros regionales e internacionales necesarios para alcanzar los objetivos del presente régimen: e) Fortalecer las instancias nacionales que tengan a su cargo la gestión de los recursos naturales y del medio ambiente; f) Auspiciar la compatibilización de los grandes lineamientos de política y legislación nacionales con las estrategias para un desarrollo sostenible en la región, particularmente incorporar las consideraciones y parámetros ambientales en los procesos de planificación nacional del desarrollo; g) Determinar las áreas prioritarias de acción, entre otras: Educación y capacitación ambientales, protección de cuencas hidrográficas y ecosistemas compartidos, manejo de bosques tropicales, control de la contaminación en centros urbanos, importación y manejo de sustancias y residuos tóxicos y peligrosos, y otros aspectos del deterioro ambiental que afecten la salud y la calidad de vida de la población: h) Promover en los países de la región una gestión ambiental participativa, democrática y descentralizada. Capítulo II Disposiciones Institucionales Artículo III Se crea la Comisión Centroamericana de Ambiente y Desarrollo la cual será integrada por los representantes nombrados por los gobiernos de cada país. Cada gobierno designará un delegado titular ante la Comisión. La Comisión será auxiliada en sus funciones por las siguientes instancias: a) La Presidencia de la Comisión: b) La Secretaría, y c) Las Comisiones Técnicas Ad-hoc que establezca la Comisión para el cumplimiento de sus funciones: Artículo IV La Comisión estará encargada de dirigir y administrar el régimen a que se refiere este Convenio. Artículo V. ATRIBUCIONES DE LA COMISION. Corresponde a la Comisión: a) La formulación de estrategias para promover el desarrollo ambientalmente sustentable de los países del área; b) La elaboración de un Plan de Acción que ponga en práctica dichas estrategias; c) La aprobación de su Reglamento Interno, así como las regulaciones financieras y administrativas 564 necesarias; d) La dirección superior de la Secretaría y la supervigilancia de la administración del Fondo establecido por el Convenio; e) La designación del Presidente de la Comisión, quien será el Representante Legal. Artículo VI. LA PRESIDENCIA. El Presidente representará a la Comisión ante terceros, convocará las reuniones de la Comisión, y las presidirá. Tendrá la facultad de delegar en el Secretario las atribuciones que considere convenientes. La Presidencia será ejercida por períodos de un año y se alternará de conformidad con el orden alfabético de los países miembros. Artículo VII. LA SECRETARÍA. Es la dependencia ejecutiva con la responsabilidad de cumplir las resoluciones que le asigne la Comisión y su Presidente. Artículo VIII. LA SECRETARÍA. Corresponde a la Secretaría: a) Ejecutar los Acuerdos de la Comisión y especialmente instrumentar el Plan de Acción que establezca; b)Asesorar técnicamente a la Comisión en los asuntos que son de su competencia y formular propuestas para el mejor cumplimiento de los objetivos de este convenio; c) Coordinar y dirigir a los Comités Técnicos que establezca la Comisión: d) Coordinar la cooperación técnica entre los países miembros y Organismos Multilaterales e) Administrar el Fondo previsto en el Convenio de acuerdo con las regulaciones establecidas por la Comisión; f) Administrar al personal de la Secretaría de acuerdo a lo que dispongan las regulaciones que formule la Comisión; g) Representar a la Comisión en los asuntos que ésta le encomiende; h) Coordinar las acciones a nivel nacional con el Delegado Titular o con el Representante Técnico Nacional que éste designe. Artículo IX. LAS COMISIONES TECNICAS. Corresponde a las Comisiones Técnicas asesorar a la Comisión y ejecutar tareas específicas que le sean encomendadas por la misma. Serán coordinadas por el Secretario. Capítulo III Artículo X La Comisión promoverá, la asignación de recursos humanos, materiales y financieros a los programas y proyectos que sean auspiciados por ella. Para ello realizará las gestiones que estime oportunas ante los Gobiernos de los Estados Contratantes y ante los Gobiernos y Organizaciones Internacionales, los Organismos de Desarrollo Regionales y Mundiales, y las Entidades Nacionales e Internacionales de cualquier naturaleza. Artículo XI La Comisión contará con un patrimonio propio para el desempeño de sus funciones, que consistirá en un fondo a integrarse con: a) Los aportes que hagan los Estados Contratantes. b) Los ingresos provenientes de las donaciones y otras contribuciones que reciba la Comisión. c) Los bienes que la Comisión adquiera a cualquier titulo. d) Los ingresos que se deriven de los bienes y recursos financieros de la misma Comisión. Capítulo IV Disposiciones Generales Artículo XII. La Comisión velará porque los beneficios en recursos materiales, humanos y financieros, que se deriven de la aplicación de este Convenio se extiendan en forma equitativa a todos los países parte del mismo. Artículo XIII. RATIFICACION. Este Convenio será sometido a la ratificación de los Estados signatarios, de conformidad con las normas internas de cada país. Artículo XIV. DEPOSITO. Los instrumentos de ratificación serán entregados en el Ministerio de Relaciones Exteriores de la República de Guatemala. Artículo XV. VIGENCIA. Para los tres primeros depositantes el Convenio entrará en vigor ocho días después de la fecha en que se deposite el tercer instrumento de ratificación, y para los demás, en la fecha de depósito de sus respectivos instrumentos de ratificación. Artículo XVI. CAMPO DE APLICACION DEL CONVENIO. Los programas y proyectos a los que se refiere el presente Convenio podrán comprender zonas geográficas que tengan relevancia para la protección de los ecosistemas del área. Artículo XVII. RESOLUCION DE DIFERENCIAS. Las diferencias que surgieren sobre la aplicación o interpretación de este Convenio, serán resueltas en primera instancia y por la vía de la negociación, por una comisión nombrada por los mismos Estados, a petición de cualquiera de ellos. Si la Comisión no pudiere resolver las diferencias, se recurrirá a los mecanismos establecidos en el Derecho Internacional para la solución de diferendos. Artículo XVIII. PLAZO. 565 El Convenio tendrá una duración de diez años, contados desde la fecha de vigencia y se renovará por períodos sucesivos de diez años. El presente Convenio podrá ser denunciado por cualquiera de los Estados signatarios. La denuncia Surtirá efectos para el Estado denunciante, seis meses después de depositada, y el Convenio continuará en vigor entre las demás partes, en tanto permanezcan adheridas a él, por lo menos tres de ellas. En testimonio de lo cual, los Presidentes de las Naciones Centroamericanas, suscribimos el presente Convenio, en la Ciudad de San José, Costa Rica, el día doce del mes de diciembre de mil novecientos ochenta y nueve. 566 Annexe 3 Convention de Coopération pour le Développement Frontalier Costa Rica- Panamá Aprobacion del Convenio entre el gobierno de la republica de Costa rica y el gobierno de la republica de Panamá sobre cooperacion para el desarrollo fronterizo y su anexo ARTICULO 1.- Aprobación Se aprueban el Convenio entre el Gobierno de la República de Costa Rica y el Gobierno de la República de Panamá sobre Cooperación para el Desarrollo Fronterizo y su Anexo, firmados en la ciudad de Sixaola, el 3 de mayo de 1992. El texto es el siguiente: "CONVENIO ENTRE EL GOBIERNO DE LA REPUBLICA DE COSTA RICA Y EL GOBIERNO DE LA REPUBLICA DE PANAMÁ SOBRE COOPERACION PARA EL DESARROLLO FRONTERIZO Y SU ANEXO » El Gobierno de la República de Costa Rica y el Gobierno de la República de Panamá en lo sucesivo denominados conjuntamente las Altas Partes Contratantes: CONVENCIDOS de que la cooperación fronteriza mejorará la actividad económica, elevará el nivel de vida de la población de la región y contribuirá a estrechar aún más los tradicionales lazos fraternales de amistad, comprensión mutua y vocación democrática que existen entre ambos países. CONSIDERANDO que el Convenio para realizar la cooperación fronteriza suscrito entre ambos países el 3 de marzo de 1979 ya cumplió con los objetivos propuestos, que es necesaria una mayor integración de las actividades que se llevan a cabo en la región fronteriza y que en razón de la experiencia desarrollada por las diferentes Comisiones Técnicas Binacionales en los distintos sectores de actividad económica y social, se hace asimismo necesario establecer un nuevo marco jurídico adecuado a las nuevas realidades y metas en materia de cooperación y desarrollo fronterizo. Han resuelto celebrar un nuevo Convenio sobre Cooperación para el Desarrollo Fronterizo, en adelante denominado el Convenio, el cual se regirá por los siguientes artículos: ARTICULO PRIMERO Las Altas Partes Contratantes convienen en celebrar el presente Convenio, con el objeto de ampliar, mejorar y profundizar sus relaciones de cooperación en todos los campos, para contribuir significativamente al desarrollo y mejoramiento social, económico, comercial, ambiental y político en general de la región fronteriza y fortalecer el proceso de integración entre ambas. Para tales efectos las Altas Partes Contratantes, de conformidad con lo establecido en el presente Convenio, ejecutarán conjuntamente programas, proyectos o actividades de preinversión, inversión y asistencia técnica en la región fronteriza en los sectores agropecuario, obras públicas y transportes, salud, recursos naturales, régimen municipal, agroindustria, industria, educación, turismo, planificación y desarrollo rural integrado, así como en todos aquellos otros ámbitos que mutuamente acordaren en el futuro mediante el respectivo Canje de Notas Diplomáticas. ARTICULO SEGUNDO Para el logro de los fines enunciados en el artículo anterior, las Altas Partes Contratantes acuerdan crear una Comisión Binacional Permanente presidida por los respectivos Ministros de Planificación, responsables de la coordinación general, seguimiento y evaluación de los programas, proyectos o actividades que se desarrollen al amparo del presente Convenio. La organización y funciones de esta Comisión se detalla en el ANEXO 1 de este Convenio. ARTICULO TERCERO Los programas, proyectos o actividades que se ejecuten con fundamento en el presente Convenio serán definidos y especificados mediante planes de ejecución suscritos por los Ministros de Relaciones Exteriores y de Planificación de ambos países. Estos planes de ejecución podrán ser modificados en atención a las condiciones 567 existentes y por acuerdo previo de ambas Partes en conformidad con lo indicado en el artículo primero. ARTICULO CUARTO Las Altas Partes Contratantes adoptarán todas las medidas necesarias para el cumplimiento de los objetivos y fines de los programas, proyectos o actividades que se realizarán con fundamento en el presente Convenio, mediante el respectivo Canje de Notas Diplomáticas en relación con los siguientes aspectos: a) Consulares. b) Administrativos, financieros y de control interno de los recursos de cada proyecto. c) Trabajo y seguridad social. d) Control aduanero. e) Tránsito a través del área fronteriza. f) Urbanos y de vivienda. g) Control ambiental, sanidad animal y vegetal. h) Policía y de seguridad. i) Delimitación a las correspondientes áreas de ejecución. j) Cualesquiera otras que las Altas Partes Contratantes estimaren pertinentes. ARTICULO QUINTO Los recursos necesarios para la ejecución de los programas, proyectos o actividades que se realizarán bajo las previsiones del presente Convenio podrán ser aportados por los gobiernos de ambas Partes, por organismos internacionales, gobiernos cooperantes y organizaciones no gubernamentales nacionales e internacionales, que manifiesten interés en suministrar recursos de asistencia técnica y financiera, de carácter tanto reembolsable como no reembolsable a las Altas Partes Contratantes o, bien, a cualquiera de ellas por separado. ARTICULO SEXTO Las Altas Partes Contratantes procurarán que la mano de obra, especializada o no, los materiales, bienes y equipos disponibles en ambos países sean utilizados en forma equitativa y proporcional en cada uno de los programas, proyectos y actividades que se decida ejecutar al amparo del presente Convenio. ARTICULO SETIMO Las Altas Partes Contratantes también adoptarán las medidas necesarias para que sus respectivos nacionales puedan emplearse en trabajos que se realicen en el territorio de uno u otro país indistintamente, en ejecución de los programas, proyectos o actividades que se desarrollen bajo las previsiones del presente Convenio, reconociendo el derecho de aquellos a percibir sus salarios y demás beneficios laborales en la moneda de su respectivo país, y de conformidad con las normas establecidas sobre el particular por las correspondientes legislaciones nacionales. ARTICULO OCTAVO En lo referente a materia tributaria, las Altas Partes Contratantes convienen las siguientes medidas: a) No se aplicarán tributos de ninguna naturaleza a los materiales, bienes y equipos que se adquieran en cualquiera de los países o que se importen de un tercer país, para ser utilizados exclusivamente en la ejecución de cualquier programa, proyecto o actividad que se desarrolle al amparo de las previsiones del presente Convenio. b) No se pondrá ninguna restricción y no se aplicará ninguna imposición fiscal a los fondos destinados a la administración y ejecución de lo indicado en el inciso que antecede. c) No se aplicará restricción al tránsito y depósito de los materiales, bienes y equipos necesarios para el desarrollo y ejecución de lo mencionado en el inciso a) del presente artículo, sin perjuicio de los controles que se establezcan en cada uno de los casos. Todos los materiales, bienes y equipos a que se refiere este artículo y que al final del correspondiente programa, proyecto o actividad tuviere un destino distinto al establecido originalmente quedarán sujetos al régimen fiscal vigente en cada país. ARTICULO NOVENO Los vehículos, naves y aeronaves oficiales de cada una de las Altas Partes Contratantes y de organismos internacionales que desarrollen actividades amparadas a las previsiones del presente Convenio debidamente identificadas, estarán exentas del pago de los impuestos de aduana y recibirán en los puertos o aeropuertos de la otra Parte trato igual al de los vehículos, naves y aeronaves oficiales nacionales. ARTICULO DECIMO Las instalaciones y obras realizadas para la ejecución de los programas, proyectos o actividades que se desarrollen bajo las previsiones del presente Convenio, así como sus obras auxiliares, se mantendrán invariables en los límites establecidos entre Costa Rica y Panamá, de conformidad con los tratados vigentes entre ambos 568 países. Tales instalaciones y obras no conferirán a ninguna de las Altas Partes Contratantes, derechos de propiedad ni de jurisdicción sobre cualquier parte del territorio de la otra. ARTICULO DECIMO PRIMERO El presente Convenio no afecta las posiciones que las Altas Partes Contratantes mantienen sobre sus derechos y jurisdicción en los respectivos espacios aéreos, marítimos y terrestres ARTICULO DECIMO SEGUNDO En caso de surgir divergencias sobre la interpretación o la aplicación del presente Convenio o de los instrumentos diplomáticos que conforme a este se suscribieren, las Altas Partes Contratantes se comprometen a resolverlas por los canales diplomáticos. ARTICULO DECIMO TERCERO El presente Convenio entrará en vigencia en la fecha del canje de sus respectivos instrumentos de ratificación y tendrá una duración de diez años prorrogables en forma automática por períodos iguales. ARTICULO DECIMO CUARTO El presente Convenio podrá ser denunciado por las Altas Partes Contratantes después de transcurridos los primeros diez años de su vigencia. Esta denuncia será efectiva seis meses después de la fecha de notificación. Los programas, proyectos o actividades que se encuentren en ejecución y que por su naturaleza deban operar más allá de la fecha de terminación del presente Convenio, continuarán su período de ejecución hasta su conclusión. EN FE DE LO CUAL se firma el presente Convenio en Sixaola, el día 3 de mayo de mil novecientos noventa y dos, en dos ejemplares originales, ambos de igual tenor y validez. POR LA REPUBLICA DE COSTA RICA Rafael Angel Calderón Fournier PRESIDENTE Bernd H. Niehaus Q. MINISTRO DE RELACIONES EXTERIORES Y CULTO POR LA REPUBLICA DE PANAMÁ Guillermo Endara G. PRESIDENTE Julio E. Linares MINISTRO DE EXTERIORES Y CULTO RELACIONES EXTERIORES 569 ANEXO I del Convenio Organizacion y funciones de la Comision Binacional Permanente Del Convenio De Cooperacion Para El Desarrollo Fronterizo 1.- La Comisión Binacional está constituida por: - Los Ministros de Planificación, quienes la presidirán. - Los representantes de las instituciones involucradas en los programas, proyectos o actividades de este Convenio. - Los gobernadores de las provincias de la región fronteriza o sus delegados. 2.- Las decisiones de la Comisión Binacional serán por consenso. 3.- Los Presidentes de esta Comisión se constituyen en representantes legales de la Comisión Binacional, en sus respectivos países. Cuando lo consideren conveniente, podrán delegar dicha representación en forma expresa en la Secretaría Ejecutiva correspondiente. 4.- Las funciones principales de la Comisión Binacional serán: - Establecer las políticas y aprobar los planes de ejecución relativos al Convenio sobre Cooperación para el Desarrollo Fronterizo. - Decidir a nombre de los gobiernos sobre programas, proyectos o actividades y otros aspectos relevantes a la ejecución del Convenio. - Organizar y coordinar la participación de las instituciones de los países. - Presentar para su debido trámite solicitudes de crédito y cooperación técnica y financiera, administrar dichos créditos y asistencias técnicas, representar a los gobiernos en los aspectos administrativos y jurídicos. - Asignar y aprobar con las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales y con los entes u órganos de los países, la ejecución de los programas, proyectos o actividades. - Supervisar, la ejecución de los programas, proyectos o actividades que se ejecuten al amparo de este Convenio. - Asignar o aprobar la ejecución de programas, proyectos y actividades presentadas por las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales, a través de las Secretarías Ejecutivas. 5.- La Comisión Binacional contará en cada país con una Secretaría Ejecutiva adscrita a los respectivos Ministerios de Planificación, a cargo de un Secretario Ejecutivo, cuyas funciones serán las de realizar las acciones necesarias para que las decisiones de la Comisión se cumplan y efectuar su debido seguimiento. 6.- Para la ejecución de cada programa, proyecto o actividad específico de un sector o con predominio de un sector definido, se conformará una Comisión Técnica Sectorial Binacional, en la cual estarán representados los organismos nacionales básicos de ese sector, por medio de un representante por cada país. Esta Comisión Técnica ejecutará el programa, proyecto o actividad a través de una Unidad Técnica Ejecutora específica, según sea el caso. 7.- La Comisión Binacional designará mediante acuerdo, la Unidad Técnica Ejecutora Binacional mencionada en el inciso anterior. El acuerdo fijará las condiciones particulares de esta Unidad en todos sus detalles. 8.- Las Comisiones Técnicas Binacionales serán responsables de la planificación, supervisión y seguimiento de los programas, proyectos y actividades, de su competencia. 9.- Las Comisiones Técnicas Binacionales deberán reunirse por lo menos dos veces al año. Estas reuniones serán convocadas y presididas en sus sesiones de trabajo por las respectivas Secretarías Ejecutivas. 10.- Las Comisiones Técnicas Binacionales deberán presentar informes periódicos de avance a la Comisión Binacional, a través de las respectivas Secretarías Ejecutivas." 570 Annexe 4 Accord Opératoire pour le fonctionnement de la Convention entre le Costa Rica et le Panamá sur la coopération pour le développement frontalier ANEXO La Ministra de Planificación Nacional y Política Económica de Costa Rica y el Ministro de Economía y Finanzas de Panamá, en su condición de presidentes de la Comisión Binacional Permanente creada por medio del Convenio sobre Cooperación para el Desarrollo Fronterizo entre la República de Costa Rica y la República de Panamá, convienen que: PREÁMBULO CONSIDERANDO que el tres de mayo de mil novecientos noventa y dos, en la ciudad de Sixaola, el Gobierno de la República de Costa Rica y el Gobierno de la República de Panamá, en lo sucesivo denominados conjuntamente las Altas Partes Contratantes, a través de sus delegaciones debidamente autorizadas para tal efecto, aprobaron el Convenio entre el Gobierno de la República de Costa Rica y el Gobierno de la República de Panamá sobre Cooperación para el Desarrollo Fronterizo y su Anexo, en lo sucesivo referido como el Convenio Fronterizo, con fecha de vigencia a partir del veinticuatro de julio de mil novecientos noventa y cinco, CONSIDERANDO que las Altas Partes Contratantes que acordaron el Convenio Fronterizo buscan reforzar la cooperación en las diferentes esferas que son materia del trabajo conjunto dentro de la naturaleza fronteriza de la región, para lo cual conciben la necesidad de establecer un Acuerdo Operativo que sirva como marco para la ejecución de lo determinado en el Convenio Fronterizo; así como mecanismo de coordinación para los eventuales programas, proyectos, y actividades futuras, producto del desarrollo cooperativo transfronterizo, TENIENDO EN CUENTA su herencia cultural común, el territorio natural compartido, y los fuertes vínculos históricos, políticos y económicos que los unen, CONSCIENTES del objetivo más amplio de consolidar dichos vínculos para intensificar la relación en todos los ámbitos de interés común, siendo necesario regular e institucionalizar un trabajo coordinado a nivel binacional, CONSIDERANDO su total adhesión a los principios democráticos y de los derechos humanos fundamentales de la Declaración Universal de Derechos Humanos, así como a los del Derecho Internacional referentes a las relaciones de amistad y cooperación entre los Estados y a los principios del Estado de Derecho, de la soberanía nacional y del buen gobierno, CONSCIENTES de la importancia que las Partes Contratantes conceden a la debida aplicación del principio del desarrollo sostenible, establecido en la Declaración de Río de Janeiro sobre medio ambiente y desarrollo de 1992; CONSCIENTES de la importancia de desarrollar sus relaciones de cooperación y ejecutar los respectivos programas, proyectos y actividades con base a las instituciones democráticas que conforman la participación social, la transparencia, el acceso a la información y la colaboración interinstitucional, intersectorial e intersegmental tanto en el sector local, regional, nacional como en el internacional, y con el objetivo de mejorar la calidad de vida de los habitantes y el desarrollo de las capacidades de los distintos actores locales de ambos países. ADOPTAN el presente Acuerdo Operativo para el Funcionamiento del Convenio entre el Gobierno de la República de Costa Rica y el Gobierno de la República de Panamá sobre Cooperación para el Desarrollo Fronterizo y su Anexo, en lo sucesivo Acuerdo Operativo, destinado a regular las relaciones binacionales transfronterizas entre ambos países y desarrollar el marco institucional establecido por el Convenio Fronterizo. SECCIÓN I ASPECTOS GENERALES ARTÍCULO PRIMERO FUNDAMENTACIÓN JURÍDICA Este Acuerdo Operativo se fundamenta en el Convenio entre el Gobierno de la República de Costa Rica y el Gobierno de la República de Panamá sobre Cooperación para el Desarrollo Fronterizo y su Anexo (en adelante Convenio Fronterizo); suscrito en Sixaola el 3 de mayo de 1992, ratificado por la Asamblea Nacional de la República de Panamá mediante Ley Nº 16 del 10 de agosto de 1994; publicada en la Gaceta Nº 22602 del 17 de agosto de 1994, y por la Asamblea Legislativa de la República de Costa Rica mediante Ley Nº 7518 del 10 de julio de 1995; publicada en La Gaceta Nº 140 del 27 de julio de 1995. ARTÍCULO SEGUNDO IDENTIFICACIÓN DE LAS PARTES Las Partes encargadas de la implementación de este Acuerdo Operativo son: a) MIDEPLAN: Ministerio de Planificación Nacional y Política Económica de la República de Costa Rica; 571 b) MEF: Ministerio de Economía y Finanzas de la República de Panamá; ARTÍCULO TERCERO Objeto Este Acuerdo Operativo tiene como objeto definir los mecanismos de organización, funcionamiento, procedimientos, delimitación geográfica y otros aspectos generales del Convenio Fronterizo, así como la regulación de las actividades de cooperación entre las Altas Partes Contratantes que se lleven a cabo en la zona fronteriza. ARTÍCULO CUARTO Delimitación Geográfica Se entiende por “Zona Fronteriza” los ámbitos territoriales adyacentes de los dos países, consignados en el presente artículo, para los que adoptarán y ejecutarán programas, proyectos o actividades conjuntos o coordinados con el objeto de ampliar, mejorar y profundizar sus relaciones de cooperación en todos los campos y fortalecer el proceso de integración de ambas. Con el fin de implementar, diseñar y ejecutar los programas, proyectos y actividades en el marco del Convenio Fronterizo, y conforme a lo establecido en el artículo cuarto, inciso “i” del mismo, se considerará como Zona Fronteriza los siguientes Municipios (Cantones para el caso de la República de Costa Rica y Distritos para el caso de la República de Panamá). Por la República de Costa Rica: Por la República de Panamá: Cantón de Talamanca Distrito de Changuinola Cantón de Corredores Distrito de Barú Cantón de Coto Brus Distrito de Renacimiento Cantón de Golfito Distrito de Bugaba ARTÍCULO QUINTO Ámbito de aplicación Los siguientes sectores serán objeto de la cooperación fronteriza entre las Altas Partes Contratantes: 1. Agropecuario 2. Obras públicas y Transportes (Infraestructura) 3. Salud 4. Recursos naturales (Ambiente) 5. Régimen municipal 6. Agroindustria 7. Educación 8. Turismo 9. Planificación 10. Desarrollo rural integrado 11. Todos aquellos que acuerden las Altas Partes Contratantes A los efectos, la Comisión Binacional Permanente establecerá Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales y/o Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales Especiales según sea necesario. Al momento de suscribir el presente Acuerdo Operativo, la Comisión Binacional Permanente ha aprobado las siguientes Comisiones: I. Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales: a) Amenaza y riesgos b) Recursos naturales (Ambiente) c) Turismo d) Obras Públicas y Transportes (Infraestructura) e) Agropecuario f) Salud g) Educación h) Desarrollo social i) Intermunicipal j) Aduanas y asuntos migratorios k) Energía II. Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales Especiales: i) Comisión Binacional de la Cuenca del Río Sixaola j) Comisión Técnica Binacional de Seguridad y Migración k) Unidad Técnica Ejecutora Binacional del Parque Internacional La Amistad (UTEB-PILA) ARTÍCULO SEXTO Institucionalidad Conforme al Anexo I del Convenio Fronterizo, la institucionalidad transfronteriza queda conformada por los 572 siguientes órganos: a) La Comisión Binacional Permanente b) Las Secretarías Ejecutivas (una en cada país) c) Las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales (ordinarias y/o especiales) d) Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales SECCIÓN II ORGANIZACIÓN Y FUNCIONAMIENTO DEL CONVENIO FRONTERIZO CAPÍTULO I LA COMISIÓN BINACIONAL PERMANENTE ARTÍCULO SÉPTIMO Naturaleza jurídica Conforme lo establecido en el Convenio Fronterizo, la Comisión Binacional Permanente es el máximo órgano decisorio dentro del Convenio Fronterizo. La Comisión Binacional Permanente es una instancia transfronteriza con capacidad jurídica suficiente para actuar en nombre y por cuenta de las Altas Partes Contratantes en sus respectivos territorios en los ámbitos y materias de su competencia. ARTÍCULO OCTAVO Capacidad jurídica La Comisión Binacional Permanente tendrá capacidad jurídica para actuar conforme a la legislación nacional de cada país. Podrá adquirir o enajenar bienes muebles e inmuebles, emplear personal y comparecer en juicio como parte, así como celebrar cualquier tipo de negocio jurídico conforme el ejercicio de sus actividades a través de sus representantes legales. ARTÍCULO NOVENO Representación legal Conforme el artículo tercero del Anexo I del Convenio Fronterizo, la representación legal de la Comisión Binacional Permanente en los respectivos países, recaerá en los presidentes de la misma, es decir, en el Ministro/a de Planificación Nacional y Política Económica de la República de Costa Rica y el Ministro/a de Economía y Finanzas de la República de Panamá, quienes podrán delegar dicha representación en forma expresa en los Secretarios Ejecutivos correspondientes. ARTÍCULO DÉCIMO Derecho aplicable Las actuaciones de la Comisión Binacional Permanente deberán adecuarse y serán regidas por el Derecho Nacional aplicable en el territorio de cada una de las Altas Partes Contratantes. El derecho aplicable será el del Estado donde tengan efectos jurídicos las correspondientes actuaciones. Sin embargo, cuando hayan actuaciones de carácter binacional o transfronterizo, se aplicará lo establecido en el Convenio Fronterizo así como en las Declaraciones Universales ratificadas por las Partes, en el Derecho Internacional en cuanto a las relaciones de amistad y cooperación entre los Estados, la soberanía nacional y del buen gobierno y en los instrumentos internacionales o binacionales que se acordaren. ARTICULO UNDÉCIMO Sede Para efectos de cualquier comunicación con la Comisión Binacional Permanente se considerará sede la del Ministerio de Planificación Nacional y Política Económica en San José, República de Costa Rica y la del Ministerio de Economía y Finanzas en la ciudad de Panamá, República de Panamá. ARTÍCULO DUODÉCIMO Notificaciones La Comisión Binacional Permanente recibirá notificaciones en su sede correspondiente. ARTÍCULO DÉCIMO TERCERO Composición La Comisión Binacional Permanente está conformada por: a) El/la Ministro/a de Planificación Nacional y Política Económica de Costa Rica y el/la Ministro/a de Economía y Finanzas de Panamá, quienes la presiden. b) Los Gobernadores de las provincias de Bocas del Toro y de Chiriquí o sus delegados por parte de Panamá. En el caso de Costa Rica, la figura del Gobernador de Provincia fue eliminado con el nuevo Código Municipal (Ley 7794 del 30 de abril de 1998, sustituyendo dicha representación local en los Alcaldes Municipales), por lo que para efectos de este Acuerdo Complementario y del Convenio Fronterizo, dicha representación corresponderá al Alcalde de Talamanca o su respectivo delegado; y por uno de los tres Alcaldes de los municipios fronterizos de la Provincia de Puntarenas, o su respectivo delegado. En este último caso, deberán acordar entre ellos, quién y por cuánto tiempo será la representación ante la Comisión Binacional Permanente. De igual forma, dicha delegación será comunicada formalmente a la Secretaría Ejecutiva de Costa Rica para que ésta lo eleve al conocimiento de los presidentes de la Comisión Binacional Permanente y sea ratificado. c) Los Representantes de las Instituciones involucradas en los programas, proyectos o actividades del Convenio Fronterizo, entendiéndose como tales a las instancias principales de los Sectores objeto de cooperación fronteriza o en quien ellos deleguen. ARTÍCULO DÉCIMO CUARTO Funciones De acuerdo con el Anexo I al Convenio Fronterizo, las funciones de la Comisión Binacional Permanente son las 573 siguientes: a) La coordinación general, seguimiento y evaluación de los programas, proyectos o actividades que se desarrollen al amparo de las disposiciones del Convenio Fronterizo; b) El establecimiento de las políticas y aprobación de los planes de ejecución relativos al Convenio Fronterizo; c) En nombre de los Gobiernos, la decisión sobre programas, proyectos o actividades y otros aspectos relativos a la ejecución del Convenio Fronterizo; d) La organización y coordinación de la participación de las instituciones de los países; e) La presentación para su debido trámite de solicitudes de crédito y cooperación técnica y financiera, la administración de dichos créditos y asistencias técnicas, la representación de los Gobiernos en los aspectos administrativos y jurídicos; f) Junto con las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales y los entes u órganos de los países, la aprobación y ejecución de los programas, proyectos o actividades; g) La supervisión de la ejecución de los programas, proyectos o actividades que se ejecuten al amparo del Convenio Fronterizo; h) La asignación o aprobación de programas, proyectos y actividades presentados por las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales, a través de las Secretarías Ejecutivas. i) La creación mediante acuerdo expreso, de las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales y de las Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales, según corresponda. Además serán funciones de la Comisión Binacional Permanente, conforme el presente Acuerdo Operativo, las siguientes: j) Verificar y monitorear los Planes de Ejecución de las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales y de las Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales para cada una de las actividades, proyectos y programas que apruebe. k) Establecer presupuestos anuales y supervisar la gestión de los recursos económicos establecidos para los programas, proyectos o actividades que se ejecuten en el marco del Convenio Fronterizo, así como la administración de bienes correspondientes a los mismos, de manera que se observen los principios de rendición de cuentas y transparencia en la ejecución. l) Promover y representar la institucionalidad del Convenio Fronterizo en las instancias y foros donde sea necesario así como cuando las circunstancias se refieran a asuntos propios del objeto del Convenio Fronterizo m) Elaborar anualmente un informe Binacional de cumplimiento de las acciones realizadas en el marco del Convenio Fronterizo, así como de los recursos económicos utilizados. Este informe tendrá carácter público. ARTÍCULO DÉCIMO QUINTO Reuniones ordinarias y extraordinarias La Comisión Binacional Permanente sesionará de forma ordinaria semestralmente, procurando la alternancia de la sede. El/la presidente/a que le corresponda la sede de la reunión ordinaria o extraordinaria, convocará formalmente de conformidad con lo dispuesto en el artículo trigésimo primero del presente Acuerdo Operativo, a todas las partes, indicando fecha, lugar y temas a tratar. Las decisiones serán adoptadas por consenso. Los presidentes de la Comisión Binacional Permanente podrán invitar a quienes estimen conveniente, según sean los temas a desarrollar. La Comisión Binacional Permanente se podrá reunir de forma extraordinaria cuando así lo consideren necesario sus presidentes y se convoque de conformidad con el procedimiento del párrafo anterior. Igualmente las decisiones serán adoptadas por consenso. Las Secretarías Ejecutivas apoyarán y coordinarán todos los aspectos que los presidentes de la Comisión Binacional Permanente determinen. ARTÍCULO DÉCIMO SEXTO Bienes y recursos económicos La Comisión Binacional Permanente conocerá, revisará, modificará y aprobará, el presupuesto básico anual de recursos ordinarios, presentado por las Secretarías Ejecutivas. Este presupuesto será presentado y aprobado en la última sesión del año anterior inmediato para su aplicación en el año natural siguiente. El presupuesto deberá contener, al menos, un componente sobre los gastos de funcionamiento y administrativos así como uno relativo a los recursos designados para las actividades y programas que hayan sido aprobados para su ejecución, cuando se dispongan de ellos. En lo que respecta a recursos económicos extraordinarios aportados por organismos u organizaciones nacionales o internacionales, la Comisión Binacional Permanente, deberá de conocer sobre dichos fondos en sesiones ordinarias o extraordinarias convocadas a tal efecto, para lo cual las Secretarías Ejecutivas elaborarán los respectivos presupuestos extraordinarios para su conocimiento y aprobación. Todo tipo de informes que surjan en el marco del Convenio Fronterizo, son de carácter binacional y público. La Comisión Binacional Permanente en su condición de órgano máximo del Convenio Fronterizo, deberá conocer y compilar los informes técnicos, financieros y de cualquier índole de todas las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales y de las Unidades Técnicas Ejecutoras; y preparar un reporte final para toda la institucionalidad del 574 Convenio Fronterizo, apoyándose para ello en las respectivas Secretarías Ejecutivas. En lo que respecta a la liquidación, la insolvencia, la suspensión de pagos y procedimientos similares, la Comisión Binacional Permanente se regirá por la legislación del Estado al que corresponda, excepto si entre las Partes definen otro procedimiento binacional aplicable a ambos. ARTÍCULO DÉCIMO SÉPTIMO Trabajo vecinal fronterizo Con el objeto de facilitar el trabajo vecinal transfronterizo relativo a las diferentes actividades, proyectos y/o programas en materia de cooperación fronteriza, la Comisión Binacional Permanente, en coordinación con las dependencias gubernamentales correspondientes, efectuará los acuerdos institucionales necesarios para regular y facilitar los siguientes aspectos: a) Empleo de los respectivos nacionales para trabajar dentro de la zona fronteriza, con total cumplimiento de las normas y los derechos laborales del país donde las realice; b) Liberación de restricciones e impuestos en materia tributaria a los materiales, bienes, equipos y fondos destinados a la administración y ejecución de los programas, proyectos o actividades que se desarrolle en la zona fronteriza; al amparo del Convenio Fronterizo, así como su correspondiente tránsito y depósito; c) Tarjetas de tránsito y requerimientos de identificación de los vehículos, naves y aeronaves oficiales de las Altas Partes Contratantes, y demás partes involucrados en las actividades de cooperación fronteriza; d) Permisos de obras e instalaciones dentro de la Zona Fronteriza. e) Cualquier otro que sea necesario para el cumplimiento de los objetivos del Convenio Fronterizo ARTÍCULO DÉCIMO OCTAVO Participación pública y transparencia La Comisión Binacional Permanente procurará que las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales diseñen un Plan Operativo Anual (POA) de los programas, proyectos y actividades previstos a ejecutar. Estos POA´s deberán conducirse de manera tal que protejan y promuevan la democracia, la participación pública, y aseguren la mayor participación posible de los ciudadanos o grupos de ciudadanos debidamente organizados; incluyendo a grupos indígenas de la zona, así como proceder conforme los mecanismos y la institucionalidad establecida en el Convenio Fronterizo, la Constitución de cada país, los Convenios Internacionales suscritos y las leyes nacionales correspondientes. Además, se procurará: a) El acceso de dichos ciudadanos o grupos de ciudadanos a la información relacionada con los programas, proyectos y actividades realizadas conforme a los POA´s, así como procurar mecanismos que garanticen la participación de estos en las mismas. b) La información ha de ser transparente y abierta, incluyendo aspectos económicos, técnicos y administrativos, promoviendo la cooperación e intercambio de información entre autoridades e instituciones públicas y privadas, locales, regionales, nacionales y binacionales. c) La participación activa, democrática y eficaz de la sociedad civil, grupos indígenas, mujeres, entidades privadas y demás organizaciones nacionales e internacionales presentes en la zona fronteriza, que busquen complementar las acciones y actividades desarrolladas al amparo del Convenio Fronterizo, de forma tal que la cooperación fronteriza resulte en el fortalecimiento de las capacidades técnicas y operativas de los actores sociales e instituciones participantes y que aseguren la sostenibilidad de los cambios operados una vez concluidas las actividades, proyectos y programas de cooperación fronteriza, para lo cual se deben respetar y atender los mecanismos establecidos en el Convenio Fronterizo y su Anexo. ARTÍCULO DÉCIMO NOVENO Orden público Cuando la Comisión Binacional Permanente, por sí misma y/o a través de las entidades que conforman la institucionalidad del Convenio Fronterizo, realice cualquier actividad contraria a las disposiciones de un Estado miembro en materia de seguridad pública, sanidad pública, o que contravenga el orden e interés público de una de las Altas Partes Contratantes, el órgano competente de la otra Parte podrá prohibir esa actividad dentro de su territorio. Dichas prohibiciones no constituirán un medio de restricción arbitraria o encubierta a la cooperación fronteriza entre las Altas Partes Contratantes y no quedan eximidas de los recursos administrativos y/o judiciales que corresponda. ARTÍCULO VIGÉSIMO De los ministerios de relaciones exteriores En lo que respecta al presente Acuerdo Operativo, los Ministerios de Relaciones Exteriores de ambos países tendrán como funciones las que establecen los artículos primero, tercero, cuarto, décimo segundo y décimo cuarto del Convenio Fronterizo. CAPÍTULO II LAS SECRETARÍAS EJECUTIVAS ARTÍCULO VIGÉSIMO PRIMERO Capacidad jurídica En cada una de las Altas Partes Contratantes, las Secretarías Ejecutivas serán el órgano auxiliar, de apoyo y seguimiento a las decisiones de la Comisión Binacional Permanente, y podrán tomar las decisiones necesarias 575 para coordinar y hacer cumplir el Convenio Fronterizo. Además tendrán capacidad jurídica para actuar en representación de la Comisión Binacional Permanente, cuando así haya sido expresamente delegado mediante acuerdo por los presidentes de la Comisión Binacional Permanente, con todas las facultades y potestades que el Convenio Fronterizo, su Anexo y el presente Acuerdo Operativo establecen. ARTÍCULO VIGÉSIMO SEGUNDO Representación jurídica En caso que la Comisión Binacional Permanente lo disponga por acuerdo expreso, las Secretarías Ejecutivas serán consideradas representantes legales para todos los efectos del Convenio Fronterizo, para lo cual deberán nombrar un/una Secretario/a Ejecutivo/a en cada país; y comunicarlo por los canales oficiales correspondientes. ARTÍCULO VIGÉSIMO TERCERO Sede La Sede de las Secretarías Ejecutivas, al igual que la de la Comisión Binacional Permanente será el Ministerio de Planificación Nacional y Política Económica en la República de Costa Rica y el Ministerio de Economía y Finanzas en la República de Panamá, de acuerdo con las siguientes especificaciones: a) En Costa Rica: Secretaría Ejecutiva, Convenio Fronterizo Costa Rica-Panamá Área de Cooperación Internacional Ministerio de Planificación Nacional y Política Económica (MIDEPLAN) Apartado Postal 10127-1000 San José, Costa Rica Telefax (506) 2281-2747 E-mail: conveniofronterizo.cr-pa@mideplan.go.cr b) En Panamá: Secretaría Ejecutiva, Convenio Fronterizo Panamá-Costa Rica Unidad Coordinadora para Centroamérica Ministerio de Economía y Finanzas (MEF) Apartado Postal: 0816-02886 Panamá, Panamá Telefax (507)- 507-7030 E-mail: conveniofronterizo@mef.gob.pa ARTÍCULO VIGÉSIMO CUARTO ORGANIZACION Y FUNCIONES Las Secretarías Ejecutivas en ambos países estarán conformadas por la o el Secretario Ejecutivo y podrán contar con un equipo de colaboradores, quienes le apoyarán en sus gestiones y responsabilidades. Las funciones de la Secretaría Ejecutiva serán las siguientes: a) Representar a la Comisión Binacional Permanente, cuando así lo haya convenido ésta en forma expresa; b) Realizar y coordinar todas las acciones necesarias para que las decisiones de la Comisión Binacional Permanente se cumplan; c) Convocar y presidir las reuniones de las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales, tanto ordinarias como especiales; y posteriormente ceder la coordinación de la misma a éstas. d) Participar en las reuniones de las Unidades Técnicas Ejecutoras de los programas, proyectos y actividades que se ejecuten al amparo del Convenio Fronterizo. e) Monitorear y dar seguimiento al desempeño de las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales y de las Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales; f) Conocer los informes técnicos y financieros presentados por las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales y por las Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales. g) Conocer los informes de gestión y Planes Anuales Operativos de las Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales; h) Elaborar un presupuesto ordinario básico y cualquier presupuesto extraordinario con recursos aportados por organismos u organizaciones nacionales o internacionales, para el funcionamiento de la Comisión Binacional Permanente y las propias Secretarías Ejecutivas, mismos que serán sometidos a la Comisión Binacional Permanente para su aprobación. i) Las demás funciones que recaigan sobre cada Secretaría Ejecutiva a causa de la delegación convenida por la Comisión Binacional Permanente y de conformidad con lo establecido en el Convenio Fronterizo y demás instrumentos conexos. ARTíCULO VIGÉSIMO QUINTO Reuniones Las Secretarías Ejecutivas se podrán reunir las veces que se estime necesario en cualquiera de los dos países, con el propósito de participar, atender, dar seguimiento y coordinar todas las actividades propias del Convenio Fronterizo, las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales, las Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales, diversas reuniones de trabajo propias o a las que sean invitados; y cualesquiera otros asuntos de su competencia. Para las reuniones propias de las Secretarías Ejecutivas, éstas serán convocadas por carta o correo electrónico y 576 se indicará lugar, fecha y temas a abordar. CAPÍTULO III LAS COMISIONES TÉCNICAS SECTORIALES BINACIONALES ARTÍCULO VIGÉSIMO SEXTO Unico regimen aplicable El régimen jurídico aplicable a las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales tanto ordinarias como especiales, es el Convenio Fronterizo y su Anexo, así como este Acuerdo Operativo y demás instrumentos complementarios que surjan al amparo del Convenio Fronterizo. ARTÍCULO VIGÉSIMO SÉPTIMO Capacidad jurídica La Comisión Binacional Permanente deberá directamente o, a través de las Secretarías Ejecutivas, facilitar y coordinar con las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales la asesoría necesaria para hacer cumplir sus funciones y adoptar las decisiones relativas a la ejecución de sus actividades, de conformidad con lo estipulado en el Convenio Fronterizo y su Anexo, así como en este Acuerdo Operativo. Además, se considerarán y aplicarán las capacidades legales que la legislación nacional de cada uno de las Altas Partes Contratantes establecen para acciones o decisiones en el territorio de cada una de éstas, y que no sean de carácter binacional. ARTÍCULO VIGÉSIMO OCTAVO Organización y funciones Las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales (CTSB) serán conformadas por los Ministros “rectores” del sector correspondiente; y estarán lideradas por el o la representante designados por cada país. Además, estarán integradas por un representante de cada una de las principales instituciones del sector respectivo en cada país. Dicha conformación o cambios en ella, deberán informarlo a la Comisión Binacional Permanente (CBP) a través de las Secretarías Ejecutivas, mediante el acto administrativo correspondiente. Queda a criterio de cada Ministro “Rector” designar a su representante en la CTSB, para lo cual podrán ser del nivel central, regional o local, si así lo estima pertinente. Este representante deberá cumplir la función de coordinar el sector respectivo, ser el enlace político y técnico con las autoridades sectoriales, así como coordinar con las Secretarías Ejecutivas del Convenio Fronterizo, las acciones, proyectos y programas que se desarrollen en la zona fronteriza en los temas correspondientes. El resto de los representantes de las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales serán los delegados institucionales que conforman el sector respectivo, los representantes de los Gobiernos Locales y los representantes de la sociedad civil organizada, según corresponda. Los representantes institucionales serán nombrados por los jerarcas institucionales correspondientes. Para el caso de los Gobiernos Locales, la representación recaerá en los Alcaldes o en quien ellos deleguen, y los representantes de la sociedad civil deberán ser nombrados por ellos mismos. El representante del Ministro “rector” que coordinará la CTSB deberá promover la designación y conformación de su CTSB y comunicar su integración o cambio en ella, a las Secretarías Ejecutivas del Convenio Fronterizo según corresponda. Las funciones de Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales serán las siguientes: a) Planificación, coordinación, supervisión y seguimiento de los programas, proyectos y actividades de su competencia; b) Diseñar los lineamientos de política correspondientes a la materia de su competencia; c) Ejecución de cada programa, proyecto o actividad específico de un sector o con predominio de un sector definido que sea materia del Convenio Fronterizo y hayan sido debidamente aprobados por la Comisión Binacional Permanente; d) Procurar la participación y representación de la sociedad civil organizada y que sean parte importante de los objetivos y acciones contemplados en los programas, proyectos y actividades de su competencia, e) Tener a su cargo la orientación estratégica de la ejecución de los proyectos bajo su responsabilidad; f) Preparar e implementar Planes de Ejecución para cada uno de los programas, proyectos y actividades de su competencia, que deberán ser ejecutados por las Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales para ello establecidas ; g) Establecer, con aprobación de la Comisión Binacional Permanente a través de sus respectivas Secretarías Ejecutivas, los presupuestos y planes anuales operativos de sus actividades; h) Vigilar el funcionamiento de las Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales que hayan sido designadas mediante acuerdo expreso por la Comisión Binacional Permanente y aprobar sus presupuestos (Planes Anuales Operativos), así como realizar los actos necesarios para proveerlas con los recursos y personal requeridos cuando corresponda; i) Supervisar y aprobar los pagos referentes a sus operaciones y aquellas de las Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales; j) Presentar informes de sus actividades, logros y manejo de recursos y gestión de bienes a la Comisión Binacional Permanente durante sus reuniones semestrales; k) Disolver las Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales, con aprobación de la Comisión Binacional Permanente a través de sus respectivas Secretarías Ejecutivas, cuando finalice cada uno de los proyectos, 577 programas o actividades para los cuales fueron constituidas. l) Realizar acciones de seguimiento, evaluación y control referentes a los programas, proyectos y/o actividades bajo su responsabilidad. ARTÍCULO VIGÉSIMO NOVENO Reuniones Las reuniones de las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales, tendrán lugar cuando éstas así lo dispongan y efectúen la convocatoria a todos los actores interesados incluyendo las partes ejecutoras de los programas, proyectos y actividades implementados bajo la Comisión Técnica Sectorial Binacional respectiva. Sin embargo al menos una reunión anual ordinaria deberá coincidir con alguna reunión ordinaria de la Comisión Binacional Permanente, para lo cual las Secretarías Ejecutivas mantendrán informadas a las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales. La convocatoria se hará mediante nota o correo electrónico a todos los miembros, en donde se indicará lugar, fecha y agenda de trabajo. Las reuniones de las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales, podrán ser convocadas por ellas mismas o en su defecto, podrán ser convocadas por las Secretarías Ejecutivas, a petición expresa. Sin embargo, dichas reuniones serán presididas por las Secretarías Ejecutivas del Convenio Fronterizo, quienes a su vez, delegarán la coordinación de la reunión en el representante de cada Comisión Técnica Sectorial Binacional correspondiente. CAPÍTULO IV LAS UNIDADES TÉCNICAS EJECUTORAS BINACIONALES ARTÍCULO TRIGÉSIMO Organización y funciones Las Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales serán designadas mediante acuerdo por la Comisión Binacional Permanente, para cada programa o proyecto que se ejecute en la zona fronteriza, para lo cual se fijarán las condiciones particulares de cada una de éstas, según las necesidades de cada programa o proyecto y la zona donde se ejecutará. Concluirán sus funciones al término del programa o proyecto para el cual fue designada y constituida. Las Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales, podrán estar conformadas por las personas, instancias, empresas, organizaciones o consorcios que sean definidos por las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales, para la ejecución de cada uno de los programas o proyectos. Las funciones de las Unidades Técnicas Ejecutoras Binacionales, además de las que el Convenio Fronterizo les confiere, son las siguientes: a) Ejecutar y supervisar los programas, proyectos y/o actividades para los cuales sean designadas por las instancias competentes; b) Coordinar y facilitar la participación de los sectores de la sociedad y otras partes interesadas dentro de la ejecución de sus actividades; c) Coordinar con la Comisión Técnica Sectorial Binacional correspondiente en lo que se refiera al Plan de Ejecución y al Plan Anual Operativo, a la preparación de informes, planeación de presupuestos, aprobación de gastos, contratación de personal y servicios, adquisición de bienes, rendición de cuentas, mantenimiento de registros y demás actividades relativas con los proyectos y/o programas para los cuales fueran designadas; d) Ser responsables, bajo la supervisión de las Comisiones Técnicas Sectoriales Binacionales, del manejo, la gestión, liquidación o traspaso de los bienes destinados para la ejecución de cada uno de los programas o proyectos que serán implementados en la región fronteriza; e) Mantener, bajo la supervisión de la Comisión Técnica Sectorial Binacional respectiva, un inventario de los bienes adquiridos durante la planeación, ejecución y finalización de actividades, proyectos y programas desarrollados dentro del marco de cooperación fronteriza, siendo sujetos a auditoría por parte de la Comisión Binacional Permanente a través de los representantes que para ello sean designados por la misma. Los bienes, mobiliario, equipos, vehículos y otros, que se adquieran con recursos de los proyectos o programas, serán traspasados a las instituciones nacionales correspondientes, una vez finalizados los proyectos, para lo cual se hará un Acta de Donación, según corresponda. f) Trabajar de manera coordinada con los distintos actores involucrados en las actividades, proyectos y programas desarrollados en el marco de la cooperación fronteriza. SECCIÓN III DISPOSICIONES FINALES ARTÍCULO TRIGÉSIMO PRIMERO De las comunicaciones Cualquier documento o comunicación facilitada por las Partes en virtud del presente Acuerdo Operativo será por escrito y enviado por mensajero, correo, courier, telegrama, cable o correo electrónico a las direcciones oficialmente indicadas por las Partes y que se pueda hacer constar que fue recibido por el o los destinatarios. El MIDEPLAN y el MEF definirán y pondrán en uso un correo electrónico específico para cada Secretaría 578 Ejecutiva, con el fin de recibir, remitir e intercambiar la información que sea necesaria en un único lugar de acceso. Las Secretarías Ejecutivas del Convenio Fronterizo podrán a disposición una dirección electrónica para la comunicación oficial. Esta dirección será institucionalizada, evitando personalizarla, para que, independientemente de quien funja como Secretario/a Ejecutivo/a, la misma esté disponible permanentemente, durante la vigencia del Convenio Fronterizo. ARTÍCULO TRIGÉSIMO SEGUNDO Duración La duración y condiciones del presente Acuerdo Operativo estarán sujetas a la validez del Convenio Fronterizo, y serán prorrogadas automáticamente a la luz del mismo. ARTÍCULO TRIGÉSIMO TERCERO Modificación Este Acuerdo Operativo podrá ser modificado en cualquier momento por las Altas Partes, mediante acuerdo tomado en forma expresa en sesión ordinaria. Las enmiendas serán efectivas cuando las Partes, a través de las autoridades para tal efecto señaladas y ante los órganos competentes, hayan ejecutado los procedimientos que son requeridos para la entrada en vigencia, salvo en aquellos casos en que se haya establecido un procedimiento distinto. ARTÍCULO TRIGÉSIMO CUARTO Solución de controversias Cualquier controversia que pueda surgir sobre la interpretación o implementación del presente Acuerdo Operativo, será resuelta por las Altas Partes Contratantes de manera amistosa mediante la negociación, la investigación, la mediación, la conciliación, el arbitraje, el arreglo judicial, el recurso a organismos o acuerdos regionales u otros medios pacíficos de su mutua elección y aprobación. ARTÍCULO TRIGÉSIMO QUINTO Terminación La denuncia del Convenio Fronterizo, según lo establecido en su artículo Décimo Cuarto, dejará sin efecto automáticamente el presente Acuerdo Operativo. San José o Panamá, a los _____ días del mes de Por el Ministerio de Economía ______________ del año dos mil doce. Por el y Finanzas (MEF) Ministerio de Planificación Nacional y Política de Panamá Económica (MIDEPLAN) de Costa Rica Roberto J. Gallardo Núñez Frank De Lima Gercich Ministro Ministro 579 Annexe 5 Accord de Coopération ente les gouvernements du Costa Rica et du Nicaragua, janvier 1991 580 581 582 583 584 Annexe 6 Accord Compémentaire de Coopération environnementame et de ressources naturels frontaliers entre les gouvernements du Costa Rica et du Niacaragua ACUERDO COMPLEMENTARIO DE COOPERACION AMBIENTAL Y DE RECURSOS NATURALES FRONTERIZOS ENTRE EL GOBIERNO DE LA REPUBLICA DE COSTA RICA Y EL GOBIERNO DE LA REPUBLICA DE NICARAGUA Los Gobiernos de la República de Costa Rica y de la República de Nicaragua, en adelante denominados “las Partes” CONSIDERANDO su condición de Estados con una frontera común y la coincidencia de intereses para fortalecer, ampliar y concertar la cooperación en la búsqueda de soluciones que solventen la problemática fronteriza en el campo de los Asuntos Ambientales y de los Recursos Naturales. CONVENCIDOS de que la cooperación fronteriza coadyuvará a la protección del medio ambiente, incrementará la actividad económica, elevará el nivel de vida de sus habitantes, propiciará el desarrollo sostenible de la zona y estrechará aún más los lazos fraternales existentes entre ambos países. RECORDANDO la Estrategia para el Desarrollo de la Zona Fronteriza suscrito por los Cancilleres de Costa Rica y Nicaragua en San Juan del Sur, República Nicaragua el 16 de febrero de 2003, que encomienda a la Subcomisión de Cooperación y Desarrollo ser el mecanismo de seguimiento de los programas y proyectos. MUTUAMENTE INTERESADOS en la adopción de las medidas pertinentes para mejorar la región en los aspectos ambientales y de desarrollo sostenible, y fortaleciendo el Acuerdo de Cooperación entre los Gobiernos de Nicaragua y Costa Rica, suscrito el 31 de Enero de 1991 entre los Presidentes de ambos países han resuelto celebrar el presente Convenio de Cooperación Ambiental y de Recursos Naturales Fronterizos, bajo el siguiente articulado: ARTICULO I Las Partes convienen en efectuar conjuntamente proyectos ambientales de preinversión, inversión o asistencia técnica en la región fronteriza Costa Rica - Nicaragua delimitada para tal fin, por lo que dado su alcance y significado en los aspectos sociales y económicos, deberán ser ejecutados por diversos sectores en períodos de corto, mediano y largo plazo. ARTICULO II El número y calidad de los proyectos especificados en el corto plazo del artículo anterior, podrá ser ampliado, limitado o modificado enteramente, en armonía con las condiciones existentes y por acuerdo previo de ambas Partes. ARTICULO III Se determina de común acuerdo, que para garantizar la continuidad de los proyectos actualmente en ejecución, se mantendrán las gestiones y acuerdos con los Organismos de apoyo y cooperación establecidas, sin menoscabo de que se puedan gestionar recursos para el mismo fin con otras fuentes de financiamiento. ARTICULO IV La Subcomisión Binacional de Cooperación y Desarrollo será la máxima autoridad para los proyectos conjuntos de carácter fronterizo en materia ambiental y de recursos naturales que se deriven del presente Acuerdo. ARTICULO V Para el seguimiento y evaluación de los programas, proyectos y acciones que se deriven de este Acuerdo, se conforma un Equipo Técnico de Evaluación. Los funcionarios designados harán las supervisiones que se consideren pertinentes, así como evaluaciones periódicas, presentando sus informes a la Subcomisión Binacional de Cooperación y Desarrollo, a fin de que sean consideradas para la toma de decisiones. ARTICULO VI Los Ministros del Ambiente y Energía, y, del Ambiente y los Recursos Naturales de Nicaragua y Costa Rica respectivamente, o sus representantes, serán los Coordinadores Generales de cada una de sus delegaciones en la Subcomisión Binacional de Cooperación y Desarrollo y en el Equipo Técnico de Evaluación. ARTICULO VII 585 Los Coordinadores Generales servirán como enlace para las visita que la Comisión de Evaluación a la zona fronteriza y hará los contactos necesarios para establecer acuerdos o reuniones binacionales de la Subcomisión y será responsable de la coordinación general del Programa en la parte nacional que le corresponda. ARTICULO VIII Las instalaciones y obras realizadas para la ejecución de los programas, proyectos y acciones que se desarrollen bajo el amparo del presente Acuerdo, así como sus obras auxiliares, se mantendrán invariables en los límites establecidos entre Nicaragua y Costa Rica, de conformidad con los tratados vigentes entre ambos países. Tales instalaciones y obras no conferirán a ninguna de las partes, derechos de propiedad, ni de jurisdicción sobre cualquier parte del territorio de la otra. ARTICULO IX El presente Acuerdo no afecta las posiciones que las partes Contratantes mantienen sobre sus derechos y jurisdicción en los respectivos espacios aéreos y terrestres, así como los marítimos que se lleguen a establecer, ni sobre los derechos y obligaciones contraídos en el Tratado de Límites Cañas – Jerez, el laudo Cleveland, la Convención Pacheco - Matus y las Actas de la Comisión Alexander. ARTICULO X En caso de surgir divergencias sobre la interpretación o la aplicación del presente Acuerdo, de los instrumentos diplomáticos que conforme a este se suscribieron, las partes contratantes se comprometen a resolverlas por los canales diplomáticos. ARTICULO XI El presente Acuerdo será aplicable durante un período inicial de dos años y se prorrogará automáticamente por períodos iguales sin perjuicio del derecho de las partes a denunciarlo mediante notificación escrita que tendrá efecto seis meses después. ARTICULO XII Este Acuerdo entrará en vigencia a partir del recibo de la última notificación donde las Partes se comuniquen por escrito y por la vía diplomática, el cumplimiento de los procedimientos exigidos por su ordenamiento jurídico interno. EN FE DE LO CUAL, se suscribe el presente Acuerdo en la ciudad de San José, Costa Rica a los veintitrés días del mes de julio del año dos mil tres, en dos originales en español. Por la República de Costa Rica Por la República de Nicaragua Roberto Tovar Faja Salvador Stadthagen Icaza Ministro de Relaciones Viceministro de Relaciones Exteriores y Culto Exteriores 586 Annexe 7 Membres de la Commission Binationale du Bassin du fleuve Sixaola LISTADO DE INTEGRANTES DE LA COMISIÓN BINACIONAL No. NOMBRE INSTITUCIÓN CORREO TELÉFONO 1 Yamil Thomas Prog. Multifase CONADES ythomas@conades.gob.pa 6525-2085/758-5503 2 Grace Carmiol Desarrollo Sostenible de la gcarmiol@mag.go.cr (00506)2755-0268/2755- Cuenca Bin. del Río Sixaola 0423 3 Mauricio Santos Sup. Ambiental Municipio 6390-7294 de Ch. 4 Melvin Cordero Municipio de Talamanca munitalamanca@gmail.com (00506)2751- 0057/0023/0255 5 Eduardo Artavia Lobo MAG-DRHA Aduardo.artavial@gmail.com (00506) 8768-2600 6 Alexis Aguilar MINSA Alexis.aguilar@utpac.pa 6950-9642 7 Priscila García López Ministerio de Salud C.R. Dra.garcíalopez@gmail.com (00506)2750-3011/2750- 1912/ 8706-7771 8 Anel Caballero MIDA bocasgreen@yahoo.es 758-9165 9 Israel Barrera MEF- Secretaría Convenio ibarrera@mef.gob.pa 507-7030 10 Marcelo Pacheco J. SINAC- MINAET Pachecomarcelo51@yahoo.es (00506) 2751-0255/ 89932665 11 Fernando González ANAM forestjosef@hotmail.com (00506)8866-5224 12 Oscar Méndez MIDEPLAN omendez@mideplan.go.cr (00506) 2281-2747 Chavarría 13 Víctor Fallas Chinchilla C.N.E. Costa Rica vfallas@cne.gob.cr (00506)8895-9153 14 Gladys Concepción SINAPROC Gladysconcepción@hotmail.com 758-7188/6602/6038 15 Joaquín González Rep. Cuenca Alta-Panamá 16 Nelson Guerra Rep. Cuenca Media (00506) 8688-2479 6953- Panamá 2226 17 Pablo Rayo Rep. Cuenca Baja Panamá 6696-5753/6614-4363 18 Fulvia González Rep. Cuenca Alta Costa (00506)8302-6652 Rica 19 MIldred Blanco Salazar Rep. Cuenca Media Costa Siwoblanc20@gmail.com (00506) 8703-4577 R. 20 Jorge Molina Polanco Rep. Cuenca Baja Costa R. jorgempolanco@gmail.com (00506) 8839-7242 21 Alfonso Sanabria UTEB (Proyecto B. Sixaola) Sanabria_alfonso@yahoo.co 758-6136 587 Annexe 8 Liste d’acteurs intérrogés lors du premier terrain (juin-octobre 2010) Acteur Institution Pays Date de l’entretien Chercheurs Alberto Cortés Enseignant chercheur université du Costa San José, Costa Rica 17 août 2011 Rica Directeur de du Centre de Recherches Politiques. Abelardo Morales Chercheur de Faculté Latino-Américaine de San José, Costa Rica 19 septembre 2011 Science Sociale Expert en migations frontière Costa Rica- Nicaragua Carlos Granados Professeur de l’Ecole de Géographie de San José, Costa Rica 17 août 2011 l’Université du Costa Rica Responsable du Programme d’Etudes sur les Frontières de l’Ecole de Géographie l’UCR Pascal Girot Enseignent Chercheur de l’Ecole de San José, Costa Rica 18 août 2011 Géographie l’Université du Costa Rica Chercheur du Programme de frontières de l’Université du Costa Rica. Alonso Brenes, Chercheur du Programme de frontières de San José, Costa Rica 22 août 2011 l’Université du Costa Rica. Nicolas Boeglin Enseignant Chercheur de l’Université du San José, Costa Rica 9 septembre 2011 Costa Rica en matière de conflits socio- environnementaux liés á l’eau sur la frontière entre le Costa Rica et la Nicaragua Margarita Vanini Directrice de l’Institut d’Histoire du Managua, Nicaragua 1 septembre 2011 Nicaragua et Amérique Centrale (IHNCA) de l’Université Centraméricaine Représentants d’ONG Locales et nationales 588 Acteur Institution Pays Date de l’entretien Juan Carlos Barrantes Chargé de Projet à l’ONG locale Corridor Hone Creek, Talamanca, Costa Rica 21 septembre 2011 Biologique, Talamanca Caribe. Représentant de la Commission Transfrontalière du Projet Alianzas de l’UICN. Rosa Bustillo Directrice de l’ONG Locale Corridor Hone Creek, Talamanca, Costa Rica 14 septembre 2011 Biologique Talamanca Caribe Kira Cruz Direcrice de l’Association de Tourismes San José, Costa Rica 27 septembre 2011 Rural (ACTUAR) Représentants d’organisation internationales Joaquin Rabella Agence de Coopération Espagnole pour le Managua, Nicaragua 1 septembre 2011 Déceloppement (AECID) au Nicaragua Elena Galante Coordinatrice du Projet Río Frío de la Heredia, Costa Rica 7 septembre 2011 Coopération Espagnole, ARAUCARIA. Ana Lucía Moreno Directrice du Projet « Alliance Public- San José, Costa Rica 8 septembre 2011 Privée » (REWE, GTI et Chiquita Company) de l’ONG RUTA de USAID Felipe Carazo Chargée du projet Parcs en Danger de San José, Costa Rica 12 septembre 2011 l’ONG internationale The Nature Conservancy (TNC). Il travaillait spécifiquement sur Parc International La Amistad (Panamá-Costa Rica). Guillermo Rodríguez, Directeur de l’ONG internationale Amis de Managua, Costa Rica 31 août 2011 la Terre, Nicaragua Gabriela Calderón Chargée des Projets Productifs de l’UICN San José, Costa Rica 24 août 2011 sur les bassin du fleuve San Juan (Costa Rica-Nicaragua) etdu bassin du fleuve Sixaola (Costa Rica-Panamá) Ronald McCarthy Coordinateur du Projet Alianzas de l’UICN San José, Costa Rica 12 septembre 2011 Grettel Montero Chargée de Communication du Projet San José, Costa Rica 12 septembre 2011 Alianzas de l’UICN 589 Acteur Institution Pays Date de l’entretien Ariel Amoroso Chargé de Projet de l’UICN pour la Talamanca, Sixaola récupération du bassin du fleuve Sixaola Changuinola, Panamá Alfonso Sanabria Directeur du Projet Binationale du Bassin Changuinola, Panamá 22 septeñbre 2011 du fleuve Sixaola (Projet BID-FEM) du programme de coopération plus important dans la zone. Acteurs Gouvernementaux Oscar Mendez Secrétaire Commission Binationale San José Costa Rica 19 août 2011 Permanente Costa Rica-Panamá pour Ministère de Planification Costa Rica (MIDEPLAN). Jaime Incer Ex Ministre de l’Environnement, Un des Managua, Nicaragua. 30 août 364 acteurs qui a encouragé le SIAPAZ , il a exposé sûr les processus de paix et le rôle de l’environnement comme un sujet articulateur dans la transition á la démocratie (années 1990). Danilo Sanabria Ex fonctionnaire de la Commission Managua, Nicaragua 29 août Centroaméricaine d’Environnement et Développement (CCAD), du Système d’Intégration Centroaméricain. Organisations locales et productives Walter Rodríguez Président de l’Association de Petits Bribri Talamanca, Costa Rica 21 septembre 2011 Producteurs de Talamanca. 364 Sistema Internacional de Areas Protegidas para la Paz 590 Annexe 9 Liste d’acteurs intérrogés lors du deuxième terrain (juin-octobre 2012) Liste de personnes interrogées sur le bassin du fleuve Sixaola (Costa Rica-Panamá Non Organisation Poste Localisation Date entretien Organisations Internationales Kherson Ruiz Projet Alliance Publique-Privée Chargé du Projet de Sixaola, Talamanca, Costa 4 juillet 2012 REWE-GIZ-CORBANA-CHIQUITA Biodiversité et Rica Education Changuinola, Panamá Environnementale Ana Lucía Moreno Projet Alliance Publique-Privée Directrice San José, Costa Rica 25 junio 2012 REWE-GIZ-CORBANA-CHIQUITA Guillermo Chacón Projet Alliance Publique-Privée Consultant Bribri, Talamanca 3 juin 2012 REWE-GIZ-CORBANA-CHIQUITA Rocio Cordoba Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) Coordinatrice de San José, Costa Rica 28 juin 2012 l’Unité de Changement Climatique et Moyens d’existence de la UICN Pedro Cordero Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) Chargé du Projet Talamanca, Costa Rica 2 juillet 2012 BRIDGE au Bassin Changuinola, Panamá Sixaola Nazareth Porras Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) Chargée du Projet San José, Costa Rica 31 juillet 2012 Gouvernance des Bassins Transfrontaliers Marta Perez de Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) Chargée du Projet San José, Costa Rica 28 aoüt 2012 Madrid Adaptation au Changement Climatique Gabriela Calderon Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) Chargée du projet San José, Costa Rica 26 juin 2012 Alianzas 591 Non Organisation Poste Localisation Date entretien Marietta Fonseca Projet Binationale de Gestion du Bassin du fleuve Sixaola (BID- Chargée de Projet Changuinola, Panamá 4 juillet 2012 FEM) Julio Rodriguez The Nature Conservancy Directeur Antenne Ville de Panamá 26 juin 2012 Panamá Ricardo Coloane Banque Intéraméricaine de Développement (BID) Chargé de Projets Ville de Panamá 25 juillet 2012 Institutions de l’Etat Oscar Méndez Ministère de Planification Nationale (MIDEPLAN) Coordinateur de San José, Costa Rica 26 juin 2012 l’Unité de Coopération Bilatéral Secrétaire de la Commission Binationale, Costa Rica-Panamá Israel Barrera Ministère de l’Economie et des Finances du Panamá Coordinateur Ville de Panamá 23 juillet 2012 Secrétaire de la Commission Binationale, Costa Rica-Panamá Julie Lymberopulos Ministère de la Santé Chargée de Ville de Panamá 25 juillet 2012 Coopération Internationa MINAET‐ SINAC Directeur Limón, Costa Rica 9 juillet 2012 Edwin Cyrus Antenne Régionale de Limon Grace Carmiol Programme de Gestion du Bassin du Fleuve Sixaola Coordinatrice Cahuita Talamanca, Costa 9 août 2012 (Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage et Banque Rica Interaméricaine de Développement) Melvin Cordero Maire de Talamanca Maire Bribri, Talamanca, Costa 16 juillet 2012 Rica Marcelo Pacheco Ministère de l’Environnement et Energie (MINAET) Coordinateurs pour Sixaola, Talamanca, Costa 10 juillet 2012 Talamanca Rica Gladys Concepción Système National de Protection Civile (SINAPROC) Directrice Changuinola, Panamá 4 juillet 2012 592 Non Organisation Poste Localisation Date entretien Juan Carlos Méndez Commission Nationale d’Urgences Chargée coopération San José Costa Rica 7 septembre 2012 binationale Mauricio Santos Unité Environnementale de la Mairie de Changuinola Fonctionnaire Changuinola, Panamá 11 juillet 2012 Anel Caballero Autorité Nationale de l’Environnement Panamá Chargée de la Changuinola, Panamá 27 juillet 2012 province de Bocas del Toro Rocio Fallas Unité Environnementale de la Mairie de Talamanca Chargée de l’Unité Bribri, Talamanca 10 juillet 2012 Ruben Munoz Ministère de l’Environnement et Energie Chargé de San Hosé, Costa Rica 19 juillet 2012 Coopération Internationale Organisations locales Terrence Stuart Comité du bassin du fleuve Sixaola Représentant Sixaola, Talamanca, Costa 3 juillet 2012 Rica Walter Rodriguez Assocations de Petits Producteurs de Talamanca (APPTA) Directeurs Sand Box, Talamanca, 3 juillet 2012 Juanita Baltodano Costa Rica Karla Suarez Corridor Biologique Talamanca Caribe Chargée du Hone Creek Talamanca, 2 juillet 2012 Programme Costa Rica d’Education Environnemental Andrea Mora Association Développement Cahuita Répresentante Cahuita Talamanca, Costa 5 juillet 2012 Rica Pablo Rayo Syndicaliste Répresentant du Changuinola, Panamá 11 juillet 2012 secteur dans la Commission Binationale du Projet BID FEM Demetrio Layan ADITIBRI Conseil Suretka Sixaola, 13 septembre 2012 Elias Morales d’administration Talamanca, Costa Rica Rigoberto Eucaneo Rebeca Cabraca 593 Non Organisation Poste Localisation Date entretien Roger Blanco Salazar Association indigène Koswak Président Amubri, Talamanca, Costa 13 septembre 2012 Rica Marvin Murillo Association de Producteurs de Banane Plantain de Paraiso Président Paraiso de Talamanca, 10 juillet 2012 (ASOPLATUPA) Costa Rica Cristian Aspitia COOPERIO Président Olivia, Talamanca, Costa 12 juillet 2012 Rica María Prendas ASADAS ASADA Sixaola Sixaola, Talamanca, Costa 3 juillet 2012 Assocations d’Acueducs Ruraux Rica Justa Romero Union de Peuples Autochtones de Talamanca Leader Locale Watsi, Talamanca, Costa 12 juillet 2012 Rica Rosa Bustillo Corridor Biologique Talamanca Caribe Directrice San José 26 juin 2012 Juan Carlos Barrantes Corridor Biologique Talamanca Caribe Chargé de Projet Hone Creek, Talamanca, 3 juillet 2012 Diversification Costa Rica productive Commision Transfrontalière du Projet Alianzas Mitzela Davila Alianza Coordinatrice Changuinola, Panamá 5 juillet 2012 Bocas Universités et centres de recherche Randall Blanco Universidad de Costa Rica Chercheur sur San José, Costa Rica 20 juin 2012 Talamanca Julian Llaguno Kioskos Ambientales Coordinateur du San José, Costa Rica 21 juin 2012 Universidad de Costa Rica projet « Renforcement des formes de production et d’organisation de la Vallée du Sixaola » 594 Non Organisation Poste Localisation Date entretien Katia Acuña Antenne de l’Université du Costa Rica à Limon Enseignente San José/Limón 22 juin 2012 Chercheure Costa Rica Elvin Britton CATIE Chargée du Projet Ville de Panamá 26 juillet 2013 Cacao Randall Blanco Universidad de Costa Rica Chercheur sur San José, Costa Rica 21 juin 2012 Talamanca Liste d’acteurs interrogés sur le bassin du fleuve San Juan Non Organisation Poste Localisation Date Organisations Internationales Ginnette Campos Fondation pour le Développement Municipal (FUNDEMUCA) Chargée du Projet de Zone San José, Costa Rica 17 septembre 2012 Nord (Renforcement des Mairies d’Upala, Guatuso et Los Chiles) Luis Diego Segura Fondation pour la Paix et la Démocratie (FUNPADEM) Chargé de Projets San José, Costa Rica 30 août 2012 Projet « Manos a la Costa » Daniel Matul Fondation pour la Paix et la Démocratie (FUNPADEM) Coordinateur du Projet San José, Costa Rica 3 septembre 2012 « Manos a la Costa » Natalia Camacho Fondation pour le Développement Municipal (FUNDEMUCA) Chargée du Projet de Zone San José, Costa Rica 3 septembre 2012 Nord (Renforcement des Mairies d’Upala, Guatuso et Los Chiles) Olman Briceño Entreprise agro-exportatrice La Paz Propriétaire Ciudad Quesada, 9 septembre 2012 Costa Rica Silvia Chavez INBIO Chargée du Projet « Manos San José, Costa Rica 3 septembre 2012 a la Costa » Olman Varela Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) Chargée des Consortiums San José, Costa Rica 18 août 2012 du Fleuve San Juan du Projet Alianzas Gouvernements locaux Xinia Montero Mairie de Guatuso Chargée de Projets de Guatuso, Costa Rica 9 septembre 2012 595 Non Organisation Poste Localisation Date Développement Locaux Alejandro Ubaü Mairie d’Upala Mairie d’Upala Upala, Costa Rica 25 août 2012 9 septembre 2012 Wilson Campos Mairie de Guatuso Adjoint du Maire Upala, Costa Rica Universités et centres de recherche Danilo Saravia Université pour la Coopération Internationale Chercheur San José, Costa Rica 30 août 2012 Mario Arias Université du Costa Rica Chargé de recherche sur le San José, Costa Rica 29 août 2012 bassin du fleuve de San Juan Organisations locales Yeudi Herrera Elizondo Associations de Jeunes Agro- écologistes de la Zone Nord Président La Fortuna, Costa 9 septembre 2012 Rica Henry Sandino Chambre de Tourisme du fleuve San Juan (CANTUR) Entrepreneur Touristique San Carlos, 23 août 2012 Nicaragua Leonel Ubau FUNDEVERDE Directeur San Carlos, 24 août 2012 Nicaragua Antonio Ruiz Fondation du fleuve Directeur San Carlos, 23 août 2012 Nicaragua Maribel Chamorro Monjarrez Fondation des Amis du fleuve San Juan (FUNDAR) Antenne pour le Coordinatrice San Carlos, 23 août 2012 Sud-est Nicaraguayen Nicaragua Francisco Javier Salas Arana UNDEPESCA Coordinateur San Carlos, 24 août 2012 (Union de pécheurs) Nicaragua Renato Padilla FUNDEVERDE Chargé de Projets San Carlos, 10 septembre 2012 Nicaragua Maria Argueta Fondation de Femmes de San Miguelito Coordinatrice San Carlos, 10 septembre 2012 (FUMSAMI) Nicaragua Alvaro Chaverri COOPELESCA Représentant Ciudad Quesada, 9 septembre 2012 Costa Rica 596 Annexe 10 Guide entretien utilisé lors du deuxième terrain au bassin du fleuve Sixaola (Costa Rica- Panamá) Guía de entrevistas 1. Datos personales 1.1. Nombre 1.2. Edad 1.3. Lugar de residencia 1.4. ¿Trabaja en algún proyecto de cooperación, organización o en alguna institución? Si ( ) No ( ) Otro espacio: ¿Cuál?...................................................... (Si no pasar al punto 2.3) 1.5. Organización o institución a la pertenece 1.6. Puesto que ocupa 2. Identificación de programas y proyectos 2.1. ¿Cuáles son los proyectos y actividades en los que ha participado, participa o va participar? 2.2. ¿Cuáles son las acciones que están previstas en dichos proyectos? 2.3. ¿Cómo se financian dichos proyectos? ¿Quiénes los financian? 2.4. ¿Cómo se definen los contenidos y los objetivos de dichos proyectos y programas? 3. Juego de actores Identificación de redes y relaciones de poder Alrededor de dinámicas de cooperación transfronteriza 3.1. ¿Para usted, quién o quiénes son los actores con mayor protagonismo en el tema de conservación ambiental y gestión de la cuenca? 3.2. ¿Quiénes son los más activos? 3.3. ¿Con quienes tiene usted más cercanía? 3.4. ¿A quién le tiene más confianza? 3.5. ¿Cuál es el rol de las ONG y de los organismos internacionales? ¿Cree usted que estos juegan un rol de intermediación entre las instituciones (gobiernos nacionales y locales)? Alrededor de conflictos 3.6. ¿Con qué actores no trabaja? ¿Porqué? 3.7. ¿Pueden existir tensiones entre actores? 3.8. ¿Cuáles son para usted los principales motivos de tensiones? Se puede hablar de conflictos? ¿Alrededor de qué temas? 3.9. ¿Tienen ejemplos concretos de conflictos? 597 4. Espacios de participación 4.1. ¿Cuáles son para usted los principales espacios de participación en ésta frontera para la gestión de estos ecosistemas compartidos? 4.2. ¿Quienes participan? ¿Usted? 4.3. ¿Con qué frecuencia se reúnen? 4.4. ¿Cómo circula la información? 4.5. ¿Cómo se toman las decisiones? 4.6. ¿Cómo ve usted el rol del Estado? ¿Hay coordinación entre instituciones estatales? 4.7. ¿Cuál es el rol de las ONG y los organismos de cooperación en estos espacios de toma de decisión? 4.8. Me puede indicar cuáles son los actores que usted conoce en esta lista (precisando los actores conocidos personalmente 1 o indirectamente 2)? Para la cuenca del río Sixaola ( ) Acomuita Lista de actores ( ) APPTA ( ) AAMVECONA ( ) Proyecto BID Sixaola ( ) UICN ( ) TNC Para la cuenca del río San Juan ( ) Corredor biológico Lista de actores (Pendiente) ( ) Proyecto BID MAG ( ) Municipalidad de Talamanca ( ) Municipalidad de Los Chiles ( ) Kioscos Ambientales ( ) Municipalidad de San Carlos ( ) Municipalidad de Changuinola ( ) FUNDEVERDE ( ) ADITIBRI ( ) Consorcio el Gaspar ( ) Asociaciones de Desarrollo ( ) AMURS ( ) Alianza Bocas ( ) Unión de pescadores de San ( ) UDT Carlos 4.9. ¿Existen otros actores ligados a la gestión transfronteriza de la cuenca que no estén presentes en ésta lista? ¿Cuáles? 598 Annexe 11 Guide entretien utilisé lors du deuxième terrain au bassin du fleuve San Juan (Costa Rica Nicaragua) Guía de entrevistas 5. Datos personales 1.7. Nombre 1.8. Edad 1.9. Lugar de residencia 1.10. ¿Trabaja en algún proyecto de cooperación, organización o en alguna institución? Si ( ) No ( ) Otro espacio: ¿Cuál?...................................................... (Si no pasar al punto 2.3) 1.11. Organización o institución a la pertenece 1.12. Puesto que ocupa 6. Identificación de programas y proyectos 2.1. ¿Cuáles son los proyectos y actividades en los que ha participado, participa o va participar? 2.2. ¿Cuáles son las acciones que están previstas en dichos proyectos? 2.3. ¿Cómo se financian dichos proyectos? ¿Quiénes los financian? 2.4. ¿Cómo se definen los contenidos y los objetivos de dichos proyectos y programas? 7. Juego de actores Identificación de redes y relaciones de poder Alrededor de dinámicas de cooperación transfronteriza 3.1. ¿Para usted, quién o quiénes son los actores con mayor protagonismo en el tema de conservación ambiental y gestión de la cuenca? 3.2. ¿Quiénes son los más activos? 3.3. ¿Con quienes tiene usted más cercanía? 3.4. ¿A quién le tiene más confianza? 3.5. ¿Cuál es el rol de las ONG y de los organismos internacionales? ¿Cree usted que estos juegan un rol de intermediación entre las instituciones (gobiernos nacionales y locales)? Alrededor de conflictos 3.6. ¿Con qué actores no trabaja? ¿Porqué? 3.7. ¿Pueden existir tensiones entre actores? 3.8. ¿Cuáles son para usted los principales motivos de tensiones? Se puede hablar de conflictos? ¿Alrededor de qué temas? 599 3.9. ¿Tienen ejemplos concretos de conflictos? 8. Espacios de participación 4.1. ¿Cuáles son para usted los principales espacios de participación en ésta frontera para la gestión de estos ecosistemas compartidos? 4.2. ¿Quienes participan? ¿Usted? 4.3. ¿Con qué frecuencia se reúnen? 4.4. ¿Cómo circula la información? 4.5. ¿Cómo se toman las decisiones? 4.6. ¿Cómo ve usted el rol del Estado? ¿Hay coordinación entre instituciones estatales? 4.7. ¿Cuál es el rol de las ONG y los organismos de cooperación en estos espacios de toma de decisión? 4.8. Me puede indicar cuáles son los actores que usted conoce en esta lista (precisando los actores conocidos personalmente 1 o indirectamente 2)? ( ) Unión de pescadores Para a cuenca del río San Juan ( ) Asociaciones de Desarrollo Lista de actores (¿Cuál?) ( ) Consejo Juvenil de San Carlos ( ) Municipalidad de Los Chiles ( ) Consejo Juvenil de San ( ) Municipalidad de Upala Miguelito ( ) Municipalidad de Guatuso ( ) FUNSAMI (Mujeres de San ( ) Municipalidad de san Miguelito Miguelito) ( ) Municipalidad de San Carlos ( ) Fundación del Río ( )Asadas (¿Cuáles?) ( ) Araucaría- Proyecto Cuenca del ( ) FUNDEVERDE Río Frío (Cooperación Española) ( ) Consorcio el Gaspar ( ) Instituto nacional de pesca y ( ) Alianza los Humedales acuicultura ( ) AMURS ( ) MINAET ( ) Unión de pescadores de San ( ) MARENA Carlos ( ) CANATUR ( ) Fundación del Río ( ) ICT ( ) Fundación Amigos del Río San ( ) Ecojuventud Juan (FUNDAR) ( ) CANATUR ( ) Unión de Agricultores y Ganaderos de Rio San Juan 4.9. ¿Existen otros actores ligados a la gestión transfronteriza de la cuenca que no estén presentes en ésta lista? ¿Cuáles? 600 Annexe 12 Première Rencontre Binationale de Maires, Intitutions Politiques et Société Civile Nicaragua-Costa Rica 601 602 Tables des illustrations Table des cartes Carte 1 Terrains d’étude 28 Carte 2 Limites politiques de l’audience du Guatemala de 1579 à 1732 46 Carte 3 Organisation politique de l’audience de Guatemala de 1732 à 1821 46 Carte 4 Empire Mexicain (Empire d’iturbide) 1821-1823 48 Carte 5 République Fédérale Centraméricaine 1824-1838 48 Carte 6 Les Frontières de l’Amérique Centrale 67 Carte 7 Densité de population de l’isthme centraméricain en 2000 69 Carte 8 Densité de populations indigènes et territoires indigènes dans l’isthme centraméricain 71 Carte 9 Frontières et aires protégées en Amérique centrale 113 Carte 10 Les bassins transfrontaliers en Amérique centrale 117 Carte 11 Bassin du fleuve San Juan 143 Carte 12 Bassin du fleuve Sixaola 165 Carte 13 Bassin du fleuve Sixaola et aires protégées 214 Carte 14 Localisation des projets de coopération binationale soutenus par la BID sur le Bassin du fleuve Sixaola 258 Carte 15 Aires géographiques de concentration du Projet Alianzas de l'UICN 291 Carte 16 Localisation des bureaux des acteurs collectifs sur le bassin du fleuve Sixaola 311 Carte 17 Localisation des périmètres et des lieux d’application des projets de coopération transfrontalière sur le bassin du fleuve Sixaola 312 Carte 18 Localisation des bureaux d’acteurs collectifs sur le bassin du fleuve San Juan 330 Carte 19 Localisation des périmètres et des lieux d’application des projets de coopération transfrontalière sur le bassin du fleuve San Juan 331 Carte 20. Carte de localisation des conflits socio-environnementaux sur le bassin du fleuve San Juan 489 Carte 21 Conflits socio-environnementaux dans le bassin du fleuve Sixaola 501 603 Table des figures Figure 1 Frise chronologique: de la conquête espagnole à la formation des etats centraméricains XIV- XIX 51 Figure 2 Les frontières centraméricaines perçues par le Système d’Intégration Centraméricain (SICA) 91 Figure 3 Frise chronologique: l’intégration centraméricaine 1950-2008 100 Figure 4 Canal interocéanique et influence chine 136 Figure 5 Frise chronologique de synthèse 179 Figure 6 modèle de coopération en matière de gestion de l’eau proposé par l’uicn 205 Figure 7 Projets selon types de coopération concernant la frontière entre le Costa Rica et la Panamá en 2010 220 Figure 8 Structure de la Commission 221 Figure 9 Structure du Projet de gestion intégrée des ecosystèmes du bassin binational du fleuve Sixaola (BID-FEM) 234 Figure 10 Relations binationales formelles Costa Rica-Panamá (à partir de la fin du XIXe siècle- première moitié du XXe siècle) 245 Figure 11 Structure et hiérarchie du Projet pour la gestion binationale des ecosystèmes du bassin du fleuve Sixaola 248 Figure 12 La complexe coopération binationale pour la gestion intégrée des écosystèmes du bassin du fleuve Sixaola Costa Rica-Panamá 249 Figure 13 Structure et hiérarchie de la Commission Binationale Costa Rica-Nicaragua 261 Figure 14 Modèle de coopération en matière d’environnement sur la région frontalière Costa Rica- Nicaragua, conçu dans le Programme de développement frontalier (1990-2012) 268 Figure 15 Réseau d’acteurs perçus comme les plus actifs au bassin du fleuve Sixaola 316 Figure 16 Réseau d’acteurs perçus comme les plus influents 318 Figure 17 Réseau d’acteurs selon relations de proximité entre les acteurs qui interviennent dans la coopération pour la conservation de l’environnement sur le bassin du fleuve San Juan 334 Figure 18 Réseaux d’acteurs selon relations de « confiance » des acteurs collectifs du bassin du fleuve San Juan 335 Figure 19 Réseau constitué autour des acteurs les plus influents sur le bassin du fleuve San Juan en matière de coopération transfrontalière pour la conservation de l’environnement 336 Figure 20 Réseau d’acteurs du bassin du fleuve Sixaola, perception de confiance par type d’organisation 346 Figure 21 Réseau d’acteurs du bassin du fleuve San Juan, perception de confiance selon le type d’institutions 347 Figure 22 Structure et implémentation des projets de l’UICN. Les cas des Projets Alianzas, BRIDGE et Adaptation au changement climatique en Amérique Centrale 387 Figure 23 Les trois "E" de la GIRE 398 Figure 24 Frise chronologique 473 L’itinéraire d’un conflit, le dragage du fleuve, l’île calero et "la trocha" 473 Figure 25 Graphique conflits socio-environnementaux dans le bassin du fleuve San Juan 485 2011-2012 (par nombre de fois qu'ils ont été évoqués dans les entretiens) 485 Figure 26 Graphe des relations conflictuelles entre acteurs autour de la gestion de l’environnement sur le fleuve San Juan, par types d’organisations 491 Figure 27 graphe de relations conflictuelles autour de la gestion de l’environnement sur le fleuve san juan par pays d’origine 492 604 Figure 28 Graphique conflits socio-environnementaux dans le bassin du fleuve Sixaola (2011-2012) (par nombre de fois qu'ils ont été évoqués dans les entretiens) 495 Figure 29 Graphe des relations conflictuelles entre acteurs dans le bassin du fleuve Sixaola, par nationalité 506 Figure 30 Graphe des relations conflictuelles entre acteurs dans le bassin du fleuve Sixaola, par type d’organisation 507 605 Table des photographies Photographie 1 Borne frontière entre le Salvador et le Guatemala 55 Photographie 2 Infrastructure routière à la frontière entre le Salvador et le Guatemala, 2008 60 Photographie 3 Marécages à Los Chiles, Costa Rica, août 2012 146 Photographie 4 Champs d’ananas, Upala, Costa Rica, août 2012 146 Photographie 5 Champs d’agrumes, Upala, 2012 146 Photographie 6 Centre de Santé à Mexico d’Upala 155 Photographie 7 Maison localisée sur la frontière Costa Rica-Nicaragua à Mexico d’Upala 156 Photographie 8 Alejandro Ubaü, Maire d’Upala, montre la borne frontière utilisée dans la clôture D’une Maison 156 Photographie 9 Pont frontalier construit par l’UFCO entre Guabito Et Sixaola, 2012 171 Photographie 10 Village de Puerto Viejo partie aval du bassin du Sixaola, Costa Rica, 2012 171 Photographie 11 Enfants Ngöbe-Bugle,Village de Sillicon Creek, Panamá, 2008 171 Photographie 12 Artisanat Ngöbe Bugle, 2008 171 Photographie 13 Containers de la Compagnie Chiquita à Moín, Limón, Costa Rica Photographie 14 Production de Bananes plantains de ASOPLATUPA À Margarita, Sixaola, Costa Rica 178 Photographie 15 Ferme Intégrale de cacao s’origine biologique, Changuinola, Panamá Photographie 16 Infrastructure touristique, Cahuita, Costa Rica 178 Photographie 17 Ancien pont sur le fleuve Sixaola, 2012 Photographie 18 Pont provisoire sur le fleuve Sixaola 224 Photographie 19 Pont provisoire sur le fleuve Sixaola Photographie 20 Commerces frontaliers, Guabito, Panamá 224 Photographie 21 Bureau du Projet Binational de Gestion Intégrée des Ecosystèmes du Bassin du Sixaola, Bribri, Costa Rica Photographie 22 Bureau du Projet Binational de Gestion Intégrée des Ecosystèmes du Bassin au Changuinola, Panamá 241 Photographie 23 Véhicules officiels du Programme de Développement Durable du Bassin du Sixaola BID-MAG 241 Photographie 24 Poste militaire de l’armée nicaraguayenne, Rio Frio, frontière Costa Rica- Nicaragua, août 2012 270 Photographie 25 Nouveau Poste migratoire à San Carlos de Nicaragua inauguré au début du 2012 270 Photographies 26 et 27 Formation relative aux eaux partagées de l’UICN pour des hauts fonctionnaires du Panamá et du Costa Rica, Septembre 2012, Hotel Radisson à San José, Costa Rica 299 Photographie 28 Affiche du concert de l’Orchestre du Rio Infinito à San Carlos de Nicaragua 325 Photographie 29 Et 30 Atelier organisé par le CATIE Avec APPTA et COCAO, pour améliorer les pratiques de production de cacao biologique à Changuinola, Panamá, 29 septembre 2012 355 Photographie 31 Ferme Intégrée à Changuinola Panamá 355 Photographie 32 X Festival Binational De « Las Lapas » 357 Photographie 33 Brochure De L’UICN « Bonne gestion de l’eau pour l’adaptation au changement climatique » 419 Photographie 34 Brochure du Projet Manos A La Costa de Funpadem "Aliments et changement Climatique" 419 606 Photographie 35 Rectification de l’image De Google Maps, avant et après le conflit apparue dans le journal en ligne espagnol El Mundo 467 Photographie 36 Panneau de propagande du gouvernement costaricien « La frontière a besoin d’une route », municipe de Los Chiles. 470 Photographie 37 Segment de « La Trocha » à Los Chiles, Costa Rica Août 2012 470 Photographie 38 « Le nom de la route frontalière fait renaître l’esprit nationaliste » Journal La Nación, Novembre 2011 476 Photographie 39 Affiche touristique localisée à l’entrée du poste migratoire à San Carlos de Nicaragua, août 2012. 476 Photographie 40 Champs d’ananas, Upala, Costa Rica, août 2012 489 Photographie 41 Maison construite par l’entreprise bananière, entourée de champs de banane, Sixaola juillet 2012 501 Liste des tableaux Tableau 1 Fleuves utilisés comme support pour tracer des segments frontaliers en Amérique centrale ....................................................................................................................................................... 55 Tableau 2 Année de début des litiges et accords limitrophes ............................................................... 56 Tableau 3 Extension des dyades de l’Amérique centrale ..................................................................... 66 Tableau 4 Groupes ethniques localisés sur les régions frontalières en Amérique centrale .................. 70 Tableau 5 Indicateurs démographiques et sociaux des districts frontaliers étudiés, de la Région de Bocas del Toro et du Panamá. ....................................................................................................... 73 Tableau 6 Indicateurs sociodémographiques des cantons étudiés au Costa Rica ................................. 74 Tableau 7 Population et indice de pauvreté des municipes frontaliers étudiés au Nicaragua 2007 .... 74 Tableau 8 Catégories d’aires protégées définies par l’UICN ............................................................. 106 Tableau 9 Bassins transfrontaliers d’Amérique centrale ........................................................................ 117 Tableau 10 Aires protégées dans le bassin du fleuve San Juan .......................................................... 144 Tableau 11 Population et superficie des bassins du fleuve San Juan ................................................. 150 Tableau 12 Population et superficie du bassin du fleuve Sixaola ...................................................... 164 Tableau 13 Aires protégées dans le bassin hydrographique du fleuve Sixaola .................................. 173 Tableau 14 Acteurs identifiés qui agissent dans la gestion environnementale des bassins du fleuve Sixaola ......................................................................................................................................... 195 Tableau 15 Acteurs identifiés qui agissent dans la gestion environnementale des bassins du fleuve San Juan .............................................................................................................................................. 198 Tableau 16 Tableau comparatif des projets mis en place avec la coopération technique et financière de la Banque Interaméricaine De Développement (BID) dans le bassin du Sixaola ................... 239 Tableau 17 Indicateurs socioéconomiques du Costa Rica et du Panamá ........................................... 250 Tableau 18 Budgets du MINAE et de l’ANAM pour les années 2013 et 2014 ................................. 251 Tableau 19 Projets Et programmes de coopération 2008-2013 dans le bassin du fleuve Sixaola .... 282 Tableau 20 Bassins d’intervention du projet BRIDGE de l’UICN dans le monde ............................ 301 Tableau 21 Sites du programme Parcs en Dangers en Amérique latine de 2000 à 2007 ................... 306 Tableau 22 Projets de coopération à échelle locale et frontalière entre le Costa Rica et Le Nicaragua ..................................................................................................................................................... 321 Tableau 23 Projets de coopération, initiatives qui les inspirent et pays de mise en oeuvre ............... 380 607 Tableau 24 Architecture des commissions transfrontalières (bassins San Juan Et Sixaola) et de la Commission Binationale du bassin du fleuve Sixaola ................................................................. 435 Tableau 25 Hectares de banane cultivés dans le canton de Talamanca, Costa Rica .......................... 502 Table des encadrés Encadré 1 Entretien Jaime Incer, ex Ministre de L’environnement au Nicaragua 92 Encadré 2 Conflits frontaliers interétatiques : la typologie de Victor Prescott 129 Encadré 3 Traité Limitrophe Cañas-Jeréz, Costa Rica-Nicaragua, 15avril 1858 135 Encadré 4 Continuité culturelle : familles transfrontalières, le cas de la famille Ubaü 155 er er Encadré 5 Traité Arias-Calderon 1 Mai 1941 (Art. 1 ) 162 Encadré 6 Aires protégées ou développement ? La position de la mairie de Talamanca 176 Encadré 7 Les Principes de Dublin 396 608 Table des Matières Remerciements ............................................................................................................................................ 3 Sommaire........................................................................................................................................................ 7 Acronymes .................................................................................................................................................. 11 Introduction générale ............................................................................................................................. 15 Les frontières: des systèmes complexes qui articulent une grande diversité d’acteurs ......... 17 Les frontières centraméricaines: un objet peu étudié .......................................................................................... 18 Au cœur de notre problématique : comprendre les dynamiques frontalières liées à la conservation de l’environnement à travers les acteurs collectifs ..................................................... 20 Questionnement central et principales hypothèses ............................................................................... 22 Les frontières, un enjeu pluridisciplinaire .................................................................................................. 23 Une approche par les acteurs frontaliers et analyse du réseau ......................................................... 24 Le choix du terrain : les deux bassins transfrontaliers des fleuves San Juan (Nicaragua-Costa Rica) et Sixaola (Costa Rica-Panamá) ........................................................................................................... 26 Méthodologie........................................................................................................................................................... 28 Organisation de la thèse ..................................................................................................................................... 33 Première Partie ...................................................................................................... 37 Les frontières en Amérique Centrale : continuité socio- environnementale et discontinuité politique .............................................. 37 Introduction de la première partie .................................................................................................... 39 Chapitre 1 .................................................................................................................................................. 41 L’isthme centraméricain, une région de frontières ..................................................................... 41 1. Un isthme fragmenté, deux versants et sept frontières .................................................................... 41 1.1. La double fonction isthmique .................................................................................................................................. 41 1.2. La fragmentation physique : la dichotomie Pacifique/Caraïbe ................................................................ 42 1.3. La fragmentation politique : Une région morcelée ........................................................................................ 43 2. Les Etats centraméricains, un accouchement prématuré ? ........................................................ 47 3. Les frontières comme forme de discontinuité spatiale majeure en Amérique centrale . 52 3.1. L’appréhension des frontières en Amérique Centrale : de « fronts » de conflit à des limites étatiques .................................................................................................................................................................................... 52 3.2. A quoi servent les frontières ? Ordre, contrôle et cohésion interne ....................................................... 59 4. Les régions frontalières de l’Amérique Centrale: entre exclusion, continuité et discontinuité ............................................................................................................................................................ 62 4.1. La frontière : une ligne, une région ? ............................................................................................................... 62 4.2 Les frontières terrestres de l’Amérique centrale, des régions marginales et périphériques....... 65 609 Conclusion Premier chapitre ............................................................................................................................ 77 Chapitre 2 .................................................................................................................................................. 79 Face au morcèlement territorial : L’intégration régionale et la coopération environnementale .................................................................................................................................... 79 1. Construire la paix sur les marges: la perception des frontières comme des régions d’intégration ............................................................................................................................................................ 81 1.1. Face à la fragmentation, l’intégration régionale centraméricaine .......................................................... 81 1.2. Le rôle du Système d’Intégration Centroaméricain (SICA) et d’autres initiatives dans le positionnement des frontières dans l’agenda régional ........................................................................................ 86 1.3. Les régions frontalières, vers des régions transfrontalières ? .................................................................. 93 2. Les frontières et l’environnement : le retour des frontières naturelles? ........................... 101 2.1. Le discours de la naturalisation des frontières ........................................................................................ 101 2.2. La nature dans la représentation de l’espace transfrontalier : de l’influence des courants internationaux dans le changement de sens des frontières : conservationnisme vs préservationnisme ............................................................................................................................................................. 102 2.3. La « naturalisation » des frontières en Amérique Centrale : le rôle de la Commission Centraméricaine de Développement et Environnement (CCAD) ................................................................. 111 2.4. L’introduction de la problématique de la gestion intégrée des bassins transfrontaliers ..... 116 Conclusion deuxième chapitre ...................................................................................................................... 123 Chapitre 3 ................................................................................................................................................125 De l’horogènese de la frontière au bassin versant transfrontalier : des différentes dimensions des bassins du San Juan et du Sixaola .....................................................................125 1. Au-delà du fleuve San Juan, la construction de la frontière Costa Rica-Nicaragua ........ 126 1.1. L’horogènese d’une frontière et le mythe du fleuve San Juan ................................................................ 126 1.2. Les conflits frontaliers interétatiques entre le Costa Rica et le Nicaragua ....................................... 127 1.3. L’annexion du Partido de Nicoya : un différend territorial ..................................................................... 130 1.4. La dispute sur le segment frontalier fluvial du San Juan .......................................................................... 132 2. Le bassin du fleuve San Juan, une région frontalière complexe et dynamique ................ 140 2.1. Une frontière traversée par trois couloirs de circulation ........................................................................ 140 2.2. Le bassin du fleuve San Juan : un système naturel intégré ...................................................................... 142 2.2.1. Activités agricoles intensives : transformation des écosystèmes à des fins productives . 144 2.2.2. Une frontière aux interdépendances multiples ................................................................................... 149 3. La frontière Costa Rica-Panamá, un tracé au service des enclaves bananières ................... 157 3.1.La difficile horogenèse d’une région transfrontalière ................................................................................ 157 3.2. Le bassin du fleuve Sixaola, un bassin transfrontalier, entre proximité culturelle et richesse environnementale .............................................................................................................................................................. 163 3.2.1. Le passage de zone de refuge à des villages multiculturels ........................................................... 167 3.2.2. Un bassin requalifié mondialement par sa nature transfrontalière .......................................... 172 3.3. Activités productives contrastées: monocultures, agriculture biologique et tourisme ............. 174 Conclusion troisième chapitre ...................................................................................................................... 179 Conclusion première partie............................................................................................................................ 182 610 Deuxième partie .................................................................................................. 185 La coopération pour la gestion de l’environnement dans des régions frontalières ........................................................................................................... 185 Introduction de la deuxième partie : ...............................................................................................187 Comprendre les dynamiques de coopération transfrontalière à travers les acteurs collectifs .....................................................................................................................................................187 1. Les acteurs collectifs territoriaux ........................................................................................................... 187 2. Les acteurs collectifs spécifiquement frontaliers ............................................................................. 191 Chapitre 4 ................................................................................................................................................201 Réalités et limites de la coopération binationale pour la conservation des régions frontalières ...............................................................................................................................................201 Introduction .......................................................................................................................................................... 201 1. Coopération territoriale, coopération binationale, et coopération transfrontalière : la coopération une notion polysémique ........................................................................................................ 202 1.1. La coopération territoriale .................................................................................................................................... 203 1.2. La coopération binationale .................................................................................................................................... 209 2. La coopération binationale : accords, projets et institutions ...................................................... 210 2. 1. Coopération binationale pionnière entre le Costa Rica et le Panamá................................................ 211 2.1.1. Un cadre précurseur pour la coopération .............................................................................................. 211 2.1.2. Le Parc International de La Amistad ........................................................................................................ 212 2.1.3. La Convention de Coopération pour le Développement Frontalier ........................................... 215 2.1.4. La Commission Binationale Permanente ............................................................................................... 218 2.1.5. Institutions et projets binationaux pour la conservation de l’environnement ..................... 225 2.1.6. La complexe coopération binationale pour la conservation du bassin du Sixaola .............. 243 2.1.7. Des limitations à la coopération : institutions et législations divergentes ............................. 250 2.2. La coopération entre le Costa Rica et le Nicaragua : des tentatives timides de coopération entravées par une multitude de conflits................................................................................................................... 259 2.2.1. Un cadre légal et institutionnel existant mais tronqué .................................................................... 259 2.2.2. Première période de coopération binationale 1991-1998 : l’Accord de Coopération entre les gouvernements du Nicaragua et Costa Rica ............................................................................................... 260 2.2.3. Deuxième période de coopération binationale : la Stratégie pour le Développement des Zones Frontalières Nicaragua-Costa Rica........................................................................................................... 263 2.3. Changement de priorités et réorganisation interne au Nicaragua: le cas de Comités de Pouvoir Citoyen au Nicaragua ........................................................................................................................................................ 268 Conclusion quatrième chapitre .................................................................................................................... 273 611 Chapitre 5 ................................................................................................................................................275 Qui gère l’environnement? ..................................................................................................................275 Les dynamiques non étatiques de coopération pour la conservation de l’environnement dans des bassins transfrontaliers .....................................................................................................275 Introduction : Acteurs, projets et frontières ........................................................................................... 275 1. Coopération transfrontalière institutionnalisée et coopération transfrontalière informelle : l’émergence de nouveaux acteurs?..................................................................................... 276 2. Coopération transfrontalière institutionnalisée et acteurs exogènes ..................................... 279 2.1. Bassin du fleuve Sixaola : un laboratoire pour la coopération .............................................................. 280 2.1.2. Coopération pour l’environnement : Organisations intergouvernementales (OIG), ONG internationales et partenariats public-privé ..................................................................................................... 285 2.1.3. Les projets de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), entre alliances transfrontalières et gouvernance ....................................................................................................... 286 2.1.4. Les ONG internationales, le cas The Nature Conservancy et son programme « Parcs en danger » ............................................................................................................................................................................. 304 2.1.5. Projets de coopération encouragés par des partenariats public-privé .................................... 308 2.1.6. Le réseau transfrontalier d’acteurs du bassin du fleuve Sixaola, un réseau multi-scalaire et dynamique ........................................................................................................................................................................ 313 2.2. Bassin du fleuve San Juan, une coopération discrète dans un contexte conflictuel ..................... 319 2.2.1. Projets de coopération encouragés par des acteurs exogènes : Projets Alianzas de l’UICN et « Manos a la Costa » (ONG internationales, UICN, FUNDEMUCA et FUNPADEM, INBIO, etc.)323 2.2.2. L’abandon de la coopération transfrontalière dans le bassin du fleuve San Juan ? ............ 332 2.3. La « recette » de la coopération pour l’environnement : analyse du contenu des projets ........ 338 2.4. Au-delà des projets, durabilité des actions, dépendance et apprentissages ................................... 340 3. La coopération locale transfrontalière : Le rôle des acteurs locaux ......................................... 348 3.1. Le rôle des ONG locales ........................................................................................................................................... 348 3.1.1. Le cas de l’ONG Corridor Biologique Talamanca Caribe .................................................................. 349 3.1.2. Le cas de l’ONG Fondation du Fleuve ....................................................................................................... 350 3.2. Les coopérations transfrontalières informelles et spontanées. ............................................................ 352 3.2.1. La coopération entre producteurs de cacao biologique et entre associations indigènes . 352 3.2.2. Le rôle des gouvernements locaux : les Foires Binationales de la Santé, le dernier bastion pour la coopération locale au bassin du fleuve San Juan ............................................................................. 356 3.2.3. L’éducation et la recherche au service du développement durable, le rôle des universités publiques au Costa Rica et des centres de recherche ................................................................................... 359 Conclusion cinquième chapitre .................................................................................................................... 362 Conclusion de la deuxième partie ................................................................................................................ 366 Troisième partie ................................................................................................. 371 Les limites de la gouvernance environnementale : ................................ 371 Discours et conflits autour de la gestion de l’environnement dans des bassins transfrontaliers ................................................................................... 371 Introduction de la troisième partie .................................................................................................373 612 Chapitre 6 ................................................................................................................................................375 Mythes et réalités de la gouvernance environnementale dans la gestion des bassins transfrontaliers .......................................................................................................................................375 Introduction .......................................................................................................................................................... 375 1. Du global au local : l’oligopole de la conservation ........................................................................... 377 2. Le rôle des communautés épistémiques dans la construction des discours et des concepts de la gouvernance environnementale ....................................................................................................... 388 3. Le discours de la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) et du bassin versant transfrontalier au centre de la conservation des régions frontalières d’Amérique Centrale .................................................................................................................................................................................... 393 3.1. L’émergence et l’internationalisation des concepts de GIRE et de bassin versant ....................... 394 3.2. La GIRE, une réponse occidentale et un discours hégémonique........................................................... 401 3.3. Le bassin versant, la volonté de créer un territoire de gestion ............................................................. 406 3.3.1. Le bassin versant, une construction sociale et politique ................................................................. 406 3.3.2. Le bassin versant face aux “autres” territoires, l’impossible coexistence? ............................ 408 3.4. La GIRE et le bassin versant : entre le discours et la pratique ............................................................... 413 3.4.1. Les limites de la GIRE ...................................................................................................................................... 413 3.4.2. Les formules de la GIRE et de bassin versant, un discours institutionnel autorisé ............. 415 4. La gouvernance environnementale, normaliser la nature sans l’Etat ? .................................. 423 4.1. La gouvernance de l’eau, un élément central de la GIRE .......................................................................... 423 4.2. Gouvernance, un concept valise ? ....................................................................................................................... 425 4.3. La gouvernance un nouveau modèle d’exercice du pouvoir?................................................................. 427 4. 4. Les organisations et ONG internationales dans les processus de gouvernance locale .............. 428 4.4.1. Dispositifs délibératifs et normatifs de gouvernance ....................................................................... 430 4.4.2. Les plateformes multi-acteurs, le cas de la Commission Binationale du Bassin du fleuve Sixaola et des commissions transfrontalières. ................................................................................................. 432 4.5. Dispositifs normatifs, les codes de bonne gouvernance ........................................................................... 445 4.6. Dispositifs délibératifs et normatifs : plus de démocratie ou plutôt un pluralisme limité? ..... 448 Conclusions sixième chapitre ........................................................................................................................ 453 Chapitre 7 : Conflits et problématiques socio-environnementales autour de la gestion des bassins des fleuves San Juan et Sixaola ...................................................................................457 Introduction .......................................................................................................................................................... 457 1. Les frontières comme espaces privilégiés de conflits ................................................................ 458 1.1. Les conflits dans une perpective géographique ........................................................................................... 458 1.2 Un climat frontalier conflictuel de l’échelle nationale à l’échelle locale ............................................. 460 1.3. Des Conflits socio-environnementaux croissants, notamment aux frontières ............................... 462 2. L’environnement instrumentalisé dans le conflit limitrophe entre le Costa Rica et le Nicaragua ............................................................................................................................................................... 464 2.1 Depuis 2005, la récupération d’un argumentaire environnemental dans le conflit interétatique ..................................................................................................................................................................................................... 465 2.1.1. La question du dragage du fleuve San Juan ........................................................................................... 465 613 2.1.2. La construction d’une route frontalière par le Costa Rica et son impact environnemental ............................................................................................................................................................................................... 469 2.1.3. Discours et imaginaires nationaux : défense de la souveraineté et de l’environnement au service des intérêts nationaux ................................................................................................................................. 474 2.2. L’impact du conflit interétatique sur les acteurs frontaliers .................................................................. 480 2.2.1. Des relations transfrontalières de proximité affectées .................................................................... 480 2.2.2. Une visibilisation des conflits à l’échelle locale ................................................................................... 481 2.3. Des problématiques environnementales bien réelles mais invisibilisées par les discours nationaux ................................................................................................................................................................................ 482 2.3.1. La « San Juanisation » de la frontière ....................................................................................................... 482 2.3.2. Les conflits socio-environnementaux pourtant bien présents dans le bassin du fleuve San Juan ...................................................................................................................................................................................... 484 3. Conflits socio-environnementaux sur le bassin du fleuve Sixaola : lutte pour la terre et frontière agricole ................................................................................................................................................ 494 3.1. La lutte pour la terre sur la bande frontalière............................................................................................... 496 3.1.1. Une insécurité foncière du côté costaricien .......................................................................................... 496 3.1.2. Un impact socio-environnemental indirect sur la région frontalière ........................................ 498 3.2. Les monocultures : éternel enjeu du bassin du fleuve Sixaola............................................................... 500 3.2.1. Des monocultures anciennement et fortement présentes ............................................................. 500 3.2.2. Avec comme conséquence une pollution et un déboisement importants ............................... 503 3.3. Tensions entre acteurs du bassin du fleuve Sixaola ................................................................................... 504 Conclusion septième chapitre ....................................................................................................................... 509 Conclusion troisième partie ........................................................................................................................... 513 Conclusion générale ...........................................................................................................................517 Saisir les frontières de l’Amérique centrale à travers la question environnementale .......... 518 Comprendre les dynamiques de coopération binationales et transfrontalières par le regard des acteurs collectifs ......................................................................................................................................... 520 Des périphéries connectées avec le global ............................................................................................... 523 Coopérer sans se positionner ? L’effacement de la conflictualité socio-environnementale 525 Nouvelles pistes à creuser… ........................................................................................................................... 530 Bibliographie............................................................................................................................................531 Annexes ......................................................................................................................................................557 Tables des illustrations ........................................................................................................................603 Table des cartes ................................................................................................................................................... 603 Table des figures ................................................................................................................................................. 604 Table des photographies ................................................................................................................................. 606 Liste des tableaux ............................................................................................................................................... 607 Table des encadrés ............................................................................................................................................ 608 Table des Matières .................................................................................................................................609 614 615 RÉSUMÉ Gouverner l’environnement dans des régions frontalières ? Dynamiques de coopération et conflits sur les bassins du fleuve San Juan (Costa Rica- Nicaragua) et du fleuve Sixaola (Costa Rica- Panamá) L’isthme centraméricain est particulièrement touché par la discontinuité politique provoquée par dix dyades qui divisent la région en sept Etats. Les régions frontalières s’y caractérisent par leur marginalité économique et sociale, mais aussi par leur richesse naturelle puisqu’elles rassemblent les plus importantes aires protégées et bassins hydrographiques de l’Isthme. Cette richesse naturelle attire aujourd’hui l’attention d’une grande diversité d’acteurs nationaux, régionaux mais aussi internationaux, qui mettent en place de nombreuses initiatives de coopération binationale et transfrontalière pour encourager le développement et la conservation de ces régions frontalières. L’objet de cette thèse est d’analyser la manière dont les acteurs collectifs (organisations non gouvernementales, coopératives, associations, ministères, autorités indigènes, entre autres) agissant à différentes échelles influencent la gestion environnementale des régions frontalières en Amérique Centrale. Nous étudions les jeux d’acteurs autour des dynamiques de coopérations transfrontalières et de conflits qui se produisent dans les bassins partagés du Río Sixaola (entre le Costa Rica et le Panamá) et du Río San Juan (entre le Costa Rica et le Nicaragua). Mots clés : Frontière, Environnement, Acteurs, Coopération, Gouvernance environnementale Conflits socio-environnementaux, Costa Rica, Nicaragua, Panamá ABSTRACT Governing environment in borders regions? Dynamics of cooperation and conflicts on the basins of San Juan River (Costa Rica- Nicaragua) and Sixaola River (Costa Rica- Panama) The Central American isthmus is particularly affected by the politic discontinuity caused by ten dyads dividing the region into seven states. Borders’ regions are characterized by economic and social marginalization, but also by their natural wealth as they gather the most important protected areas and watersheds of the Isthmus. This natural wealth is currently attracting the attention of a wide range of national, regional as well as international actors who initiate numerous binational and cross-border cooperations in order to encourage the development and conservation of these border regions. The purpose of this thesis is to analyze how collective actors (NGOs, cooperatives, associations, ministries and indigenous authorities among others) acting at different scales influence the environmental management of border areas in Central America. We study the interplay of actors around the dynamics of cross-border cooperation and conflicts that occur in shared basins of San Juan River (between Costa Rica and Nicaragua) and Sixaola River (between Costa Rica and Panama). Key words : Border, Environment, Actors, Cooperation, Environmental governance, Socio- environmental conflicts, Costa Rica, Nicaragua, Panama 6 16